Abstracts
Résumé
Cet article se propose d’aborder la vie sobre à partir de l’ouvrage Walden (1854) de Henry David Thoreau, tiré de son expérience de vie au milieu de la nature, dans une cabane autoconstruite près du lac Walden durant un peu plus de deux ans. Ce récit d’une vie consacrée quasiment entièrement au loisir (marche, natation, lectures, écriture…) grâce à une stricte limitation de ses besoins conduit au « paradoxe Walden ». En effet, d’un côté Thoreau en homme des bois apparaît comme le parfait homo oeconomicus qui évalue sa satisfaction et arbitre minutieusement l’usage de son temps pour en tirer le meilleur parti. D’un autre côté, pour pouvoir vivre selon ses préférences, il doit s’éloigner de la société et s’opposer aux principes qui orientent la vie de ses concitoyens et représentent le confort et le progrès. Un détour par les penseurs de l’avènement du capitalisme permet de résoudre ce paradoxe d’une vie sobre en opposition à l’ordre économique et social dominant, et pourtant conforme à une définition formelle de l’économie. En effet, la représentation d’un agent économique libre et rationnel ne correspond pas à la réalité historique du capitalisme, qui ne s’appuie pas, comme l’a montré Max Weber, sur le libre arbitre et la pluralité des modes de vie qu’il prétend défendre mais sur la valorisation de la richesse et de l’engagement dans le travail qui conditionne subjectivement ces modes de vie. L’esprit du capitalisme ne s’appuie pas non plus sur une conception plurielle de l’intérêt, mais s’identifie progressivement, comme l’a montré Albert O. Hirschman, à une conception réduite à l’accumulation de richesses. Ainsi la vie sobre constitue-t-elle une brèche dans un ordre économique et social en contestant en pratique une forme de vie dominante et les principes qui en sont le fondement.
Mots-clés :
- Sobriété,
- Simplicité volontaire,
- Homo oeconomicus,
- Henry David Thoreau,
- Théorie critique,
- Esprit du capitalisme
Abstract
This article focuses on sufficiency from the point of view of Henry David Thoreau's Walden (1854), based on his experience of living in the middle of nature, in a self-built cabin at Walden Pond, for just over two years. This narrative of a life devoted almost entirely to leisure (walking, swimming, reading, writing...) thanks to a strict limitation of his needs leads to the “Walden paradox”. Indeed, on the one hand, Thoreau, as a man of the woods, appears as the perfect economic man who evaluates his satisfaction and achieves an economic trade-off between uses of time to make the most of it. On the other hand, in order to live as he prefers, he must distance himself from society and be opposed to his fellow citizens’ life principles that represent comfort and progress. A detour via the thinkers of the advent of capitalism leads us to solve the paradox of a sober lifestyle opposed to the dominant economic and social order, and yet conform to a formal meaning of economics. Indeed, the representation of a free and rational economic agent doesn’t correspond to the historical reality of capitalism that Max Weber showed not to be based on free will or the pluralist lifestyles it claims to defend, but rather on work ethic and on the valorization of wealth, which characterize a capitalist subjectivity. The spirit of capitalism isn’t either based on a pluralist conception of interest − instead, as Albert O. Hirschman showed, it has gradually been identified with a conception reduced to wealth’s accumulation. Sufficiency thus constitutes a break through economic and social order, criticizing in practice a dominant form of life and its founding principles.
Keywords:
- Sufficiency,
- Voluntary Simplicity,
- Economic Man,
- Henry David Thoreau,
- Criticism,
- Spirit of Capitalism
Article body
Les appels à déserter, bifurquer ou démissionner devant la crise écologique et la prise de conscience de la nature anthropique des dérèglements et dommages environnementaux partout se multiplient en même temps que les expérimentations individuelles et collectives d’une vie plus sobre. Émanant d’ingénieurs ou de cadres, de jeunes diplômés de formations socialement prestigieuses et de citoyens de toutes catégories sociales, ces discours comme ces expérimentations montrent l’émergence d’une aspiration à inventer et à expérimenter des formes de vie plus respectueuses de la nature, plus épanouissantes et émancipées d’un ordre économique et social dominant. Cette fuite conduit à de nouvelles professions, de brasseurs à agriculteurs en passant par les métiers du lien et du soin, des arts ou de la culture, ou encore orientés vers la transformation écologique, parfois vers d’autres lieux de vie plus proches de la nature, plus éloignés des métropoles et vers d’autres formes de consommation ou d’autoconsommation moins dispendieuses. Cette sobriété, revendiquée, recherchée, pratiquée, suppose toujours une rupture avec l’ordre économique dominant, qui vise l’amélioration continue de la productivité, de la production et des conditions matérielles d’existence, rupture exercée par le travail et la réévaluation des hiérarchies professionnelles, par la prise en compte de la nature et par les modes de consommation. Tout semble opposer la vie sobre et la logique économique dominante comme réalité et comme représentation. Cet article interroge cette opposition : de quoi la vie sobre est-elle la critique ? Par quelles voies la sobriété subvertit-elle en théorie comme en pratique l’ordre économique et social dominant ?
Pour questionner la dimension critique de la vie sobre, l’article s’appuie sur l’expérience de « vie dans les bois[1] » conduite par Henry David Thoreau (1817-1862) et relatée dans son ouvrage Walden (1854). Habitant durant deux années (1845-1847) une cabane au bord du lac Walden, à Concord, dans l’État du Massachusetts, et vivant principalement de son autoproduction, éloigné par choix de la société et des relations sociales sans pour autant se les interdire, Thoreau expérimente l’autonomie et l’autosuffisance au plus près de la nature. Ce mode de vie au coeur de la forêt, qui privilégie l’autosuffisance et limite drastiquement la consommation marchande et non marchande, régule les besoins nécessaires à la vie, peut apparaître comme une figure archétypale de la vie sobre. De ce point de vue, Thoreau se présente comme une figure de l’anti-homme économique qui vit au jour le jour, n’accumule pas, désire consommer et travailler le moins possible et fustige l’amélioration des conditions de vie assimilées à un asservissement. Ainsi il peut disposer du maximum de temps libre passé en marches, en rêveries et en lectures, loin de la société et sans obligation de se soumettre à ses normes. L’ouvrage Walden, qui est à la fois une description de cette expérience et une réflexion sur les principes de la vie bonne, peut servir ainsi de matériau pour analyser en quoi la vie sobre s’oppose à l’ordre économique dominant et questionne les théories économiques qui aspirent à le représenter en modèles et catégories.
L’analyse de cet ouvrage conduit d’abord à une curieuse contradiction que je nomme « paradoxe Walden ». D’un côté, il décrit la vie d’un homme retiré de la société, qui en condamne vigoureusement les principes économiques fondateurs, fustige ironiquement les normes sociales qu’elle érige et s’en éloigne pour édifier et pratiquer un système normatif alternatif. De l’autre côté, le récit montre un individu déployant une rationalité individuelle tout économique, explicitant ses préférences et ses calculs, à l’aune de sa quête de sobriété. Comment résoudre ce paradoxe ? La vie sobre n’est-elle finalement qu’un choix économique parmi d’autres exercé par des individus qui développeraient le goût du peu ? L’éloignement symbolique de la société comme la ferme condamnation de ses normes dominantes, nécessaires à cette expérience de la sobriété, semblent indiquer tout autre chose : contrairement à la représentation économique d’un agent libre de ses préférences, l’homo oeconomicus est fortement conditionné par une subjectivité et des maximes de vie qui fondent le système productif capitaliste. L’ouvrage de Thoreau n’est pas analysé ici dans sa dimension historique qui voit naître aux États-Unis le capitalisme et sa contestation, mais comme un récit archétypal de la vie sobre, expérimentée aux marges de la société et qui semble en tout point opposé à l’enrichissement et à l’accumulation. Aussi, pour résoudre le « paradoxe Walden », je propose de revenir aux sociologues qui ont pensé l’avènement du capitalisme : Max Weber, qui en a défini l’éthique sur laquelle il appuie son déploiement, et Albert O. Hirschman, qui a montré comment la forme économique de l’intérêt individuel s’est progressivement imposée comme une valeur désirable. Ce détour permet d’identifier en quoi la vie sobre n’est pas seulement une simple préférence individuelle parmi une pluralité de modes de vie, mais une manière de contester en pratique un ordre économique comme ses finalités, la rationalité et les maximes de vie qui en constituent le fondement.
Ainsi, après avoir examiné comment la vie à Walden est pour Thoreau une forme d’autoémancipation et de résistance à l’ordre économique naissant aux États-Unis, je montrerai comment elle peut apparaître paradoxale, produit d’un calcul économique et de préférences individuelles. Mais précisément, cette forme de libre arbitre conduisant à la sobriété, conforme à une conception plurielle de l’intérêt, s’oppose à l’esprit du capitalisme. En ce sens, la vie sobre constitue une brèche qui, généralisée, subvertit les fondements de l’ordre économique.
La vie sobre à Walden comme autoémancipation
Dans l’ouvrage Walden, Thoreau décrit deux années et deux mois de son existence passés dans la solitude d’une cabane en bois au bord de l’étang de Walden, qui sont pour lui l’occasion d’expérimenter volontairement une vie libre, en rupture avec les contraintes sociales. Sa solitude est intentionnelle et c’est librement qu’il y mettra un terme, en décidant de « quitter les bois », ce « pour une aussi bonne raison que celle qui [l]’y avait attiré » : avoir « d’autres vies à vivre » (2017 [1854] : 354). Après une première conférence qu’il nomme « Histoire de moi-même », prononcée en 1847, Thoreau vise par ce livre – organisé sous forme thématique avec un long premier chapitre intitulé « Économie », et non comme un récit biographique linéaire – à répondre aux curieux, les habitants du village de Concord en tout premier lieu, à détailler ses choix et à s’expliquer sur son mode de vie (Granger, 2019 : 74). Ainsi ce livre répond-il aux « questions très précises sur [s]on mode de vie que certains taxeraient d’absurdité » et vise-t-il à « dire quelque chose » sur « [n]os conditions de vie » (Thoreau, 2017 [1854] : 11). Thoreau y fait ainsi l’éloge précis et minutieux de la vie sobre, celle qu’il mène à Walden, en opposition à l’existence de « désespoir tranquille » de ses contemporains (2017 [1854] : 16). La vie sobre s’impose contre le mode de vie dominant sur lequel Thoreau porte un jugement ironique mais sévère. Ainsi, en se promenant à Concord, « partout dans les boutiques, les bureaux et les champs », il lui semble que ses habitants « font pénitence de mille manières remarquables », qu’ils sont asservis par le travail, « transformés en esclaves de la terre » : « les hommes triment et se trompent » (13). Il condamne cette manière de vivre qui vise à « amasser des trésors », « une vie stupide », une « vie gâchée » dont on ne parvient pas à « cueillir les beaux fruits », tout obnubilés que sont les hommes « par des soucis illusoires » (14). Condamnant la consommation au-delà de ce qu’il juge être le nécessaire, comme l’accumulation, il décrit le malheur de ses concitoyens qui héritent de « fermes, de maisons, de granges, de bétail et d’instruments agricoles » : « car on acquiert tout cela plus aisément qu’on s’en débarrasse » (13). Ce mode de vie, centré sur le travail visant à augmenter les richesses et la consommation, conduit à une existence de « malheur tranquille » dans laquelle l’homme devient « une machine » (14).
Ainsi critique-t-il tous les aspects d’un mode de vie qui se prétend civilisé par ses outrances et par l’abondance illusoire recherchée dans la multiplication de biens extérieurs. S’il est légitime de vouloir réchauffer son intérieur et se prémunir de la rigueur des hivers, le chauffage, chez les plus aisés, devient excès : à force de s’entourer d’« une chaleur contre-nature », « ils sont cuits, à la mode bien entendu » (23). Plus généralement, la valorisation du confort de la maison produit mille sophistications exigeant l’intervention de spécialistes et empêche finalement l’autoproduction et l’autoconstruction garantes d’autonomie. Ramenant le vêtement à une logique fonctionnelle, celle de « conserver la chaleur vitale et, en second lieu, compte tenu de l’état de notre société, de couvrir notre nudité », il s’insurge contre la fonction symbolique du vêtement, et le prestige des vêtements neufs qui conduit celui qui a des « pièces aux genoux » ou quelques « raccommodages » à l’indignité sociale et à un « avenir entièrement compromis » (31). Alors que le vêtement rapiécé remplit bien sa fonction d’usage et qu’il n’est pas de plus grand plaisir que celui de « porter un habit qui vous va » (31), l’exigence de posséder de nombreux vêtements sans usure contraint à un labeur supplémentaire. En contrepoint, il dessine les vertus écologiques du recyclage, du réemploi et de la réparation. Pour la nourriture également, Thoreau prône la frugalité et le végétarisme. D’une manière générale il critique la vision du progrès de ses concitoyens, le goût du confort, l’aspiration à voyager plus rapidement ou encore l’amélioration supposée des modes de communication, tels le télégraphe magnétique entre le Maine et le Texas alors même qu’il ne faut pas exclure que « le Maine et le Texas n’aient rien d’important à se dire » (63) ! La vie sobre qu’il vante s’oppose à ces « jolis jouets qui détournent des choses sérieuses » (63), qui ne sont que « poudre aux yeux » et « choses superflues » (23), qui éloignent de la « vie de simplicité » (24).
Cette condamnation du « luxe qui amollit et détruit la nation » (25) rappelle très précisément la condamnation du luxe de mollesse par Rousseau et plus généralement la critique de la consommation et de l’aspiration illusoire à l’abondance pour s’émanciper de la nécessité (Gorz, 2019 ; Latouche, 2020 ; Paquot, 2019 ; Pignol, 2010). Au contraire, la stricte limitation des biens nécessaires à la vie, héritage revendiqué par Thoreau des philosophes épicuriens et stoïciens, libère de la nécessité. La réévaluation à la baisse des besoins s’accompagne d’un idéal de vie au milieu de la nature constitutif ici de la vie sobre, à l’origine d’émerveillements et de plaisirs largement décrits. Le goût du beau ne s’exprime pas dans les choses mais « se cultive surtout en plein air » (Thoreau, 2017 [1854] : 48). Aussi cet idéal de frugalité et de pauvreté volontaire se développe-t-il loin des modes de vie « civilisés » imposés qui ont transformé sinon détruit la nature. Les hommes « pensent honnêtement ne pas avoir d’autre choix » mais, conclut Thoreau, « il n’est jamais trop tard pour renoncer à nos préjugés » (17).
L’homo oeconomicus dans les bois ou le « paradoxe Walden »
« Mais tout cela est très égoïste », conclut Thoreau après avoir énoncé les principes de son mode de vie (84), sceptique face aux prétentions engagées ou philanthropiques de « sauver le monde de l’anéantissement » (85). Cette aspiration égoïste à poursuivre un bonheur personnel plutôt que de contribuer à celui des autres prend parfois des intonations conformes au comportement individuel décrit par Adam Smith, animé davantage par l’intérêt que par la bienveillance envers son prochain (1991 [1776]). En effet, c’est en poursuivant sa propre satisfaction, en cherchant à se trouver et se retrouver dans la conduite de sa vie que Thoreau défend la vie de simplicité. L’émancipation vient de la liberté individuelle et Thoreau n’hésite pas à entrer dans le détail de ses arbitrages économiques et de l’évaluation de sa propre satisfaction. En cela il se rapproche curieusement de la fiction de l’homo oeconomicus.
Ainsi détaille-t-il ses propres arbitrages économiques concernant ses décisions de travail et d’autoproduction, d’échange et d’achat, de consommation et de loisirs. Il se décrit comme un être libre et rationnel qui ne cherche qu’à exprimer des préférences et à les mettre en oeuvre pour organiser sa vie. Son goût marqué pour le loisir le conduit à expérimenter de mille manières la vie de peu, pour pouvoir réduire le temps de travail contraint. Ces choix sont exprimés avec cohérence et le calcul, parfois quantifié en heures de travail et souvent énoncé à travers une réflexion introspective, imprègne le récit. La « peine » du travail contraint est évaluée, ses coûts et ses rendements sont mesurés comme les satisfactions obtenues en échange (acheter du pain pour « ajouter quelque chose à [son] ordinaire un peu austère de légumes » [59]). Il cherche à réduire ce temps contraint par le travail autant que ses besoins, puisqu’en ne travaillant pas « très dur », il peut économiser sur la nourriture, « n’ayant pas à manger beaucoup » (63). Thoreau évalue le coût du logement dans la vie sociale ordinaire, en commente l’excès, cherche à le réduire et décrit a contrario les satisfactions du loisir : lecture, réflexion, amélioration constante de ses propres capacités[2], marche, natation dans les lacs, observation de la nature, écriture, etc. Ses calculs pour limiter au maximum ses besoins et économiser son temps de travail, qu’il explicite comme du « temps de vie » où chaque heure a un prix, le rapprochent de l’agent modélisé par les économistes. Selon cette représentation néo-classique, le consommateur y arbitre l’usage de son temps, selon l’utilité qu’il en tire, entre le travail pourvoyeur de biens de consommation et le loisir comme dépense de temps qui procure en elle-même de la satisfaction (Cordonnier, 2020 ; Pignol et Rugy, 2015). Ces minutieux calculs sur le coût en temps de chaque objet consommé anticipent aussi les évaluations d’Ivan Illich (1973, 1975), qui conduisent aux mêmes conclusions, le coût exorbitant des techniques modernes étant comparé à leur utilité soigneusement réévaluée. Ils appellent pareillement à refuser les transports prétendument plus rapides : « j’ai appris que le voyageur le plus rapide est celui qui va à pied », écrit Thoreau, qui intègre dans la mesure de la vitesse les journées de travail nécessaires à l’acquisition du billet (2017 [1854] : 63).
Sa rationalité s’exerce dans la vie quotidienne : « en affaires, je me suis efforcé d’acquérir des habitudes rigoureuses » (29). Il effectue des comptes budgétaires qu’il insère au fil des chapitres (tout particulièrement celui consacré à l’économie) et évalue le caractère profitable de ses activités (recettes de vente envisageables dont il déduit les coûts de production) lorsque celles-ci sont destinées à la vente : la surface de culture des haricots intègre la nécessité de vendre un peu de sa récolte pour acquérir des biens qu’il ne peut pas fabriquer lui-même. Ces calculs sont « imprimé[s] noir sur blanc » (70) pour attester leur exhaustivité et leur véracité. Thoreau se dépeint comme un agent calculateur qui a une préférence élevée pour le loisir et le présent, une préférence modérée pour les biens, une aversion forte envers le travail contraint mais une faible aversion pour le risque (il n’accumule pas et vit au jour le jour). Son choix de toujours préférer, à table, « le plat le plus proche » peut s’entendre comme une stratégie, celle du moindre temps consacré au choix des biens consommés, compatible avec le modèle économique (Stevenson, 2009 : 18)[3]. La vie sobre à Walden n’est donc pas exempte de rationalisation de la vie quotidienne, de calculs budgétaires, d’évaluation de l’utilité de chaque bien comme du temps de loisirs, des processus qui rappellent curieusement l’agent maximisateur du modèle néoclassique, ou l’esprit calculateur et rationnel propre au capitalisme (Orléan, 2011 ; Bénicourt et Guerrien, 2020 ; Pignol, 2017 ; Weber, 2019 [1904]). Convaincu du bien-fondé de ses préférences, Thoreau se fait prosélyte, se décrit heureux de ses choix, rationnels en vertu d’une éthique de vie et de ses fins propres. Il est en cela l’illustration de l’homo oeconomicus qui connaît ses fins et se met en mesure de les réaliser. Cet homme économique est parfaitement conforme à la définition formelle de l’économie selon la distinction proposée par Karl Polanyi (2011 [1977]). Thoreau apparaît à Walden comme un agent rationnel et économe notamment de son temps contraint, le temps étant la première quantité rare et précieuse qu’il convient d’économiser dans la production. Mais ce Robinson volontaire qu’est Thoreau doit, pour exercer pleinement des choix selon ses préférences, choisir la marginalité, s’éloigner du village et limiter ses relations sociales, exclure toute relation conjugale ou amoureuse et mettre à distance toutes les normes sociales et morales du monde. C’est le « paradoxe Walden », qui oppose une vie aux marges de la société, en rupture, associée à un comportement intéressé et calculateur, orienté vers la sobriété. Le parfait agent rationnel et calculateur n’est plus ici l’agent économique typique d’une société de marché mais celui qui la fuit. Comment l’homme des bois peut-il apparaître comme un ultime avatar de l’homo oeconomicus soumis aux lois de l’économie orthodoxe ?
Ce paradoxe n’est pas propre à la seule expérience de vie dont Thoreau fait le récit. Il traverse aussi les expériences contemporaines d’exit orientées vers la vie sobre, de désertion, de bifurcation, de décroissance, qu’elles soient individuelles ou collectives (Hirschman, 1995 ; Lallement, 2019 ; Wright, 2017), qui peuvent apparaître, sous certains aspects, individualistes, voire limitées à une recherche de son propre intérêt. De nombreuses expérimentations alternatives contemporaines sont, à l’image de Thoreau, centrées sur la quête de soi, l’aspiration à se réformer soi-même et à une forme de subjectivation de l’engagement qui traverse la construction de soi (Pleyers et Capitaine, 2016). L’engagement, subjectivé, passe d’abord par la quête d’une « vie qui nous convient » avant d’être (éventuellement) verbalisé en quête explicite de transformation du monde (Mège, 2010). Il passe par les formes de vie et par des préoccupations éthiques, par le souhait de mener une vie conforme à ses valeurs individuelles (qui concorde avec le topos de l’alignement de soi avec ses valeurs), avant de prendre éventuellement une forme politique, revendiquée ou non. Cette subjectivation conduit à la valorisation de la vie choisie, qu’il s’agisse de formes collectives de la vie alternative en communautés intentionnelles, par exemple, ou de formes plus individuelles (Lallement, 2019 ; Pruvost, 2013, 2021). Dans l’expérimentation de la vie sobre, de la décroissance ou d’une vie à la lisière, la revendication d’un choix individuel en résistance à une vie subie est récurrente (Pruvost, 2013 ; Rugy, 2021). Cette revendication d’une intentionnalité des formes de vie a pu conduire à une dénonciation de ces désertions individuelles analysées comme une tentation « égologique » (Humbert, 2023 ; Vidal, 2017) ou une vaine tentative de « changer sa vie sans changer le monde » (Bookchin, 2019). Je voudrais montrer au contraire que cet apparent individualisme, revendiqué souvent comme le fait Thoreau, orienté vers l’évaluation et la mise en oeuvre de préférences individuelles, tel qu’il apparaît dans le « paradoxe Walden », est une forme de subversion de l’ordre social qui se réfléchit dans les consciences individuelles. La vie sobre comme forme de vie s’appuie ainsi sur une subjectivité et une rationalité alternatives susceptibles de fissurer un ordre économique.
Le liberum arbitrium indiscipliné de l’anticapitalisme
L’apparent paradoxe entre, d’un côté, la référence au choix individuel, au calcul, à la rationalité et, de l’autre, la rupture avec une forme de vie dominante souligne d’abord une contradiction des modèles économiques qui visent à représenter la société ou au moins son organisation économique comme le résultat d’actions individuelles, rationnelles, libres et autonomes (Pignol, 2017 ; Bénicourt et Guerrien, 2020). À l’inverse de cette utopie théorique où tous les choix individuels sont possibles et toutes les formes de satisfaction formellement permises, de l’ascèse au goût du luxe, la véhémence nécessaire à Thoreau pour défendre son propre mode de vie face à un style de vie socialement imposé montre que la liberté semble être de facto l’exception ou au moins le résultat d’une patiente conquête individuelle quand les modèles imposés de réussite sociale sont la norme dominante. La vie sobre telle que Thoreau en fait le récit met en exergue une opposition entre l’utopie des représentations économiques orthodoxes, où le consommateur est souverain et libre de ses désirs (y compris celui de consommer peu), et ce que nous pourrions appeler, après Weber, l’esprit du capitalisme, qui impose un cadre normatif qui oriente les formes de vie légitimes et fonde l’ordre économique et social. Le libre choix n’y est plus la norme, alors que l’engagement dans le travail, l’accumulation et l’enrichissement deviennent des signes de réussite sociale et participent à définir ce qu’est la vie légitime. Alors que la stricte limitation des besoins pourrait permettre de réduire fortement le temps de travail, tout dans la société engage inversement à valoriser la production, sa croissance et le travail qui les rend possibles. En estimant qu’une fois les « choses nécessaires à la vie » obtenues, il devient possible de « s’aventurer dans la vie » et de se trouver « en vacances de son plus humble labeur », Thoreau se heurte à l’esprit du capitalisme qui invite au travail manufacturier alors que lui-même estime pouvoir subvenir à ses besoins en limitant son travail à « six semaines par an » (2017 [1854] : 24 puis 81). Pour y parvenir, il faut rompre avec les principes dominants : la liberté du mode de vie et la possibilité de la vie sobre sont une conquête, non une évidence.
Le retour aux textes de Max Weber sur l’avènement du capitalisme montre que cette imposition à la fois historique, sociale et idéologique en contradiction avec le « libre choix » individuel est au coeur de l’« esprit du capitalisme » (2003, 2019 [1904]). Le capitalisme est représenté comme un ordre économique qui s’appuie sur la libre décision individuelle. Des institutions garantissent et célèbrent la représentation d’un individu libre, la propriété privée, la liberté d’entreprendre ou encore, bien après la parution du livre de Weber, la liberté du consommateur (Pinto, 2018). Mais c’est oublier les comportements qui font le capitalisme, la « philosophie de l’avarice », l’ethos de la besogne, la recherche de l’enrichissement personnel et de l’accumulation, autant de valeurs qui orientent les formes de vie et créent une subjectivité capitaliste, un esprit du capitalisme, une « sensibilité morale incarnée », une « sensibilité culturelle » (Geist) « plus diffuse qu’une simple idéologie » (Appadurai, 2019 : 80), des maximes de vie qui orientent le libre arbitre. Finalement, dans ce chapitre, Weber donne la clef du « paradoxe Walden » : « le capitalisme n’a que faire de travailleurs qui seraient les représentants en acte du liberum arbitrium indiscipliné » (2003 [1904] : 36) qui viendrait troubler son bon fonctionnement. Bien au contraire, le système de production s’appuie sur une certaine logique individuelle des comportements, des maximes de vie socialement et moralement construites qui se sont progressivement imposées comme modèles. Le libre arbitre est la fausse-monnaie du rêve des sociétés capitalistes, une forme de mensonge de la société à elle-même, ou pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu, un mensonge « collectivement entretenu et encouragé […], au fondement des valeurs les plus sacrées » (1982 : 32-33). L’idéal de liberté des formes de vie entre en contradiction avec la forme de vie capitaliste qui impose justement de ne pas laisser libre cours aux comportements indisciplinés qui, à la manière de Thoreau à Walden, réduiraient le temps de travail limité à la production du strict nécessaire ou encore s’écarteraient de la norme de l’accumulation, de la recherche de l’enrichissement personnel et d’un « style de vie bien précis, lié à des normes, revêtant les habits d’une “éthique” » (Weber, 2019 [1904] : 45). Ce style de vie rompt bien avec un style de vie traditionnel mais pour en imposer un autre, jugé progressivement plus légitime, non pour autoriser le « liberum arbitrium indiscipliné ».
La rupture avec le traditionalisme, qui demeura, selon Weber, le premier adversaire de l’esprit du capitalisme, n’a pas ouvert les choix individuels, mais les a restreints sur la question économique, le travail et la consommation. Pour le démontrer, Weber souligne une donnée historique aujourd’hui bien documentée : la mise au travail de la main-d’oeuvre salariée ne s’est pas faite sur la base du libre arbitre et de la recherche par chacun d’un gain toujours accru mais par un contrôle de la main-d’oeuvre. Une assertion qui rejoint le constat établi par l’entrepreneur Denis Poulot, celui d’un conflit de valeurs entre travailleurs et capitalistes : ce dernier voit dans le « sublimisme » et la pratique du saint lundi les reflets de « l’état morbide de la classe laborieuse », l’« entrave principale » au développement du capitalisme (cité dans Mylondo, 2019 : 14). Selon Weber, la maximisation des gains monétaires et donc l’engagement dans le travail à cette fin n’ont nullement constitué un comportement historiquement dominant qui aurait pu contribuer à la naissance du capitalisme. Bien au contraire, non seulement l’argent et le gain ont toujours été entachés d’une désapprobation morale mais, de plus, les entrepreneurs se sont trouvés devant la difficulté de faire travailler la main-d’oeuvre autant qu’ils le souhaitaient. Toute augmentation du salaire réel ayant eu plutôt tendance à réduire le temps de travail avec maintien du niveau de vie, l’intéressement au gain ne faisait pas office de motivation au travail, sauf à faire jouer la concurrence pour obtenir de meilleurs salaires aux pièces ou journaliers pour pouvoir réduire le temps de travail tout en vivant « à suffisance » (Weber, 2019 [1904] : 46). Cela conduit Weber à conclure : « L’homme ne veut pas “par nature” gagner de l’argent et plus d’argent encore, mais simplement vivre, vivre ainsi qu’il a l’habitude de vivre, et gagner autant que nécessaire pour cela » (47), une phrase qui fait directement écho à celles de Thoreau invitant à modérer son labeur dès lors que la survie matérielle est assurée : « Il n’est pas nécessaire qu’un homme gagne sa vie à la sueur de son front sauf s’il transpire plus facilement que moi » (2017 [1854] : 83). Augmenter la productivité du travail et par conséquent le salaire horaire aurait donc pu conduire la main-d’oeuvre à travailler moins, d’où la nécessité de lever cette « résistance opiniâtre » par des maximes de vie susceptibles de susciter le désir d’enrichissement et l’engagement dans le travail. L’éthique protestante a pu alors constituer cet ethos légitimant le désir d’enrichissement en faisant de la profession une vocation. C’est « la conception du travail comme fin en soi telle que le capitalisme l’exige » qui conduit à « surmonter le ronron traditionaliste » (Weber, 2019 [1904] : 52). Ce nouvel « esprit » présente « [d]es qualités éthiques [qui] sont justement d’un tout autre type que celles qui étaient propres au traditionalisme » (61). C’est à cette forme de vie que s’oppose l’expérimentation de la vie sobre à Walden, qui montre que l’aspiration à une vie de simplicité pourfend tout autant les rêves de consommation et de confort que l’éthique de l’engagement dans le travail, qui sont au fondement d’un ordre économique dont la finalité réside dans le fait que « les sociétés commerciales s’enrichissent » bien plus que dans la réalisation du bonheur de chacun (Thoreau, 2017 [1854] : 47). En cela, la vie sobre n’est pas seulement un choix individuel et le résultat d’arbitrages de satisfaction individuelle, mais une forme de vie qui, en s’opposant à une subjectivité dominante, résiste à un ordre économique et dessine les soubassements d’un système productif alternatif.
Sortir de la cage d’acier du capitalisme par la sobriété
La seconde contradiction révélée par le « paradoxe Walden », le fait que la revendication d’une vie sobre soit à la fois une alternative aux modes de vie dominants et le résultat d’un arbitrage individuel profitable, tient aux représentations normatives de l’intérêt et de la rationalité communément retenues en économie. Elles viennent contredire une vision plurielle de l’intérêt et une représentation de la rationalité économique comme simple ajustement des moyens aux fins. La forme de vie frugale vantée par Thoreau ne s’oppose pas à la représentation d’un agent rationnel mais à une certaine orientation de sa rationalité, imposée par un ordre économique, social et politique. Les calculs minutieusement explicités par Thoreau montrent que la vie sobre s’appuie sur une forme de rationalité alternative qui ajuste certes les moyens et les fins, mais inclut aussi une délibération sur les fins sans se satisfaire de la simple assimilation entre le bonheur et l’amélioration des conditions de vie identifiées à l’accroissement de la consommation.
Les modèles microéconomiques canoniques valorisent une conception plurielle de l’intérêt, individuelle et non identifiable au désir de richesses (Pignol, 2017 ; Bénicourt et Guerrien, 2020). Tout au plus l’individu préfère-t-il, à coût identique, le panier le mieux rempli (c’est l’hypothèse de non-satiété), une hypothèse que Thoreau à Walden, soucieux de dépenser le moins de temps de manière productive et contrainte, n’aurait pas démentie. La rationalité consiste à ajuster ses actions à sa représentation de l’intérêt individuel. Mais cette représentation plurielle de l’intérêt apparaît comme finalement très singulière au regard de l’économie de marché qu’elle veut représenter, qui semble davantage tournée vers l’accumulation et le désir de richesses. Elle s’oppose aussi aux théories macro-économiques qui visent la croissance – et ne peuvent donc reposer sur une microéconomie d’agents désintéressés et ascétiques – comme aux politiques économiques tout entières vouées à la croissance des richesses mesurées par le produit intérieur brut. Elle entre en contradiction avec une construction historique des sciences économiques qui ont progressivement figé, tout en maintenant une ambiguïté théorique, une certaine conception de l’intérêt et de la rationalité, plus restrictive mais aussi plus conforme à une forme de vie dominante. Les représentations des sciences économiques ont aussi nourri autant que suivi la diffusion de cette forme de vie dominante capitaliste créatrice d’un sujet économique, c’est-à-dire soumis à une certaine représentation restrictive de l’économie, nommée parfois « économisme » (Laval, 2017 : 13). Ce « sujet de l’intérêt » que Christian Laval nomme « homme économique » est surtout le sujet d’une certaine forme, restrictive, de l’intérêt, au prix d’un glissement théorique souvent obscur qui vient légitimer une évolution historique des plus claires, qui se traduit par l’objectif de croissance économique. L’éloge de l’enrichissement, la valorisation de la richesse matérielle et la représentation d’une vie réussie comme vie riche – au sens de pourvue en richesses quantifiées et monétisées – conditionnent cette représentation de l’intérêt orienté vers le désir de richesses. La naissance du capitalisme et le développement de l’économie de marché ont conduit à un glissement progressif du sens du mot « intérêt », identifié progressivement à la « pulsion du gain », à la « soif d’argent » (Weber, 2003 [1904] : 35) ou simplement à l’« avantage économique » dans le langage ordinaire comme dans celui des sciences sociales.
Autrement dit, le « désir de choses agréables » se réduit aux choses économiques, quantifiées et marchandes (Hirschman, 2014 : 34), alors que, selon Albert Hirschman, l’intérêt a longtemps eu le sens de « ce qui importe, ce à quoi l’on aspire, ce qui est avantageux » et que la notion « s’étendait au contraire à l’ensemble des aspirations humaines, en impliquant toutefois un élément de réflexion et de calcul dans les choix des moyens de les satisfaire » (2014 : 34). Dans un sens large, l’intérêt s’identifie à l’ensemble des inclinations que l’humain cherche à satisfaire « de façon méthodique et raisonnable », incluant donc des considérations de prudence et d’efficacité, « quelles que puissent être les motivations profondes de ce comportement » (Hirschman, 2014 : 40). Avoir un intérêt, c’est accorder de l’importance à quelque chose (Laval, 2017). Mais progressivement, et ce, parallèlement à la naissance de l’économie politique, le sens du mot « intérêt » se restreint à « un type particulier de passion, dénommé jusqu’ici cupidité, avarice ou appât du lucre », pour servir à contrecarrer d’autres passions possiblement moins pacifiques, comme l’amour, la justice ou l’ambition (Hirschman, 2014 : 41). Ce déplacement de sens finit par vider la notion de toute connotation autre qu’économique. En effet, l’intérêt devient le désir de possession de richesses et le « désir d’améliorer son sort » par la recherche de commodités et de richesses, tel que l’avait affirmé Adam Smith : « Or une augmentation de fortune est le moyen par lequel la majeure partie des hommes se proposent et souhaitent d’améliorer leur sort ; c’est le moyen le plus commun et qui leur vient le premier à la pensée. » (Cité dans Hirschman, 2014 : 40) Le sens de la notion d’intérêt se restreint d’autant plus que la croissance économique ouvre, à un nombre toujours plus grand de personnes, de « sérieuses perspectives d’augmentation de fortune » (Hirschman, 2014 : 40). Cette vision restreinte de l’intérêt justifie les objectifs macroéconomiques de suppression de toute entrave à la recherche du profit, de libre échange en vue d’obtenir une croissance des richesses économiques, même si le lien entre bonheur individuel, amélioration de son sort et accroissement des richesses laisse parfois Adam Smith sceptique lorsque cet aspect devient explicite[4].
La restriction de la conception de l’intérêt s’accompagne d’un autre glissement, au niveau social et collectif, qui transforme l’objectif social d’émancipation, la promesse de vivre sans être tenu par la nécessité et d’éradiquer la misère, en objectif de croissance et d’accroissement des richesses. La recherche du maximum se substitue à la couverture assurée du minimum. Cette vision restrictive de l’intérêt, celle d’une « humanité économique » (Georges Bataille cité dans Laval, 2017 : 14), correspond aussi au « règne des quantités » qui façonne « l’homme économique », sujet occidental calculateur et réduit à des choix économiques de consommation et de production (Laval, 2017 : 12). Cette « évolution endogène », opérée « à l’intérieur de l’édifice » plutôt que par un « assaut extérieur », apparaît comme une « lente et irrégulière mutation du sens et des usages de mots anciens dont ceux d’utilité et d’intérêt, glissement très progressif qui n’en marque pas moins une rupture très prononcée dans la conception de l’ordre social et de l’édifice normatif » (Laval, 2017 : 29). Le texte de Thoreau comme la conduite de sa vie à Walden s’orientent tout entiers dans la contestation pratique et théorique de cette vision restrictive de l’intérêt, devenue dominante, que Thoreau assimile à des « préjugés » et qu’il conteste par l’explicitation de ses arbitrages et de ses calculs visant à façonner son existence selon sa propre définition de l’intérêt (2017 [1854] : 17). Cette vision restrictive et univoque de l’intérêt constitue la « cage d’acier » du capitalisme qui conduit les sujets économiques à identifier le bonheur à l’amélioration du niveau individuel de richesse. Cette réduction vaut aussi pour l’utilitarisme, réduit à l’égoïsme moral et à la recherche de richesses économiques quand bien d’autres formes d’utilités pourraient être recherchées (Caillé, 2003). C’est exactement le message que Thoreau adresse à ses concitoyens, celui de chercher leur utilité et de conduire leur vie selon leur propre boussole en se détachant d’un modèle de réussite imposé et centré sur le confort et la richesse matérielle.
L’opposition par la sobriété à la réduction de l’intérêt individuel à sa normativité économiciste s’accompagne d’une contestation d’une certaine représentation de la rationalité et des comportements rationnels qui donne à la rationalité économique une forme réduite et orientée en finalité ; ainsi la raison devient-elle utilitaire (Caillé, 2003). En économie, la rationalité consistant à poursuivre son intérêt et à maximiser, pour le consommateur, sa satisfaction ou son utilité, la restriction économiciste de la conception de l’intérêt induit un glissement normatif de la raison économique ou encore de la raison instrumentale (Taylor, 1992 : 100). La raison économique, dans ses présupposés, correspond à la rationalité en finalité décrite par Weber : elle se définit par la prévisibilité ou la calculabilité (Berechenbarkeit) et par le rapport entre les moyens mis en oeuvre et les fins poursuivies (Colliot-Thélène, 2011). La calculabilité est une des conditions nécessaires à l’émergence du capitalisme (calcul de profits, de coûts et de gains) dans la mesure où elle permet de prévoir l’effet des moyens employés et leur efficacité quant aux fins visées. Mais cette détermination téléologiquement rationnelle des conduites n’implique pas de fins déterminées : au contraire, la dimension réflexive de l’action porte à la fois sur les moyens adaptés aux fins et sur les fins elles-mêmes, confrontées à d’autres fins possibles. Selon la typologie de Weber, l’action téléologiquement rationnelle se distingue de l’action axiologiquement rationnelle (wertrational) par l’absence, pour cette dernière, de prise en compte par l’agent des conséquences anticipables de son action (Colliot-Thélène, 2011 : 24). Autrement dit, les impératifs moraux guident son action sans évaluation des conséquences et sans égard pour la prévisibilité de liens attendus entre un certain type d’actions et des conséquences puisque les valeurs sont leurs propres fins. Mais cela n’implique pas pour autant que les fins d’une action rationnelle en finalité soient prédéfinies – bien qu’il semble que Weber n’ait pas entièrement tranché ce point.
Or, en économie, dans la vie ordinaire comme dans les sciences sociales, la rationalité (et par là même la critique de la rationalité) a progressivement pris le sens d’adéquation entre des moyens et des fins déterminées et s’est identifiée à la recherche de son propre intérêt économique défini de manière normative. La rationalité en finalité se caractérise par une logique de l’intérêt égoïste opposée à une rationalité en valeur mue par l’altruisme. Ce glissement conduit à qualifier de rationnels ou d’irrationnels certains types de comportements économiques, non pas au regard de l’adéquation entre les moyens et les fins visées par l’agent, mais au regard de moyens et de fins présupposées rationnellement supérieures. La recherche du gain monétaire, par exemple, est identifiée à une fin souhaitable, heureuse, progressiste et donc rationnelle pour l’humanité. Ainsi, la rationalité procédurale glisse-t-elle d’une définition qui rapporte rationnellement les moyens aux fins à la rationalité utilitariste ou économique au sens étroit, orientée vers certaines fins jugées supérieures, comme le gain ou le profit, liées à une représentation positive d’une amélioration infinie des conditions matérielles d’existence. C’est à cette rationalité que s’oppose Thoreau sans pour autant rejeter une organisation rationnelle de sa vie économique orientée vers la limitation des besoins nécessaires et leur satisfaction adéquate. L’orientation particulière de la rationalité en finalité (Zweckrationalität), qui suppose certaines fins rationnellement supérieures, conditionne, dans un certain sens – capitaliste, dirait Weber –, les formes de vie. Pour autant, Weber ne considère nullement l’élection de cette forme de vie comme spécifiquement rationnelle (2019 [1904] : 63) : « Lorsque l’on envisage les choses du point de vue du bonheur personnel, [on] met en lumière l’irrationnel de cette conduite de vie, où l’homme se met au service de ses affaires et non l’inverse. » C’est aussi le sens des protestations de Thoreau contre la vie conformiste et une certaine définition du progrès : « Voici que les hommes deviennent les outils de leurs outils » (2017 [1854] : 47). L’émancipation individuelle comme le renversement d’un ordre économique passent par une délibération sur les fins et non la simple adhésion à une fin historiquement construite comme rationnelle et supérieure.
Weber suggère que ces fins se sont imposées par la logique d’un système économique, le capitalisme, et non par la recherche patiente du bonheur individuel. On comprend dès lors que la revendication du bonheur individuel puisse devenir une manière de contester en pratique l’esprit du capitalisme et que le calcul puisse être, lorsqu’il interroge les fins, une manière de s’opposer à une subjectivité capitaliste qui s’incarne précisément dans un certain mode de calcul, une forme de « prêt-à-calculer » que Thoreau refuse, explicitant ses propres calculs et ses propres finalités. Ainsi le calcul et la rationalité peuvent-ils, comme dispositions propres aux sociétés modernes, être détournés vers des fins différentes et devenir les outils d’une pratique critique d’un ordre économique. Le « paradoxe Walden » se trouve résolu : ce que conteste Thoreau, ce n’est pas l’idéal social de la liberté individuelle, c’est au contraire l’esprit du capitalisme, celui-là même qui contraint cette liberté et oriente la rationalité et le calcul vers des fins prédéterminées. De façon analogue, on comprend mieux comment l’idéal de choix individuel et les pratiques de calcul peuvent être saisis comme justifications à des écarts dans les modes de vie, petits ou grands, face à un ordre économique qui se manifeste à travers des normes sociales et institutionnelles de carrières, de formations, de professions, et finalement à travers une subjectivité imposée.
La résolution du « paradoxe Walden » conduit aussi à montrer l’insuffisance conceptuelle de la définition formelle de l’économie (Caillé, 2005 ; Polanyi, 2009 [1977] ; Postel et Sobel, 2008 ; Sobel, 2005 ;). En supposant que l’économie se réduit à l’adéquation efficiente entre moyens et fins, cette définition formelle raisonne à fins données. Elle invisibilise la nécessaire délibération sociale et politique sur les fins soit en étant très insuffisante pour qualifier une organisation économique dans laquelle les fins seraient purement individuelles, soit en identifiant simplement la logique rationnelle et une certaine orientation des fins caractérisée par la recherche de l’accumulation de richesses. L’expérience de Thoreau au lac Walden montre ainsi que l’application stricte de cette définition à une fin de sobriété s’oppose à un ordre économique et social dominant. Cette opposition renvoie à la seconde définition dite substantielle de l’économie posée par Karl Polanyi, qui se rapporte à la manière dont une société se coordonne pour organiser la subsistance matérielle. Ainsi l’économie prend des formes historiques et sociales particulières et contient nécessairement une représentation de la juste satisfaction des besoins matériels (Caillé, 2005 ; Polanyi, 2011 [1977] ; Sobel, 2005). La valorisation de la richesse et du travail producteur de richesses comme voie d’amélioration des conditions de vie en est une tout autant que l’autolimitation des besoins, variante d’une abondance fondée sur l’absence de tension sur le manque (Sahlins, 1976 [1972]). Le paradoxe tient au fait que la définition formelle a été identifiée à une certaine orientation substantielle de l’économie. Or la sobriété expérimentée par Thoreau s’oppose justement à cette forme d’organistaion de la production, l’ordre du capitalisme, nécessairement encastré dans des structures et institutions sociales, ce qui n’exclut pas la possibilité d’une rationalité formelle au service de fins alternatives. L’expérimentation individuelle de la vie sobre apparaît comme une critique en actes, à l’instar de pratiques préfiguratives contemporaines du désirable, d’un ordre économique qui ne s’appuie pas sur la pluralité des formes de vie mais impose sa propre logique économique. Cette critique en actes constitue une brèche dans l’ordre social susceptible d’éroder le capitalisme dans ses interstices (Wright, 2017, 2020). Cette critique individuelle par les pratiques ne s’oppose pas aux mobilisations collectives, mais peut combiner une protestation verbalisée (voice) et une protestation par la défection (exit) (Hirschman, 1995). Même à Walden, Thoreau contribue à l’organisation d’une manifestation contre l’esclavage qui prend sa cabane comme point de départ (Kaag et van Belle, 2023). Ainsi les voies de la critique individuelle ne s’opposent-elles pas aux actions collectives et peuvent même les nourrir.
L’ouvrage de Thoreau éclaire les ressorts subversifs de la vie sobre. En apparence individualiste, voire égoïste, conforme à la définition formelle de l’économie, elle énonce une critique en actes d’un ordre économique et dessine une possible expérience de libération. Le « paradoxe Walden » montre que cette critique touche à la fois à une subjectivité capitaliste, pour reprendre les termes de Weber, qui valorise un ordre de finalités (la consommation comme fin et le travail comme moyen au service de la production) et à une forme de rationalité, orientée par la définition restrictive de l’intérêt économique qui s’est imposée avec l’industrialisation et le développement du capitalisme. La spécificité du capitalisme n’est pas tant l’émergence d’une rationalité économique, même si elle en est une condition, mais une certaine orientation des fins, conforme à une définition substantielle de l’économie. Aussi cette critique en actes par la vie sobre appelle-t-elle une politisation des formes de vie qui, à l’instar des calculs de Thoreau pour évaluer sa satisfaction et de sa quête éthique des justes principes de vie, verbaliserait et expliciterait, pour pouvoir en délibérer, les principes qui fondent et orientent le système de production. Il apparaît alors que la vie sobre est autant une critique du travail que de la consommation, et que la réduction de la consommation se justifie par une réduction du travail contraint. Si la vie sobre devient une nécessité écologique, elle exige cette délibération politique sur les fins qui touche autant l’orientation désirable des formes de vie que la redirection du système productif.
Appendices
Notes
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[1]
Il s’agit du sous-titre de l’ouvrage Walden. La vie dans les bois, choisi par Thoreau dans la première édition du livre et qu’il a souhaité retirer dans les éditions suivantes (Granger, 2019). Le sous-titre est cependant maintenu dans certaines éditions françaises (Thoreau, 1922).
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[2]
Cet apprentissage autonome le rend habile à de nombreuses tâches. Robert Louis Stevenson (2009 [1880] : 24) rapporte le fait qu’un industriel, ayant observé sa dextérité à réparer la fenêtre d’un wagon, lui proposa sur le champ un emploi. Cette anecdote souligne la dimension consciente et choisie du refus du travail salarié par Thoreau. Son originalité ne lui interdisait nullement l’accès à un emploi.
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[3]
Il s’agit d’une anecdote livrée par Ralph Waldo Emerson dans l’article nécrologique qu’il consacra à Thoreau en août 1862.
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[4]
Dans Théorie des sentiments moraux (1759), Adam Smith fait état de ce scepticisme sur le bonheur associé à la richesse par la parabole du fils de l’homme pauvre, sans pour autant remettre en question l’objectif économique d’accumulation de richesses (2014. [1759] : 253-255). Le fils de l’homme pauvre, jeune homme ambitieux, rêve de palais plus grands que la chaumière paternelle, de carrosses plutôt que de marche à pied et de domestiques qui le servent. Au soir de sa vie, devenu riche, il juge ces plaisirs bien futiles et inconsistants. Aussi, dit Smith, le bonheur par les richesses n’est bien souvent qu’une illusion méprisable, voire insignifiante, mais une illusion socialement nécessaire pour permettre l’émancipation de la nécessité.
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