Mini dossier – Sherry Arnstein et l’idée d’une échelle de la participation citoyenne : réceptions, usages et horizons

L’échelle d’Arnstein : mettre le pouvoir au pied du mur[Record]

  • Guillaume Gourgues

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  • Guillaume Gourgues
    Maitre de conférences en science politique — Université Lyon-2, Laboratoire Triangle (UMR5206)

L’article « A Ladder of Citizen Participation » de Sherry Arnstein reste, encore aujourd’hui, une référence incontournable de tous les travaux s’attaquant au sujet de la « participation citoyenne », ou plus précisément de l’offre de participation en provenance des autorités publiques. En 2019, John Gaber a d’ailleurs consacré un article très dense et très complet à l’héritage de l’article et à son actualité pour les professionnels et spécialistes de la planification urbaine, en revenant précisément et empiriquement sur la trajectoire de Sherry Arnstein, ses méthodes et le contexte de rédaction de l’article. En nous appuyant sur ce travail, et sur une relecture de l’article d’Arnstein, nous souhaitons, à notre tour, expliquer pourquoi il compte aujourd’hui comme une pièce fondamentale de l’analyse de la participation publique, et ce bien au-delà du seul domaine de la planification et de l’aménagement urbain. Nous insisterons, dans cette brève contribution, sur deux points essentiels. Premièrement, Sherry Arnstein livre une des toutes premières analyses critiques de la participation publique telle qu’elle se déploie réellement dans la conduite d’une action publique sectorielle. Cet article a donc largement ouvert la voie à l’étude de la participation ancrée empiriquement, sociologiquement et territorialement, en rupture avec une autre tradition, plus spéculative et théorique, qui émerge à la même époque. Deuxièmement, l’intégralité de son analyse critique repose sur un point de départ : la volonté des groupes sociaux les plus démunis (les « have-nots ») d’exercer eux-mêmes le pouvoir et le contrôle sur les décisions qui les concernent. L’évidence de cette demande sociale de participation nous interpelle, 55 ans plus tard, tant elle contraste avec la situation actuelle : celle d’une offre de participation qui semble être pensée et mise en oeuvre en dehors de toute demande concrète. Souligner ces deux points est une manière de pointer le risque d’un usage quelque peu aseptisé et dépolitisé de l’échelle d’Arnstein. Celle-ci n’a pas été inventée pour classer différentes manières de « faire participer », parmi lesquelles les autorités publiques pourraient choisir selon leur humeur ou les possibilités juridiques. Elle vise précisément à s’adresser aux responsables politiques et administratifs en pointant les problèmes des conceptions dominantes du « participatif » en circulation dans les institutions. L’échelle vise bien à être montée, de gré ou de force, et à exercer une pression sur les « powerholders » se complaisant à rester en bas, et nous renvoie, en cela, au positionnement de la recherche sur les formes de participation qui se déploient aujourd’hui. La trajectoire et la carrière de Sherry Arnstein en font l’archétype d’une « experte ». Travailleuse sociale, diplômée (de l’Université de Californie, en 1950, puis d’un Master en communication), formée aussi bien à l’animation de la participation qu’à l’enquête empirique, elle est intégrée au coeur de l’action publique. Après avoir participé à la mise en place de programmes d’action communautaire en matière de délinquance juvénile et de lutte contre le racisme dans l’accès à la médecine (Gaber, 2019), elle rejoint en 1967 l’équipe de pilotage du Model Cities Program (MCP) adopté, à l’échelle fédérale, sous l’impulsion du président Johnson après les émeutes de Watts, en 1965, et conduit par le département du logement et du développement urbain (Department of Housing and Urban Development, HUD). Cette position lui permet d’accumuler de nombreuses données empiriques sur la participation citoyenne telle qu’elle est concrètement mise en place lors de la première année du programme (1966-1967), dans différentes villes. L’article de 1969 découle directement de ce travail d’analyse dans et pour une action publique qui vise le développement des quartiers pauvres, très souvent noirs, en cherchant notamment à construire des formes de participation …

Appendices