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L’ouvrage que l’A. consacre à l’élaboration d’une théologie morale de la responsabilité s’inspire de la philosophie morale et de l’herméneutique biblique de Paul Ricoeur. Reconnaissant l’ampleur d’un tel projet, l’A. avoue qu’il ne cherche qu’à souligner « quelques traits majeurs susceptibles d’entrer dans l’élaboration d’une théologie de la responsabilité » (p. 12). Ce travail repose sur un équilibre peu facile à garder puisque Ricoeur lui-même entend bien séparer, dans son oeuvre, son travail principal de philosophie de celui de l’herméneutique biblique. Pourtant, c’est aux deux domaines — la théorie éthique dont l’ouvrage Soi-même comme un autre est en quelque sorte un point culminant et les études sur les figures du prophète vétéro-testamentaire et du témoin néo-testamentaire — que l’A. puisera pour penser la responsabilité du sujet croyant.
Le premier chapitre parcourt l’oeuvre philosophique de Ricoeur. L’A. identifie quelques éléments clés de méthode — philosophie réflexive et tournant herméneutique — et de contenus — identité narrative, initiative, passivité/attestation, réciprocité — qui permettent de mieux situer les caractéristiques assignées par Ricoeur à la notion de responsabilité : origine langagière, imputabilité, prise en charge du périssable, mission confiée, ouverture à l’altérité (p. 44‑48). Ce sont les deux dernières caractéristiques que retiendra l’A. dans son exploration des origines bibliques d’une conceptualisation théologique de la responsabilité.
L’étude des figures bibliques du prophète et du témoin repose sur deux postulats : 1) l’appel de Dieu mobilise le sujet responsable parce que cet appel est, justement, une instance de responsabilisation, 2) la notion de responsabilité et de l’engagement du sujet agissant reçoivent un approfondissement théorique et « ontologique » dans le passage du prophétisme vétéro-testamentaire au témoignage néo-testamentaire.
Le second chapitre explicite en quoi « le prophète incarne une figure de la responsabilité humaine » (p. 62). Pensée résolument sous l’égide de l’ouverture à l’altérité, la responsabilité est alors « comprise comme réponse confiante à un appel » (p. 63). La responsabilité prophétique se manifeste d’abord dans la « nécessité herméneutique » (p. 66), dans l’obligation d’interpréter à la fois la situation historique et la Révélation pour en tirer « du jamais encore dit » (p. 68) et ce dans le but de porter un jugement sur la vie du peuple. Cette responsabilité prophétique est ensuite envisagée comme paradigmatique de l’articulation entre vocation — à l’initiative de Dieu — et autonomie du sujet convoqué (p. 81). La responsabilité prophétique s’inscrit dans un paradoxe : celui d’une autonomie et d’une liberté qui se constituent en réponse à l’appel de l’initiative d’un autre.
Comme indiqué plus haut, l’A. postule que l’étude du témoignage néo-testamentaire révèle un approfondissement de la notion de responsabilité. En effet, « si le prophète vétéro-testamentaire parle encore au nom d’un Autre, le témoin néo-testamentaire, lui, parle certes d’un Autre, mais en son nom propre » (p. 58). Cela suppose un arrimage encore plus profond de la responsabilité et de l’identité du témoin. C’est la notion d’identité narrative qui, selon l’A., constitue la clé de voûte de cette articulation. L’identité du témoin est morale en ce que le témoignage, en tant qu’acte de communication qui se veut être preuve du bien-fondé de l’affirmation communiquée (p. 98), interpelle la liberté et la confiance de l’auditeur. « [L]e témoin promet, tacitement, de ne pas trahir la confiance, ce qui confère au témoignage et au témoin leur fragilité mais aussi leur grandeur » (p. 99). La suite du chapitre est une méditation sur certaines péricopes lucaniennes (Lc 24,36‑53 et Ac 1,1‑11) dégageant les dimensions du témoignage. Ici, le parallèle entre théorie éthique de la responsabilité et description biblique qui structurent le chapitre sur le prophétisme cède le pas à une méditation théologique du témoignage. Enfin, le quatrième chapitre poursuit la réflexion théologique en présentant le concept de « responsabilité christique » (p. 124) comme l’ancrage de la responsabilité du croyant.
Le mérite de cet ouvrage est, à la fois, de réaliser une synthèse du thème de la responsabilité dans l’oeuvre de philosophie et d’herméneutique biblique de Ricoeur et d’en faire l’amorce d’une théologie de la responsabilité. Il faut cependant noter que la synthèse est déjà orientée par le résultat final. De plus, c’est la responsabilité pensée sous la figure de l’individu croyant, plutôt que sous celui de la communauté croyante, qui fait l’objet de l’étude. Cet ouvrage trouvera une meilleure réception dans les milieux d’éthique théologique que dans ceux d’éthique philosophique. Il est à recommander à quiconque désire s’initier à la pensée de Ricoeur sur la responsabilité.