Abstracts
Résumé
L’auteur traite de la question fondamentale qui est une personne et, plus spécifiquement, si tous les êtres humains sont des personnes ou s’il existe des êtres humains qui ne seraient pas des personnes et qui n’auraient donc pas les mêmes droits à la vie que celles-ci. Certains philosophes, tels que Peter Singer, Michael Tooley et Tristram Engelhardt, se sont proposés de résoudre bon nombre des délicats problèmes bioéthiques contemporains en distinguant, d’une part, la vie humaine biologique, propre à l’être humain et, d’autre part, la vie humaine personnelle, qui est celle de la personne à laquelle est octroyé un droit à la vie. L’auteur soutient que tout être humain est fondamentalement une personne.
Abstract
The author discusses the fundamental question who is a person and more specifically if every human being is a person or if there exists some human beings who are not persons and who do not have the same rights to life as the human being. In an attempt to resolve a good number of delicate bioethical problems some philosophers, such as Peter Singer, Michael Tooley et Tristram Engelhardt, propose to distinguish between human biological life, belonging to all human beings, and human personal life, which belongs to a person to whom is accorded the right to life. The author maintains that every human being is fundamentally a person.
Article body
Le thème de la personne connaît un renouveau philosophique, aussi bien sur le plan de la métaphysique et de l’intelligence artificielle[1] que, plus particulièrement, sur celui de l’éthique médicale. On l’a décrit comme la clef à de nombreuses controverses bioéthiques[2] qui ont trait à la moralité du meurtre[3]. En effet, des philosophes soulignent son importance quant aux problèmes épineux contemporains touchant la vie et la mort — que l’on pense, par exemple, à l’avortement ou à l’infanticide — dans la mesure où la réponse à la question « qui est une personne ? » déterminerait le comportement moral à l’égard d’êtres humains se trouvant dans des états particuliers. À partir de l’a priori — qui, dans la présente discussion, n’est pas soumis à une analyse critique — selon lequel la personne a une dignité et des droits inaliénables, y compris celui de vivre, ces philosophes font la déduction suivante : si, premièrement, un zygote, un embryon, un foetus ou un nouveau-né est une personne et si, deuxièmement, le zygote et le sujet conscient de soi représentent une seule et même personne, il faudrait alors convenir que le zygote a autant un droit fondamental à la vie que, par exemple, sa mère. Nous serions, en effet, en présence de deux personnes ayant chacune une dignité fondamentale. Dès lors, l’avortement ou l’infanticide équivaudraient normalement à l’homicide d’une personne innocente[4]. Peter Singer conclut similairement dans son ouvrage Questions d’éthique pratique que « si l’on accorde à la vie du foetus la même importance qu’à la vie d’une personne normale, l’utilitariste [c’est-à-dire le courant éthique dans lequel il se situe] considérera qu’il est mal de refuser de porter le foetus jusqu’à ce qu’il puisse survivre en dehors de l’utérus[5] ». Michael Tooley, dans son article fondamental « Abortion and Infanticide », soutient pour sa part que si quelqu’un veut défendre l’infanticide comme un acte moralement licite, « il devra être très au clair sur ce qui fait de quelque chose une personne, de sur ce qui donne à quelque chose un droit à la vie[6] ». Anne Warren, quant à elle, note dans sa défense de l’avortement qu’« il n’est pas possible de proposer une défense satisfaisante des droits de la femme à obtenir un avortement sans montrer qu’un foetus n’est pas un être humain [c’est-à-dire, du point de vue de Warren, une personne[7]] ». Enfin, dans le monde francophone, Anne Fagot résume bien l’importance de la question « qui est une personne ? » en soulignant qu’« il y a conflit entre le principe du respect dû à l’être humain et l’instrumentalisation de cet être humain aux stades embryonnaires ou foetaux [et l’on pourrait ajouter : s’il est atteint d’un handicap mental très grave ou de sénilité] — à moins qu’un embryon humain ne soit pas une personne humaine[8] ».
La question fondamentale consiste dès lors à se demander qui est une personne et, plus spécifiquement, si tous les êtres humains sont des personnes ou s’il existe des êtres humains qui ne seraient pas des personnes et qui n’auraient donc pas les mêmes droits à la vie que celles-ci. Certains philosophes appartenant principalement à la sphère anglo-saxonne et germanophone[9] se sont proposés de résoudre bon nombre des délicats problèmes bioéthiques contemporains en distinguant, d’une part, la vie humaine biologique, propre à l’être humain et, d’autre part, la vie humaine personnelle, qui est celle de la personne à laquelle est octroyé un droit à la vie. Dans la présente contribution, je souhaite premièrement exposer les arguments et les a priori sur lesquels repose cette distinction, avant d’analyser, dans un second temps, le fondement rationnel de la définition de la personne avancée par ces philosophes. J’aborderai ensuite deux thèses : la première soutient qu’un individu aurait un droit à la vie dans la mesure où il est potentiellement une personne ; la seconde reconnaît, à l’aide d’une cooptation par les personnes d’une communauté, tel être humain — qui n’est pas qualifié de personne car il ne possède pas en acte une série de propriétés — comme une personne sociale. Je conclurai en soutenant que tout être humain est fondamentalement une personne.
I. La distinction entre être humain et personne
1. La proposition de Peter Singer
Dans son livre Questions d’éthique pratique, Singer refuse a priori la possibilité même de fonder l’égalité foncière des êtres humains non seulement dans une substance ontologique qui constituerait la personne humaine, à savoir la substance individuelle de nature rationnelle présentée par la tradition occidentale à la suite de Boèce[10], mais aussi dans la personne morale qui, selon John Rawls, exprime la faculté d’un sujet à être potentiellement réceptif à des injonctions d’ordre moral. Singer propose — d’une façon a priori — d’établir le principe d’égalité des êtres humains sur celui de l’égale considération des intérêts qui constitue, à son avis, le « principe moral fondamental[11] ». Il s’agit d’accorder dans les délibérations morales « un poids égal aux intérêts de tous ceux qui sont concernés par nos actions[12] ». Quels sont ces intérêts ? Singer énumère les plus importants, tels qu’« éviter la douleur, développer ses aptitudes, satisfaire des besoins fondamentaux en nourriture et en logement, avoir des contacts humains chaleureux, être libre de poursuivre ses projets[13] ». L’égalité des êtres humains fondée sur le fait qu’ils ont des intérêts n’implique néanmoins pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, une égalité de traitement. Tout en considérant de manière égale les intérêts des individus, l’action devrait, selon Singer, viser l’obtention d’un résultat égalitaire sur la base d’une formalisation quantitative mettant en balance les pertes et les profits d’une action pour l’ensemble des individus concernés, appliquant ainsi le principe économique de l’utilité marginale décroissante[14].
Avant de poursuivre, portons un instant notre regard sur le sujet qui possède des intérêts et, plus particulièrement, sur les différents termes employés par Singer pour désigner un tel sujet : il se réfère parfois à la personne humaine[15] et, en d’autres occasions, à l’être humain compris comme membre de l’espèce humaine, voire même à tous les êtres humains[16]. D’après ces passages, il semblerait que — du point de vue des intérêts — l’être humain soit identifié à la personne. Cette affirmation semble contredire sa déclaration que l’intérêt d’une femme doit normalement prévaloir sur l’intérêt d’un foetus (car celui-ci n’est nullement considéré comme une personne) et, pourrait-on ajouter, d’un embryon, d’un nouveau-né ou d’un handicapé mental très grave[17] ; elle contredirait aussi l’allégation que le foetus jusqu’à dix-huit semaines ne possède aucun intérêt[18]. Indépendamment d’un tel usage des termes, on peut raisonnablement se demander pourquoi le foetus, par exemple, n’aurait pas d’intérêts. La « justification[19] » — terme employé par Singer qui parle également « d’argument complet[20] » — pour jouir de l’égale considération des intérêts consiste en la capacité actuelle de souffrir, respectivement de se réjouir et d’être heureux[21]. Dès lors, seuls les vivants sensibles ont des intérêts et sont donc fondamentalement égaux[22]. Singer précise que :
Si un être n’est pas susceptible de ressentir de la douleur ou de faire l’expérience du plaisir et du bonheur [tel le foetus jusqu’à dix-huit semaines], il n’y a rien en lui qui doive être pris en considération. C’est pourquoi notre intérêt pour autrui ne peut avoir d’autre limite défendable que celle de la sensibilité — pour utiliser un terme pratique qui, sans être tout à fait adéquat, exprime à lui seul la capacité de souffrir et de ressentir le plaisir ou la joie[23].
On peut conclure que les êtres humains — humains au sens d’« appartenant à l’espèce humaine » — ne sont pas fondamentalement égaux ; seuls le sont, à ce stade de la réflexion, ceux qui sont aptes à ressentir de la douleur et du plaisir. Singer introduit une hiérarchie ou plutôt une inégalité foncière au sein de l’espèce humaine : ceux qui sont à même de ressentir de la douleur et du plaisir et ceux qui sont dépourvus d’une telle capacité. Bien qu’il fasse usage des termes de « justification » et « d’argument complet » pour caractériser sa position, il ne propose pas à proprement parler de réels arguments qui démontreraient le lien intrinsèque et nécessaire entre la capacité actuelle de souffrir et le fait d’avoir des intérêts. Le recours au critère de la sensation pour fonder l’intérêt envers autrui est, à mon sens, de l’ordre de l’« arbitraire[24] », d’un a priori dépourvu d’objectivité sur le plan des arguments. Il soutient en outre, de manière contradictoire, que le principe de l’égale considération des intérêts, d’une part, dépend fondamentalement d’aptitudes particulières qu’un individu doit avoir et, d’autre part, ne doit pas en dépendre[25].
Singer distingue ainsi au sein de l’espèce humaine ou, plus particulièrement, au sein des vivants, deux types d’individus : ceux qui, étant des êtres humains sensibles et donc à même de souffrir et d’avoir du plaisir, possèdent des intérêts, et ceux qui, n’étant pas des êtres sensibles, n’ont pas d’intérêts. Une fois cette distinction posée, on peut se demander si les êtres humains sensibles ayant des intérêts sont fondamentalement égaux entre eux. Leur égalité n’est en réalité qu’apparente. Elle dépend en fait, comme je l’ai mentionné ci-dessus, du principe d’utilité qui « n’impose pas l’égalité de traitement[26] », mais qui a pour maxime — parmi les vivants doués de sensibilité — non seulement de « soulager en priorité la plus grande souffrance[27] », laquelle dépend de son intensité et de sa durée[28], mais aussi de mettre en relation l’importance des intérêts en jeu pour chacun des individus[29]. L’être humain rationnel et conscient de soi, selon Singer, a des « capacités mentales qui le font souffrir davantage que des animaux dans les mêmes circonstances[30] ». En effet, il perçoit la souffrance de manière plus aiguë, car, conscient que son identité personnelle est inscrite dans le temps, il peut se projeter dans un à-venir et craindre un événement futur néfaste. Singer précise que :
Si nous décidions de procéder à des expériences scientifiques extrêmement douloureuses, voire mortelles, sur des adultes humains normaux, kidnappés au hasard dans un jardin public, les adultes pénétrant dans les parcs auraient peur d’être kidnappés. La terreur produite serait une forme de souffrance qui s’ajouterait à la douleur de l’expérimentation. Les mêmes expériences réalisées sur des animaux non humains causeraient une souffrance moindre, car les animaux n’auraient pas d’avance peur d’être kidnappés pour subir des expériences.
Singer continue en déclarant :
[…] qu’il y a des raisons (n’ayant rien à voir avec le spécisme) pour préférer utiliser des animaux plutôt que des adultes humains normaux s’il faut vraiment faire l’expérience. Notons que le même argument donne des raisons de préférer qu’on utilise, pour les expériences, des enfants humains, par exemple des orphelins, ou des personnes gravement handicapées mentales, car les enfants ou les handicapés mentaux n’auraient aucune idée de ce qui va leur arriver[31].
Notre auteur conclut donc : si l’on accepte que des expériences scientifiques soient réalisées sur des animaux non humains, ne devrait-on pas également le permettre sur des enfants et des êtres humains gravement handicapés mentaux ? Dans ce passage, l’intention première de Singer est que le lecteur prenne conscience de la brutalité avec laquelle les animaux sensibles sont traités dans le cadre d’expériences scientifiques en vue, par exemple, d’élaborer des médicaments qui serviraient à guérir des personnes. Cependant, si l’on relie la citation ci-dessus à la distinction singérienne entre « être humain » et « personne » (que j’introduirai dans un instant), au principe de l’égalité des intérêts (qui dépend du principe d’utilité), ainsi qu’à plusieurs autres textes, on arrive à la conclusion suivante : il semble que Singer ne verrait en soi pas d’objections à ce que soient utilisés à des fins de pures expériences des foetus et des embryons jusqu’à dix-huit semaines (étant des êtres dépourvus de sensibilité), voire, dans certaines circonstances (étant des êtres ressentant la douleur et le plaisir) des embryons plus âgés, des nouveau-nés, voire même des handicapés mentaux très graves et des individus séniles. Dans les pages de son ouvrage où Singer se demande si l’on peut supprimer la vie de l’embryon et du foetus, on trouve clairement exprimée l’idée que l’avortement d’un être humain sensible après dix-huit semaines, et risquant de provoquer des souffrances chez ce dernier, pourrait être justifié sans autre raison « s’il devait servir à prévenir une souffrance bien plus grande », par exemple « en sauvant la vie d’un enfant souffrant d’une déficience du système immunitaire », ou s’il devait « permettre de guérir des personnes âgées souffrant de la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer[32] ». Singer précise quelques pages plus loin qu’il ne voit « rien de foncièrement mal à ce qu’il y ait davantage d’avortements ou qu’il y ait des grossesses en vue de procurer du tissu foetal, du moment que les femmes concernées agissent librement et que les avortements supplémentaires contribuent vraiment à sauver d’autres vies[33] ». La logique interne de la position de Singer implique l’affirmation que l’on pourrait éthiquement tuer le nouveau-né, le handicapé mental très grave ou l’individu sénile dans la mesure où les parents le décideraient pour des raisons particulières[34], telles que, par exemple, sauver davantage de vies de personnes.
La proposition avancée par Singer pour résoudre certains problèmes bioéthiques délicats tels que l’avortement, l’infanticide ou l’euthanasie, se base non seulement sur une approche « conséquentialiste » de l’éthique et sur un utilitarisme de préférence relatif aux intérêts, lesquels dépendent fondamentalement d’aptitudes particulières d’un individu (la sensibilité et, de manière plus restrictive, la rationalité et l’auto-conscience), mais également sur une « dissection[35] » du terme être humain, qu’il caractérise « d’épineux[36] ». Ce terme peut être compris de deux manières différentes qui se recoupent, mais qui ne coïncident pas : être humain et personne. Le premier terme est équivalent à celui de « membre de l’espèce homo sapiens » et se situe uniquement au plan biologique. Le second est équivalent à celui de « personne » qui se caractérise par « la possession de certaines qualités et [le fait] que cette personne les possède à un degré élevé[37] ». Quelles sont ces qualités que l’individu doit posséder en acte — et non en puissance — à un degré élevé pour être admis parmi les personnes ? Singer se réfère aux indicateurs d’humanité proposés par le théologien protestant Joseph Fletcher[38], et se place clairement à la suite de John Locke qui définit la personne comme « un être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, et qui se peut consulter soi-même comme le même, comme une chose qui pense en différents temps et en différents lieux[39] » : ainsi il mentionne surtout deux qualités essentielles, à savoir la rationalité et la conscience de soi[40]. Mais il évoque aussi toute une série d’autres qualités nécessaires pour être une personne. On peut les résumer par la faculté à se concevoir soi-même comme existant dans le temps et à être ainsi conscient que son existence future peut être interrompue[41]. Une fois définies les propriétés que tel individu doit posséder en acte à un degré élevé pour être une personne — je reviendrai sur la question de la possession en puissance de ces propriétés, au moment de discuter la thèse de la personne potentielle —, il s’agit de définir le moment de l’apparition de la personne. Autrement dit il faut saisir, dans le développement d’un être humain, l’instant où celui-ci possède en acte les propriétés grâce auxquelles il est une personne. Conscient de la difficulté à tirer une ligne claire et distincte pour marquer ce moment, Singer préfère ne pas prendre de risque — à l’instar du chasseur qui ne serait pas certain si sa proie est un collègue[42] — et propose de façon arbitraire, comme il le reconnaît, la limite de 28 jours après la naissance[43].
Afin d’atteindre son objectif ultime qui consiste à « élever le statut des animaux, non d’abaisser celui des humains[44] », Singer rejette la thèse de la sacralité de la vie véhiculée, selon lui, par la tradition chrétienne[45], et propose de considérer la valeur de la vie d’un être vivant du point de vue de sa qualité : plus spécifiquement, il s’agit de déterminer son aptitude actuelle à ressentir de la souffrance et du plaisir, ainsi que sa possession actuelle d’une série de propriétés, en particulier la rationalité et la conscience de soi. « La vie d’un être conscient de lui-même, capable d’avoir des pensées abstraites, de planifier le futur, de produire des actes de communication complexes, etc. [une personne] a plus de valeur que la vie d’un être à qui ces capacités font défaut [un être humain[46]]. » Ainsi, l’individu conscient de soi-même a, selon Singer, un statut moral supérieur à celui qui ne l’est pas ; toutefois l’individu dépourvu de conscience de soi, mais capable de souffrir et d’avoir du plaisir, donc doué de sensibilité, a un statut moral supérieur à l’individu non conscient de soi et incapable de souffrir. Un traitement des individus par rapport à leur droit de vivre ne se fait pas en fonction des qualités relatives à l’espèce humaine, mais « de leurs qualités réelles[47] ». Singer introduit ainsi une triple hiérarchie, c’est-à-dire une inégalité foncière, au sein de l’espèce humaine quant au droit à la vie : certains individus humains ont « une valeur toute particulière[48] », alors que d’autres n’en ont aucune. Notre philosophe en tire une conséquence très claire que l’on peut rattacher à la discussion que nous avons eue il y a un instant :
[…] des êtres autonomes et conscients d’eux-mêmes ont en un sens beaucoup plus de valeur, un statut moral supérieur à ceux qui vivent dans l’instant sans avoir la capacité de se considérer eux-mêmes comme des êtres distincts doués d’un passé et d’un futur. C’est pourquoi les intérêts d’êtres autonomes et conscients d’eux-mêmes doivent normalement avoir la priorité sur les intérêts de tous les autres. […] Affirmer que les êtres conscients d’eux-mêmes méritent une prise en compte prioritaire est compatible avec le principe de l’égale considération des intérêts […] : ce qui arrive à des êtres conscients d’eux-mêmes peut être contraire à leurs intérêts, tandis que la même chose arrivant à des êtres qui ne sont pas conscients d’eux-mêmes ne contrarie pas leurs intérêts[49].
On peut continuer en affirmant que les vivants capables de ressentir de la souffrance et du plaisir, mais non conscients d’eux-mêmes, ont un statut moral supérieur à ceux qui ne le sont pas ; les intérêts des premiers — par exemple le nouveau-né, le foetus âgé de plus de dix-huit semaines, le poisson — ont la priorité sur les individus humains dépourvus de sensibilité et donc de tout intérêt.
Singer présuppose que seul l’individu conscient de lui-même ou sensible est en mesure d’avoir ses intérêts contrariés. N’existe-t-il pas, au contraire, des intérêts propres à l’être humain en tant qu’être humain et ce indépendamment du fait qu’il en soit conscient, voire même qu’il soit en mesure de ressentir de la douleur et du plaisir ? Par exemple, la mort d’un individu peut être considérée — à l’aide d’arguments qu’il ne m’est malheureusement pas donné de développer dans ce contexte[50] — comme un mal pour celui-ci indépendamment du fait qu’il existe dans « l’état de mort » ou qu’il en fasse l’expérience, indépendamment aussi de l’intérêt actuel ou passé, exprimé consciemment, à continuer à vivre. Le mal que représente un événement ne vient pas nécessairement de l’expérience d’une douleur. On peut aussi, avec de très bonnes raisons, le concevoir comme étant de l’ordre de la privation de biens, de possibles et d’espoirs que l’individu de par sa nature aurait pu posséder, réaliser et goûter s’il n’avait pas été projeté, par exemple, dans l’état de mort. Le mal de privation exprime la privation d’un bien ou d’une propriété dite personnelle — telle que la conscience de soi ou la raison — qu’un individu a exercée en acte, mais qu’il n’exerce plus, pas encore, voire qu’il n’exercera jamais. Par exemple, on conçoit aisément qu’un mal soit advenu au sourd de naissance, et ceci indépendamment du fait qu’il soit ou non conscient de lui-même, et qu’il en fasse l’expérience. Le mal que représente un état de choses ne dépend pas forcément de l’expérience qu’un individu en fait, ni de son existence, mais plutôt de la privation d’un bien dû, c’est-à-dire relatif à la nature même de l’être humain. Il en va de même pour la trahison, par exemple, qui peut être considérée comme un mal indépendant de l’expérience actuelle ou possible qu’en ferait un individu sensible ou insensible, et conscient de soi ou non.
Pour résumer, on peut dire qu’à partir de son utilitarisme de préférence et de sa distinction — posée de manière a priori — entre être humain et personne, Singer accorde une valeur supérieure, d’une part, à la vie d’une personne par rapport à celle d’un être humain dépourvu des propriétés en acte qui feraient d’elle une personne ; et une valeur supérieure, d’autre part, à la vie d’un être humain non personnel, mais sensible — c’est-à-dire capable de ressentir de la souffrance et du plaisir — tel le foetus après dix-huit semaines, le nouveau-né, le handicapé mental très grave, l’individu sénile, par rapport à la vie de l’être humain privé de sensibilité, comme le zygote. La dignité transcendante de l’individu se fonde d’abord, pour Singer, dans la possession actuelle de la sensibilité, puis de la rationalité et de la conscience de soi.
Pour Singer, l’introduction d’une distinction entre être humain et personne « transforme la question de l’avortement[51] », tout comme — par déduction logique — celles de l’infanticide et de l’euthanasie non volontaire des nouveau-nés handicapés graves, des handicapés mentaux adultes très graves, des individus séniles. Les conséquences en sont clairement déduites :
Si l’on compare honnêtement le veau, le cochon et le poulet avec le foetus, selon les critères moralement significatifs tels que la rationalité, la conscience de soi, la conscience, l’autonomie, le plaisir et la souffrance, etc., alors le veau, le cochon et le poulet viennent bien avant le foetus quel que soit l’état d’avancement de la grossesse. Car même un poisson manifeste davantage de signes de conscience qu’un foetus de moins de trois mois[52].
L’argument développé au sujet de l’avortement de l’être humain avant 18 semaines (embryon) qui, selon Singer, ne peut ressentir ni douleur ni plaisir, est repris à propos des êtres humains après 18 semaines (foetus), des nouveau-nés, des handicapés mentaux très graves et des individus séniles, en somme des êtres humains sensibles mais ne possédant pas en acte les propriétés qui feraient d’eux des personnes. « Puisque aucun foetus n’est une personne, aucun foetus ne peut revendiquer la vie comme une personne. Ces arguments s’appliquent au nouveau-né autant qu’au foetus[53]. » Quelques pages plus loin, Singer précise que tout ce qu’il maintient à propos des nourrissons dans le cadre de la discussion éthique sur l’infanticide et l’euthanasie non volontaire peut également « s’appliquer à des enfants plus âgés ou à des adultes dont l’âge mental est et a toujours été celui d’un nourrisson[54] », à savoir aux handicapés mentaux très graves.
Un bébé d’une semaine [et on pourrait ajouter un adulte handicapé mental très grave ou sénile] n’est pas un être rationnel conscient de soi, et il existe de nombreux animaux non humains dont la rationalité, la conscience de soi, l’éveil et la capacité de sentir, notamment, dépassent ceux d’un bébé humain âgé d’une semaine, ou d’un mois. Si le foetus n’a pas droit à la vie comme une personne, le nouveau-né non plus. Et la vie d’un nouveau-né a moins de valeur pour celui-ci que la vie d’un cochon, d’un chien, d’un chimpanzé n’en a pour chacun de ces animaux non humains[55].
Un peu plus loin, il affirme — en reprenant l’intuition de Michael Tooley que je vais aborder dans un instant — que « si un droit de vivre [Singer pose ce “si” de façon trop arbitraire, sans donner réellement d’arguments rationnels fondamentalement convaincants] doit reposer sur la capacité de vouloir continuer de vivre ou sur la capacité de se considérer soi-même comme un sujet mental qui perdure dans le temps, un nouveau-né », et l’on pourrait ajouter dans la même logique un handicapé mental très grave, « ne peut pas avoir de droit à la vie[56] ».
La ligne de démarcation est nette. La priorité est octroyée à la personne, ensuite aux vivants sensibles, et finalement aux vivants insensibles. Lorsqu’on se trouve confronté à deux êtres de même valeur, le choix s’oriente selon le principe du calcul de l’utilité qui n’impose pas l’égalité de traitement, mais qui prescrit de soulager en priorité la plus grande souffrance, ainsi que de mettre en relation l’importance des intérêts en jeu pour chacun des individus.
Dans l’appendice à la traduction française de son ouvrage Questions d’éthique pratique, Singer précise qu’il ne promeut pas l’idéologie nazie « selon laquelle l’État devait décider qui mériterait de vivre », mais que sa thèse « visait à réduire le pouvoir de l’État en permettant aux parents de prendre les décisions cruciales concernant la vie et la mort pour eux-mêmes et, en accord avec leurs médecins, pour leurs enfants nouveau-nés[57] ». Toutefois le désir de ne plus « échouer à produire ce qu’il y a de mieux[58] » — l’eugénisme —, signifie qu’il vaut mieux, toutes choses étant égales par ailleurs, avoir un enfant dit « normal » que déficient. Dans ce contexte, les parents verraient rapidement une pression d’autant plus forte s’exercer sur eux pour que soient euthanasiés les individus gravement déficients.
2. La proposition de Michael Tooley
Après nous être arrêtés à la position de Singer, qui influence significativement le débat actuel sur la notion de personne dans la bioéthique, tournons-nous vers un autre philosophe — Michael Tooley — dont on a dit qu’il présente la position la mieux argumentée dans la littérature en question[59]. Il s’est fait largement connaître pour ses thèses en faveur de la licéité de l’avortement et surtout de l’infanticide, qui, selon ses dires, augmenterait de manière significative le bonheur de la société[60]. Sa position repose sur deux affirmations. D’une part, il considère que tuer une personne constitue un acte intrinsèquement et gravement mauvais[61]. D’autre part, il regrette que les expressions « personne » et « être humain » soient utilisées de manière interchangeable (utilisation décrite comme « malheureuse[62] »). Il fait remarquer que dans le langage quotidien l’emploi du terme personne est double : il signifie à la fois l’« être humain », au sens d’appartenance biologique à l’espèce humaine, et la personne qui « jouit de quelque chose de comparable, en des aspects pertinents, au genre de vie mentale qui caractérise les êtres humains adultes normaux[63] ». L’introduction de cette distinction entre deux catégories d’entités auxquelles sont attribués différents droits et dignité, est capitale pour résoudre bon nombre de problèmes bioéthiques, selon Tooley. Il rejoint ainsi la position de Singer : « La tendance à penser non pas en termes de concept de personne, mais en termes d’être individuel comme un membre d’une espèce biologique particulière — homo sapiens — a eu comme conséquence une réflexion éthique confuse[64] ».
Tooley définit la personne — l’être qui a un « sérieux droit à la vie[65] » — à l’aide d’une série de propriétés que l’individu doit posséder en acte, comme le postule également Singer. Quelles sont ces propriétés ? Il en propose dix-sept, qui peuvent être ramenées au nombre de cinq[66]. Celles-ci ont pour dénominateur commun — on retrouve ici la position de John Locke — une vie mentale unifiée à travers le temps de manière significative, autrement dit le fait d’être conscient. Dans un autre passage, il mentionne la conscience de soi, l’aptitude à envisager un futur pour soi-même et à avoir des désirs concernant ce futur[67]. Dans son célèbre article « Abortion and Infanticide », il maintient que la personne constitue « le concept d’un moi comme un sujet continuant d’expériences et d’autres états mentaux et croyant qu’il est lui-même une telle entité continuant[68] ». Tout individu à qui une telle propriété en acte fait défaut ne saurait être une personne et donc avoir un « sérieux droit à la vie ». Tooley simplifie la triple hiérarchie proposée par Singer — personne, être humain sensible, être humain non sensible — à une double hiérarchie — personne et être humain (indépendamment de son aptitude à souffrir ou à ressentir du plaisir).
La distinction avancée par Tooley entre être humain et personne repose sur une théorie particulière du droit. L’affirmation de base est la suivante : un individu a un droit à quelque chose dans la mesure où il désire celle-ci. Tooley ne démontre pas le lien logique intrinsèque entre le droit et le désir : il ne propose pas d’arguments réels démontrant que, pour être sujet à un droit « x », il est requis logiquement de posséder en acte un désir « x ». L’application de cette théorie conduit à l’énoncé qu’un individu a un droit fondamental à la vie dans la mesure où il désire expressément continuer à vivre comme un sujet d’expérience. S’il a un tel désir en acte de continuer à vivre, les autres individus possédant le même désir ont une obligation prima facie de ne pas le priver de pouvoir continuer à vivre[69].
Avoir un droit à vivre présuppose que l’on est capable de désirer de continuer d’exister comme un sujet d’expérience et d’autres états mentaux. Ceci présuppose à son tour que l’on a le concept d’une telle entité continuant et que l’on croit que l’on est soi-même une telle entité. Ainsi une entité à qui une telle conscience de soi-même comme un sujet continuant d’états mentaux devait manquer n’a pas un droit à la vie[70].
La mise à mort d’un individu qui n’envisagerait pas un futur pour soi-même et qui n’aurait pas de désir concernant ce futur ne saurait être considérée comme condamnable d’un point de vue éthique. En effet, un tel individu ne serait pas privé de la réalisation de ses désirs. Cette conclusion peut être réfutée du point de vue de la possibilité — déjà mentionnée à propos de la position de Singer — de concevoir un mal comme la privation de quelque chose qui serait dû au sujet de par sa propre nature, et ce indépendamment de son expérience sensible et de sa conscience du mal advenu. Outre le fait que Tooley devrait démontrer le lien logique et nécessaire entre droit et désir, il faudrait montrer qu’un droit à « x » existerait indépendamment du fait que l’individu désire « x ».
En se basant sur la distinction entre être humain et personne, ainsi que sur l’affirmation du lien intrinsèque entre droit et désir, Tooley conclut que l’embryon, le foetus et le nouveau-né ne sont pas des personnes, car ils ne possèdent pas et n’ont jamais possédé en acte les propriétés qui feraient d’eux des personnes ; en outre, comme ils sont dépourvus de désir fondamental quant à leur futur, ils n’ont pas un « sérieux droit à la vie ». J’ajouterais que l’on peut inclure dans la logique de sa position — bien que Tooley ne le fasse pas — le handicapé mental très grave et l’individu sénile. Il s’ensuit que l’avortement, respectivement l’infanticide, voire l’euthanasie d’êtres humains séniles et gravement handicapés mentaux sont « moralement acceptables[71] ».
3. La proposition de H. Tristram Engelhardt, Jr.
La distinction entre être humain et personne introduite en vue de résoudre bon nombre de conflits bioéthiques est reprise par H. Tristram Engelhardt, Jr. dans un des ouvrages fondamentaux de la bioéthique anglo-saxonne contemporaine, intitulé Foundations of Bioethics. Son auteur se distingue néanmoins de Singer et Tooley dans la mesure où il n’en déduit pas les mêmes conséquences pratiques.
Engelhardt fait ainsi la différence — d’une manière qui n’est, selon lui, ni arbitraire[72] ni dualiste — entre une vie humaine biologique (celle d’un organisme humain), et une vie humaine personnelle (celle d’une personne humaine[73]). Pour être une personne, il est nécessaire de posséder en acte, et non pas seulement en puissance, les propriétés déjà mentionnées par Singer et Tooley : la rationalité, la conscience de soi et l’expérience de sa propre identité à travers le temps[74], le sens moral et la liberté[75]. Engelhardt résume bien sa position :
Ce qui distingue les personnes est leur capacité [dans le sens d’être en acte] d’être conscientes d’elles-mêmes, rationnelles et concernées par le mérite de la faute et de la louange. […] tous les êtres humains ne sont pas des personnes. Tous les êtres humains ne sont pas conscients d’eux-mêmes, rationnels et à même de concevoir la possibilité de la faute et de la louange. Les foetus, les nouveau-nés, les handicapés mentaux très profonds et les comateux sans espoir [et l’on pourrait ajouter les individus séniles] fournissent des exemples de non-personnes humaines. Elles sont des membres de l’espèce humaine mais elles n’ont pas en et par elles-mêmes une place dans la communauté morale laïque[76].
Cette distinction entraîne d’importantes conséquences, selon notre auteur, sur la façon dont on traite la vie humaine personnelle et biologique dans le contexte d’une bioéthique laïque[77]. Nous touchons ici à l’un des a priori de la réflexion philosophique d’Engelhardt, selon lequel nous nous trouvons aujourd’hui dans une ère post-chrétienne[78], à savoir dans une société fondamentalement laïque et pluraliste[79] (il rejoint ainsi l’opinion de Singer). Cet état de fait nous oblige à repenser notre attitude à l’égard des personnes et des non-personnes/êtres humains, dans une société où il ne saurait y avoir un point de vue objectif du bien devant être imposé aux membres de la société. Il n’octroie pas à l’être humain non personnel une valeur intrinsèque[80], mais considère la valeur de sa vie selon les paramètres utilitaristes et conséquentialistes pour la personne actuelle. Celle-ci a le même degré d’obligation morale à l’égard de l’être humain non personnel, par exemple du foetus ou du nouveau-né, qu’envers un animal possédant le même niveau d’intégration et de perception sensorielle[81]. Il n’existe pas de devoirs moraux à l’égard d’individus qui ne sont pas des personnes[82]. Ainsi, le fait d’utiliser un être humain qui n’est pas reconnu comme une personne sociale — terme que j’aborderai dans un instant — à des fins expérimentales ne saurait être éthiquement condamnable. Il peut être utilisé, contrairement à la position de Kant, simplement comme un pur moyen[83]. En effet, Engelhardt conçoit, par exemple, le foetus comme un objet de propriété des personnes qui l’ont produit : il est « une forme particulière de propriété très chère[84] ». Une telle affirmation repose sur la thèse non démontrée que le foetus serait une « extension et le fruit de mon propre corps[85] ». « Ils l’ont produit, ils l’ont fait, c’est le leur[86] ». Et Engelhardt de préciser que les foetus sont la propriété de la personne, respectivement d’une société anonyme, qui les a produits jusqu’à ce « qu’ils prennent possession d’eux-mêmes comme des entités conscientes, jusqu’à ce qu’on leur donne une place particulière dans une communauté, jusqu’à ce qu’une personne transfère ses droits sur eux à une autre personne, ou jusqu’à ce qu’ils deviennent des personnes[87] ». Ainsi, la décision d’expérimentation sur des foetus ou des enfants en bas âge, voire de traitement sur des enfants gravement déficients — qui ne sont pas considérés par Engelhardt comme des personnes à proprement parler —, revient aux parents, voire à ceux qui ont le droit sur eux[88]. Le fait de maintenir en vie des enfants handicapés très profonds, des enfants anencéphales, et ce même si cela se faisait à peu de frais, reflète, aux yeux d’Engelhardt, une incompréhension morale. Néanmoins, contrairement à Singer et à Tooley, notre auteur ne suggère pas l’euthanasie active de ces individus, car elle aurait des coûts sociaux plus élevés, mais l’introduction d’une loi similaire à celle de Solon, à savoir l’arrêt de traitement : « […] on peut décider de sauver à raison de grandes dépenses un enfant qui sera probablement normal, mais pas quelqu’un dont les handicaps physiques et mentaux futurs constitueraient même davantage de poids psychologique et économique en addition aux coûts démesurés impliqués dans le fait de sauver la vie de l’enfant[89] ». Pour soutenir sa position, il propose une raison proche de celle avancée par Singer, la loi du remplacement. Le fait de laisser mourir un enfant serait permis si le couple est d’accord d’essayer de « produire[90] » un enfant qui deviendra une personne dépourvue de sérieux handicaps.
Comme je l’ai mentionné au début de cette section, la distinction entre être humain et personne ne conduit pas Engelhardt à en tirer les mêmes conséquences éthiques que Singer et Tooley, à savoir l’infanticide. Ce dernier est, du point de vue de notre auteur, fondamentalement contre-intuitif. À la suite d’autres philosophes[91], il propose de reconnaître la possibilité d’attribuer, pour des raisons toutefois purement utilitaristes et conséquentialistes[92] — à savoir la sécurité des personnes existantes et le renforcement de la position sociale de la personne[93] —, le statut de personne et, plus précisément, de personne sociale[94] à des êtres humains qui ne sont pas en soi des personnes. Une telle reconnaissance, qui n’est pas absolue dans le contexte d’une éthique laïque, implique que l’individu reconnu socialement comme une personne — qui n’est pas à proprement parler une personne morale — reçoit en quelque sorte par procuration les droits relatifs à son statut, ainsi que la protection de sa vie. Nous sommes en présence d’une construction utilitariste qui ne vise pas le bien des êtres humains « non-personnes », mais plutôt le bien des personnes morales[95], et, plus particulièrement, les intérêts qu’ont les personnes à cultiver des sentiments de sympathie et d’attention (« care[96] »). La possibilité d’être reconnu « comme » une personne n’est cependant pas ouverte à tout être humain, car elle est restreinte, selon Engelhardt, à celui qui est apte à s’engager réellement dans une « interaction sociale minimale[97] ». Celui qui serait dépourvu d’une telle interaction ne saurait être considéré comme une personne au sens social du terme. Outre l’arbitraire[98] du critère de l’interaction pour être considéré comme une personne sociale, Engelhardt reste très flou sur sa compréhension du terme « interaction », tout comme sur celle des adjectifs « social » et « minimal ». Il ne mentionne pas non plus les critères rationnels grâce auxquels il déterminerait la limite du social minimal. Il rejette comme « arbitraire[99] » l’affirmation courante selon laquelle la naissance constituerait la ligne de démarcation à partir de laquelle tel ou tel individu serait reconnu comme une personne. Engelhardt se base sur le critère d’utilité et le conséquentialisme[100] pour affirmer que l’embryon, le retardé mental, le handicapé mental très grave et l’individu sénile peuvent, selon les situations, être inclus par un choix des parents ou des enfants (dans le cas de l’individu sénile) dans la catégorie de personne sociale[101].
4. Remarques conclusives
L’introduction de la distinction entre être humain et personne sur la base d’une éthique utilitariste et conséquentialiste permettrait, selon Singer, Tooley et Engelhardt, de résoudre un certain nombre de problèmes épineux de la bioéthique. Seul l’individu qui posséderait en acte une série de propriétés particulières aurait un droit fondamental à la vie. Les autres en seraient normalement privés, sauf si, ajoute Engelhardt, les circonstances veulent qu’ils soient cooptés comme personnes sociales par les personnes morales. Puisqu’ils ne remplissent pas les conditions pour être une personne, le foetus ou le nouveau-né n’ont tout simplement pas, aux yeux de Singer, le « droit à la vie spécifique aux personnes[102] ». Tooley le confirme explicitement : « si le foetus n’est pas une personne, comment peut-il être sérieusement faux de le détruire[103] ? ». Tuer un zygote, un embryon, un foetus, un nouveau-né, un handicapé mental très grave ou quelqu’un de sénile ne saurait dès lors, selon ces philosophes, constituer en soi un homicide, puisque l’on ne tue pas à proprement parler une personne — laquelle seule a un droit fondamental à la vie. Leur mort, selon Singer, « met fin à une existence qui n’a absolument aucune valeur “intrinsèque[104]” ». Il n’y a de meurtre que s’il y a une personne qui a été tuée.
La distinction entre être humain et personne exprime une conception dualiste de l’individu humain, à savoir entre la dimension biologique, le corps, et les facultés dites supérieures qui relèvent de l’esprit. Selon cette conception, l’appartenance biologique et génétique à l’espèce humaine entretient un rapport extrinsèque avec la conscience de soi et la rationalité. Le corps humain n’est pas compris comme une partie intégrante de la personne qui la révélerait dans un temps et un espace particuliers. En outre, Singer, Tooley et Engelhardt soutiennent tous une théorie de la personne dite performante, qui exige l’exercice en acte de certaines propriétés particulières. Bien qu’ils ne proposent guère d’arguments quant aux critères rationnels permettant de juger du moment précis où un être humain est une personne[105], ils ne sont pas d’accord cependant de reconnaître qu’il s’agit d’une convention arbitraire[106]. Singer, par exemple, fixe par prudence à 28 jours l’instant de la transformation du nouveau-né en une personne. On peut également s’interroger ici sur ce que Singer comprend par la possession de qualités à « un degré élevé » qu’il juge nécessaire pour être une personne. Quels sont les critères permettant de décider si tel individu humain a atteint le niveau requis ? Singer donne un caractère arbitraire au choix d’accueillir « x » dans la classe de personne. Il se situe au plan d’une définition nominale de la personne, et s’oppose à une définition ontologique qui caractériserait les entités telles qu’elles sont réellement, c’est-à-dire dans leur être même. Singer, Tooley et Engelhardt commettent une erreur épistémologique dans la mesure où ils octroient un statut ontologique à des entia rationis. Ils soutiennent que la propriété est le référent, s’opposant ainsi à la thèse qui veut que la personne dénote le référent et que la conscience de soi, par exemple, dénote une propriété particulière d’un référent, c’est-à-dire de la personne.
Conscient de l’objection que certains états, tels le sommeil et l’ivresse, feraient passer une personne au statut de non-personne, Singer nie un tel passage en invoquant « une continuité psychologique[107] » avec l’individu avant et après le sommeil. Ne pourrait-on pas appliquer ce même raisonnement au nouveau-né — qui se trouve dans un état similaire à celui du sommeil et de l’ivresse — et lui reconnaître le statut de personne dans la mesure où la personne consciente d’elle-même aurait une continuité psychologique avec lui ? Il serait néanmoins requis, dans ce contexte, que la personne soit capable de maintenir consciemment une continuité psychologique avec l’individu qu’elle était par le passé. Si cela ne devait plus être le cas, il ne serait plus cet individu. La solution à ce problème réside dans le critère de l’identité d’un même individu à travers le temps. Le critère de la continuité psychologique grâce à la mémoire développé par Derek Parfit est aujourd’hui sujet à de nombreuses critiques.
La plupart des philosophes qui avancent la distinction entre être humain et personne sentent que les conséquences éthiques sur lesquelles elle débouche se révèlent contre-intuitives. Pour y remédier, certains d’entre eux, tel Engelhardt, proposent que les parents puissent attribuer à un être humain le statut de personne[108] et, plus précisément, de personne sociale[109]. D’autres philosophes, ainsi que le Comité Consultatif National d’Éthique en France[110], avancent la thèse de la personne potentielle. Ainsi l’embryon, par exemple, aurait fondamentalement une potentialité naturelle à devenir une personne à condition que les conditions intérieures et extérieures soient remplies. Il serait dès lors sujet aux mêmes droits que la personne morale.
II. La solution de la personne potentielle
La théorie de la personne potentielle soutient que l’attribution de droits à « x » ne dépend pas de la possession en acte par « x » de certaines propriétés — ce qui lui conférerait le privilège d’appartenir à la classe de personne —, mais de sa potentialité à pouvoir en disposer un jour en acte dans le cadre de son développement naturel. Les droits relatifs à la personne en acte seraient accordés par extension à l’être humain qui est potentiellement une personne. Dès lors, supprimer une personne potentielle reviendrait à la priver de devenir une personne et à commettre un acte allant à l’encontre d’un droit fondamental à la personne : celui de continuer à vivre. L’introduction du concept de personne potentielle dans l’actuel débat bioéthique permettrait ainsi, à première vue, d’élargir le groupe des sujets ayant droit à la vie à toutes les personnes humaines en puissance : l’embryon, le foetus, le nouveau-né. Néanmoins, certaines catégories d’êtres humains en seraient exclues : le handicapé mental très profond, l’individu sénile ou le comateux irréversible. Leur mise à mort ne constituerait donc pas, dans la logique susmentionnée, un acte répréhensible d’un point de vue éthique, car aucune personne ou aucune personne potentielle ne seraient tuées.
Un certain nombre de philosophes se sont élevés contre l’introduction du concept de personne potentielle et le droit à la vie qu’il implique. Singer, par exemple, reconnaît que le foetus est un être humain avec un potentiel, mais refuse de lui octroyer des droits relatifs à la personne. Ceux-ci sont réservés uniquement à la personne en acte, à l’individu qui exerce à un haut degré les propriétés de rationalité et d’auto-conscience. Singer avance principalement deux types d’arguments : d’une part, il argue du lien intrinsèque entre droit et propriétés en acte dans leur exercice ; d’autre part, il nie que la mort d’un foetus prive le monde d’un être rationnel et auto-conscient à-venir.
1. Contre-arguments de Singer
Le premier type d’argument consiste à lier intrinsèquement les droits relatifs à la personne, plus particulièrement celui du droit à la vie, avec l’exigence de posséder en acte certaines propriétés dites personnelles. La potentialité à disposer un jour de ces propriétés n’implique pas en soi l’exigence logique d’être sujet aux droits relatifs à la personne en acte. Il existe une différence essentielle entre le fait de tuer un être potentiel et celui de tuer un être en acte, étant donné qu’il n’y a pas de raison objective, selon Singer, permettant de passer de « A est un X potentiel » à « A a les droits d’un X ». Le point de départ réside dans l’affirmation qu’« aucune règle ne dit qu’un X potentiel a la même valeur qu’un X ou qu’il a tous les droits d’un X[111] ». Pour défendre cette thèse, Singer propose une série d’exemples : le fait que le prince Charles soit potentiellement roi d’Angleterre n’implique pas qu’en ce moment même il ait les droits d’un roi. Le même type d’argument est repris par Engelhardt :
Mais si X est un Y potentiel, il s’ensuit que X n’est pas un Y. Si les foetus sont des personnes potentielles, il s’ensuit clairement que les foetus ne sont pas des personnes. En conséquence, X n’a pas les droits actuels de Y, mais uniquement potentiellement les droits de Y. Si les foetus ne sont que des personnes potentielles, ils n’ont pas les droits de personnes[112].
Singer et Engelhardt soutiennent une position que l’on pourrait décrire à l’aide des termes de performance et de réussite quant à la possession en acte, dans leur exercice, de certaines propriétés. Ceux qui pour une raison quelconque en sont malheureusement dépourvus ne sauraient être reconnus au sens strict comme appartenant à la classe de personne et jouir ainsi des droits relatifs à cette classe.
Singer discute un second type d’argument relatif à la personne potentielle : à savoir que l’élimination d’un foetus humain priverait le monde de l’actualisation d’un être humain rationnel et conscient de soi. Singer dénonce la faiblesse de cet argument en avançant que l’avortement ne prive pas toujours le monde d’une personne à-venir. En effet, dans certains cas, il ne fait que retarder sa venue. Pour exemplifier ses dires, Singer se réfère à une femme qui a projeté d’entreprendre une importante escalade en juin. Elle apprend au mois de janvier qu’elle est enceinte. Bien qu’elle veuille avoir un enfant, elle considère après réflexion que l’embryon dont elle est enceinte vient trop tôt dans la planification de sa vie. En l’avortant, elle ne priverait pas à proprement parler le monde d’une personne à-venir, puisqu’elle ne ferait en réalité que repousser le moment de l’entrée dans le monde d’un tel être[113]. Dans ce contexte, Singer fait référence à sa thèse du remplacement des personnes potentielles[114].
Quand la mort d’un enfant handicapé conduit à la naissance d’un autre enfant dont les chances de bonheur sont meilleures, la quantité totale de bonheur est plus grande si l’enfant handicapé est tué. La perte de la vie du premier nourrisson est compensée par le gain d’une vie plus heureuse pour le second. C’est pourquoi, selon le point de vue utilitariste total, si tuer le nourrisson hémophile n’a pas d’effets néfastes sur d’autres personnes, le tuer sera justifié. Pour le point de vue utilitariste total, l’enfant est remplaçable comme les animaux qui ne sont pas conscients d’eux-mêmes. […] lorsqu’un foetus est porteur d’une de ces maladies [l’hémophilie ou le syndrome de Down], avorter pour avoir un autre enfant qui n’en sera pas atteint revient à considérer que les foetus sont interchangeables et remplaçables. Si la mère avait décidé d’avoir un certain nombre d’enfants, disons deux, alors elle ne fait en réalité que rejeter un enfant potentiel en faveur d’un autre[115].
Singer continue sur sa lancée en soulignant les conséquences absurdes impliquées par la thèse de la privation d’une personne à-venir, qui conduirait à refuser l’avortement d’un enfant normal et à soutenir l’interdiction de la contraception et du célibat[116].
Les deux types d’arguments avancés par Singer montrent d’abord qu’il n’a pas saisi la double signification du terme de « personne potentielle ». Celui-ci peut signifier, premièrement, l’être humain qui n’est pas une personne mais qui est susceptible de devenir une personne — niveau auquel se situe la contre-argumentation de Singer — ou, deuxièmement, l’être humain qui est déjà en acte une personne, mais qui est tendu vers l’actualisation de ses potentialités, qui est appelé à développer son potentiel.
Singer confond en outre, comme bon nombre de philosophes qui lui emboîtent le pas, le concept de potentialité avec celui de possibilité qui ne signifient pas la même chose[117]. La confusion du concept de personne potentielle avec celui de personne possible conduit aux étranges déclarations mentionnées ci-dessus concernant la contraception et le célibat. Il mélange deux choses distinctes : d’une part, le fait que dans le cas de l’avortement il existe un être réel — le zygote, l’embryon, le foetus — qui se caractérise, suivant la première acception du concept de personne potentielle, par sa potentialité à devenir rationnel et conscient de lui-même dans un à-venir plus ou moins proche ; d’autre part, le fait que dans le cas du célibat et de la contraception il existe un être possible, mais non réel, c’est-à-dire une possibilité logique (non contradictoire) qu’éventuellement un jour un être humain puisse exister comme zygote, embryon, foetus potentiellement appelé à devenir rationnel et auto-conscient. La réduction de la possibilité dite réelle ou ontologique à la possibilité dite logique conduit Singer à mettre sur le même pied l’avortement avec la contraception et le célibat. On retrouve cette confusion dans l’exemple du prince Charles. Situé sur le plan de la possibilité pure, logique, et non de la potentialité inhérente au sujet, l’exemple ne démontre pas ce que son auteur avait l’intention de prouver. Il est certes correct de dire que le prince de Galles est le candidat à devenir roi d’Angleterre, au point de vue de la possibilité ; mais sa réalisation n’est pas intrinsèque à la personne du prince. Ce sont les conditions extérieures qui permettront la réalisation ou non de devenir roi. Le prince Charles n’est pas en soi un roi en potentialité, mais un prince royal en acte.
Opérer la distinction entre potentialité et possibilité permet de ne pas mettre sur le même plan l’embryon humain dès sa conception, d’une part, et la contraception et le célibat, d’autre part. Le spermatozoïde et l’ovule humains pris séparément peuvent certes s’unir dans le monde des possibles. Ils sont chacun de leur côté une cause possible d’une personne. Toutefois, pris dans leur individualité et séparément, ils ne pourront jamais se développer comme une personne particulière, et ce même si toutes les conditions extérieures étaient remplies. Un spermatozoïde ou un ovule ne peut se développer qu’en ce qu’il est déjà, à savoir un spermatozoïde ou un ovule, mais jamais en une personne, même potentielle. Il n’est tout simplement pas orienté de par sa nature vers un tel développement. Une fois unis, le spermatozoïde et l’ovule pris séparément comme des individus ont cessé d’exister comme tels. Ils ont fait place à un nouvel individu complètement différent, qui a en soi tout le potentiel pour exercer ses propriétés : le zygote. C’est ce dernier, et non pas l’ovule ou le spermatozoïde, qui est tendu intrinsèquement vers son développement propre et qui est potentiellement orienté vers l’actualisation d’une série de propriétés.
2. Validité de l’emploi du concept de « personne potentielle »
Le terme de personne potentielle que nous avons mentionné en discutant la position de Singer signifie l’existence d’un être humain qui n’est pas encore une personne, mais qui le deviendra par une logique intrinsèque, si un minimum de conditions extérieures et intérieures sont remplies. Le problème posé par cette première compréhension du concept de personne potentielle ne réside pas, à mon avis, dans les contre-arguments qu’avance Singer, par exemple. La difficulté vient plutôt du flou qui entoure l’explication du passage de l’être humain (personne potentielle) à la personne (en acte), ainsi que l’instant d’un tel passage[118]. À mon sens, la question fondamentale consiste à savoir s’il existe une continuité essentielle, c’est-à-dire une continuité d’être, entre l’être humain qui est potentiellement une personne et la personne en acte[119]. Dans le cas contraire, nous serions en présence d’un nouvel individu dès l’apparition de la personne, c’est-à-dire concrètement dès que se manifeste l’exercice des propriétés de rationalité et de conscience de soi, selon Singer. Nous aurions alors deux individus essentiellement distincts. À la suite de Parfit et de Tooley[120], Singer rejette toute continuité psychologique entre le nouveau-né (personne potentielle selon certains) et la personne en laquelle il se développera : « Un nouveau-né n’est pas un moi qui continue. Bien qu’il puisse se développer en une personne, on ne peut pas soutenir d’un point de vue strict qu’il a un intérêt à survivre et à devenir une personne, car il lui manque la continuité psychologique avec la personne qu’il pourrait devenir[121]. » Ainsi, tuer un nouveau-né qui n’est pas une personne ne revient nullement, selon Singer, à priver le monde d’une personne, car la personne que Nicolas est actuellement n’est pas en soi le même individu que Nicolas le nouveau-né. Singer déduit d’une différence psychologique une différence ontologique. Cette thèse de la continuité psychologique comme critère de l’identité personnelle, avancée entre autres par Singer, fait néanmoins l’objet de nombreuses critiques dans le cadre de la discussion actuelle sur les critères de l’identité personnelle. Cette discussion fournit également de bonnes raisons de maintenir qu’une même identité personnelle existe à travers le temps entre le zygote et l’adulte humain. S’il devait y avoir une telle continuité, la première interprétation du terme de personne potentielle mentionnée ci-dessus — à laquelle se réfère Singer — relèverait du non-sens, mais pas pour les raisons invoquées par Singer[122]. En effet, il n’est pas possible logiquement de concevoir que « x » — être humain — soit potentiellement « y » — personne —, car une fois le spermatozoïde et l’ovule unis, à savoir une fois l’apparition d’un zygote en acte, celui-ci ne peut pas devenir autre chose que ce qu’il est essentiellement, de par sa nature. Le terme de « potentialité » implique une orientation vers une fin particulière consistant en l’actualisation de ce qui est en puissance. Ainsi, soit « x » est déjà une personne, soit il ne l’est pas. Il ne saurait y avoir d’intermédiaire, c’est-à-dire que « x » ne peut pas devenir une personne s’il n’est pas déjà une personne. En effet, un être ne peut pas devenir quelque chose à partir de ce qu’il n’était pas. S’il l’était déjà, il ne saurait y avoir de devenir quant à l’être. Il n’y a pas à proprement dire de personne potentielle, mais plutôt, comme nous allons le développer maintenant, une personne avec un potentiel.
III. Tout être humain est une personne
La seconde interprétation susmentionnée du concept de personne potentielle consiste à dire qu’un individu en acte — appelé personne — est orienté non seulement vers l’actualisation de son potentiel, mais aussi vers l’exercice de propriétés dites personnelles dans un à-venir plus ou moins proche, si tout se déroule conformément à sa nature. La distinction entre, d’une part, l’acte d’être une personne et, d’autre part, l’exercice et le comportement de cette personne — laquelle transparaît par son agir, par la mise en oeuvre d’une série de propriétés — permet de concevoir qu’un individu puisse être en acte une personne, sans nécessairement exercer les propriétés dites personnelles. Le fait que leur exercice se manifeste à autrui ne constitue pas le critère déterminant l’appartenance à la catégorie des personnes. L’être humain n’est pas une personne parce qu’il exerce une série de propriétés, mais c’est parce qu’il est fondamentalement un être humain-personne qu’il a de par sa nature la potentialité d’exercer ces propriétés dites personnelles.
L’être humain — compris comme personne — n’est pas une propriété, il est le sujet qui possède des propriétés particulières manifestant sa nature. Le concept de propriété signifie le fait de caractériser « x », ce qui implique l’existence d’un substrat nommé être humain-personne. Afin de posséder des propriétés dites personnelles, il est requis que le sujet soit déjà une personne. On pourrait distinguer les propriétés dites personnelles, qui permettent de reconnaître l’être humain comme une personne, du sujet de ces propriétés qui rend leur être possible. Néanmoins l’agir personnel ne constitue pas en soi la « nature » de la personne : il ne fait que la révéler. L’agir personnel est potentiel, contrairement à l’acte d’être du sujet qui rend possible un tel agir. L’embryon ne se développe pas pour devenir une personne, mais il se déploie comme personne qui se manifeste, entre autres, dans un à-venir plus ou moins proche par l’exercice de propriétés dites personnelles. Leur possession en acte dans le sens particulier de leur exercice n’est pas requise pour qu’il soit une personne en acte. Les êtres humains dépourvus de l’exercice de ces propriétés sont pleinement des personnes, mais déficientes. L’aptitude à exercer de par sa propre nature et à un moment donné de son histoire ces propriétés est une condition nécessaire pour qualifier l’individu comme une personne. Leur éventuel exercice concret est secondaire et n’a pas d’incidence sur l’octroi du statut de personne. L’embryon peut ainsi devenir en quelque sorte ce qu’il est déjà.
On peut faire une distinction entre ce que l’étant est (ontologie de l’être) et l’actualisation de ce qu’il est en plénitude (ontologie du ne-pas-encore-être). Cette dernière ne se déploie qu’à partir d’un être en acte. La différence entre un adulte normal et un nouveau-né, un embryon ou un zygote, ne réside pas dans leur être de personne, mais dans le degré de déploiement de leurs propriétés dites personnelles. Les concepts de potentialité et de substance sont intimement liés. Octroyée à un vivant, la potentialité présuppose avant tout un fondement métaphysique : la substance qui définit l’être d’un vivant particulier. On peut distinguer, d’un côté, une forme substantielle présente dès le début de l’existence humaine, c’est-à-dire un étant réalisé au minimum, un ne-pas-encore-être en plénitude, et de l’autre l’agir de l’être humain, qui l’oriente de façon déterminée ou indéterminée, c’est-à-dire libre, vers un but ultime inscrit au fond de sa nature et qui implique la libre actualisation de la totalité de son pouvoir-être. L’être humain chemine — aussi bien par nature, que par l’agir libre et par don — vers sa réalisation sur le plan de l’exercice des propriétés inhérentes à sa nature, vers un être-plénier, vers un posséder-pleinement. L’être humain est tendu à déployer ce qu’il est, à réaliser sa nature, dans toutes ses dimensions. À partir d’un état donné identifié à sa conception, la personne est orientée vers l’excellence de sa nature à travers son corps — illustrée, par exemple, par les Jeux olympiques —, son intelligence, sa volonté, etc. Cette tension de la nature humaine vers l’excellence, vers son achèvement, présuppose un être qui rende possible un tel élan, un tel déploiement. La personne ne réside pas dans l’exercice à un « degré élevé[123] » (pour reprendre une expression de Singer) de certaines propriétés, mais dans le sujet rendant celles-ci capables de s’exercer.
En se basant sur la distinction entre l’acte et l’exercice ou, pour reprendre un terme plus technique, entre l’acte premier et l’acte second, on peut soutenir qu’un individu qui pour diverses raisons n’exerce pas de propriétés dites personnelles, peut néanmoins être en acte — et notamment en acte premier — d’existence personnelle. La potentialité à exercer ces propriétés est présente dès la conception de l’individu et elles pourront être exercées dans le quotidien si aucune influence extérieure ni aucun dysfonctionnement intérieur ne venaient entraver le développement de la personne. Une telle compréhension de la personne permet de concevoir non seulement le zygote, l’embryon et le nouveau-né comme des personnes, mais également l’individu sénile, le comateux et/ou le handicapé mental très grave. Ainsi, par exemple, ce dernier est fondamentalement une personne ; mais pour des raisons de mal-fonctionnement dans son développement, voire d’une nature défectueuse du spermatozoïde, respectivement de l’ovule pris séparément, il n’est pas en mesure d’exercer les propriétés dites personnelles qui lui sont propres de par sa nature. La nature humaine du handicapé mental très profond est pleinement personnelle, mais déficiente quant à l’exercice de certaines propriétés dites personnelles qu’elle devrait pouvoir exercer si les circonstances normales étaient données à un instant particulier de son développement.
Une des conséquences de cette position[124] consiste à affirmer que, dès la conception, la personne potentielle — comprise au second sens mentionné plus haut — existe. La personne est en acte, tout en ayant à sa disposition — à tout moment de son existence — la potentialité à se développer en tant que personne. Elle est donc le sujet de droits fondamentaux en vertu même de son être de personne, c’est-à-dire que l’individu humain n’a pas besoin d’exercer un comportement exprimant les propriétés personnelles pour avoir un « sérieux droit à la vie[125] ».
Appendices
Notes
-
[1]
Voir C. Cherry, « Machines as Persons ? », dans D. Cockburn, éd., Human Beings, Cambridge, Cambridge University Press (coll. « Philosophy », Suppl., 29), 1991, p. 11-24 ; O. Hanfling, « Machines as Persons ? », dans D. Cockburn, éd., Human Beings, p. 25-34 ; J. Pollock, How to Built a Person. A Prolegonomenon, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 1989.
-
[2]
Voir, par exemple, H.T. Engelhardt, Jr., The Foundations of Bioethics, second edition, Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 139-140 ; et « Introduction », dans W.B. Bondeson, H.T. Engelhardt, S.F. Spicker et D.H. Winship, éd., Abortion and the Status of the Fetus, Dordrecht, Reidel, 1983, p. xi ; P. Singer, Questions d’éthique pratique, traduit de l’anglais par M. Marcuzzi, Paris, Bayard, 1997, p. 79 [Practical Ethics, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, second edition, p. 73], 91 [85] ; D.S. Levin, « Abortion, Personhood, and Vagueness », The Journal of Value Inquiry, 19 (1985), p. 197 ; M. Tooley, « Personhood », dans H. Kuhse et P. Singer, éd., A Companion to Bioethics, Blackwell, Oxford, 1988, p. 117, 125.
-
[3]
Voir M. Tooley, « Personhood », p. 125 ; et « Decisions to Terminate Life and the Concept of Person », dans J. Ladd, éd., Ethical Issues Relating to Life and Death, Oxford, Oxford University Press, 1979, p. 91-92.
-
[4]
Derek Parfit a l’honnêteté de tirer les conséquences de la position non réductionniste, selon laquelle l’identité personnelle existe dès le premier moment de la vie : « And, on the Non-Reductionist View, it is a deep truth that all the parts of my life are equally parts of my life. I was as much me even when my life had only just started. Killing me at this time is, straightforwardly, killing an innocent person. If this is what we believe, we shall plausibly claim that abortion is morally wrong » (Reason and Persons, Oxford, Clarendon Press, 1984, p. 322). C’est la conséquence logique à laquelle parviennent également, entre autres, N. Hoerster, Abtreibung im säkularen Staat. Argumente gegen den § 28, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1995, p. 53 ; M.A. Warren, « Abortion », dans H. Kuhse et P. Singer, éd., A Companion to Bioethics, p. 127-134.
-
[5]
P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 149 (« […] if the life of the fetus is given the same weight as the life of a normal person, the utilitarian would say that it would be wrong to refuse to carry the fetus until it can survive outside the womb » [p. 149]).
-
[6]
« If one is going to defend infanticide, one has to get very clear about what makes something a person, what gives something a right to life » (M. Tooley, « Abortion and Infanticide », Philosophy and Public Affairs, 2, 1 [1972], p. 38).
-
[7]
« It is not possible to produce a satisfactory defense of woman’s rights to obtain an abortion without showing that a fetus is not a human being » (M.A. Warren, « On the Moral and Legal Status of Abortion », The Monist, 57 [1973], p. 43).
-
[8]
A. Fagot et G. Delaisi de Parseval, « Les droits de l’embryon (foetus) humain, et la personne humaine potentielle », Revue de Métaphysique et de Morale, 92, 3 (1987), p. 362.
-
[9]
Voir, entre autres, B. Baertschi, La valeur de la vie humaine et l’intégrité de la personne, Paris, PUF, 1995, p. 71 et suiv., 157 et suiv. ; D. Birnbacher, « Das Dilemma des Personbegriffs », dans P. Strasser et E. Starz, éd., Personsein aus bioethischer Sicht, Stuttgart, Franz Steiner, 1997, p. 9-25 ; P. Carruthers, Introducing Persons. Theories and Arguments in the Philosophy of Mind, London, Croom Helm, 1986, p. 227 et suiv. ; H.T. Engelhardt, Jr., The Foundations of Bioethics, p. 135 et suiv., 239 et suiv. ; H. Frankfurt, « Freedom of the Will and the Concept of a Person », The Journal of Philosophy, 68, 1 (1971), p. 10 et suiv. ; N. Hoerster, Abtreibung im säkularen Staat ; M. Glover, Causing Death and Saving Lives, Harmondsworth, Middlesex, England, Penguin Books, 1987 ; M. Seel, Versuch über die Form des Glücks. Studien zur Ethik, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1995, p. 260 ; J. Nida-Rümeling, « Wo die Menschenwürde beginnt », dans Ethische Essays, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2002, p. 407 ; R. Puccetti, « The Life of a Person », dans W.B. Bondeson, H.T. Engelhardt, S.F. Spicker et D.H. Winship, éd., Abortion and the Status of the Fetus, Dordrecht, Reidel, 1983, p. 172 et suiv. ; P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 91 et suiv. [p. 85 et suiv.], 119 [117 et suiv.] ; M. Tooley, « Abortion and Infanticide », « Personhood », et « Decisions to Terminate Life and the Concept of Person » ; M.A. Warren, « On the Moral and Legal Status of Abortion », p. 43 et suiv. ; R.N. Wennberg, Life in the Balance. Exploring the Abortion Controversy, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1985, p. 31 et suiv.
-
[10]
Voir Boèce, Contre Eutychès et Nestorius, dans Courts traités de théologie, Paris, Cerf, 1991.
-
[11]
P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 63 (« basic moral principle » [p. 55]), 64 [56].
-
[12]
Ibid., p. 32 (« […] that we give equal weight in our moral deliberations to the like interests of all those affected by our actions » [p. 21]). Il précise plus loin (p. 99) que l’utilitariste de préférence juge « les actions non point en fonction de leur tendance à maximiser le plaisir ou à minimiser la douleur, mais en fonction du degré d’accord de ces actions avec les préférences d’un être affecté par elles ou par leurs conséquences » (« judges actions, not by their tendency to maximize pleasure or minimize pain, but by the extent to which they accord with the preferences of any beings affected by the action or its consequences » [p. 94]).
-
[13]
Ibid., p. 40 (« […] the interest in avoiding pain, in developing one’s abilities, in satisfying basic needs for food and shelter, in enjoying warm personal relationships, in being free to pursue one’s projects without interference » [p. 31]). Voir p. 34 [p. 23].
-
[14]
Voir ibid., p. 34-35 (« principle of declining marginal utility » [p. 23-24]).
-
[15]
Voir ibid., p. 32-33 : « […] un intérêt est un intérêt quelle que soit la personne dont il est l’intérêt […]. Mais le principe fondamental — prendre en considération les intérêts de la personne, quels qu’ils soient — doit être appliqué à tous sans distinction de race, de sexe, ou de résultat obtenu à un test d’intelligence » (« […] an interest is an interest, whoever’s interest it may be […]. But the basic element, the taking into account of the person’s interests, whatever they may be, must apply to everyone » [p. 21-22]).
-
[16]
Voir ibid., p. 34 [p. 23], 63 [55].
-
[17]
Voir ibid., p. 151 : « […] le véritable intérêt d’une femme devrait normalement prévaloir sur l’intérêt peu développé d’un foetus, fût-il conscient. De fait, même un avortement survenant à un stade avancé de grossesse, et fût-ce pour des raisons triviales, peut difficilement être condamné » (« But a woman’s serious interests would normally override the rudimentary interests even of a conscious fetus. Indeed, even an abortion late in pregnancy for the most trivial reasons is hard to condemn » [p. 151]).
-
[18]
Voir ibid., p. 162 [p. 165].
-
[19]
Voir ibid., p. 65 (« entitles » [p. 57]).
-
[20]
Voir ibid., p. 66 (« the whole of the argument » [p. 58]).
-
[21]
Singer se réfère à J. Bentham, Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Oxford, Oxford University Press, 1996, chap. 18, sect. 1, note (P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 64-65 [p. 56-57]).
-
[22]
Voir P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 132 : « Tant que les êtres sensibles sont conscients, ils ont un intérêt à éprouver autant de plaisir et aussi peu de souffrance que possible. La sensibilité suffit pour placer un être dans la sphère de l’égale considération » (« As long as sentient beings are conscious, they have an interest in experiencing as much pleasure and as little pain as possible. Sentience suffices to place a being within the sphere of equal consideration of interests » [p. 131]).
-
[23]
Ibid., p. 65 (« If a being is not capable of suffering, or of experiencing enjoyment or happiness, there is nothing to be taken into account. This is why the limit of sentience [using the term as a convenient, if not strictly accurate, shorthand for the capacity to suffer or experience enjoyment or happiness] ist the only defensible boundary of concern for the interests of others » [p. 57-58]).
-
[24]
Ibid., p. 65 (« in an arbitrary way » [p. 58]).
-
[25]
Voir ibid., p. 64 : « Ce principe [de l’égale considération des intérêts] impliquait que le souci d’autrui ne devait dépendre ni de son apparence ni de ses aptitudes » (« This principle [of equal consideration of interests] implies that our concern for others ought not to depend on what they are like, or what abilities they possess » [p. 56]).
-
[26]
Ibid., p. 34 (« it does not dictate equal treatment » [p. 23]).
-
[27]
Ibid., p. 66 (« to give priority to relieving the greater suffering » [p. 59]).
-
[28]
Voir ibid., p. 68 [p. 61].
-
[29]
Voir ibid., p. 71 [p. 64].
-
[30]
Ibid., p. 67 (« mental capacities that will, in certain circumstances, lead them to suffer more than animals would in the same circumstances » [p. 59]).
-
[31]
Ibid., p. 67 (« Normal adult human beings have mental capacities that will, in certain circumstances, lead them to suffer more than animals would in the same circumstances. If, for instance, we decided to perform extremely painful or lethal scientific experiments on normal adult humans, kidnapped at random from public parks for this purpose, adults who entered parks would become fearful that they would be kidnapped. The resultant terror would be a form of suffering additional to the pain of the experiment. The same experiments performed on nonhuman animals would cause less suffering since the animals would not have the anticipatory dread of being kidnapped and experimented upon. […] That there is a reason, and one that is not speciesist, for preferring to use animals rather than normal adult humans, if the experiment is to be done at all. Note, however, that this same argument gives us a reason for preferring to use human infants — orphans perhaps — or severely intellectually disabled humans for experiments, rather than adults, since infants and severely intellectually disabled humans would also have no idea of what was going to happen to them » [p. 59-60]). Singer pose la question rhétorique : ceux qui font des expériences sur les animaux seraient-ils « prêts à faire leurs expériences sur des orphelins victimes de lésions cérébrales graves et irréversibles, si c’était le seul moyen de sauver des milliers d’autres personnes ? » — s’ils prenaient en compte le fait que « les singes, les chiens, les chats, et même les souris et les rats sont plus intelligents, plus conscients de ce qui leur arrive, plus sensibles à la douleur, etc. que beaucoup d’humains au cerveau gravement endommagé qui ne font que survivre dans un hôpital ou dans quelque autre institution » (ibid., p. 74) (« would experimenters be prepared to perform their experiments on orphaned humans with severe and irreversible brain damage if that were the only way to save thousands ? […] since apes, monkeys, dogs, cats, and even mice and rats are more intelligent, more aware of what is happening to them, more sensitive to pain, and so on, than many severely brain-damaged humans barely surviving in hospital wards and other institutions » [p. 67]).
-
[32]
Ibid., p. 163 (« could be justified if the outcome were to prevent much greater suffering by saving the life of a child suffering from an immune system disorder, or to cure Parkinson’s or Alzheimer’s disease in an older person » [p. 166]).
-
[33]
Ibid., p. 165 (« I see nothing inherently wrong with more abortions, or with pregnancies being undertaken in order to provide fetal tissues, as long as the women involved are freely choosing to do this, and the additional abortions really do make some contributions to saving the lives of others » [p. 168]).
-
[34]
Voir ibid., p. 183 [p. 189]. Singer mentionne certes dans cette même page que le principe de l’égale considération des intérêts ne doit nullement négliger les intérêts des personnes handicapées. Il omet cependant d’invoquer le cas des handicapés mentaux très graves qui ne « sont pas des individus [bien que Singer se réfère ici explicitement au foetus et au nouveau-né] capables de se considérer eux-mêmes comme des entités distinctes devant mener leur propre vie » (ibid., p. 182) (« is an individual [bien que Singer se réfère ici explicitement au foetus/fetus et au nouveau-né/newborn infant] capable of regarding itself as a distinct entity with a life of its own to lead » [p. 188]). Il me semble que Singer utilise consciemment une ambivalence dans la référence au terme de handicapé : il soutient à plusieurs reprises que sa théorie n’implique nullement que l’on ne doit pas prendre en considération les intérêts des handicapés — se référant aux handicapés physiques ou mentaux légers qu’il considère comme des personnes —, mais il n’aborde pas directement le problème de l’adulte handicapé mental très grave, se contentant de mentionner l’embryon ou le nouveau-né. S’il veut être logique dans son argumentation, Singer doit maintenir — comme il le fait dans le cas de l’infanticide — que dans certaines circonstances l’euthanasie d’un handicapé mental très grave ne saurait être considérée comme un mal moral. Voir ibid., p. 166 et suiv. [p. 169 et suiv.]. En effet, dans le chapitre traitant de la justification de l’infanticide et de l’euthanasie non volontaire, Singer précise que « tout ce que je vais dire à leur propos [nourrissons] [peut] s’appliquer à des enfants plus âgés ou à des adultes dont l’âge mental est et a toujours été celui d’un nourrisson » (ibid., p. 176) (« although everything I say about them [the infants] would apply to older children or adults whose mental age is and has always been that of an infant » [p. 181]) et de conclure que « tuer un nourrisson invalide [respectivement d’un handicapé mental très grave] n’est pas moralement équivalent au fait de tuer une personne. Dans certains cas, ce n’est pas un mal » (ibid., p. 185) (« killing a disabled infant is not morally equivalent to killing a person. Very often it is not wrong at all » [p. 191]).
-
[35]
Ibid., p. 150 (« dissected » [p. 150]).
-
[36]
Ibid., p. 92 (« tricky » [p. 87]).
-
[37]
Ibid., p. 92 (« possess certain qualities, and this person possesses them to a high degree » [p. 86]). Voir ibid., p. 150-151 [p. 150-151]. Singer précise qu’« en général, il semble que plus la vie consciente est développée, autrement dit plus le degré de conscience de soi et de rationalité est élevé, plus le champ de l’expérience possible est vaste et, donc, plus ce type de vie semble préférable » (ibid., p. 110) (« In general it does seem that the more highly developed the conscious life of the being, the greater the degree of self-awareness and rationality and the broader the range of possible experiences, the more one would prefer that kind of life, if one were choosing between it and a being at a lower level of awareness » [p. 107]).
-
[38]
Voir J.F. Fletcher, « Four Indicators of Humanhood — The Enquiry Matures », dans S. Lammers et A. Verhey, éd., On Moral Medicine, Grand Rapids, Eerdmans, 1987, p. 275-278.
-
[39]
J. Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, traduit par Coste, édité par E. Naert, Paris, Vrin, 1998, II, XXVII, paragraphe 9, p. 264 (« […] a thinking intelligent being that has reason and reflection and can consider itself as itself, the same thinking thing in different time and places » [An Essay Concerning Human Understanding, London, Everyman’s Library, 1971, II, XXVII, p. 280]). Locke oppose la personne à l’être humain qu’il comprend comme un genre déterminé d’animal qui possède un corps vivant organisé (voir ibid., p. 262 [p. 278]).
-
[40]
Voir P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 93 [p. 87].
-
[41]
Voir ibid. : une « entité distincte, possédant un passé et un futur », p. 95 [« a distinct entity, with a past and a future », p. 90], 99 [95], 114 [111], 132 [131] ; « avoir des désirs concernant son propre futur », p. 95 [« be capable of having desires about its own future », p. 90] ; savoir que « mon existence future peut être interrompue », p. 96 [« I also know that my future existence could be cut short », p. 91] ; « se concevoir lui-même comme existant dans le temps », p. 96 [« of conceiving of itself as existing over time », p. 91], 100 [96], 102 [97-98] ; « désir de continuer d’exister comme entité distincte dans le temps », p. 101 [« the desire to continue existing as a distinct entity », p. 97], 128 [126-127] ; « le concept d’une existence qui perdure », p. 102 [« the concept of a continuing self », p. 97] ; « l’autonomie », à savoir « la capacité d’agir en fonction de ses propres décisions », p. 103 [« autonomy », à savoir « the capacity to choose, to make and act on one’s own decisions », p. 99] ; p. 150 [p. 151].
-
[42]
Voir P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 121 [p. 119].
-
[43]
« The exact time limit is, like voting age, to some extent arbitrary. We think 28 days should be long enough to confirm the presence of most major defects, yet it is well short of the point at which the infant can have sufficient self-awareness to see itself as a being existing over time, and to form desires about its future, as distinct from immediate desires for warmth, food, to suckle, or for the relief of pain » (H. Kuhse et P. Singer, Should the Baby Live ? The Problem of Handicapped Infants, Oxford, Oxford University Press, 1987, p. 195).
-
[44]
Ibid., p. 83 (« is to elevate the status of animals rather than to lower the status of any humans » [p. 78]).
-
[45]
Voir ibid., p. 94-95 [p. 88-89], 169 : « […] la protection absolue que l’on accorde actuellement à la vie des nourrissons est plutôt une attitude chrétienne qu’une valeur éthique universelle. […] En Occident, le changement d’attitude envers l’infanticide est, comme la doctrine du caractère sacré de la vie humaine dont il fait partie, un produit du christianisme. Il est peut-être possible aujourd’hui de réfléchir à ces questions sans reprendre le cadre moral chrétien qui a longtemps empêché de les repenser » (« […] that our present absolute protection of the lives of infants is a distinctively Christian attitude, rather than a universal ethical value. […] The change in Western attitudes to infanticide since Roman times is, like the doctrine of the sanctity of human life of which it is a part, a product of Christianity. Perhaps it is now possible to think about these issues without assuming the Christian moral framework that has, for so long, prevented any fundamental reassessment » [172-173]). Voir H.T. Engelhardt, Jr., « Infanticide in a Post-Christian Age », dans R.C. McMillan, H.T. Engelhardt, Jr. et S.F. Spicker, éd., Euthanasia and the Newborn. Conflicts Regarding Saving Lifes, Dordrecht, Reidel, 1987, p. 81-86. Pour une discussion sur les principes de la théorie de la sainteté de la vie et de celle de la qualité de la vie, voir A. Carlberg, The Moral Rubicon. A Study of the Principles of Sanctity of Life and Quanlity of Life in Bioethics, Lund, Lund University Press, 1998.
-
[46]
P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 69 (« the life of a self-aware being, capable of abstract thought, of planning for the future, of complex acts of communication, and so on [une personne], is more valuable than the life of a being without these capacities [un être humain] » [p. 61]). Voir aussi ibid., p. 79 [p. 73].
-
[47]
Ibid., p. 81 (« their actual qualities » [p. 75]).
-
[48]
Ibid., p. 95 (« special value » [p. 89]). Singer fonde sa position en se référant à quatre raisons : l’intérêt des utilitaristes classiques, respectivement des utilitaristes de préférence, l’aptitude à se concevoir comme existant dans le temps comme une condition nécessaire au droit à la vie et, finalement, le respect de l’autonomie ; voir ibid., p. 95 et suiv. [p. 89 et suiv.].
-
[49]
Ibid., p. 79-80 (« It has been suggested that autonomous, self-conscious beings are in some way much more valuable, more morally significant, than beings who live from moment to moment, without the capacity to see themselves as distinct being with a past and a future. Accordingly on this view, the interests of autonomous, self-conscious beings ought normally to take priority over the interests of other beings. […] The claim that self-conscious beings are entitled to prior consideration is compatible with the principle of equal consideration of interests […] something that happens to self-conscious beings can be contrary to their interests while similar events would not be contrary to the interests of beings who were not self-conscious » [p. 73]). Voir ibid., p. 96-97 [p. 90-91], 99 [94-95].
-
[50]
Voir Bernard N. Schumacher, Der Tod in der Philosophie der Gegenwart, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2004 ; Face-à-face avec la mort, Paris, Cerf (coll. « Passages »), 2005.
-
[51]
P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 150 (« transforms the abortion issue » [p. 150]).
-
[52]
Ibid., p. 150 (« For any fair comparison of morally relevant characteristics, like rationality, self-consciousness, awareness, autonomy, pleasure and pain, and so on, the calf, the pig and the much derided chicken come out well ahead of the fetus at any stage of pregnancy — while if we make the comparison with a fetus of less than three months, a fish would show more signs of consciousness » [p. 151]).
-
[53]
Ibid., p. 166 (« [S]ince no fetus is a person no fetus has the same claim to life as a person. Now it must be admitted that these arguments apply to the newborn baby as much as to the fetus » [p. 169]). « En tout cela, le nouveau-né [et l’on devrait ajouter le handicapé mental très grave et l’individu sénile] est sur le même plan que le foetus, et c’est pourquoi il y a moins de raisons qui s’opposent à ce que l’on tue des bébés et les foetus qu’il n’y en a contre le fait de tuer des êtres capables de se considérer eux-mêmes comme des entités distinctes existant dans le temps » (ibid., p. 168) (« In all this the newborn baby is on the same footing as the fetus, and hence fewer reasons exist against killing both babies and fetuses than exist against killing those who are capable of seeing themselves as distinct entities, existing over time » [p. 171]).
-
[54]
Ibid., p. 176 (« would apply to older children or adults whose mental age is and has always been that of an infant » [p. 181]).
-
[55]
Ibid., p. 166 (« A week-old baby is not a rational and self-conscious being, and there are many nonhuman animals whose rationality, self-consciousness, awareness, capacity to feel, and so on, exceed that of a human baby week or a month old. If the fetus does not have the same claim to life as a person, it appears that the newborn baby does not either, and the life of a newborn baby is of less value to it than the life of a pig, a dog, or a chimpanzee is to the nonhuman animal » [p. 169]).
-
[56]
Ibid., p. 168 (« if a right to life must be based on the capacity to want to go on living, or on the ability to see oneself as a continuing mental subject, a newborn baby », et l’on pourrait ajouter dans la même logique un handicapé mental très profond, « cannot have a right to life » [p. 171]).
-
[57]
Ibid., p. 325 (« In contrast to the Nazi ideology that the state should decide who was worthy of life, my view was designed to reduce the power of the state and allow parents to make crucial life and death decisions, both for themselves and, in consultation with their doctors, for their newborn infants » [p. 346]).
-
[58]
Ibid., p. 126 (« We have failed to bring about the best possible outcome » [p. 125]).
-
[59]
Voir J. Glover, Causing Death and Saving Lives, p. 127.
-
[60]
Voir M. Tooley, « Abortion and Infanticide », p. 39 : « If it could be shown that there is no moral objection to infanticide the happiness of society could be significantly and justifiably increased. »
-
[61]
M. Tooley, « Personhood », p. 119 : « If something is a person, then, other things being equal, its destruction is seriously wrong, and intrinsically so. » Tooley se distance de Singer pour qui tuer une personne est un acte sérieusement mauvais, mais ne saurait jamais l’être en soi.
-
[62]
Voir M. Tooley, « Abortion and Infanticide », p. 41.
-
[63]
« […] enjoy[s] something comparable, in relevant aspects, to the type of mental life that characterizes normal adult human beings » (M. Tooley, « Personhood », p. 117). Voir M. Tooley, « Decisions to Terminate Life and the Concept of Person », p. 64 et suiv.
-
[64]
« The tendency to think not in terms of the concept of a person but in terms of an individual’s being a member of a particular biological species — homo sapiens — has resulted in a great deal of confused ethical thinking » (M. Tooley, « Decisions to Terminate Life and the Concept of Person », p. 91-92). « A resolution of these problems is likely to remain very difficult until there is a more widespread appreciation of the fact that basic moral principles dealing with killing and letting die need to be formulated in terms of the concept of a person » (M. Tooley, « Personhood », p. 125). « The concept of a person is crucial for the formulation of many basic moral principles, including ones concerned with the morality of killing » (ibid., p. 117).
-
[65]
« A serious right to life » (M. Tooley, « Abortion and Infanticide », p. 37).
-
[66]
Voir M. Tooley, « Personhood », p. 120 : « [T]hat self-consciousness is sufficient, that the capacity for rational thought is sufficient, that being a moral agent is sufficient, that being a subject of non-momentary interests is sufficient, that having a mental life that involves an adequate amount of continuity and connectedness via memory is sufficient and that simple consciousness is sufficient. »
-
[67]
Voir M. Tooley, « Decisions to Terminate Life and the Concept of Person », p. 80.
-
[68]
« […] the concept of a self as a continuing subject of experiences and other mental states, and believes that it is itself such a continuing entity » (M. Tooley, « Abortion and Infanticide », p. 44 ; « Decisions to Terminate Life and the Concept of Person », p. 75-76).
-
[69]
Voir M. Tooley, « Abortion and Infanticide », p. 44 et suiv. « That the reason it is wrong to kill persons is that they are things that can envisage a future for themselves, and that have desires about those futures states of themselves, and thus killing such entities makes it impossible for these desires to be satisfied » (M. Tooley, « Decisions to Terminate Life and the Concept of Person », p. 90).
-
[70]
« […] having a right to life presupposes that one is capable of desiring to continue existing as a subject of experiences and other mental states. This in turn presupposes both that one has the concept of such a continuing entity and that one believes that one is oneself such an entity. So an entity that lacks such a consciousness of itself as a continuing subject of mental states does not have a right to life » (M. Tooley, « Abortion and Infanticide », p. 49). La même idée est reprise par R. Puccetti, « The Life of a Person », p. 175.
-
[71]
Voir M. Tooley, « Decisions to Terminate Life and the Concept of Person », p. 81 ; « Abortion and Infanticide », p. 63-64 ; « Personhood », p. 123-125.
-
[72]
H.T. Engelhardt, « Introduction », p. xv : « The distinction between being a human and being a person […] should not appear arbitrary. »
-
[73]
Voir H.T. Engelhardt, « Medicine and the Concept of Person », dans M.F. Goodman, éd., What is a Person ?, Clifton (N.J.), Humana Press, 1988, p. 170-171 ; The Foundations of Bioethics, p. 136 et suiv.
-
[74]
Voir H.T. Engelhardt, « Medicine and the Concept of Person », p. 172-173, 178.
-
[75]
Voir H.T. Engelhardt, The Foundations of Bioethics, 139.
-
[76]
« What distinguishes persons is their capacity to be self-conscious, rational, and concerned with worthiness of blame and praise. […] On the other hand, not all humans are persons. Not all humans are self-conscious, rational, and able to conceive of the possibility of blaming and praising. Fetuses, infants, the profoundly mentally retarded, and the hopelessly comatose provide examples of human nonpersons. They are members of the human species but do not in and of themselves have standing in the secular moral community » (ibid., p. 138-139). Plus loin, Engelhardt ajoute les séniles parmi les non-personnes (p. 239).
-
[77]
Engelhardt soutient qu’il est impossible de montrer le caractère éthiquement condamnable de l’avortement et de l’infanticide en se fondant sur la morale laïque qui imprègne notre temps. Voir ibid., p. 257.
-
[78]
Voir H.T. Engelhardt, « Infanticide in a Post-Christian Age », p. 81.
-
[79]
Voir ibid., p. 83, 85 ; The Foundations of Bioethics, p. 3 et suiv.
-
[80]
Voir H.T. Engelhardt, The Foundations of Bioethics, p. 240.
-
[81]
Voir ibid., p. 142. « It is for these reasons in general secular morality that the value of zygotes, embryos, and fetuses is to be primarily understood in terms of the values they have for actual persons. Zygotes, fetuses, and embryos do not have the rich inward life of adult mammals. Thus, if the zygote promises to be the long-awaited child of a couple that has been struggling for years to have another child, it is very likely to be highly valued by the couple and by all who are sympathetic with the would-be parents’ hopes. On the other hand, if the zygote is in an unwed graduate student for whom the pregnancy would mean a major disruption of study plans, the zygote will likely be highly disvalued by her and by all who are sympathetic with her plans. Or if the zygote has a trisomy of chromosome 21, not only will the parents and those close to the parents likely disvalue the zygote, but so will many in society, who will need to participate in the costs of raising a defective child, should the pregnancy be uninterrupted. Some value is likely to be assigned to the zygote simply because it is human. However, one must remember that the sentience of a zygote, embryo, or fetus is much less than that of an adult mammal » (ibid., p. 143-144).
-
[82]
Voir ibid., p. 254.
-
[83]
Voir H.T. Engelhardt, « Medicine and the Concept of Person », p. 179 : « Human sperm, human ova, human cell cultures, human zygotes, embryos, and fetuses can have value, but they lack the dignity of persons. They are thus, all else being equal, open to socially justifiable experimentation in a way persons in either the strict or social sense should never be. That is, they can be used as means merely. » Dans le contexte de sa discussion sur la mort, Engelhardt précise dans le même article que : « If such a body is an instance of human biological but not human personal life, then it is open to use merely as a subject of experimentation without the constraints of a second status as a person » (ibid., p. 170).
-
[84]
« […] a special form of very dear property » (H.T. Engelhardt, The Foundations of Bioethics, p. 255). « Those who made or procreated the zygote, embryo, or fetus have first claim on making the definitive determination of its value. Privately produced embryos and fetuses are private property. They would be societally owned only if societal groups or cooperatives produced them » (ibid.).
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[85]
« […] extension of and the fruit of one’s own body » (ibid., p. 256).
-
[86]
« They produced it, they made it, it is theirs » (ibid., p. 255 ; voir p. 271).
-
[87]
« [T]hey take possession of themselves as conscious entities, until one gives them a special standing in a community, until one transfers one’s rights in them to another, or until they become persons » (ibid., p. 256).
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[88]
Voir H.T. Engelhardt, « Medicine and the Concept of Person », p. 179-180 ; The Foundations of Bioethics, p. 271.
-
[89]
« [O]ne may decide to save at great expense a child likely to be normal, but no one whose future physical and mental handicaps would constitute even further psychological and economic burdens, in addition to the inordinate costs involved in saving the child’s life » (H.T. Engelhardt, « Infanticide in a Post-Christian Age », p. 85). « Anencephalic children. When no or little brain is present and there is no possibility of sentient life, not to mention personal life, it would be a moral misunderstanding to try to sustain such an infant, even if it could be done cheaply and effectively. There is no person in the body to be benefited » (ibid., p. 83).
-
[90]
« produce » (H.T. Engelhardt, The Foundation of Bioethics, p. 265).
-
[91]
Voir N. Hoerster, Abtreibung im säkularen Staat, p. 128 et suiv. ; M. Seel, Versuch über die Form des Glücks, p. 281 et suiv. ; R. Wimmer, « Ethische Aspekte des Personbegriffs », dans E.-M. Engels, éd., Biologie und Ethik, Stuttgart, Reclam, 1999, p. 340-341.
-
[92]
Voir H.T. Engelhardt, The Foundation of Bioethics, p. 147-148.
-
[93]
« The social sense of person is a way of treating certain instances of human life in order to secure the life of persons strictly. […] it should be stressed that the social sense of person is primarily a utilitarian construct. A person in this sense is not a person strictly, and hence not an unqualified object of respect. Rather, one treats certain instances of human life as persons for the good of those individuals who are persons strictly » (H.T. Engelhardt, « Medicine and the Concept of Person », p. 177 ; voir p. 181).
-
[94]
Voir ibid., p. 176-177 ; voir H.T. Engelhardt, The Foundation of Bioethics, p. 146 et suiv.
-
[95]
Voir H.T. Engelhardt, « Medicine and the Concept of Person », p. 177.
-
[96]
Voir H.T. Engelhardt, The Foundation of Bioethics, p. 147.
-
[97]
Voir H.T. Engelhardt, « Medicine and the Concept of Person », p. 176.
-
[98]
La science de l’haptonomie considère que le foetus, par exemple, peut sans problème se trouver activement dans une interaction sociale avec son entourage, plus particulièrement avec ses parents. Voir F. Veldman, Haptonomie. Science de l’Affectivité, Paris, PUF, 1989.
-
[99]
Voir H.T. Engelhardt, « Medicine and the Concept of Person », p. 178.
-
[100]
Voir ibid., p. 178 ; H.T. Engelhardt, The Foundation of Bioethics, p. 147 et suiv.
-
[101]
Voir H.T. Engelhardt, The Foundation of Bioethics, p. 148 et suiv., 240-241.
-
[102]
P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 151 (« since no fetus is a person, no fetus has the same claim to life as a person » [p. 151]). Voir ibid., p. 166 [p. 169].
-
[103]
M. Tooley, « Abortion and Infanticide », p. 39 : « […] if the fetus is not a person, how can it be seriously wrong to destroy it ? »
-
[104]
P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 151 (« terminates an existence that is of no “intrinsic” value at all » [p. 151]). « Tuer un nourrisson invalide n’est pas moralement équivalent au fait de tuer une personne. Dans certains cas, ce n’est pas un mal » (ibid., p. 185) (« Killing a disabled infant is not morally equivalent to killing a person. Very often it is not wrong at all » [p. 191]). La vie des êtres humains qui à cause d’un accident ou de la vieillesse perdent les propriétés qui les caractérisaient comme une personne n’a pas de valeur intrinsèque : voir ibid., p. 185-186 [p. 191-192]. « Si un droit de vivre doit reposer sur la capacité de vouloir continuer de vivre ou sur la capacité de se considérer soi-même comme un sujet mental qui perdure dans le temps, un nouveau-né », et l’on pourrait ajouter dans la même logique un handicapé mental très profond, « ne peut pas avoir de droit à la vie » (ibid., p. 168) (« If a right to life must be based on the capacity to want to go on living, or on the ability to see oneself as a continuing mental subject, a newborn baby », et l’on pourrait ajouter dans la même logique un handicapé mental très profond, « cannot have a right to life » [p. 171]). Voir ibid., p. 178 [p. 182].
-
[105]
Voir H.T. Engelhardt, The Foundation of Bioethics, p. 140.
-
[106]
Voir H.T. Engelhardt, « Introduction », p. xv.
-
[107]
« psychological continuity » (H. Kuhse et P. Singer, Should the Baby Live ?, p. 140).
-
[108]
Voir N. Hoerster, Abtreibung im säkularen Staat, p. 128 et suiv. ; M. Seel, Versuch über die Form des Glücks, p. 281 et suiv. ; R. Wimmer, « Ethische Aspekte des Personbegriffs », p. 340-341.
-
[109]
Voir H.T. Engelhardt, « Medicine and the Concept of Person », p. 176-177 ; The Foundations of Bioethics, p. 146 et suiv.
-
[110]
Voir « Avis relatif aux recherches sur les embryons humains in vitro et à leur utilisation à des fins médicales et scientifiques », Rapport, 15 décembre 1986, dans CCNE, Avis de recherches sur l’embryon, Arles, Acte Sud/INSERM, 1987, p. 78-178 ou CCNE, Éthique et recherche biomédicale, rapport 1986, Paris, La documentation française, 1987, p. 27-94. Voir aussi M.A. Warren, « On the Moral and Legal Status of Abortion », p. 59 ; et « Abortion », p. 131.
-
[111]
P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 152 (« There is no rule that says that a potential X has the same value as an X, or has all the rights of an X » [p. 153]).
-
[112]
« But, if X is a potential Y, it follows that X is not a Y. If fetuses are potential persons, it follows clearly that fetuses are not persons. As a consequence, X does not have the actual rights of Y, but only potentially has the rights of Y. If fetuses are only potential persons, they do not have the rights of persons » (H.T. Engelhardt, The Foundations of Bioethics, p. 142).
-
[113]
Voir P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 153-154 [p. 154-155].
-
[114]
Voir ibid., p. 126-127 [p. 124-125].
-
[115]
Ibid., p. 180 et 181 (« When the death of a disabled infant will lead to the birth of another infant with better prospects of a happy life, the total amount of happiness will be greater if the disabled infant is killed. The loss of happy life for the first infant is outweighed by the gain of a happier life for the second. Therefore, if killing the haemophiliac infant has no adverse effect on others, it would, according to the total view, be right to kill him. The total view treats infants as replaceable, in much the same way as it treats non-self-conscious animals. […] To abort a fetus with one of these disabilities [haemophilia or Down’s syndrome], intending to have another child who will not be disabled, is to treat fetuses as interchangeable or replaceable. If the mother has previously decided to have a certain number of children, say two, then what she is doing, in effect, is rejecting one potential child in favor of another » [p. 186 et 187-188]).
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[116]
Voir ibid., p. 154 [p. 155].
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[117]
Je préfère cette distinction à celle introduite par Tooley (« Personhood », p. 122) entre la potentialité active (« potentiel ») et la potentialité passive (« possibilité »).
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[118]
Dans son ouvrage, La valeur de la vie humaine et l’intégrité de la personne, Bernard Baertschi insiste sur le fait que le critère de démarcation objectif pour affirmer l’existence d’une personne consiste dans le fonctionnement du cerveau, et plus particulièrement du néocortex qui constitue le support des qualités mentales rationnelles (cf. p. 178). Une fois celui-ci détruit, la personne disparaît. « L’être humain passe du statut de non-personne à celui de personne potentielle lors de la formation de son néocortex, et qu’il ne devient une personne que plus tard, sans doute quelque temps après sa naissance. […] l’embryon est une collection de cellules humaines jusqu’au quatorzième jour, qu’il est ensuite un individu humain, puis une personne potentielle et enfin une personne » (ibid., p. 197).
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[119]
Cette continuité a également été avancée par les tenants de la théorie graduelle qui octroient d’autant plus de droit à un individu humain qu’il se rapproche de l’état de personne. Pour une critique, voir P. Devine, The Ethics of Homicide, Ithaca, NY, Cornell University Press, 1978.
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[120]
Voir D. Parfit, Reasons and Persons ; M. Tooley, Abortion and Infanticide, Oxford, Oxford University Press, 1983.
-
[121]
« A new-born infant is not a continuing self. Although it may develop into a person, it cannot strictly be said to have an interest in surviving to become a person, because it lacks psychological continuity with the person it may become » (H. Kuhse et P. Singer, Should the Baby Live ?, p. 140).
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[122]
D’un point de vue strict, l’embryon n’est pas potentiellement une personne, étant donné que le statut de personne signifie, pour Singer, un état fondamentalement autre que celui dans lequel se trouve le zygote. Comme il y a une rupture essentielle entre le zygote et la personne, le premier ne saurait être en puissance de devenir en acte le second.
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[123]
P. Singer, Questions d’éthique pratique, p. 92 (« possess certain qualities, and this person possesses them to a high degree » [p. 86]).
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[124]
Conséquence qui n’est pas « étrange » comme certains l’affirment de façon tout à fait a priori. Voir, par exemple, M. Nida-Rümelin, « Der besondere Status von Personen », dans J. Nida-Rümelin, éd., Praktische Rationalität, Berlin, Walter de Gruyter, 1994, p. 162. Sur la base de sa distinction entre le sujet — qui est une personne, un être sensible — et la chose — qui est privé de la perspective subjective — (p. 165) on peut soutenir que son auteur conçoit comme une chose l’embryon humain dans ses premières semaines, respectivement l’être humain plongé dans un coma irréversible et dépourvu de sens. Voir aussi E.B. Pluhar (Beyond Prejudice. The Moral Significance of Human and Nonhuman Animals, Durham and London, Duke University Press, 1995) qui qualifie la position selon laquelle un ovule fécondé aurait le même statut moral qu’une personne adulte d’« extrêmement improbable (extremely implausible) » (p. 148), sans néanmoins donner d’arguments.
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[125]
« […] a serious right to life » (M. Tooley, « Abortion and Infanticide », p. 37).