Introduction

Inégalités d’appropriation du logement et de l’habitat[Record]

  • Hélène Bélanger and
  • Nadine Roudil

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  • Hélène Bélanger
    Professeure — Université du Québec à Montréal

  • Nadine Roudil
    Professeure — École Nationale Supérieure d’architecture de Paris-Val de Seine

Le logement, en tant que réalité physique offrant des possibilités de s’abriter et de pratiquer des activités quotidiennes, est central pour le bien-être physique et psychologique des populations, et pour le développement des milieux de vie. Mais cet objet investi matériellement et symboliquement par des ménages perd parfois de sa valeur d’usage pour devenir un simple objet de spéculation, et ce, à différentes échelles. Ces deux visions du logement (un droit fondamental versus un bien marchand) se confrontent dans l’espace public et médiatique, et influencent la fabrique de la ville, ce qui n’est pas sans incidence sur les trajectoires résidentielles des populations. Le processus de marchandisation du logement, dont ce numéro cherche à éclairer les caractéristiques les plus contemporaines, est engagé depuis la fin du XIXe siècle alors que certains États, dont la France, dévoilent les prémices de politiques publiques du logement. Ils adoptent les premiers actes législatifs concernant le logement social (1894) et, plus tard, les premières aides à l’accession à la propriété privée (1928). Ces moments, s’ils sont différents selon les pays, font néanmoins du logement un objet profondément politique partout dans le monde. Ce numéro a alors pour objectif d’éclairer les différents types de rapports socioinégalitaires d’appropriation du logement et de l’habitat dans ses formes individuelles et collectives, et dans ses différentes logiques à partir d’une mise en perspective internationale de la question. C’est à compter de la fin des années 1950 et des années 1960 que le logement devient un véritable objet de recherche au regard des travaux pionniers et militants de Paul-Henry Chombart de Lauwe (1959 et 1960) ou d’Henri Lefebvre (1961, 1968 et 2001 [1966]). Ils ont posé les bases de la réflexion de nombreux chercheurs issus de différentes disciplines (Clapham, Clark et Gibb, 2012). Ainsi, les travaux d’Henri Raymond et Nicole et Michel Haumont (1966) examinent, à travers la place prise par le « pavillonnaire » dans l’imaginaire populaire, l’émergence de l’accession à la propriété à partir de l’habitat individuel comme objectif de réussite sociale pour de nombreux ménages. L’incroyable popularisation de la maison individuelle comme mode de logement à travers le monde ne sera pas sans incidence sur la fabrique contemporaine de la ville. Elle fera de l’étalement urbain une variable des processus urbains de ségrégation et de financiarisation. Du côté anglophone, parmi les travaux qui ont fait école, on ne peut passer sous silence la contribution de Jim Kemeny (1980) qui a lié taux élevé d’accession à la propriété et faiblesse du filet social. Les études sur le logement (housing studies) ont donc aussi fait une grande place aux travaux réduisant le logement à une catégorie statistique et permettant de « mesurer » différentes inadéquations entre l’offre en logement et les besoins des populations. La question du logement est historiquement et régulièrement parcourue de crises que caractérisent les phénomènes de pénurie malgré les grands programmes de construction des années 1950 en Europe pris en charge par les politiques publiques. Demeurent alors des situations de plus en plus étudiées à partir desquelles se fabrique la marchandisation de la ville. L’accès au logement est perturbé par différents phénomènes, dont la gentrification propre aux quartiers anciens, particulièrement à partir des années 1980 (Bidou-Zachariasen et Poltorak, 2008 ; Ley, 1992). S’y ajoutent les crises du logement liées aux cycles de construction domiciliaire, par exemple à travers la théorie du filtrage (filtering down) et ses implications pour les politiques et les programmes qui avantagent les classes plus fortunées (Boddy et Gray, 1979). On pense également à différents problèmes vécus par les ménages, par exemple les problèmes de salubrité ou de surpopulation …

Appendices