Abstracts
Résumé
Dans cet article, je propose une typologie des études contemporaines relatives au troisième segment de la Ligne en République VI, en adoptant une classification des interprétations qui prend pour fil conducteur la question de la nature eidétique de l’objet de la dianoia. Le sentiment de confusion que la disparité des voies interprétatives (10) laisse au lecteur vient de ce que les interprètes contemporains confondent l’objet spécifiquement dianoétique, qui est le γνωστόν (ou l’Idée jugée, objet judicatif), et le référent à la fois dianoétique et noétique, qui est le νοητόν (ou l’Idée elle-même).
Abstract
We present here a typology of contemporary studies concerning the third segment of the Line in Republic VI, in which we adopt a classification of interpretations whose main thread is the question of the eidetic nature of the object of dianoia. The feeling of confusion with which the reader is often left is due to the disparity between some 10 different approaches where contemporary interpreters fail to distinguish between the specifically dianoetic object, which is the γνωστόν (or the Idea judged, the judicative object), and the referent, both dianoetic and noetic, which is the νοητόν (or the Idea itself).
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Le passage de la Ligne qui nous concernera ici est le suivant :
— Examine à présent comment la section de l’intelligible doit, de son côté, être découpée.
— De quelle manière ?
— De la façon suivante : dans ce segment, l’âme, se servant comme d’images des choses précédemment imitées[1], est forcée de chercher à partir d’hypothèses, marchant, non pas vers un principe, mais vers une conclusion. Dans l’autre segment, l’âme va vers un principe anhypothétique à partir de l’hypothèse sans utiliser ces images-là, effectuant sa recherche à travers les Idées[2] à l’aide des Idées mêmes.
— Ce que tu dis, je ne l’ai pas suffisamment compris.
— Eh bien, revenons-y, dis-je. Tu comprendras sans doute plus facilement après ce que je vais dire. Je crois que tu sais que ceux qui se livrent à l’étude de la géométrie, du calcul et de choses similaires supposent l’impair, le pair, les figures, trois espèces d’angles et d’autres choses parentes, selon chaque champ d’étude. Ces choses supposées, ils les utilisent, comme si elles étaient connues, en font des hypothèses, et ils estiment à leur sujet qu’ils n’ont plus à en rendre raison ni à eux-mêmes ni aux autres, qu’elles sont claires pour tous. Partant d’elles, ils traversent le reste et finissent par arriver, conformément à leur démarche, à ce dont ils avaient entrepris l’examen.
— Je sais très bien cela, dit-il.
— Tu sais donc ainsi qu’ils se servent en outre de formes visibles et que c’est sur elles qu’ils font des discours[3], bien qu’ils ne pensent pas à celles-ci, mais à celles auxquelles celles-ci ressemblent : ils tiennent des discours par rapport au carré lui-même et par rapport à la diagonale elle-même, et non pas par rapport à ces figures qu’ils tracent, et ainsi de suite. Et ces mêmes figures qu’ils façonnent et tracent, dont il y a aussi des ombres et des images sur les eaux, ils se servent d’elles à leur tour comme des images, cherchant à voir ces choses mêmes qu’on ne voit autrement que par la pensée.
— Tu dis vrai, dit-il.
— Je disais donc que cette espèce était intelligible, mais que l’âme était forcée de se servir d’hypothèses pour rechercher cette espèce, non pas en allant vers un principe, car non capable de remonter au-delà d’elles, se servant, comme d’images, des choses mêmes qui sont copiées par celles d’en-bas, considérant celles-là par rapport à celles-ci comme étant jugées et estimées plus claires.
— Je comprends, dit-il. Tu parles de géométrie et de ces techniques parentes[4].
À notre connaissance, trois commentateurs ont entrepris de classifier in fine les tendances interprétatives du troisième segment linéaire dont il est question dans le texte que nous venons de citer (désormais noté L3[5]). Il s’agit d’A.J. Boyle[6], de Roger A. Shiner[7] et de Ludwig C.H. Chen[8]. Boyle regroupe les interprétations en sept catégories en considérant la nature de l’objet dianoétique, qui a été compris : 1) comme un intermédiaire mathématique, 2) comme une notion générale qui est une représentation incomplète et incorrecte de l’Idée, 3) comme une Idée non reliée au Bien, 4) comme un intermédiaire mathématique illustrant seulement les intermédiaires scientifiques en général, 5) comme une entité mathématique vue comme l’image de l’Idée, c’est-à-dire comme l’image d’un pur principe de la raison, 6) comme une hypothèse mathématique et, enfin, 7) comme une hypothèse du mathématicien entendue comme une image hypothétique de l’Idée[9]. Shiner propose une classification de facture différente en recensant six voies interprétatives du segment : 1) les objets de la διάνοια sont des Formes, 2) les objets de la διάνοια sont des intermédiaires mathématiques, 3) les objets de la διάνοια sont les figures sensibles du géomètre, 4) le problème de leur statut est insoluble, 5) le problème de leur statut ne demande pas à être résolu, 6) les autres interprétations. Chen, enfin, dans un effort de synthèse, suggère trois interprétations possibles : 1) l’interprétation « traditionnelle » pour laquelle les objets de la διάνοια sont des intermédiaires mathématiques, 2) l’interprétation « anti-traditionnelle » qui refuse d’accorder aux objets dianoétiques ce statut d’intermédiaire, et 3) l’interprétation alternative d’I.M. Crombie. Une autre classification, plus critique, est celle proposée par John Brentlinger, qui divise les interprétations en deux courants : celles qui soutiennent que l’objet dianoétique est une Idée, et celles qui soutiennent que l’objet dianoétique est un intermédiaire mathématique[10].
Il semble que le problème de la classification des tendances interprétatives consiste principalement en ceci : quelle est la question fondamentale qu’il faut poser au texte lui-même ? Cette question est en fait double, et elle consiste à se demander si, d’une part, la section de l’intelligible (LN) est, dans son ensemble, concernée par un même objet ou bien par deux objets distincts et/ou si, d’autre part, elle est concernée par une seule approche épistémologique ou bien par deux méthodes différentes. Si, en effet, l’objet est le même pour le troisième segment (L3) que pour le quatrième (L4), alors la subdivision de l’intelligible implique nécessairement une distinction épistémologique ou, plus généralement, une distinction dans le mode d’appréhension d’un même objet. En revanche, si l’objet de L3) diffère de l’objet de L4), on se trouve face à deux possibilités : soit la subdivision dianoétique renvoie à un objet spécifique selon un mode d’appréhension qui lui est propre, soit elle renvoie à un objet spécifique selon un mode d’appréhension commun à la διάνοια et à la νόησις. Aussi, la question de la nature de l’objet de l’état d’esprit dianoétique se pose en priorité, et c’est elle qui nous servira ici de fil conducteur. Par ailleurs, on sait que l’objet de L4) est l’Idée, cela est dit à deux reprises[11]. Plutôt, donc, que de se demander si l’objet dianoétique est un intermédiaire mathématique ou non, la question consiste à se demander si l’objet de L3) est ou non une Idée, et c’est en ces termes que nous allons présenter les tendances interprétatives contemporaines. Dans la lignée du remarquable travail d’Yvon Lafrance[12], le bilan détaillé que nous proposons visera à mettre en évidence l’ampleur du problème, dans l’histoire contemporaine de l’interprétation de la Ligne, du statut de la διάνοια et de celui de son objet ; il servira également d’assise à une nouvelle approche formelle du problème.
I. Typologie
1. Que l’objet de la διάνοια est une Idée
Si l’objet de la διάνοια est τὸ εἶδος, deux options majeures s’offrent à l’interprétation. Selon la première[13], la distance qui sépare L3) de L4) s’épuise tout entière dans une distinction épistémologique ; le même objet, celui relatif à la section de l’intelligible (LN), est alors saisi selon deux modalités, propres à chacun des segments supérieurs, et c’est la méthode dianoétique qui apparaît inférieure en dignité. Cette distinction méthodologique peut à son tour être comprise de plusieurs façons.
1.1. L’Idée est imparfaitement saisie à l’aide d’une image ou à la façon d’une image
Cette première conception de l’objet dianoétique compris comme Idée insiste fondamentalement sur le fait que l’infériorité de la διάνοια vient de ce qu’elle atteint l’Idée d’une façon médiate et que cette médiation introduit une certaine obscurité dans la compréhension de l’εἶδος, compréhension que seule la dialectique (L4) atteindra[14]. Autrement dit, c’est ce que la διάνοια fait qui est mis en avant, et à ce niveau, l’Idée est vue au travers d’une image[15]. Cette image n’est pas la figure dont se sert le mathématicien, mais un λόγος, une « notion générale » par laquelle l’Idée est saisie de façon imparfaite[16], car de tels λόγοι ne sont pas des exposés corrects et complets sur les Idées et ils dépendent des choses particulières et multiples desquelles ils sont initialement dérivés[17].
J.L. Stocks avance ainsi que l’âme dianoétique a « une compréhension partielle d’un εἶδος à l’aide d’un symbole visible[18] ». Autrement dit, en un sens, l’objet de la διάνοια est la figure visible tracée sur le sol ou mise sur papier ; en un autre sens, c’est l’Idée elle-même[19]. Mais tandis que la figure dont se sert le mathématicien représente un simple appui pour la pensée, c’est l’Idée mathématique elle-même qui est finalement visée par la pensée mathématique. Les objets du mathématicien sont donc des Idées mathématiques, imparfaitement comprises, et non pas leurs images visibles, dans la mesure où les μαθηματικά doivent être, en L3), considérés comme de simples « exemples d’un universel », de l’Idée elle-même, de sorte que l’objet du mathématicien est fondamentalement une Idée, un intelligible[20].
Neil Cooper adopte une lecture proche de celle de Jackson. La διάνοια possède deux caractéristiques : elle se sert d’hypothèses et elle se sert d’images. L’utilisation d’images par la pensée pour parvenir à la connaissance de toute Forme est « une caractéristique générale de la philosophie de Platon[21] », et l’on peut s’appuyer sur la Lettre VII (342a7-b2) et sur les Lois (895d et suiv.) pour dégager une signification de l’image dont se sert le dianoéticien. L’image est admise comme quelque chose d’imparfait, mais « la connaissance de l’εἴδωλον est néanmoins un prélude nécessaire à la connaissance de la Forme elle-même[22] ». La dianoéticien vise donc une image pour atteindre la Forme elle-même, mais cette image n’est pas perçue par les sens, ni par conséquent sensible[23]. En effet, comme l’atteste entre autres Phédon, 99e et suiv., Politique 250b1 et suiv., Phèdre, 250b1-4, les organes par lesquels les images des Formes sont appréhendées sont, non pas ceux de la perception sensible, mais « intellectuels[24] ». L’appréhension des Formes au travers d’une image, propre à la διάνοια, est donc une appréhension indirecte de la Forme au travers d’un λόγος, tout comme la méthode des λόγοι de Socrate en Phédon 99e et suiv. est une méthode indirecte, non aveuglante, par laquelle la Forme est atteinte[25].
Dans la même optique, mais dans une perspective objective (et non judicative), on trouve la position de J.S. Morrison. L’objet dianoétique est, tout comme l’objet noétique, une Idée, mais les termes « eidos » et « idea » peuvent, chez Platon, recevoir deux sens différents. L’idée peut être, soit « une caractéristique commune visible dans plusieurs cas particuliers », que l’auteur désigne comme « moving eide », soit « une caractéristique commune abstraite dans plusieurs cas particuliers, en un sens unique et séparée », désignée comme « unique eidos[26] ». L’originalité de cette interprétation est que les « moving eide » sont aussi bien les objets de la διάνοια que ceux de la πίστις, dans un cas vus comme les originaux des objets en L1), dans l’autre comme les images des « unique eide » (objets de la νόησις), d’où l’identité des segments L2) et L3)[27]. L’objet en L3) est donc le même qu’en L2) mais appréhendé différemment : c’est l’Idée se reflétant dans le sensible et prise comme image, c’est-à‑dire le même objet qu’en L4)[28].
Yvon Lafrance, dans un article tardif, se rallie à cette approche[29]. Il n’y a pas de distinction « réellement » ontologique entre les objets dianoétiques et les objets noétiques, puisque les uns comme les autres sont des Formes, étant donné qu’il n’y a pas, dans le texte de la Ligne, « de place pour un statut ontologique spécifique des objets dianoétiques[30] ». S’il faut trouver une spécificité ontologique propre aux objets de la διάνοια, c’est uniquement dans « la distinction entre l’image et l’original ou son modèle[31] ». Cette image de la Forme n’est pas la figure sensible tracée sur le sable, ni même « comme on l’affirme souvent, des entités abstraites[32] », mais la « représentation » de la Forme « dans l’esprit du mathématicien-géomètre[33] », une « image intelligible » ou, plus exactement, une « Forme-image ». Les objets dianoétiques et les objets noétiques expriment tous deux la structure unique du réel, mais les premiers tiennent leur infériorité par rapport aux Formes dont ils sont les images de ce que leurs représentations, encore imparfaites, sont liées à l’espace et à la quantité, c’est-à‑dire « pas encore parfaitement dématérialisées[34] » : « les Formes dianoétiques en sont des images intelligibles parce qu’elles permettent de saisir cet ordre seulement dans ses réalisations spatiales et quantitatives[35] ».
1.2. L’Idée n’est pas saisie dans son rapport au Bien par la διάνοια
Selon cette seconde approche, le principal défaut de l’activité dianoétique est de ne pas saisir l’Idée dans le système auquel elle appartient, et que seule la vision du Bien rend cohérent. Cette tendance insiste donc sur ce que la διάνοια ne fait pas. Pour J. Cook Wilson, l’objet de L3) et celui de L4) sont strictement identiques, et si Platon établit une distinction entre les objets de la διάνοια et du νοῦς, c’est « dans la façon dont ils sont étudiés, et non pas en eux-mêmes[36] ». Les objets de la διάνοια sont, tout comme les νοητά (objets du νοῦς, c’est-à-dire de L4)), les ἰδέαι, mais la διάνοια ne les saisit que de façon imparfaite, c’est-à-dire dans leur multiplicité, cloisonnées les unes par rapport aux autres, sans les relier entre elles dans un système qui ne dépend que d’une seule Idée, celle du Bien. Parce que la διάνοια ne relie pas les Idées multiples à cette ἀρχή une, « leur nature complète n’est pas appréhendée et leur justesse n’est pas réellement connue, puisque c’est seulement dans une telle connexion que leur justesse est garantie[37] ». La faiblesse de la διάνοια est donc de ne pas remonter au principe du Bien, sans la vision duquel toute connaissance eidétique reste partielle, incomplète, imparfaite.
A.S. Ferguson propose, lui aussi, une distinction strictement méthodologique entre L3) et L4), car c’est le seul et même objet qui est traité dans les deux segments[38]. L’objet de la διάνοια est, tout comme celui de la νόησις, le νοητόν, c’est-à‑dire une Forme[39], mais ces formes sont prises, non pas comme de simples hypothèses, mais comme des ἀρχαί par la διάνοια. L’infériorité dianoétique consiste donc à ne pas remonter au principe final, et donc en un traitement imparfait de la Forme[40]. L’utilisation d’images par la διάνοια n’est cependant pas une marque de son infériorité, elle ne voit pas la Forme au travers d’une image, car « la figure est simplement une aide, et le problème ne vient pas d’elle[41] ». On ne saurait donc voir en elle l’objet de la διάνοια[42], faculté dont la seule spécificité est d’étudier les Formes, et ce non pas de façon imagée, mais de façon limitée[43].
Richard Hackforth soutient pour sa part que les deux subdivisions de l’intelligible sont concernées par les Formes : « CE et EB [c’est-à‑dire L3) et L4)] ont toutes deux pour objets les εἴδη, et certaines d’entre elles, que ce soit en CE ou en EB, sont les formes mathématiques, d’autres les formes morales, d’autres encore, je pense, sont les formes d’espèces naturelles. Mais quel que soit le type de formes dont il s’agit, elles relèvent de EB si elles sont connues comme le dialecticien les connaît, mais de CE si ce n’est pas le cas[44] ». Ces Formes ne peuvent être réellement connues par la διάνοια, non pas parce qu’elles sont de simples assomptions de l’esprit, mais, là encore, parce que seul le Bien autorise une explication universelle[45].
Robert C. Cross et Anthony D. Woozley pensent pareillement que les objets dianoétiques sont des « Formes non vues dans leur connexion avec la Forme du Bien », tandis que la νόησις se rapporte « à la Forme du Bien et aux autres Formes vues en connexion avec elle[46] ». Les auteurs font remarquer que le fait d’assigner le même objet aux segments dianoétique et noétique ne contredit qu’en apparence le principe platonicien selon lequel chaque faculté de l’esprit possède un objet qui lui est propre (cf. Rép. V, 477c-478b) :
Dans le troisième segment de la Ligne, les Formes sont encore vues comme séparées et non reliées, et la compréhension que l’on a d’elles est en ce sens incomplète et fragmentaire. D’un autre côté, dans le quatrième segment, elles sont vues dans leur interrelation avec la Forme suprême, la Forme du Bien. Elles sont à présent reliées dans un système cohérent qui dépend du Bien, et la connaissance que l’on a d’elles est complète en ce que nous les comprenons à la lumière du système entier auquel elles appartiennent. Il n’est pas invraisemblable de dire que les Formes vues dans leur isolement et dans leur aspect fragmenté sont des objets différents de ce qu’elles sont lorsqu’elles sont vues dans leur relation et dans leur dépendance vis-à-vis de la Forme du Bien[47].
L’une des spécificités de la διάνοια est donc, comme pour Wilson, de connaître les Idées prises comme entités séparées indépendamment du Bien, mais les auteurs précisent, suivant Stocks sur ce point, qu’une autre spécificité du mathématicien dianoéticien est de n’être que partiellement libéré du monde du changement, « seulement à moitié libre en ce qu’il se sert de figures sensibles tandis qu’il pense au non-sensible[48] », c’est-à-dire à l’Idée.
Paulette Carrive pense également que la διάνοια se distingue de la νόησις en vertu de sa méthode : « la différence entre c et d [c’est-à-dire L3) et L4)] est moins une différence d’objet que de luminosité, de méthode[49] », et que l’objet en L3) est, tout comme en L4), l’Idée elle-même. Ici encore, la défection dianoétique vient de ce que la διάνοια ne relie pas les Idées au Bien, tandis qu’« en d, les idées ne sont plus séparées, incoordonnées, infondées ; l’esprit les rattache entre elles en les reliant au principe anhypothétique qui les fonde ; leur absolue réalité est alors assurée[50] ». De là l’idée que ces objets sont vus comme des images : non pas au travers d’images, mais avec un « statut d’images », dans le sens où « elles attendent confirmation d’un principe qui les fonde[51] ». Autrement dit, selon Carrive, dire que la διάνοια se sert d’images et dire qu’elle ne remonte pas au principe de tout, c’est dire, contre Cross et Woozley, une seule et même chose[52].
1.3. L’Idée est saisie par la διάνοια en vue d’un savoir déductif
Selon cette approche, l’objet, eidétique, est le même en L3) qu’en L4), et ce n’est plus tant la saisie imparfaite ou incomplète de sa nature qui caractérise l’activité relative au troisième état d’esprit de l’âme, mais l’intention du dianoéticien eu égard à l’utilisation d’une telle Idée. C’est par excellence la position de Francis M. Cornford. Selon lui, nous sommes de toute part concernés par le royaume intelligible, et ce sont les mêmes Idées qui sont traitées par la διάνοια et la νόησις, de sorte que les Idées mathématiques peuvent être situées aux deux niveaux. De plus, l’utilisation d’images par la διάνοια ne saurait être la cause de son infériorité par rapport à la méthode dialectique, étant donné que, d’une part, le géomètre n’est pas forcé de se servir de figures sensibles et que, d’autre part, c’est bien à l’Idée qu’il pense[53]. Il est vrai que le dianoéticien ne remonte pas au principe ultime, mais c’est précisément parce que son intention est autre : l’activité dianoétique n’est pas limitée ou imparfaite en soi, c’est juste que la méthode retenue et qui prévaut ici est déductive[54]. La διάνοια est donc « le mouvement descendant d’une réflexion dans un raisonnement déductif » qui va des prémisses vers une conclusion, tandis que la méthode noétique se caractérise comme « le mouvement ascendant d’une intuition[55] ». En effet, il appartiendra à la νόησις d’atteindre des vérités mathématiques premières « par un acte de pénétration analytique[56] » qu’il faut comprendre comme « un acte de vision immédiat » puisque « l’ascension est faite par un ou plusieurs bonds soudains[57] ». Aussi, « par νοῦς, ici comme ailleurs, Platon entend la vision parfaitement claire, ou une connaissance inébranlable, de la structure complète de la vérité mathématique[58] ».
1.4. L’Idée n’est saisie qu’à titre d’essence, et non comme une réalité
Cette approche de la caractérisation de l’objet dianoétique peut être une variante de 1.1, étant donné que la saisie de l’essence est comparable à une saisie incomplète de l’Idée, à une « image » de l’εἶδος. Il faut cependant distinguer ces deux approches dans la mesure où la distinction essence/existence vient se superposer à la distinction épistémologique jusqu’à présent admise. L’objet est certes le même pour les deux segments, mais sa caractérisation comme existant en L4) vient parfaire sa compréhension d’un tout autre point de vue que le point de vue méthodologique. On remarquera au passage qu’il s’agit là d’une approche de l’objet dianoétique principalement défendue par des interprètes de langue française. Ainsi, selon Robert Loriaux, il est indéniable que « l’objet des disciplines scientifiques doit être, tout comme celui de la dialectique, une véritable Forme[59] », c’est-à-dire un νοητόν, un ἀόρατον ou un ὄν, comme le suggèrent République VI, 511c et VII, 529b[60]. Et, ces deux passages semblent « impliquer à tout le moins une certaine conformité fondamentale entre la nature de ces objets. D’ailleurs, l’ensemble du contexte, visant avant tout à établir nettement la distinction entre sensible et intelligible, ne semble permettre aucune distinction bien nette des intelligibles entre eux[61] ». Là encore, il faut en conclure que la seule distinction opérante ne peut être que d’ordre méthodologique, et « c’est donc par la méthode employée et non par l’objet connu que les disciplines scientifiques s’opposent à la dialectique ; entre les deux genres de connaissance, il y a distinction d’objet formel et non d’objet matériel[62] ». Mais, cette distinction formelle, caractéristique de l’interprétation de Loriaux, s’appuie sur la remarque suivante : « l’objet des disciplines scientifiques […] ne reçoit nulle part l’appellation d’“ὃ ἔστι” », tandis que cette appellation est assignée à l’objet de la dialectique[63]. Par ailleurs, ainsi accentuée l’expression, « ὃ ἔστι » prend un sens existentiel[64] et implique un jugement d’existence[65] dans lequel l’être est prédiqué[66], de même que « “εἶναι”, par lui-même, signifie bien “être” et non “essence[67]” ». Dès lors, si la dialectique a pour fonction de juger la Forme qui existe, « ne serait-il pas normal d’en conclure qu’à l’inverse de la dialectique, les disciplines scientifiques considèrent la Forme sans s’attacher spécialement à son caractère d’être et d’existant véritable[68] ? » L’objet des sciences dianoétiques est donc une Forme « mais une forme imparfaitement connue et où elles ne distinguent pas clairement le caractère d’être et d’existant réel exprimé par le terme d’“ὃ ἔστι[69]” », car « jamais elles ne posent la question de la nature des Formes qu’elles examinent[70] ».
Une telle approche peut être également considérée comme une dérivation de 1.3 chez les commentateurs pour lesquels la distinction de l’essence et de l’existence repose sur celle qui existe entre la discursivité et l’intuition[71]. Ainsi, par exemple, A.‑J. Festugière croit avec Cornford que la διάνοια va « non vers un principe, mais vers un terme » et que cette « démarche appartient aux sciences de la géométrie et des calculs où l’on se sert d’hypothèses, de l’évidence desquelles on ne peut rendre compte ni à soi-même ni à autrui, pour aboutir légitimement à la conclusion cherchée[72] ». La noétique, quant à elle, s’affranchit de la discursivité pour atteindre le Bien dans une « intuition intellectuelle » ; elle est « contemplation[73] ». Mais, tandis que cette distinction est proposée par Cornford en vue de montrer que la dialectique est une méthode géométrique analytique, Festugière vise à établir la supériorité noétique en montrant que la noétique atteint, par le biais d’une intuition, la certitude de l’existence des Idées. En effet, selon Festugière, tant que l’âme n’a pas théorisé le Bien « on n’a pas dépassé l’intellection des essences, on n’a pas senti l’Être comme existant[74] ». Autrement dit, « une Idée ne peut être dite contemplée du seul fait qu’on en conçoit la définition. Elle ne peut être dite contemplée que si je la vois, face à face, comme l’être même[75] ». Plus encore, il faut à l’âme « le sentiment de présence, grâce auquel on s’assure qu’on touche l’Être même, l’Être existant[76] ». Au niveau dianoétique, donc, « on n’a qu’un concept objectivé[77] », une essence jugée et sans existence. Ce n’est que lorsque l’âme se sert du νοῦς que l’essence intelligible se manifeste comme existant, car « la certitude n’est acquise que dans l’acte même de contemplation où l’être, antérieurement jugé, est senti dans sa réalité d’être[78] ». Ainsi, pour Cornford, l’intuition noétique est un processus analytique régressif, tandis que pour Festugière, elle est littéralement une vision, une θεωρία dans laquelle l’âme s’unit à l’être dans un acte de nature mystique[79]. Parallèlement, la διάνοια est pour le premier un strict processus déductif, tandis qu’elle est un processus déductif ou inductif qui n’atteint qu’une essence et une marche propédeutique à la noétique pour le second[80].
Contre toute attente, c’est en ce même sens que Joseph Moreau interprète la section supérieure de la Ligne. La figure visible dont se sert la διάνοια n’est qu’un symbole, et son utilisation doit être considérée « de façon annexe[81] ». Le véritable objet du raisonnement dianoétique est « la figure idéale[82] », l’Idée mathématique ou, plus généralement, « des objets idéaux, saisissables par le discours et l’entendement, mais non par la vue[83] », c’est-à-dire, on le sait, de pures relations logiques. Comme chez Cornford, la διάνοια met en place un système hypothético-déductif en partant d’une hypothèse eidétique. Ces hypothèses, ou notions, dont se sert la faculté dianoétique (l’entendement) sont des « essences nominales, suffisamment connues dès qu’elles sont définies », c’est-à-dire « les éléments idéaux à partir desquels nous reconstruisons les données sensibles[84] ». Par suite, on ne dépasserait pas ce stade purement nominaliste si les « notions idéales qui servent d’éléments à la construction de la théorie physique ne trouvaient un fondement dans des conceptions d’ordre supérieur », c’est-à-dire dans « la découverte de l’essence stable[85] ». Et Moreau conclut en écrivant qu’« à cette nouvelle démarche correspond le degré supérieur de l’Intelligible, celui dont le contact est obtenu par le raisonnement lui-même (c’est-à-dire sans le secours de l’imagination) dans l’exercice de la dialectique[86] ». La διάνοια saisit donc des Idées qu’il faut comprendre comme des essences nominales, et il incombe à la νόησις de les saisir dans leur réalité. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on entend par des « essences réelles » : tandis que le premier degré de la connaissance intelligible « se tient au niveau de l’essence ; il est nominaliste et réduit la connaissance à des systèmes hypothético-déductifs, comme ceux de la géométrie ou de la physique mathématique », le degré relatif à la νόησις « prétend atteindre des existences ; mais une existence, c’est-à-dire une vérité absolue et catégorique, puisqu’il ne peut s’agir aucunement pour l’idéalisme d’une existence en soi, ne peut être qu’une exigence de la raison pratique, du type de l’obligation. L’idéalisme platonicien est du second degré[87] ». Puis, si la διάνοια est inférieure à la νόησις en ce qu’elle n’atteint pas l’existence des Idées, c’est dans la mesure où, à l’exemple de J. Cook Wilson, les Idées ne sont pas saisies dans leur connexion au Bien (1.2). Pour permettre ce passage du nominalisme au « réalisme » de l’Idée, les essences « doivent devenir des vérités, de vrais objets de connaissance, des essences réelles ; elles ne le peuvent qu’en se rattachant à un principe du meilleur, — le Bien, l’obligatoire, étant pour l’idéalisme la seule forme absolue[88] ». Enfin, à l’exemple de Festugière, Moreau restreint la faculté dianoétique à « une faculté logique, purement formelle et discursive » et reconnaît à la νόησις ce pouvoir (non exclusif cependant) de saisir son objet par intuition. Mais, la similitude entre les deux auteurs s’arrête là : pour Moreau, « le rôle de la raison (νοῦς) […] est de saisir intuitivement, comme par un contact […] un principe absolu, une vérité catégorique qui permette ensuite de rendre compte […] des hypothèses que l’entendement avait prises pour prémisses[89] ». Si Festugière comprend l’intuition noétique comme une saisie mystique d’une entité transcendante, Moreau la comprend comme celle « de la pure forme de l’activité rationnelle[90] », d’un pur système de relations. Si l’interprétation du platonisme a des limites, ces auteurs en ont indubitablement marqué les extrêmes.
1.5. L’objet de la διάνοια est un concept formel non défini
Cette approche isolée mérite d’être rapportée en vertu de son originalité. Ce qu’elle défend inverse en un sens les termes de la thèse présentée en 1.3, et peut être présenté ainsi : la διάνοια saisit une essence, et la νόησις produit un λόγος définitionnel. Son auteur, R.M. Hare, aborde la question de l’objet dianoétique en considérant le sens qu’il convient de donner au terme « hypothèse ». En 510c, Platon reproche aux mathématiciens de « οὑδένα λόγον […] διδόναι » des hypothèses qu’ils traitent, « λόγον διδόναι » signifiant « to give a definition of [91] ». « Donner une définition de… » renvoie étroitement à la question socratique « qu’est-ce que… ? », qui ne peut être posée qu’à propos d’une chose[92]. Il faut en déduire que l’ὑπόθεσις du dianoéticien n’est pas une proposition, comme pourraient le suggérer le sens moderne du terme « hypothèse » ainsi que l’histoire de ce terme chez Aristote et chez Platon lui-même[93], mais une chose que le mathématicien ne définit pas, à savoir l’Idée. L’objet dianoétique est donc bien une Idée ou un « concept », mais une Idée non définie. Et, le travail dialectique consistera précisément à définir les concepts dont la διάνοια se sert, ce que l’auteur résume ainsi : « les Idées sont des choses, pas des propositions. Leurs définitions sont des propositions, et c’est le travail du dialecticien de les découvrir[94] ». L’infériorité des sciences dianoétiques vient donc de l’erreur que commettent les mathématiciens, lorsqu’« ils utilisent des concepts comme celui de “carré” et qu’ils affirment des propositions les impliquant, sans (comme un penseur rigoureux se doit de faire) prouver ces propositions en établissant au préalable des définitions des concepts, et qu’ils sont amenés à aller dans ce sens parce qu’ils se servent de figures physiques et tiennent pour vrai ce qui semble être vrai des figures[95] ». Sans doute les mathématiques sont-elles, comme pour Cornford, déductives, mais leur principal défaut est de saisir un concept formel qui n’est jamais traité comme le sujet logique d’une proposition prédicative.
1.6. L’Idée que la διάνοια saisit est spécifique
Selon cette approche, qui représente la seconde option de la première tendance[96], l’objet que la διάνοια atteint n’est ni une représentation imparfaite de l’Idée ni une Idée saisie dans sa seule essentialité, mais une Idée spécifiquement distincte de l’Idée noétique. Platon pose bien qu’il n’existe qu’un seul genre intelligible (et en cela l’objet est bien le même en L3) et en L4)) mais celui-ci se subdivise en deux espèces, dont chacune se rapportera à un segment différent, ce qui implique qu’il existe une hiérarchie dans le monde des Idées. Cette approche, que David Ross défend avec fermeté, apparaît déjà en filigrane avec Richard Robinson, chez qui elle se superpose, dans ses grandes lignes, à celle présentée en 1.3[97]. Ross fait remarquer que, concernant LN, « tandis que Platon indique magnifiquement la différence qui existe entre science et philosophie, il parle peu, sinon pas du tout, d’une différence entre leurs objets[98] ». Il faut donc admettre que « chacun de ces deux segments supérieurs présente une division du monde des Idées, comme chacun des deux segments inférieurs présente une subdivision du monde sensible[99] ». Les deux caractéristiques du premier segment intelligible retenues par Ross sont, premièrement, le fait qu’il concerne aussi bien l’arithmétique que la géométrie et, deuxièmement, qu’il traite des hypothèses[100]. Ces hypothèses doivent être comprises comme des propositions existentielles relatives aux choses mathématiques, et non comme de simples définitions de ces objets[101]. Au niveau dianoétique, des Idées sont donc bien posées, mais ce sont des Idées mathématiques, puisqu’il est clair « que ce sont les mathématiques que Platon a en tête lorsqu’il décrit le troisième segment[102] ». D’où la différence entre les Idées dianoétiques et les Idées noétiques : la διάνοια traite des Idées qui impliquent le nombre ou l’espace, tandis que la νόησις n’implique ni l’un ni l’autre[103]. Il s’ensuit que les objets dianoétiques ne sont pas des intermédiaires[104], « mais sont simplement des Idées mathématiques, et ceux du νοῦς sont les autres Idées[105] ». Quant aux Idées dont traite la dialectique, elles sont supérieures aux Idées mathématiques et sont éthiques. Ceci est suggéré par le fait qu’elles sont plus proches de l’Idée du Bien (l’anhypothétique) que ne le sont les Idées mathématiques, qui ne sont pas reliées au Bien puisque la διάνοια ne remonte pas au principe de tout[106].
Émile de Strycker adhère au même point de vue à l’issue de sa critique de la thèse de Cornford : on ne peut distinguer la διάνοια de la νόησις (c’est-à‑dire l’entendement et l’intellect) en invoquant la nature déductive de l’une et la nature analytique régressive de l’autre, d’une part parce que le dialecticien « redescend d’Idée en Idée jusqu’aux limites du domaine intelligible, sans que cette démarche, assurément synthétique, cesse d’appartenir à l’intellect » et, d’autre part, parce que « Platon ne peut avoir voulu exclure l’analyse du secteur mathématique[107] ». Pour preuve, « Platon ne dit nulle part que l’opposition dans le sens des mouvements soit le fondement de la distinction entre l’entendement et l’intellect[108] ». La distinction repose sur deux autres caractéristiques. La première caractéristique est que les sciences de l’entendement se servent d’images visibles, bien que leur raisonnement porte « sur les Formes immatérielles, entièrement indépendantes des images[109] ». La seconde est que le raisonnement mathématique, propre à l’entendement, « part nécessairement d’hypothèses dont il n’est pas rendu compte[110] ». Tout d’abord, il convient de montrer que la διάνοια a pour objet l’Idée. Outre le fait que la terminologie utilisée par Platon lorsqu’il considère les objets mathématiques est « la terminologie classique de la théorie des Formes : l’en-soi, la nature, le réel ou essentiel, le véritable ou intelligible[111] », il est dit que le dialecticien doit rendre compte adéquatement des hypothèses des mathématiciens et que le dialecticien ne s’occupe que d’Idées. Il faut donc en conclure que « l’objet sur lequel portent les hypothèses de l’entendement appartient au monde des Idées[112] », qu’il est, non pas un intermédiaire mathématique, mais une Idée mathématique. Ensuite, la première caractéristique de la διάνοια implique qu’en elle « la perception sensible continue de jouer un certain rôle à côté de l’intelligence[113] ». Ceci suggère que « l’infériorité de l’entendement doit tenir à une imperfection intrinsèque de son objet[114] », tandis que l’intellect « ne s’occupe que de pures Idées[115] ». S’appuyant sur Politique 285d8-286a7, l’auteur soutient que l’intellect a pour objets des Idées « d’un rang supérieur » (τὰ μέγιστα), lesquelles sont dégagées de tout rapport à l’espace, incorporelles, contrairement aux Idées mathématiques dont « la définition même implique une relation à l’espace et donc indirectement au monde corporel[116] ». Bref, l’objet générique de LN est τὸ εἶδος, celui de L3) est une Idée de type inférieur (liée à l’espace), et celui de L4) une Idée de type supérieur (affranchie de toute spatialité). Cette approche s’oppose ainsi à celles présentées en 1.1 et en 1.4, dans la mesure où l’on ne peut comprendre l’objet dianoétique comme une représentation imparfaite de l’objet noétique, c’est-à-dire comme une représentation subjective ou une copie de l’Idée, ou encore comme une essence sans existence[117].
2. Que l’objet de la διάνοια n’est pas une Idée
Un second courant interprétatif, tissé d’approches aux motifs variés, conteste la nature eidétique de l’objet dianoétique et, de ce fait, assigne à la διάνοια un objet propre, distinct de l’objet noétique ou dialectique. Il n’est pas toujours aisé de distinguer, parmi les commentateurs, les adeptes d’une telle tendance de ceux qui penchent pour une conception eidétique de l’objet dianoétique. La classification pour laquelle nous avons opté place en effet parfois certains commentateurs en marge, principalement ceux qui ne situent pas le problème de l’objet dianoétique et celui de son rapport à l’objet noétique sur l’axe central de leur enquête (c’est l’une des limites d’une telle classification).
2.1. L’objet de la διάνοια est une image de l’Idée
La frontière qui sépare cette approche de 1.1 est infiniment mince, car dire que la διάνοια a pour objet l’Idée vue au travers d’une image ou dire qu’elle a pour objet une image au travers de laquelle elle saisit l’Idée, c’est, pourrait-on penser, jouer sur les mots. Cette nouvelle approche mérite cependant d’être distinguée de la première dans la stricte mesure où les interprètes qui l’ont envisagée lient fortement la διάνοια à l’« image » dont il est question. Ainsi, David Gallop, dont les propos sont quasiment identiques à ceux de Jackson et de Cooper, écrit que « la distinction entre les deux segments supérieurs de la Ligne est faite, non pas entre les objets des mathématiques et ceux de la dialectique, mais entre leurs procédures[118] ». Mais, l’objet des mathématiques (L3) et celui la dialectique (L4) ne reçoivent pas pour autant en commun le nom de « Forme », car ces deux sciences sont justes dites « relatives aux Formes ». Et Gallop précise qu’« il semble néanmoins clair que Platon a voulu assigner, au niveau de la dianoia, un type d’objets distinct[119] ». Les objets dianoétiques ne sont donc pas les mêmes qu’au niveau dialectique : « les objets propres de la dianoia sont des médias au travers desquels les Formes sont vues à ce niveau[120] », et ne se confondent pas avec elles. Autrement dit, le mathématicien cherche à voir les Formes mais ne les voit pas. Son objet propre n’est pas une image sensible dont se servirait le mathématicien pour voir l’Idée, mais un λόγος-image « dont le texte même de la République se sert pour fournir des exemples moraux et politiques[121] ». De telles « images verbales » (verbal images) sont les mêmes que celles utilisées en Phédon 99d-100a par Socrate dans sa méthode des λόγοι, ce qui revient à dire que la méthode dianoétique est, comme pour Cooper, une méthode discursive qui atteint indirectement les Formes[122]. Aussi l’objet de la διάνοια doit-il être compris stricto sensu comme un intermédiaire « logologique[123] », et c’est en cela que cette approche diffère de celles de Jackson et de Cooper.
R.G. Tanner assigne également à la διάνοια un objet distinct de la Forme, c’est-à‑dire une image de celle-ci qui ne se confond cependant pas avec elle. Contre Gallop et Cooper, Tanner précise que cette image n’est pas un λόγος, une saisie discursive incomplète de la Forme, étant donné que la méthode qui se rattache à la διάνοια est, non pas la méthode des λόγοι décrite dans le Phédon par Socrate, mais celle de la réminiscence[124], telle qu’elle est mise en oeuvre dans le Ménon et dans le Phèdre[125]. Les images que la διάνοια prend pour objets sont en fait des « images-souvenirs des Formes[126] », les Formes telles qu’elles se manifestent dans un acte anamnestique (c’est-à‑dire comme « images mentales » induites de notre perception sensible[127]), et il appartiendra à la dialectique de saisir les Formes elles-mêmes.
Robert J. Fogelin résume pour sa part sa position en une phrase : à propos des objets situés en L3), « nous disons qu’ils sont des figures de carrés, de cercles, et ainsi de suite. L’idée alternative selon laquelle le Carré ou la Diagonale se situe dans cette région rend le texte incompréhensible[128] ». L’objet de la διάνοια est donc bien une image sensible, sans que celle-ci se confonde avec l’εἶδος dont elle est la représentation.
2.2. L’objet de la διάνοια est une abstraction intermédiaire
Cette approche, en un sens comparable à celle de Cornford et qui est également une extension de la précédente, est celle de Maurice Vanhoutte. Elle a l’avantage de poser plus clairement que l’approche 2.1 la différence objective entre L3) et L4). L’auteur part du fait que Platon dit que la διάνοια raisonne sur un objet visible alors que ce n’est pas à lui qu’elle pense. L’objet auquel elle pense est, selon 510d, la figure en soi, mais cet « en soi » n’est pas une Idée, « puisqu’il n’est pas un véritable ὄν[129] ». En fait, « les nombres, les figures, les mouvements sont appelés “en soi”, non pas pour signifier que ce sont des Idées, mais uniquement pour insister sur leur caractère séparé, sans faire la mention de leur existence », de sorte que l’objet dianoétique est clairement compris comme l’objet des sciences géométriques au temps de Platon[130], c’est-à-dire « comme un intermédiaire entre le sensible et l’intelligible pur[131] ». Le travail dianoétique ne porte donc pas sur les Idées, mais sur ces objets scientifiques intermédiaires entre le sensible et l’intelligible[132]. S’il existe une différence objective entre L3) et L4), il faut de plus établir une différence méthodologique. L’objet des sciences n’est certes jamais vu dans sa pureté, étant donné qu’on doit le référer à des images sensibles. Plus encore, cet objet n’est pas vu du tout : le mouvement de l’esprit qui appréhende de telles images suffit à la διάνοια pour exercer son activité, et aucune vision de l’essence n’est requise dans cette étude, et c’est en cela que les objets dianoétiques sont traités comme des hypothèses. Autrement dit, « les sciences inférieures n’ont pas de moment intuitif purement intellectuel et ne sont constituées qu’au moyen de raisonnements et d’images sensibles[133] », étant donné que leurs objets sont des rapports ou des proportions[134]. L’acte intuitif dans lequel l’Idée est vue par un contact direct caractérise exclusivement la méthode dialectique et permet de différencier les deux méthodes[135], dont l’une est le prolongement de l’autre[136].
Une autre façon de considérer l’objet dianoétique sans faire de lui un objet sensible ou un objet eidétique a été proposée par K.W. Mills. Cette approche rappelle celle de Hare (1.5), mais dans ses grandes lignes seulement. Le point central de cette étude est tout entier concentré sur la façon dont il faut comprendre l’objet noétique, c’est-à-dire l’anhypothétique que saisit le dialecticien, et que l’auteur distingue des objets dianoétiques. Ces derniers (des hypothèses) ne sont pas des objets de la perception sensible, mais des entités comme le carré lui-même et la diagonale elle-même, accessibles par la seule pensée[137]. Cependant, la « diagonale elle-même » par exemple n’a pas le sens d’« Idée de la diagonale », et « cette expression devrait être rendue par “la diagonale comme telle”, distincte de quelque chose qui est diagonal[138] ». Ces objets ne sont donc ni sensibles ni eidétiques, mais ce sont des objets mathématiques purs que l’auteur appelle des « entités non physiques » (sans toutefois leur attribuer explicitement le statut d’intermédiaires), qui existent simplement à titre d’objets pour la pensée[139]. Ainsi, selon Mills, « le point que Platon tente de mettre en avant est que les mathématiciens affirment tout simplement que les choses qu’ils posent sous formes d’hypothèses ont telle ou telle nature sans pouvoir justifier cette affirmation[140] ». Le dialecticien, qui pose la question τί ἐστιν à propos de ces entités en vue d’en rendre compte (λόγον διδόναι[141]), remonte à l’anhypothétique, qui n’est autre que la Forme elle-même. D’où l’idée que les Formes, ou concepts, sont chacune des anhypothétiques grâce auxquels le dialecticien peut prédiquer de chaque entité (dianoétique) la Forme correspondante (noétique), et ainsi fonder leur nature : « […] il me semble que Platon ne veut rien dire d’autre que la Forme de X ou la X-éité est le principe suprême de chaque et de tout X — la Forme du carré le principe de chaque et de tout carré, la Forme de la pyramide le principe de chaque et de toute pyramide, etc.[142] ».
2.3. L’objet de la διάνοια est un concept non relié au Bien
Cette approche rappelle celle présentée en 1.2, mais elle s’en distingue principalement en ce que l’objet dianoétique n’est pas présenté stricto sensu par son auteur, Georges Rodier, comme une Idée. L’auteur déclare d’abord que, « comme la dialectique, les mathématiques ont pour objet l’être éternel et soustrait au devenir », mais, à plusieurs reprises, il formule nettement une distinction objective entre les mathématiques et la dialectique. Il écrit par exemple que « les choses mathématiques sont saisies par la même intuition intellectuelle que les Idées », que « la connaissance des concepts mathématiques a la même origine en nous que celle des Idées[143] », que « les concepts mathématiques sont, tout comme les Idées, des mixtes », ou encore que « la γένεσις des concepts mathématiques diffère de la γένεσις des Idées[144] ». Malheureusement, cette distinction n’est jamais considérée pour elle-même ni expliquée, l’article en question visant essentiellement à établir que la défaillance des mathématiques consiste en ce que le Bien n’est pas saisi par elles. Outre ce détail qu’il convenait de souligner, cette approche est similaire à celles que nous avons examinées plus haut. S’appuyant sur un passage du Politique (283c et suiv.), Rodier pense que la distinction entre mathématiques et dialectique est la même que celle qui existe entre deux métrétiques[145]. Les mathématiques supérieures (διάνοια) ont pour objet la génération d’un concept, mais « une génération où la finalité ne joue aucun rôle et qui, par suite, n’engendre que des possibilités, non des réalités[146] ». Il s’ensuit que « le monde des mathématiques reste un monde de pures possibilités parce que le principe du bien n’y joue aucun rôle[147] », et que le point de départ des démonstrations mathématiques n’est que « la définition d’une possibilité, et le mathématicien ne s’occupe pas de savoir si celle-ci correspond ou non à une réalité[148] », car « la considération de la finalité est exclue de la génération des nombres mathématiques[149] ». Il incombe à la dialectique d’atteindre autre chose que du possible ou des conséquences du possible en s’élevant au principe anhypothétique universel, à savoir le Bien, puis en reconstruisant rationnellement le réel par un procédé diérétique[150]. Autrement dit, « ce qui fait la supériorité de la dialectique sur les mathématiques, c’est qu’elle est en possession d’un principe qui lui permet de construire non plus de simples possibilités, mais des réalités, et ce principe est […] celui du Bien[151] ». Cette possession permet au dialecticien de donner une unité à un monde où tout se tient. En procédant ainsi, Rodier ne suggère donc pas que l’Idée est reliée au Bien par la méthode dialectique, mais que la dialectique donne réalité à un concept mathématique lorsqu’elle le relie à l’anhypothétique, ce qui rapproche ainsi également l’auteur de la tendance 1.4.
2.4. L’objet de la διάνοια est un intermédiaire mathématique
Cette dernière approche, qui rappelle en un sens celle présentée en 1.6 et qui n’est pas totalement étrangère à celle présentée en 2.2, est sans aucun doute celle qui a suscité les plus vives réactions dans l’exégèse contemporaine du texte de la Ligne, et sa critique occupe une place si écrasante que l’on pourrait presque affirmer que toute interprétation autre du segment linéaire se fonde sur sa réfutation. Peu d’interprètes l’ont, à vrai dire, défendue, et l’on ne voit pas très bien la raison pour laquelle Ludwig C.H. Chen la qualifie de « traditionnelle[152] ». Joseph Moreau qui, en 1939, recense trois commentateurs seulement, considère également cette approche comme celle de « la plupart des interprètes » et la qualifie de « courante ». Maurice Vanhoutte affirme carrément qu’« en ce qui concerne l’objet de ces sciences [dianoétiques], les interprètes se divisent en deux camps », ceux pour qui cet objet est un intermédiaire mathématique, et ceux pour qui il est une classe d’Idées[153]. Cependant, si les sources dont cette interprétation s’inspire ne peuvent suffire pour la qualifier de « traditionnelle », elles font légitimement d’elle une interprétation majeure. Cette approche, dont Proclus est le premier rapporteur[154], consiste à affirmer que l’objet de la διάνοια est un être mathématique ni sensible ni eidétique, mais intermédiaire (μεταξύ) entre τὰ αἰσθητά et τὰ εἴδη, celui-là même dont Aristote témoignera en Métaphysique, A, 6, 987b14‑18[155]. La caractéristique propre à cette approche et qui la distingue de 2.2 est que l’objet dianoétique est un intermédiaire exclusivement mathématique, restriction que les auteurs classés en 2.2 n’admettent pas toujours.
Cette lecture a été défendue par James Adam, qui affirme « une correspondance exacte entre les objets des différentes affections (ou états) psychiques et les états eux-mêmes » et qu’il faut s’attendre « à trouver une distinction similaire entre les objets des deux états mentaux » et qualifier l’objet dianoétique en propre : « les νοητά inférieurs sont la matière des études propédeutiques de Platon, c’est-à-dire les nombres mathématiques, les surfaces mathématiques planes, le βάθος mathématique, les φοραὶ βάθους mathématiques et les nombres mathématiques “consonants[156]” ». Deux éléments permettent de ne pas confondre ces ἀεὶ ὄντα avec les Idées. D’une part, ces μαθηματικά sont « πολλά » (526a) tandis que l’Idée est une et, d’autre part, la διάνοια est dite « μεταξύ τι δόξης τε καὶ νοῦ » (511d). On peut en déduire que « ces μαθηματικά occupent une position intermédiaire entre les αἰσθητά (δοξαστά) et les Idées[157] ».
William Francis Rose Hardie soutient également que les objets dianoétiques sont les intermédiaires mathématiques dont parle Aristote, et écrit qu’il est « naturel de supposer que ces “entités mathématiques” attribuées à Platon par Aristote sont les véritables cas parfaits d’universels mathématiques[158] » traités en L3). Il est vrai que Platon n’assigne pas explicitement une classe séparée d’objets à la διάνοια, mais, en 511c, 511e et en 534b, « Platon déclare clairement qu’une telle classe d’objets séparés existe[159] ». Hardie reprend à son compte le principe dont partait Adam, à savoir que, en vertu de République V 477c-d, une distinction des facultés implique immédiatement une distinction objective : « tout comme la compréhension [διάνοια] est située entre la croyance et la raison, ses objets sont entre les objets sensibles et les Formes[160] ». Ce que le texte même de la République nous apprend donc à propos des objets dianoétiques « correspond exactement aux déclarations d’Aristote relatives aux “mathematica[161]” ». Ces objets, pluriels, sont situés entre les Formes et les sensibles et sont contemplés par le mathématicien[162]. Enfin, si l’objet dianoétique est une entité intermédiaire ni sensible ni eidétique, les hypothèses que pose le mathématicien ne se confondent pas avec elle. Ces hypothèses sont des λόγοι qui la concernent, des « propositions existentielles qui affirment l’existence d’une classe d’entités mathématiques appropriée à une science particulière[163] ». Si le dianoéticien rêve[164], ce n’est pas parce qu’il saisit une image ou une copie de la Forme (ce qui impliquerait qu’il sache préalablement ce qu’est l’original), mais parce qu’il affirme l’existence d’objets moins réels que d’autres, sans prendre conscience des Formes, plus réelles[165]. Autrement dit, contre les approches présentées en 1.1 et en 2.1, Hardie pense que la διάνοια appréhende des copies qui sont des méprises objectives, et non pas des copies en tant que telles de la Forme.
Andreas Wedberg applique également le principe énoncé en République V 477c‑d : s’il y a quatre facultés, il doit forcément y avoir quatre objets corrélatifs[166]. Son interprétation apporte un élément jusque-là non considéré par Adam et par Hardie en faveur de cette thèse[167]. Wedberg a recensé les passages qui, dans les dialogues platoniciens, sont en faveur de la théorie des intermédiaires[168], étant donné que « la doctrine des intermédiaires n’est pas clairement exprimée dans la République » et qu’elle n’y apparaît qu’en surface[169]. En Phédon 74c, il voit dans l’expression « αὐτὰ τὰ ἴσα » la marque des égalités intermédiaires, et donc une trace de l’objet dianoétique dans le texte de la Ligne[170], argument qui consiste ni plus ni moins à distinguer l’objet de la διάνοια de celui de la νόησις en s’appuyant, à l’exemple d’Adam, sur la distinction pluralité/singularité.
Rapportons enfin[171] la position de J.C. Davies, qui, à vrai dire, devrait être classée en 2.2, dans la mesure où ce commentateur défend bien la thèse des « intermédiaires mathématiques », toutefois compris comme « les concepts universels du mathématicien ou du géomètre[172] ». Pourtant, les arguments qu’il invoque sont ceux des commentateurs présentés dans la présente approche et, à ce titre, il doit être considéré ici. Davies reprend deux arguments mentionnés plus haut : a) comme pour Hardie, « chaque autre segment est différencié en termes d’objets d’appréhension, et il serait surprenant que Platon ait fait une exception dans le cas de la διάνοια[173] ». b) Comme pour Wedberg, les « égaux en soi », en Phédon 74c, sont des égalités mathématiques. Cet exemple montre que Platon, en 74c, « renvoie à des concepts mathématiques distincts des Formes[174] », et ces concepts sont précisément, comme pour Vanhoutte, les objets « en soi » dont parle Platon en 510d. Relevant enfin une évidence textuelle, Davies souligne que Platon parle clairement de ceux qui s’occupent de géométrie pour désigner ceux qui vivent dans l’état d’esprit de la διάνοια[175]. Par suite, les choses auxquelles pense le géomètre tandis qu’il se sert d’images visibles (cf. 510d) sont « les calculs abstraits du mathématicien, qui ne traite pas du carré particulier visible […] mais plutôt de la vérité universelle qui s’applique à tous les carrés », et « refuser de tels intermédiaires mathématiques reviendrait à refuser un tel procédé dans les mathématiques conventionnelles et à prétendre que le mathématicien non platonicien se préoccupe de ces images visibles[176] ». La διάνοια a donc pour objet des concepts mathématiques abstraits, c’est-à-dire des μαθηματικά, et la νόησις les Formes mêmes[177], mais les deux états d’esprit supérieurs de la Ligne se distinguent également d’un point de vue méthodologique. La διάνοια, d’une part, possède une méthode déductive (comme dans l’approche 1.3) et, d’autre part, elle ne justifie pas ses concepts « par une νόησις de l’Idée » ascendante[178], si bien qu’au niveau dianoétique « la science est […] une activité compartimentée, les champs d’études ne sont pas nécessairement et évidemment reliés entre eux[179] ».
La perplexité que peuvent engendrer de telles variations interprétatives ne manquera pas de frapper chaque lecteur. Comme nous venons en effet de le voir, l’objet de la διάνοια a pu, au cours du siècle précédent, être compris comme une Idée (ou Forme), distincte de l’objet noétique, ou comme une Idée vue imparfaitement au travers d’une image, comme une Idée non reliée à l’Idée du Bien, comme l’objet d’un savoir déductif, comme une essence eidétique sans existence, ou encore comme une Idée sans définition ou, enfin, comme une Idée appartenant à une classe particulière ! Sa nature eidétique a également été récusée, et on a alors interprété cet objet comme une image de l’Idée, comme une abstraction intermédiaire entre le sensible et l’Idée, comme un concept non relié au Bien ou comme l’intermédiaire mathématique dont parle Aristote. L’expression « interprétation traditionnelle », attribuée tantôt aux unes tantôt aux autres apparaît, ici plus encore qu’ailleurs, véritablement douteuse. Sans doute la théorie des intermédiaires a-t-elle pour avantage d’avoir traversé les siècles et peut-elle, à ce titre, être dite à meilleur droit « traditionnelle », mais ce terme ne lui sied assurément pas si l’on entend qualifier la thèse dominante contemporaine. Au bout du compte, la vue « traditionnelle », c’est là notre conviction, n’a pas de contenu ou, du moins, ne peut être soumise à aucune réification. Sur ce point d’interprétation du platonisme, comme sur de nombreux autres, il semble plus prudent d’appeler « lecture traditionnelle » une trame collective tissée d’interprétations particulières souvent dissonantes dans le détail, à tel point que nous sommes bien en peine de dire chez quel auteur il est possible de lire in fine l’architecture d’une telle lecture stéréotypée.
II. La nature formelle de l’objet dianoétique. Essai d’interprétation
Ce qui précède montre qu’une présentation des interprétations se réduisant à une alternative Idée/intermédiaire ne suffit pas pour mettre en évidence l’ensemble des difficultés interprétatives. Car, déclarer que l’objet de la διάνοια est une Idée ne reflète pas avec précision ce qu’on entend par là, de même que déclarer sa nature non eidétique est insuffisant. Certaines approches que nous avons passées en revue insistent sur des passages ou des formulations platoniciens que d’autres ne retiendront pas, et les divergences interprétatives reflètent souvent des divergences d’intentions, selon que l’on cherche principalement, par exemple, à établir la nature de l’hypothèse dianoétique, celle du rapport modèle/image, ou encore l’identité du Bien et de l’anhypothétique. Ensuite, certaines approches se rejoignent aisément, d’autres non. Il est par exemple fort possible à la fois de défendre la nature imagée de l’objet dianoétique et d’affirmer que la διάνοια ne relie pas son objet à l’Idée suprême, ou encore de prétendre que la méthode dianoétique est déductive en même temps qu’elle fonde sa démarche sur l’appréhension d’un concept. Mais, il est impossible de prétendre que l’objet dianoétique est, en même temps et sous le même rapport, eidétique et non eidétique ; ou encore que l’objet dianoétique est une image substantielle : l’Idée et une image « logologique » de cette même Idée. Par exemple, à supposer que l’objet dianoétique soit l’hypothèse traitée par le mathématicien, on ne peut à la fois comprendre cette hypothèse comme une réalité et comme un λόγος, et donc, parallèlement, l’acte de son appréhension sous une modalité intuitive et sous une modalité discursive. Ce dernier point montre à l’évidence ceci : que l’objet dianoétique soit une hypothèse ou autre chose, qu’il soit visible ou intelligible ou, même, qu’il soit une Idée ou un concept intermédiaire entre le sensible et l’Idée, quelle que soit l’alternative, un aperçu synoptique des tendances interprétatives engendre un sentiment de confusion sur ce qu’on entend précisément par « objet ». Autrement dit, pour pouvoir répondre à la question de la nature de l’objet dianoétique, encore faut-il fondamentalement répondre à la question de l’objet tout court.
À cet égard, posons d’emblée une distinction qui pourrait s’avérer fort utile. Nous savons que l’opinion est, pour Platon, un jugement sur les apparences sensibles[180], c’est-à-dire un λόγος qui puise sa matière logique (sujet et prédicat) dans le monde de la sensation. On peut assurément avancer que l’objet de l’αἴσθησις, c’est-à-dire son corrélat, est τὸ αἰσθητόν, le sensible. En revanche, la δόξα ne saurait avoir pour objet ce même αἰσθητόν, même si celui-ci se présente comme ce que l’opinion juge. En effet, la distinction des facultés (δυνάμεις) de l’âme implique la distinction de leurs objets[181] et, puisque la sensation et l’opinion ne peuvent se confondre, il est impossible de dire de l’opinion qu’elle a le sensible pour objet. Mais, comme le sensible paraît bien être le substrat du jugement selon de l’opinion, il convient de dire de lui qu’il est, non pas l’objet de l’opinion, mais son référent. Bref, l’objet de l’opinion est τὸ δοξαστόν, tandis que son référent est τὸ αἰσθητόν. Si l’on y regarde de plus près, cette distinction entre le référent et l’objet de la δόξα est une distinction entre un être vu et un être jugé ou, plus exactement, entre le sensible en tant qu’il est vu et ce même sensible en tant qu’il est jugé.
Une telle distinction s’applique à la section inférieure de la Ligne, celle de la δόξα, mais il semble tout à fait pertinent de l’appliquer aussi, mutatis mutandis, à la section supérieure, celle de l’ἐπιστήμη. Que nous dit Platon à propos de la seconde section linéaire (LN), sinon qu’elle concerne le « genre noétique[182] », c’est-à-dire l’espèce du νοητόν ? De toute évidence, que le νοητόν soit référent ou objet, il l’est tout aussi bien de la διάνοια que de la νόησις, qui figurent à elles deux le genre noétique. En effet, le τόπος νοητός présenté dans le texte du Soleil[183] est un, tout comme l’« objet » du νοῦς. Et, dans le texte de la Ligne qui suit immédiatement, l’unité du τόπος νοητός est maintenue, tout comme celle de l’espèce qui le peuple : l’« objet » est un, c’est le νοητόν[184], c’est-à-dire l’Idée[185]. On pourrait nous objecter qu’en vertu de la parenté étymologique qui existe entre les termes « νοῦς » et « νόησις » le νοῦς que Platon évoque dans l’analogie solaire est précisément la faculté mise en oeuvre dans le quatrième segment de la Ligne, et que seule la faculté noétique (L4) a rapport à l’Idée. Mais, ce serait restreindre l’accès au τόπος νοητός au quatrième état d’esprit de la Ligne, ce qui est impossible étant donné que ce sont L3) et L4) ensemble qui sont relatifs au monde intelligible. Les termes « νοῦς » et « νοεῖσθαι » utilisés dans le texte du Soleil ne peuvent pas, même en vertu de leur parenté, être exclusivement rapportés au terme « νόησις » en 511e et à l’état d’esprit du même nom, mais doivent être rapportés à l’ensemble de la section LN, dont le référent est τὸ νοητόν. Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer qu’en République VII 534a Platon substitue au terme « νόησις » celui d’« ἐπιστήμη » pour désigner le quatrième état d’esprit et qu’il nomme « νόησις » la faculté générale relative à la section LN, tout en préservant le terme « νοητόν » pour désigner l’« objet » de LN[186]. Tout se passe comme si Platon, conscient de l’ambiguïté des termes utilisés en République VI, avait clarifié ses propos en République VII en modifiant un vocabulaire pouvant induire une confusion.
Rappelons que, dans le livre V de la République, c’est la δόξα en général qui juge les apparences sensibles. Dans la section inférieure de la Ligne nous avons donc affaire à une seule et même réalité référentielle — le sensible —, et seule une distinction d’ordre judicatif permet apparemment de comprendre la subdivision du genre visible. Ainsi, εἰκασία et πίστις auraient le sensible pour référent en général, mais un jugement spécifique portant sur le sensible pour objet en particulier. De même, διάνοια et νόησις auraient l’Idée intelligible pour référent en général, mais un jugement spécifique portant sur l’Idée pour objet en particulier. C’est, du reste, la seule façon de rendre compte de la quadripartition linéaire sans faire violence au dualisme ontologico-épistémologique platonicien entre, d’une part, le sensible et l’intelligible et, d’autre part, l’opinion et la science. L’Idée, comprise comme référent vu de LN, est τὸ νοητόν ; mais comprise comme Idée jugée, elle est, comme nous allons le voir, τὸ γνωστόν.
La question de l’objet dianoétique s’en trouve ainsi précisée : si ce qu’on appelle « objet » dianoétique est un objet-référent, cet objet coïncide avec celui qui se trouve « ἐν τῷ νοητῷ τόπῳ » dans l’analogie solaire, à savoir « τὰ νοούμενα », par opposition à l’objet qui se trouve « ἐν τῷ ὁρατῷ », c’est-à-dire « τὰ ὁρώμενα[187] ». Cet objet n’est donc pas judicatif, c’est une entité, non pas saisie par la vue sensible (ὄψις), mais par le νοῦς lui-même, et cette entité n’est autre que l’Idée elle-même. Dans ce cas, il est permis de dire que l’objet de la διάνοια est l’Idée ou son image, ou encore l’Idée en quelque façon imparfaitement représentée ; mais en aucun cas cet objet-référent ne peut être compris comme un λόγος ou comme une image-λόγος, sa nature référentielle l’interdit.
En revanche, si l’on se garde de confondre l’« objet » de la διάνοια avec son référent en transposant ce que nous avons dit à propos de la δόξα au niveau de la διάνοια (à savoir que l’objet de la δόξα n’est pas le sensible, mais un jugement portant sur τὰ αἰσθητά), alors le troisième état d’esprit linéaire a pour objet propre, non pas τὸ νοητόν, mais un jugement portant sur τὸ νοητόν. Ainsi compris, l’objet de la διάνοια ne saurait être purement et simplement une substance, mais c’est une substance jugée au travers d’un λόγος, ou plus exactement une manifestation de l’Idée dans un λόγος organisateur. Dans ce cas, étant donné que nous avons assimilé la distinction entre L3) et L4) à une distinction judicative, l’objet dianoétique diffère de l’objet noétique : bien qu’ayant en commun un seul et même référent (τὸ νοητόν), la διάνοια et la νόησις ont chacune un objet propre, un γνωστόν, c’est-à-dire un νοητόν jugé selon une modalité spécifique. Il s’ensuit que l’objet de la διάνοια doit être à présent caractérisé comme un λόγος, comme un objet-connu, et les approches qui soutiennent la nature « logologique » de l’objet dianoétique, « image-λόγος de l’Idée », annoncent une ligne d’interprétation pertinente.
Nous pensons que la façon de comprendre le terme « objet » est subordonnée, souvent de façon implicite chez les commentateurs, à une conception plus générale de la Ligne : soit la Ligne représente des degrés d’êtres et l’objet s’identifie au référent, soit elle représente des degrés de connaissances et l’objet, pour peu qu’on veuille établir des distinctions objectives, s’identifie à un jugement. Notre avis est que certains désaccords interprétatifs viennent de ce que l’on peut avoir parfois à l’esprit « référent », et parfois « jugement portant sur le référent » lorsqu’on entreprend de caractériser l’objet dianoétique. La précision n’est pas toujours donnée par les interprètes, d’où le sentiment de confusion que peut avoir un lecteur, même averti. Prenons par exemple l’approche de David Gallop, que nous avons classée parmi celles qui nient explicitement la nature eidétique de l’objet de la διάνοια. Cet interprète pense que l’objet de la διάνοια est une image-λόγος et que cet objet est distinct de l’objet noétique, mais que L3) comme L4) « are concerned with Forms ». On voit très bien ce qui oppose l’approche de Gallop à celle de Neil Cooper (1.1) : l’un prend le λόγος-image pour l’objet dianoétique, tandis que c’est l’Idée-référent que l’autre prend pour objet. Autrement dit, selon Gallop, le référent est l’Idée et l’objet est une image-λόγος, et Cooper dit la même chose, à ceci près que la notion d’objet se rapporte au jugement chez l’un, au référent de ce jugement chez l’autre.
Partant des considérations formelles qui précèdent, nous pouvons prendre position vis-à-vis des deux grandes tendances interprétatives et vis-à-vis de certaines orientations de lecture transversales. Rappelons tout d’abord que nous entendons par « objet » une modalité du jugement, c’est-à-dire un objet judicatif, distinct du référent, le premier étant au second ce que la forme est à la matière de l’acte judicatif. Par conséquent, nous rejetons toute approche, sinon toute présentation, substantielle de cet objet : l’objet de la διάνοια est un λόγος ou une proposition (et non pas une « entité » intelligible comme Hare et Tanner le suggèrent). Dans la première approche de la première tendance par exemple (1.1), nous ne retenons donc que les interprétations qui défendent la nature « logologique » de l’image. Encore faut-il remarquer que l’expression « image de l’Idée » a quelque chose de captieux, puisqu’elle laisse entendre que l’objet est saisi selon une modalité intuitive plutôt que selon une modalité discursive[188]. Mais, à concéder à certains une telle expression pour désigner l’objet dianoétique, nous lui donnons le sens de « λόγος spécifique au travers duquel le référent épistémique est appréhendé ».
Plus généralement, toutes les approches qui défendent la thèse d’un « objet » dianoétique eidétique (1) ont ceci de pertinent qu’elles posent un référent unique pour les deux segments supérieurs, à savoir l’Idée, puisque ce référent est indubitablement le νοητόν du τόπος νοητός, c’est-à-dire l’ἰδέα (Rép. VI) ou encore τὸ γνωστόν, que l’opinion n’atteint pas (Rép. V) et que la διάνοια et la νόησις jugent différemment. Mais, la question de l’objet renvoie parfois à la question du référent (l’objet est alors une substance), parfois à celle du référent jugé (l’objet est alors « logologique »), sans qu’on sache toujours nettement de quoi il s’agit. Les autres approches, qui soutiennent la nature « intermédiaire » de l’« objet » dianoétique, nient que l’Idée soit le référent de la διάνοια (excepté Gallop) et, en cela, nous semblent erronées. Nous rejetons par conséquent, d’une part, toutes les interprétations qui refusent de poser un référent unique pour les deux segments supérieurs, à savoir celles qui refusent de considérer que L3) et L4) ont communément trait à l’Idée ; et, d’autre part, celles qui confondent l’objet et le référent dianoétiques en donnant à l’Idée elle-même (ou à son image substantielle) le statut d’objet.
Enfin, on ne peut admettre que la διάνοια se distingue de la νόησις comme la discursivité se distinguerait de l’intuition, et ce pour deux raisons. La première est que cela reviendrait à dire que la διάνοια juge un référent dont elle n’aurait pas eu l’intuition (comme si l’on pouvait juger d’une Idée sans avoir d’Idée), et que la νόησις n’a pas d’objet, mais un référent seulement. La seconde raison est que L3) est à L4) ce que L1) est à L2), en vertu du rapport ressemblant/ressemblé entre le δοξαστόν et le γνωστόν. Or, l’εἰκασία et la πίστις sont toutes deux des facultés discursives, et la πίστις a une activité doxique qu’on ne peut réduire à une perception du sensible, et on serait par ailleurs bien en peine de trouver un commentateur qui ait défendu une telle interprétation du second segment linéaire[189]. Si l’approche dianoétique de l’Idée est différente de l’approche noétique, ce n’est donc certainement pas en attribuant à l’une une modalité discursive et à l’autre une modalité intuitive[190].
Retenons de tout ceci que le référent, pour l’entière section LN, est l’Idée, même si Platon utilise le terme « εἶδος » pour désigner seulement, dans la Ligne, le référent de la dialectique[191]. En tant que référent, le terme grec approprié pour sa caractérisation est « νοητόν », et ce terme, à l’instar du terme « εἶδος », ne désigne pas exclusivement l’objet de la νόησις comprise comme quatrième état d’esprit de l’âme[192]. En tant qu’objet connu, le terme grec approprié pour caractériser l’Idée est « γνωστόν ». Ce γνωστόν peut être soit dianoétique, soit noétique, c’est-à-dire un jugement eidétique spécifique à L3) ou à L4), mais qui, dans les deux cas, porte sur ou implique l’Idée. Sans pour autant trahir l’intention générale de la première tendance, dont la seule maladresse est de ne pas clairement poser de distinction entre l’objet et le référent, nous conclurons donc en posant que le référent épistémologique de LN est un, mais que son objet est duel.
Puisque nous savons que l’objet de la διάνοια est formellement un γνωστόν, c’est-à-dire une Idée-posée-dans un λόγος, il est évident que la διάνοια et la νόησις s’opposent en vertu de deux λόγοι distincts. Il suffit d’ailleurs de remarquer qu’aucun de ces états de l’âme n’est présenté de façon purement statique. En effet, lorsque Platon pose la distinction entre les deux segments supérieurs, deux points sont mis en avant : a) la διάνοια se sert « comme d’images des choses précédemment imitées[193] », tandis que la νόησις ne s’en sert pas[194], b) la διάνοια « marche, non pas vers un principe, mais vers une conclusion[195] », tandis que la νόησις « va vers un principe[196] ». En revanche, l’une et l’autre de ces facultés partent d’hypothèses[197]. L’emploi des verbes « πορεύεσθαι » et « ἔρχομαι » pour respectivement qualifier les deux activités met en relief un aspect dynamique qui plaide en faveur d’une activité « logologique » au niveau des deux états d’esprit. Il est donc clair que c’est une seule chose (l’Idée) qui est traitée selon deux marches différentes et que la distinction entre discursivité et intuition, qui est sans doute aujourd’hui encore la plus fermement enracinée dans le paysage universitaire français, ne fonde en aucune manière la distinction entre la διάνοια et la νόησις.
Aussi, il semblerait bien que la question de l’objet dianoétique soit entièrement dépendante de celle du discours spécifique que l’âme tient à ce niveau de la pensée. Le discours dianoétique part d’hypothèses, sans remonter au principe, pour aller vers une conclusion et il se sert comme d’images des objets du segment précédent. Il possède ainsi trois caractéristiques : il pose quelque chose (ὑποθέσεις), il se sert de quelque chose (εἰκόνες) et il suit une direction (ἐπὶ τελευτήν). Il faut par suite considérer séparément le λόγος initial, la méthode suivie et le discours qui en résulte, et affirmer que l’objet dianoétique, le γνωστόν spécifique à L3), n’est pas non plus, comme R.M. Hare le suggère, l’hypothèse de départ, étant donné que cette hypothèse est aussi bien le point de départ de la dianoétique que celui de la noétique. Quelle est cette hypothèse ? Quel est cet objet dianoétique qui donne à la διάνοια la spécificité de son discours ? Telles sont les questions qu’une mise au point sur la nature formelle de l’objet dianoétique permet ultimement de poser enfin en toute clarté.
Appendices
Notes
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[1]
Nous retenons la leçon μιμηθεῖσιν.
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[2]
Nous optons pour rendre « εἶδος » par « Idée » par pure convention, sans nous situer dans la controverse relative à la traduction française de ce terme. Par la suite, nous retiendrons « Forme » lorsque les auteurs que nous recensons retiennent eux-mêmes une telle traduction.
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[3]
Nous traduisons littéralement « τοὺς λόγους περὶ αὐτῶν ποιοῦνται » (510d4-5).
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[4]
Rép. VI, 510b-511b.
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[5]
Nous adoptons la nomenclature suivante : LO pour la section linéaire des ὁρατά, LN pour celle des νοητά. L1), L2), L3) et L4) désignent respectivement les segments de l’εἰκασία, de la πίστις, de la διάνοια et de la νόησις. Voir notre tableau en fin d’article.
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[6]
Cf. A.J. Boyle, « Plato’s Divided Line, Essay I : the Problem of Dianoia », Apeiron, VII (1973), p. 1‑11.
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[7]
Cf. R.A. Shiner, « Knowledge in Philebus 55c-62a : a Response », dans New Essays on Plato, University of Calgary Press, 1983, p. 180-183.
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[8]
Cf. L.C.H. Chen, « The Objects of the Third Section of the Divided Line », dans Acquiring Knowledge of the Ideas. A Study of Plato’s Methods in the Phaedo, the Symposium and the Central Books of the Republic, App. VIII, Stuttgart, Steiner, 1992, p. 215-227.
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[9]
Cf. A.J. Boyle, « Plato’s Divided Line, Essay I : the Problem of Dianoia », p. 3-6.
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[10]
Cf. J. Brentlinger, « The Divided Line and Plato’s Theory of Intermediates », Phronesis, VIII (1963), p. 148 et suiv.
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[11]
L’âme y effectue sa recherche « αὐτοῖς εἴδεσι δι’ αὐτῶν » (Rép. VI, 510b8). La formule est reprise et complétée en 511c1‑2 : « εἴδεσιν αὐτοῖς δι’ αὐτῶν εἰς αὐτά, καὶ τελευτᾷ εἰς εἴδη » (en faisant usage [προσχρώμενος] « des Idées mêmes, à travers elles, vers elles et en terminant en elles »).
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[12]
Y. Lafrance, Pour interpréter Platon. La Ligne en République VI, 509d‑511e. I. Bilan analytique des études (1804‑1984), Paris, Les Belles Lettres, 1987 ; Id., Pour interpréter Platon. La Ligne en République VI, 509d‑511e. II. Le texte et son histoire, Saint-Laurent, Bellarmin, 1994. Voir également Id., « Platon et la géométrie : la construction de la Ligne en République 509d‑511e », Dialogue, XVI (1977), p. 425‑450 ; Id., « Platon et la géométrie : la méthode dialectique en République 509d‑511e », Dialogue, XIX (1980), p. 46‑93 ; Id., « Les entités mathématiques et l’Idée du Bien en République VI, 509d‑511e », Diotima, 14 (1986), p. 193‑197 ; et Id., « La rationalité platonicienne : mathématiques et dialectique chez Platon », dans M. Narcy, coord., Platon, l’amour du savoir, Paris, PUF, 2001, p. 13-48.
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[13]
Cette première option est relative aux approches 1.1-1.5. La seconde option est relative à 1.6 (cf. infra, p. 247).
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[14]
Afin de ne pas multiplier inutilement les subdivisions de chaque tendance, nous optons pour ranger dans cette première tendance plusieurs approches distinctes (et parfois opposées les unes aux autres), mais qui posent en commun la nature proprement eidétique de l’objet dianoétique et le recours à une image pour caractériser la spécificité de cette saisie eidétique. Nous décidons de rejeter dans une autre classe les interprètes qui identifient clairement et proprement l’objet dianoétique à la copie elle-même ou encore à un intermédiaire (cf. infra, p. 247).
-
[15]
Lecture de H. Jackson, « On Plato’s Republic VI 509d sq. », Journal of Philology, X (1882), p. 132‑150.
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[16]
« The general notion is therefore not the idea, nor a correct and complete representation of the idea, but an incorrect representation of it » (ibid., p. 136).
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[17]
« The inferior method then starts from λόγοι, which (1) are hypothetical in the sense that they have not been shown to be correct and complete accounts of ideas, and (2) for that reason are still dependant upon the particulars or “many” from which they were originally derived » (p. 145). Selon Brentlinger, Jackson est le premier à soutenir que l’objet de la διάνοια est l’Idée (cf. J. Brentlinger, « The Divided Line and Plato’s Theory of Intermediates », p. 148, n. 3).
-
[18]
« What is here required […] of the mathematician is […] the partial understanding of an εἶδος with the assistance of a visible symbol » (J.L. Stocks, « The Divided Line in Plato’s Republic VI », Classical Quarterly, V [1911], p. 83).
-
[19]
« […] so here, in one sense the many figures drawn on paper […] are the subject of διάνοια, but in another the one εἶδος itself » (ibid., p. 85).
-
[20]
« […] for these μαθηματικά are not what the mathematician is understanding, except as instances of a universal : what he understands is that which is alone intelligible — the εἶδος itself » (ibid.).
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[21]
« […] the use of images to obtain knowledge Forms, even of value-forms, is a general feature of Plato’s philosophy » (N. Cooper, « The Importance of Διάνοια in Plato’s Theory of Forms », Classical Quarterly, XVI [1966], p. 65).
-
[22]
« The image is admittedly something imperfect […]. Nevertheless knowledge of the εἴδωλον is a necessary prelude to knowledge of the Form itself » (ibid.).
-
[23]
« The examples from the Republic and the Laws show that an εἴδωλον does not have to be perceived by the senses ». Par conséquent, « it makes sense to speak of images of moral and other value-Forms » (ibid., p. 66).
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[24]
« The “organs” […] are, I suggest, intellectual, not the organs of sense-perception » (ibid.).
-
[25]
« We have to go through the stage of διάνοια and try to find out the Forms through images. If we look at the Forms without examining their images first, we are dazzled just as when we look directly at the sun » (ibid., p. 66-67).
-
[26]
Concernant les mots « eidos » et « idea », « when in a philosophical context he [Plato] speaks (1) a common characteristic visible in a number of particulars, or (2) a common characteristic abstracted from a number of particulars and regarded as unique and separate in some way, he naturally has recourse of these two words » (J.S. Morrison, « Two Unresolved Difficulties in the Line and the Cave », Phronesis, XXII [1977], p. 213). Cf. par exemple Rép. V, 476a (ibid., p. 217).
-
[27]
« In the intelligible section these or other moving eide are taken over by dianoia and are treated in the mind now not as originals but as likeness of the unique eide » (ibid., p. 224-225).
-
[28]
Les objets dianoétiques « are themselves recognised as copies, likeness of the intelligible eide » (ibid., p. 225). Remarquons que l’auteur ne dit pas catégoriquement que les « moving eide » sont identiques aux « unique eide », c’est-à-dire les mêmes objets différemment appréhendés. La différence ontologique n’est ni clairement affirmée ni explicitement niée, de sorte que cette approche pourrait tout aussi bien être rangée en 1.6. (Cf. infra, p. 247.)
-
[29]
On pourra comparer les considérations qui suivent avec les propos, différents, que l’A. tient dans un article plus ancien (cf. « Platon et la géométrie : la méthode dialectique en République 509d‑511e »).
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[30]
« Les entités mathématiques et l’Idée du Bien en République VI, 509d‑511e », p. 194.
-
[31]
Ibid.
-
[32]
Ibid., p. 195.
-
[33]
Ibid.
-
[34]
Ibid., p. 196.
-
[35]
Ibid., p. 197.
-
[36]
« […] one of the distinctions Plato makes between the objects of διάνοια and νοῦς is in the manner in which they are studied and not in the objects themselves » (J.C. Wilson, « On the Platonist Doctrine of the ἀσύμβλητοι ἀριθμοί », Classical Review, XVIII [1904], p. 258).
-
[37]
« If not seen in this connexion (μετ’ ἀρχῆς) its full nature is not apprehended, and, its validity is not really known, because it is this connexion which alone guarantees validity » (ibid., p. 258-259).
-
[38]
« The distinction turns, not on things organized, but on the mode of organizing » (A.S. Ferguson, « Plato’s Simile of Light », Classical Quarterly, XV [1921], p. 147).
-
[39]
« I doubt whether Plato at this stage explicitly recognized that they were νοητά other than the forms » (ibid., p. 151).
-
[40]
« […] they are imperfect because they cannot be connected with the final ἀρχή » (ibid.).
-
[41]
« But clearly the diagram is simply an aid. The problem does not spring from it » (ibid., p. 148).
-
[42]
« […] we must not confuse the metaphor of images and originals which Plato addresses to his readers with the action of the mathematician (whose activity is illustrated by him), in taking a visible symbol for the purposes of his science » (ibid.).
-
[43]
« […] just as εἰκασία is looking at the original under a limitation, so διάνοια may study the forms within its special limitations » (ibid., p. 150).
-
[44]
« […] both CE and EB have εἴδη as their objects, and some of these εἴδη, whether in CE or EB, are mathematical Forms ; others are moral Forms : other again, I believe […] are Forms of natural species ; but whatever kind of Forms there may be, they belong to EB if they are known as the dialectician knows them, to CE if they are not » (R. Hackforth, « Plato’s Divided Line and Dialectic », Classical Quarterly, XXXVI [1942], p. 2).
-
[45]
« […] they are “hypothetical” not in the sense that they are mere assumptions of the human kind, but because they cannot be known for what they are, and cannot be known as real, until they have been subsumed under the supreme Idea, which is unhypothetical because it is not itself in need of explanation, but is the explanation of everything » (ibid., p. 8).
-
[46]
« It will also be noticed that in the diagram contents have been assigned for the two upper divisions of the Line — Forms not seen in their connection with the Form of the Good as the contents of CE, and the Form of the Good and the others Forms seen in connection with it as the contents of EB » (R.C. Cross, A.D. Woozley, Plato’s Republic. A Philosophical Commentary, London, Macmillan, 1964, p. 232).
-
[47]
« In the third section of the Line the Forms are still seen as separate and unconnected and our understanding of them is in this way incomplete and fragmentary. On the other hand, in the fourth section they are seen in their inter-connection with the supreme Form, the Form of the Good. They are now connected in a coherent system dependent on the Good, and our knowledge of them is complete in that we understand them in the light of the whole system to which they are seen to belong. It is not implausible to say that seen in their isolation and fragmentariness the Forms are different objects from what they are when seen in their connectedness and their dependence on the Form of the Good » (ibid., p. 238).
-
[48]
« For Plato, the mathematician is half-free from the changing, imperfect world of sensible particulars ; but only half-free, in that he still has to use sensible diagrams while thinking of the non-sensible » (ibid., p. 240). Cette défection ne change pourtant rien au fait que les mathématiques sont, pour Platon, « an essential preliminary to philosophy or dialectic » (ibid., p. 254).
-
[49]
P. Carrive, « Encore la caverne, ou 4 = 8 », Les études philosophiques (1975), p. 391.
-
[50]
Ibid., p. 391-392.
-
[51]
Ibid., p. 391.
-
[52]
On peut donc aussi bien ranger cet auteur dans la tendance 1.1 que dans la tendance 1.2.
-
[53]
Concernant l’utilisation d’images sensibles, « the mathematician is not blamed here for using them ; he knows he is not thinking of these collections and pictures, but of Ideas » (F.M. Cornford, « Mathematics and Dialectic in the Republic VI‑VII », Mind, XLI [1932], p. 38). L’A. fait également remarquer que « Plato does not say that geometers are “forced to use sensible diagram” » (ibid., p. 39, n. 1).
-
[54]
« The main point is that the prevailing method is deductive » (ibid., p. 39).
-
[55]
« […] noesis (in one of its senses) means the upward movement of intuition, dianoia (in one of its senses) the downward movement of reasoning in deductive argument » (ibid., p. 43).
-
[56]
« The prior truth […] must be grasped by an act of analytical penetration » (ibid.).
-
[57]
« Noesis is an immediate act of vision ; the ascent is made by one or more sudden leaps » (ibid., p. 48).
-
[58]
« By nous, here and later, Plato means the perfectly clear vision, or unshakable grasp, of the completed structure of mathematical truth » (ibid., p. 51).
-
[59]
R. Loriaux, L’être et la forme selon Platon. Essai sur la dialectique platonicienne, Bruges, Desclée de Brouwer (coll. « Museum lessianum », Section philosophique, XXXIX), 1955, p. 85.
-
[60]
En 511c, Platon écrit que la connaissance « τοῦ ὄντος τε καὶ νοητοῦ » est plus claire lorsqu’elle est obtenue par « la science de la dialectique » (τῆς τοῦ διαλέγεσθαι ἐπιστήμης) que lorsqu’elle est obtenue par les τέχναι, terme que Loriaux traduit par « disciplines scientifiques ». Ceci indique pour l’A. que « τοῦ ὄντος τε καὶ νοητοῦ θεωρούμενον » s’applique aussi bien à L3) qu’à L4).
-
[61]
R. Loriaux, L’être et la forme selon Platon. Essai sur la dialectique platonicienne, p. 86.
-
[62]
Ibid.
-
[63]
Ibid. Cf. par exemple Rép. VII, 532a7, b1, 533b2. Voir également R. Loriaux, L’être et la forme selon Platon. Essai sur la dialectique platonicienne, p. 74-75 : « c’est surtout l’expression “ὃ ἔστι”, la plus nette et la plus technique de toutes, qui mérite une attention plus particulière. Aussi bien, c’est elle qui sert, dans les textes les plus clairs et les plus précis, à désigner l’objet de la dialectique ».
-
[64]
Cf. ibid., p. 23-25. Cette accentuation est « destinée à indiquer un sens existentiel du verbe “ἔστι” » (ibid., p. 24).
-
[65]
Cf. ibid., p. 32-33.
-
[66]
« […] l’expression “ὃ ἔστι”, prise en elle-même, sert avant tout à prédiquer l’être, notion qui doit comprendre à la fois essence et existence » (ibid., p. 36).
-
[67]
Ibid., p. 27. Cf., par exemple, Rép. VI, 509b, où « οὐσία » est distingué d’« εἶναι ».
-
[68]
R. Loriaux, L’être et la forme selon Platon. Essai sur la dialectique platonicienne, p. 87. On aura remarqué que les termes grecs « εἶδος » et « ἰδέα » sont, selon les interprètes, tantôt traduits par « Idée », tantôt par « Forme », bien souvent en fonction de la langue d’accueil des textes (« Idée » en français, « Form » en anglais). Loriaux adopte pour sa part la traduction « Idée » dans son article de 1952, mais lui préférera celle de « Forme » en 1955. Son explication est la suivante : « [Et c’est ici qu’] on peut se rendre compte également de la supériorité du terme français “Forme” sur celui d’“Idée” lorsqu’il s’agit de rendre les termes grecs “εἶδος” et “ἰδέα”. En effet, si Platon veut exprimer à la fois le caractère essentiel et le caractère existentiel de l’intelligible, le terme de Forme, pouvant désigner à la fois la Forme essentielle et la Forme subsistante, garde la double valeur de l’expression grecque ; le terme d’Idée, au contraire, ne pourrait exprimer cette double valeur qu’au prix d’une convention purement arbitraire » (ibid., p. 35). Mais, qu’on traduise par « Forme » ou par « Idée » « εἶδος » et « ἰδέα », ces deux termes grecs sont identiquement traduits par la grande majorité des commentateurs. Sur ce point, M. Dixsaut, qui ne confond pas les deux termes et qui comprend l’ἰδέα comme « l’action de l’eidos sur la chose » (« Ousia, eidos et idea dans le Phédon », Revue philosophique, 4 [1991], p. 497-498). Cf. également D. Ross, Plato’s Theory of Ideas, Oxford, Clarendon Press, 1951, p. 13-14.
-
[69]
R. Loriaux, L’être et la forme selon Platon. Essai sur la dialectique platonicienne, p. 89.
-
[70]
Ibid., p. 90. Une autre caractéristique de la διάνοια est d’être déductive, « dialectique descendante », et ce sont ces deux caractéristiques prises ensemble qui expliquent l’infériorité de la méthode dianoétique : « si […] on considère les Formes dans leur seul aspect essentiel et structurel et si l’on s’attache à en déduire les propriétés, on retombe dans le domaine des disciplines scientifiques et de la διάνοια » (ibid., p. 208).
-
[71]
Loriaux lui-même évoque respectivement des deux états d’esprit supérieurs en termes d’« intelligence discursive » et d’« intelligence intuitive » (cf. ibid., p. 206).
-
[72]
A.-J. Festugière, Contemplation et vie contemplative selon Platon, Paris, Vrin, 1936, p. 169.
-
[73]
Cf. ibid., p. 170. Nous substituons ici « noétique » à « dialectique », car si la distinction entre L3) et L4) faite par Cornford comme par la grande majorité des commentateurs est une distinction entre διάνοια et dialectique, il en va autrement pour Festugière : L3) est l’étape de la dialectique dianoétique en général et L4) est l’étape de la νόησις contemplative. Il pense en effet que « tout le discours proprement dialectique par où l’on monte jusqu’à l’ἀρχὴ est du ressort de la διάνοια. Mais la saisie de l’ἀρχὴ, de l’être, est l’oeuvre du νοῦς » (ibid.). La διάνοια est donc une dialectique descendante déductive, mais elle est aussi (contre Cornford) une dialectique ascendante inductive qui remonte d’hypothèses en hypothèses jusqu’au premier principe, caractérisée comme λόγος sans intuition.
-
[74]
Ibid., p. 187.
-
[75]
Ibid., p. 220.
-
[76]
Ibid., p. 187.
-
[77]
Ibid.
-
[78]
Ibid., p. 221. En 1908, W. Temple proposait déjà une interprétation similaire : « the advance from διάνοια to νόησις is not from thought with a figure to pure thinking (in the modern sense), but from thought were a sensible object is used as an inadequate representative of the Idea, to thought where the Idea itself is directly apprehended and no representative is required. The method therefore is independent of bodily sensation but is not independent of experience or intuition » (« Plato’s Vision of the Ideas », Mind, XVII [1908], p. 514‑515).
-
[79]
« Voir, quand il s’agit des relations entre l’intellect et l’être, ne peut signifier qu’une union immédiate, supérieure et à la production d’une image et à la production d’un concept, une union d’ordre mystique » (A.‑J. Festugière, Contemplation et vie contemplative selon Platon, p. 220).
-
[80]
La διάνοια est un discernement qui met de l’ordre dans la confusion sensible et qui consiste à unifier (cf. ibid., p. 176). « Dès lors, […] la science du nombre et du calcul favorise au premier chef la montée vers l’être » (ibid., p. 176-177).
-
[81]
J. Moreau, La construction de l’idéalisme platonicien, Paris, Boivin, 1939, p. 328.
-
[82]
Ibid., p. 329.
-
[83]
Ibid., p. 334. L’A. écrit plus loin et plus clairement qu’il est « hors de doute que les objets mathématiques, le carré en soi, la diagonale en soi, sont des essences intelligibles, des Idées » (ibid., p. 344), et que « ce sont bien les mêmes essences que considèrent le mathématicien et le dialecticien ; il y a seulement plus de clarté d’un côté que de l’autre » (ibid., p. 345).
-
[84]
Ibid., p. 331.
-
[85]
Ibid., p. 334.
-
[86]
Ibid., p. 335.
-
[87]
Ibid., p. 338.
-
[88]
Ibid., p. 339. Cf. également ibid., p. 349 : « l’Idée du tout détermine la structure des parties, qui deviennent alors les composantes actuelles d’un Tout dont elles ne représentaient que la virtualité ; c’est ainsi que les essences deviennent des réalités ».
-
[89]
Ibid., p. 346 (nous soulignons).
-
[90]
Ibid., p. 188.
-
[91]
R.M. Hare, « Plato and the Mathematicians », dans New Essays on Plato and Aristotle, London, Routledge & Kegan Paul, 1965, p. 22. Littéralement, les mathématiciens « ne donnent pas le λόγος » des hypothèses.
-
[92]
« The question “What is it ?” can be appropriately asked only of a thing » (ibid., p. 23).
-
[93]
Cf. ibid.
-
[94]
Ibid., p. 24. Y. Lafrance pense au contraire que les hypothèses sont des propositions, et non des entités (pour sa critique de Hare, cf. « Platon et la géométrie : la méthode dialectique en République 509d‑511e », p. 59). Pour une critique plus ancienne, cf. C.C.W. Taylor, « Plato and the Mathematics. An Examination of Professor Hare’s Views », Philosophical Quarterly, XVII (1967), p. 193-203.
-
[95]
« […] what is wrong with the mathematicians, in Plato’s view, is that they employ concepts like “square”, and assert propositions containing them, without, as a rigorous thinker must, proving these propositions on the basis of the definitions of the concepts — and that they are led to act in this way because they are using physical diagrams and taking as true what seems to be true of the diagrams » (R.M. Hare, « Plato and the Mathematicians », p. 27).
-
[96]
À savoir que l’objet de la διάνοια est une Idée (cf. supra, p. 247, n. 13).
-
[97]
L’interprétation de Robinson emprunte trop de chemins à la fois pour être présentée ici. Cf. cependant Plato’s Earlier Dialectic, Oxford, Clarendon Press, 1953, p. 99, 105, 109 et 195.
-
[98]
« But as regards the two later divisions, while Plato has indicated magnificently the difference between science and philosophy, he has said little or nothing of a difference between their objects » (D. Ross, Plato’s Theory of Ideas, p. 58‑59).
-
[99]
« […] each of the two uppers subsections of the Line stands for a part of the world of Ideas, as each of the two lower stands for a subdivision of the sensible world » (ibid., p. 60).
-
[100]
Cf. ibid., p. 50. On doit également considérer que l’astronomie et l’harmonique se situent au même niveau de pensée (cf. ibid., p. 52).
-
[101]
« It is natural to suppose that the assumptions are assumptions of the existence of these things, not assumptions of their definitions » (ibid., p. 51).
-
[102]
« The examples in 510c1-511a1 show that it is mathematics that Plato has in mind in his description of the third subsection » (ibid., p. 48).
-
[103]
« The conclusion to be drawn surely is that he [Plato] thought of Ideas as falling into two divisions, a lower division consisting of Ideas involving number or space, and a higher division not involving these » (ibid., p. 64). Sur ce point, Ross rejoint donc Y. Lafrance.
-
[104]
Cf. infra, p. 247 et suiv.
-
[105]
« I conclude that the objects of διάνοια are not the “intermediates” but are simply the mathematical Ideas, and those of νοῦς the other Ideas » (D. Ross, Plato’s Theory of Ideas, p. 65).
-
[106]
« For ethical Ideas are much more closely and obviously connected with the Idea of good than mathematical Ideas are » (ibid., p. 64).
-
[107]
É. de Strycker, « La distinction entre l’entendement (dianoia) et l’intellect (nous) dans la République de Platon », dans Estudios de Historia de la Filosofia en homenaje al Professor R. Mondolfo (Fasc. I), Tucuman, Facultad de filosofia y letras, 1957, p. 211.
-
[108]
Ibid., p. 212.
-
[109]
Ibid., p. 213.
-
[110]
Ibid., p. 220.
-
[111]
Ibid., p. 215.
-
[112]
Ibid.
-
[113]
Ibid., p. 217.
-
[114]
Ibid., p. 218.
-
[115]
Ibid., p. 217.
-
[116]
Ibid., p. 219. Ces Idées supérieures sont entre autres celles du Bien, du Beau, de l’Être, de l’Identique. Strycker, Ross et Lafrance ont ceci en commun qu’ils conçoivent tous trois l’Idée dianoétique comme impliquant l’espace, bien que différemment.
-
[117]
Strycker le formule lui-même approximativement en ces termes, à l’occasion de sa critique de la thèse de M. VonFritz (cf. ibid., p. 228).
-
[118]
« The distinction between the two higher segments of the Line is explained by contrasting not the objects but the procedures of mathematics and dialectic » (D. Gallop, « Image and Reality in Plato’s Republic », Archiv für Geschichte der Philosophie, XLVII [1965], p. 121).
-
[119]
« [But] both alike are, on the most plausible interpretation, concerned with Forms. Nevertheless, it seems clear that Plato did mean assign a distinctive set of objects to the level of dianoia » (ibid.).
-
[120]
« For the special objects of dianoia are media through which the Forms are seen at this level » (ibid., p. 122, note 14).
-
[121]
« Hence the special objects of dianoia will be those logoi, of which the Republic itself provides moral and political examples » (ibid., p. 122). Selon Gallop, les images en République ne peuvent être traitées « as mere “sensible” illustrations », elles incarnent (embody) une définition (cf. ibid., p. 119).
-
[122]
« Such vision of the Forms as they afford can only be indirect » (ibid., p. 123).
-
[123]
C’est-à-dire caractérisé comme λόγος, et non comme substance.
-
[124]
« So it is with ἀνάμνησις that Plato appears to associate διάνοια most closely » (R.G. Tanner, « Διάνοια and Plato’s Cave », Classical Quarterly, XX [1970], p. 84).
-
[125]
Cf. ibid.
-
[126]
« […] memory images of the Forms » (ibid., p. 89).
-
[127]
« The recollection (ἀνάμνησις), of these mental images is stimulated by the perception of similar objects occurring in the world of sense or “solar realm” » (ibid., p. 84).
-
[128]
« If at this point we inquire into the character of the “mathematical objects” located at the (c) region of the Divided Line, we will have to say that they are diagrams of squares, circles, and so forth. The alternative idea that the Square or the Diagonal is located in this regions makes no sense whatsoever of the text » (R.J. Fogelin, « Three Platonic Analogies », Philosophical Review, LXXX [1971], p. 377).
-
[129]
M. Vanhoutte, La méthode ontologique de Platon, Paris, Nauwelaerts, 1956, p. 56.
-
[130]
Cf. ibid., p. 60.
-
[131]
Ibid., p. 57. L’objet de la διάνοια n’appartient donc pas à une classe d’Idées inférieures (Ross). Sur ce point, cf. le même auteur, M. Vanhoutte, « La méthode intuitive dans les dialogues de maturité de Platon », Revue philosophique de Louvain, XLVII (1949), p. 318-319.
-
[132]
« Il semble donc que l’intelligibilité dont il est question, n’est pas celle qui est propre aux Idées, mais aux objets des sciences » (M. Vanhoutte, La méthode ontologique de Platon, p. 57-58).
-
[133]
Ibid., p. 81.
-
[134]
Cf. ibid., p. 56.
-
[135]
Cf. ibid., p. 82, 84. On peut donc sur ce point plus ou moins rapprocher Vanhoutte de Festugière et de Moreau.
-
[136]
Sur la nature contradictoire de la méthode dialectique chez Platon et sur le rôle de l’intuition dans la période de maturité, on consultera, passim, l’article que l’auteur publia en 1949 (M. Vanhoutte, « La méthode intuitive dans les dialogues de maturité de Platon »).
-
[137]
« […] the reasonings of geometers are concerned with entities that are accessible to reason alone, not to sense-perception — with the square itself and the diagonal itself, not with the squares and diagonals that are made or drawn by way of illustration » (K.W. Mills, « Plato’s “non-Hypothetical Starting-Point” », Durham University Journal, XXXI [1970], p. 156).
-
[138]
« […] the term “the diagonal itself” should be given the sense “the diagonal as such,” as distinct from something diagonal (e.g., a line drawn diagonally across a drawn square) » (ibid.).
-
[139]
Ces « non-physical entities […] exist as the objects, not of perception, but of thought ; and to exist for thought alone is simply and solely to be thought of », et « the act of apprehending actually gives them their existence » (ibid., p. 157).
-
[140]
« I suggest that the point that Plato is trying to put across here is that the mathematicians all too often simply assume that the things they hypothesize have this or that nature, and cannot justify this assumption » (ibid., p. 158).
-
[141]
« The question “What is it ?” thus serves to fix the being or essence » (ibid., p. 154), et elle est propre à la dialectique dans la République.
-
[142]
« […] it seems to me that Plato need mean no more than that the Form of X or X-ness is the supreme principle of each and every X — the Form of squareness the principle of each and every square, the Form of the pyramid the principle of each and every pyramid, etc. » (ibid.).
-
[143]
G. Rodier, « Les mathématiques et la dialectique dans le système de Platon », dans Études de philosophie grecque, Paris, Vrin, 1969 (1re éd. 1902), p. 39.
-
[144]
Ibid., p. 42.
-
[145]
Cf. ibid., passim.
-
[146]
Ibid., p. 42.
-
[147]
Ibid., p. 43.
-
[148]
Ibid., p. 45.
-
[149]
Ibid., p. 47.
-
[150]
Cf. ibid., p. 45. L4) concerne donc aussi bien la dialectique ascendante que la dialectique descendante (cf. supra, p. 247, n. 73).
-
[151]
Ibid., p. 46.
-
[152]
Cf. supra, p. 247.
-
[153]
Cf. Respectivement, J. Moreau, La construction de l’idéalisme platonicien, p. 343 et M. Vanhoutte, La méthode ontologique de Platon, p. 55. Vanhoutte réduit ainsi les interprétations possibles à celles présentées en 1.6 et à celles que nous allons exposer maintenant.
-
[154]
Cf. In primum Euclidis, Friedlein, 4, 14 ; 57, 2, signalé par Hardie (cf. W.F.R. Hardie, A Study in Plato, Oxford, Clarendon Press, 1936, p. 51).
-
[155]
Cf. également Ζ, 2, 1028b20-21 ; Κ, 1, 1059b6-8.
-
[156]
« There is [moreover] an exact correspondence between the objects of the different psychical affections or states […] and the states themselves ; and διάνοια, which Plato regularly uses in connexion with CE […], is expressly distinguished from νόησις or νοῦς in 511d. We are, therefore, prepared to find a similar distinction between the objects of the two mental states. What is the positive evidence on the subject ? That the lower νοητά are the subjects of Plato’s propaedeutic studies, viz. mathematical numbers, mathematical plane surfaces, mathematical βάθος, mathematical φοραὶ βάθους, and “consonant” mathematical numbers » (J. Adam, The Republic of Plato, vol. I‑II, édition, notes critiques, commentaire et appendices par J. Adam, deuxième édition et introduction par D.A. Rees, Cambridge University Press, 1963 [première édition 1902], p. 159).
-
[157]
« Finally, these μαθηματικά occupy an intermediate position between αἰσθητά (δοξαστά) and Ideas » (ibid.). Pour l’ensemble de ces considérations, cf. ibid., p. 159-160.
-
[158]
« It is natural to suppose that these “mathematical entities” attributed by Aristotle to Plato are the real perfect instances of mathematical universals » (W.F.R. Hardie, A Study in Plato, p. 50).
-
[159]
« But Plato clearly states that there is such a separate class of objects » (ibid., p. 52).
-
[160]
« It seems to me clear that it is the explicit doctrine of the Republic that, just as understanding is “between belief and reason” (511d), so its objects are between sensible objects and Forms » (ibid.).
-
[161]
« Note that what we learn from the Republic about the objects of understanding exactly correspond with Aristotle’s statements about the “mathematica” » (ibid.).
-
[162]
Cf. ibid., p. 53. Les premiers commentateurs qui sont allés à l’encontre de la position d’Adam (Wilson, Ross) sont présentés et discutés, voir ibid., p. 53-55.
-
[163]
« I suggest that the “hypotheses” which he [mathematician] leaves undisturbed are existential propositions affirming the existence of a class of mathematical entities appropriate to a particular science » (ibid., p. 60).
-
[164]
Ce qui vaut pour le dianoéticien vis-à-vis du dialecticien vaut pour L1) vis-à-vis de L2) et pour LO vis-à-vis de LN.
-
[165]
Cf. ibid., p. 58-60.
-
[166]
« In book V of the Republic, Plato states as a general principle that distinct cognitive faculties must be related to distinct classes of objects […]. The four faculties, reason, understanding, belief, and imagination, would seem to form a case to which Plato would apply the general principle » (A. Wedberg, Plato’s Philosophy of Mathematics, Stockholm, Almquist & Wiksell, 1955, p. 106). Nous avons relevé cette citation dans un excellent article de M.L. Morgan, dans lequel un examen serré et critique de cette dernière approche est conduit (cf. « Belief, Knowledge, and Learning in Plato’s Middle Dialogues », in New Essays on Plato, University of Calgary Press, 1983, p. 93-99). Sur l’interprétation générale par Wedberg des objets dianoétiques, cf. Y. Lafrance, Pour interpréter Platon. La Ligne en République VI, 509d‑511e. I. Bilan analytique des études (1804‑1984), p. 107.
-
[167]
Nous relevons ici une interprétation à laquelle nous n’avons pas eu directement accès et qui, selon J. Annas, représente « the most explicit and authoritative statement » sur les intermédiaires mathématiques (« On the Intermediates », Archiv für Geschichte der Philosophie, LVII [1975], p. 146, n. 1).
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[168]
Ces passages sont Lettre VII, 342b-343b, Euthydème 290b-d, Théétète 198a-d, Phédon 101b-d et Phédon 74b-c.
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[169]
« Although the doctrine of Intermediates is not clearly expressed in the Republic, it is, so to speak, striving to come to the surface » (Wedberg cité par A.J. Boyle, « Plato’s Divided Line, Essay I : the Problem of Dianoia », p. 9, n. 8).
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[170]
Pour tout ceci, cf. J. Annas, « On the Intermediates », p. 156-160.
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[171]
Cf. également John Brentlinger, dont l’interprétation en faveur des intermédiaires mathématiques manque de clarté (« The Divided Line and Plato’s Theory of Intermediates »).
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[172]
« […] the object of the third segment of the Line are mathematical intermediates in the sense of the universal concepts of the mathematician or geometer » (J.C. Davies, « Plato’s Dialectic. Some Thoughts on the Line », Orpheus, XIV [1967], p. 4).
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[173]
« Each of the other segments of Line is differentiated in terms of objects of apprehension. It would therefore be unlikely that Plato is making an exception in the case of διάνοια » (ibid.).
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[174]
« Plato has already (“Phaedo”, 74c) used the phrase “the equals themselves” referring to mathematical equals […] the example quoted above from the “Phaedo”, [which demonstrably] refers to mathematical concepts other than the Forms » (ibid.).
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[175]
« In the account (510cff.) of the intellectual activity relatable to the third section of the Line Plato is clearly discussing the pure (i.e. non-Platonic) geometrician » (ibid., p. 5).
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[176]
En 510c, « “the things of which the visibles are images” would refer to the abstract calculations of the mathematician whose concern is not with the particular visible square on the paper before him but rather with the universal truth which may be applied to all squares. To deny such mathematical process is to deny such a process in conventional mathematics and to claim that the non-Platonic mathematician is concerned with such visibles. And it would be absurd » (ibid.).
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[177]
« […] νόησις and διάνοια […] differ in the objects with which they are concerned. Thus διάνοια is concerned with the abstract (non-Formal) concepts of mathematics (τὰ μαθηματικά), while νόησις has for its objects the Forms themselves » (ibid., p. 6).
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[178]
Cf. ibid., p. 7.
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[179]
« Science is at this stage a compartmentalized activity, each sphere of inquiry having no necessary and obvious connection with any other » (ibid., p. 8).
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[180]
Cf. Rép. V, 478e-480a.
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[181]
Rép. V, 477c-d.
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[182]
Nous traduisons littéralement « τὸ μὲν νοητοῦ γένος » (Rép. VI, 509d2).
-
[183]
Le texte du Soleil (508a-509d) est le premier d’une trilogie que l’interprétation situe au coeur de l’épistémologie platonicienne. Le second est celui de la Ligne (509d-511e) et le troisième celui de la Caverne (514a-518b).
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[184]
Cf. 509d.
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[185]
« Καὶ τὰ μὲν δὴ ὁρᾶσθαί φαμεν, νοεῖσθαι δ’ οὔ, τὰς δ’ αὖ ἰδέας νοεῖσθαι μέν, ὁρᾶσθαι δ’ οὔ » (Rép. VI, 507b10-c1). Cf. également Timée, 51c5, où l’εἶδος est νοητόν.
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[186]
Cf. également Rép. VII, 524c, où Platon rectifie déjà son vocabulaire en opposant τὸ νοητόν à τὸ ὁρατόν.
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[187]
Cf. Rép. VI, 508c.
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[188]
Il faut bien, pourtant, que le référent soit déjà vu pour pouvoir être jugé.
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[189]
À la limite, ce serait plutôt à l’εἰκασία de recevoir la faveur d’une interprétation strictement perceptive.
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[190]
Nous rejetons donc en partie la dualité gnoséologique qu’A.J. Festugière instaure entre L3) et L4) (cf. supra, p. 247, n. 73).
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[191]
Cf. 511b-c.
-
[192]
Par opposition à la νόησις comprise, en République VII 534a, comme la faculté propre à LN en général.
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[193]
« τοῖς τότε μιμηθεῖσιν ὡς εἰκόσιν χρωμένη ψυχὴ » (Rép. VI, 510b4-5).
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[194]
« ἄνευ ὧνπερ (ou τῶν περὶ, Vind. F) ἐκεῖνο εἰκόνων » (510b7-8).
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[195]
« οὐκ ἐπ’ ἀρχὴν πορευομένη, ἀλλ’ ἐπὶ τελευτήν » (510b5-6).
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[196]
« ἐπ’ ἀρχὴν […] ἰοῦσα » (510b7).
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[197]
La première démarche se fait « ἐξ ὑποθέσεων », la seconde « ἐξ ὑποθέσεως » (510b5-7). Sur l’emploi du pluriel et du singulier, cf. Y. Lafrance, Pour interpréter Platon. La Ligne en République VI, 509d‑511e. II. Le texte et son histoire, p. 308-309.