Mini dossier – Sherry Arnstein et l’idée d’une échelle de la participation citoyenne : réceptions, usages et horizons

La question récurrente de la participation civique et de ses effets pernicieux sur les principes de justice[Record]

  • Megan Mattes and
  • Edana Beauvais

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  • Megan Mattes
    Candidate au doctorat en science politique — Simon Fraser University

  • Edana Beauvais
    Professeure adjointe, Département de science politique — Simon Fraser University

Dès sa parution initiale en 1969, la publication de Sherry R. Arnstein intitulée « A Ladder of Citizen Participation » (« Une échelle de la participation citoyenne ») (1969 : 216) constitua un apport important à la littérature sur l’engagement civique. L’autrice y remettait en question « l’idée vénérée » selon laquelle la participation citoyenne est toujours bénéfique. Dans cet article majeur, Arnstein souligne que tous les processus participatifs ne sont pas source d’autonomisation, certains d’entre eux ayant l’effet pervers de légitimer les décisions préétablies par les détenteurs du pouvoir, tout en privant les participants d’une influence réelle. La typologie d’Arnstein, représentée par une échelle à huit niveaux allant des formes de non-participation à celles de pouvoir effectif, « a été conçue pour être provocatrice » (Arnstein, 1969 : 216) et a effectivement suscité une réponse polarisante. Dans ce court article, nous commençons par un bref examen de certaines critiques de l’échelle de la participation citoyenne d’Arnstein. Nous y ajoutons ensuite la nôtre, à savoir que le raisonnement d’Arnstein n’est pas suffisamment étayé par une théorie normative. Cependant, nous maintenons que la thèse centrale qui oriente son travail, c’est-à-dire l’idée que tous les processus participatifs ne sont pas bénéfiques et qu’ils peuvent même se montrer néfastes, est toujours hautement pertinente. Dans la deuxième partie, nous nous appuyons sur la théorie de la justice d’Iris Marion Young ainsi que sur la théorie de la démocratie axée sur les problèmes (problem-driven democratic theory) de Mark Warren pour élaborer un cadre théorique plus rigoureux permettant de comprendre la portée normative des processus participatifs. En d’autres termes, il s’agit de déterminer dans quelle mesure ces processus de participation citoyenne peuvent être jugés positivement – en favorisant la justice – et dans quelle mesure ils peuvent être jugés négativement – en contribuant à la création d’injustices. Nous approfondissons le projet initial d’Arnstein en nous intéressant à des processus participatifs axés sur la discussion ou la délibération, ceux-ci étant notablement absents de son article (voir Fung, 2006). Dans la troisième section, nous présentons des études de cas tirées de la base de données participative Participedia dans le but de montrer comment les formes discursives ou délibératives d’engagement citoyen peuvent favoriser différents principes de justice (ou créer des injustices). Dans un article de 2006, Archon Fung formule la critique et le prolongement les plus connus de l’échelle de la participation citoyenne d’Arnstein. Ainsi, Fung (2006 : 67) y mentionne qu’au xxie siècle, cette influente typologie apparaît « obsolète et inadéquate » à deux égards. Premièrement, elle confère à une échelle unidimensionnelle d’autonomisation (allant de l’absence de pouvoir au contrôle direct) une « approbation normative » en laissant entendre qu’un contrôle direct est l’option préférable. Comme le mentionne Fung (2006), il existe de nombreux cas où un tel pouvoir n’est pas adéquat. Deuxièmement, l’article d’Arnstein est daté. Comme l’a noté Fung (2006 : 67) il y a près de vingt ans, « la théorie et la pratique de la participation ont beaucoup progressé depuis la publication d’Arnstein ». C’est notamment le cas en ce qui concerne les processus participatifs axés sur la discussion ou la délibération. À ce qui précède, nous ajoutons une critique s’appuyant sur la mise en garde de Fung contre une glorification aveugle de l’attrait normatif d’un contrôle citoyen direct. En effet, l’échelle de la participation citoyenne d’Arnstein ne se fonde pas sur une solide théorie normative. Par théorie normative, nous entendons une théorie prescriptive établissant des normes ou des idéaux supérieurs et inférieurs. Arnstein définit le contrôle citoyen direct comme la forme la plus élevée ou la « meilleure » forme …

Appendices