Dans cet ouvrage savant, dense et très documenté, l’auteur commence par une mise en question de divers jugements et déclarations sur le syncrétisme, un peu comme pour établir négativement la pertinence de son entreprise en l’assoyant sur les insuffisances et les contradictions de ceux qui se sont emparés du sujet avant lui. Il s’agit d’abord des missionnaires, généralement dans la position de détracteurs du syncrétisme corrupteur de la saine doctrine, ensuite les vieux anthropologues également allergiques au « mélange » mais pour des raisons diamétralement opposées à celles des missionnaires, car, pour ces anthropologues, ce qui est regrettable dans le syncrétisme est la trahison des cultures indigènes « authentiques » par l’introduction d’éléments étrangers. Il y a enfin les attitudes positives, assez récentes, face au syncrétisme. Elles sont d’abord simplement tolérantes en renonçant à la polémique, et ensuite nettement favorables, notamment dans le courant de l’inculturation qui considère les « prophétismes endogènes » comme des expressions d’une créativité spirituelle africaine ; et aussi, dans la thématique de la « postmodernité » qui fait l’éloge de la culture « plurielle », « baroque » ou « polyphonique ». L’habileté de cette entrée en matière est évidente, mais assez vite, on se demande si, après avoir soumis à une âpre critique les positions que nous venons d’énumérer, l’auteur a une thèse claire, une position précise, un jugement ou une attitude qu’il tiendrait pour rationnellement défendable face au syncrétisme. En fait, il observe une suspension méthodique qui force à poursuivre la lecture : au fur et à mesure que se déploie l’exposé, on finit par saisir qu’il n’est pas intéressé à prendre position. Il garde une sorte de neutralité lui permettant de maintenir ses propos dans l’ordre de l’analyse et de l’explication. Ici, la préoccupation n’est pas de stigmatiser ou de justifier et promouvoir le syncrétisme, mais de le décrire, de surprendre « le bricolage en train de se faire ». Le lecteur non averti devra cependant s’armer de patience pour aller jusqu’au bout de l’ouvrage. La tentation de s’y engager du bout des yeux est forte parce qu’au début de l’ouvrage l’auteur donne l’impression que le syncrétisme africain n’est qu’un prétexte pour la reprise des théories de Lévi-Strauss et de Bastide dont il revisite les notions de « bricolage », de « précontrainte », d’« acculturation » et de « forme ». La discussion érudite qu’il engage avec eux (et avec beaucoup d’autres) au long de toute la première moitié du livre pourrait certainement décourager les profanes peu familiers avec la langue de bois propre aux membres de la tribu des anthropologues. Il y est d’ailleurs plus souvent question du syncrétisme afro-américain (vodu haïtien, candomblé brésilien, santeria cubaine) que du « bricolage » post-missionnaire en Afrique même. Aussi, pour ceux et celles qui voudraient simplement s’informer sur le sujet qu’annonce le titre, c’est-à-dire, l’aventure des « petits entrepreneurs des biens du salut » dans l’Afrique contemporaine, il n’y aurait aucun inconvénient à commencer la lecture à partir de la page 115. Dans cette seconde moitié de l’ouvrage, la religion Bwiti des Fang du Gabon, parfaite illustration du bricolage africain, y est analysée de façon pénétrante. On y trouve une éclairante distinction entre les « protoprophètes » ou « Christs noirs », notamment Kimbangu et Harris, les « petits prophètes » ou « prophètes de la seconde génération », comme ceux que l’auteur appelle « prophètes d’Eboga » dans la religion Bwiti, et enfin les grands voyants traditionnels ou grands initiés comme les prêtres vodu du Togo. Ces trois catégories de « professionnels » de la religion s’affrontent sur le même marché de …
André Mary, Le bricolage africain des héros chrétiens. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sciences humaines et religion »), 2000, 224 p.[Record]
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Melchior Mbonimpa
Université de Sudbury