Number 87, 2021 Inégalités d’appropriation du logement et de l’habitat Guest-edited by Hélène Bélanger and Nadine Roudil
Table of contents (12 articles)
Introduction
Section 1 – Les structures du rapport socioinégalitaire : l’État, les ménages et la finance
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Le logement étudiant, l’espace « générationné » et l’urbanisation capitaliste
Nick Revington
pp. 20–41
AbstractFR:
De nombreuses villes universitaires ont connu le phénomène d’« étudiantisation », par lequel la population étudiante se concentre dans certains quartiers urbains. Ce processus est souvent accompagné d’une variété de répercussions négatives telles que le bruit, le vandalisme, le mauvais entretien des propriétés, et, de plus en plus, le développement de résidences étudiantes privées. En m’appuyant sur des entretiens avec des informateurs clés et l’analyse de documents portant sur le cas de Waterloo (Ontario) — le plus grand marché de résidences étudiantes privées au Canada —, je soutiens que l’étudiantisation contemporaine est une caractéristique inhérente à l’urbanisation capitaliste. L’analyse conjugue l’approche des parcours de vie à des théories d’économie politique critique de la ville afin de démontrer comment l’étudiantisation, en tant qu’espace « générationné » défini par des notions socialement construites du mode de vie étudiant, est en même temps un producteur et un produit de l’urbanisation capitaliste. Cette distinction est créée et maintenue tant à l’échelle des quartiers qu’à une échelle plus large, par le biais des stratégies du secteur immobilier et des associations de résidents, et est renforcée par des interventions en aménagement à l’échelle locale, ce qui a souvent des conséquences négatives sur l’habitat étudiant. L’analyse montre également l’importance des différences générationnelles dans l’inégalité sociale et, par là même, fournit une nouvelle explication de la ségrégation selon l’âge. Afin de construire une ville « post-étudiantisation » équitable, la politique et l’aménagement devraient adopter une perspective intergénérationnelle qui prend en compte à la fois les dimensions de la classe sociale et de l’âge.
EN:
Many university cities have experienced a process of studentification, whereby students become concentrated in particular urban neighbourhoods. This process is often associated with a variety of negative impacts including noise, vandalism, and poor property upkeep, and increasingly, the development of purpose-built student accommodations. Drawing on key informant interviews and document analyses in the case of Waterloo, Ontario — Canada’s largest purpose-built student accommodation market —, I argue that contemporary studentification is an inherent feature of capitalist urbanization. The analysis combines a life course perspective with theories of urban political economy to demonstrate how studentification, as a form of “generationed” space delineated by socially constructed notions of the student life course stage, is both a product of, and serves to reproduce, capitalist urbanization. This distinction is produced and maintained at both the neighbourhood and broader scales, through strategies of the real estate sector and neighbourhood organizations, and is reinforced by local planning interventions, often with negative consequences for students’ housing experiences. The analysis also illustrates how generational differences matter to social inequality, and in doing so provides a novel explanation for age segregation. The imbrication of class and age dimensions in the context of studentification suggests a need for planning and policy to take an intergenerational approach that confronts both simultaneously in order to build a more just “post-studentification” city.
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Le prix de l’hospitalité : sur le « tournant hôtelier » de l’hébergement étudiant
Amel Gherbi-Rahal
pp. 42–63
AbstractFR:
Cet article interroge l’offre résidentielle montréalaise de plus en plus diversifiée, mais aussi plus segmentée qu’auparavant, proposée à la population étudiante. Il approfondit les travaux récents sur ce qui pourrait être qualifié de « tournant hôtelier » de l’offre résidentielle étudiante. L’article étudie l’hébergement des étudiantes et des étudiants internationaux à Montréal en s’appuyant sur les écrits existants et en mobilisant une lecture critique de l’hospitalité dite « intéressée », qui prend les traits de l’accueil marchand. Cet article fournit un éclairage empirique sur la marchandisation et la financiarisation de nouveaux segments de l’hôtellerie urbaine dédiée. L’analyse contribue à prolonger conceptuellement ces travaux et permet de comprendre le caractère hybride d’une offre de logements émergente, dont les logiques commerciale et contrôlée, enrobées dans les apparats d’une offre d’hospitalité « généreuse », contribuent à façonner des espaces de vie précarisant pour les étudiantes et les étudiants vulnérables.
EN:
Seeking to deepen recent discussions on what could be described as the hospitality turn in student accommodation, this article takes a closer look at the local housing supply intended for an increasingly diverse yet more segmented population. As part of an investigation into the hosting of international students, the Montreal context is analyzed in light of the literature on hospitality in management and tourism studies. By critically discussing « ulterior motive hospitality », this article provides empirical insights and contributes to conceptually extending the work on the commodification and financialization of new segments of the hospitality industry. The analysis thus sheds light on the hybrid character of an emerging housing supply whose commercial and contained logics, wrapped under the appearance of a « genuine hospitableness », contribute to shaping precarious living spaces for vulnerable students.
Section 2 – Les ménages face aux inégalités de logement : insécurité(s) et sécurité(s) résidentielles
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Se jouer des frontières du marché : stratégies résidentielles des classes moyennes autour de l’agglomération lilloise
Garance Clément
pp. 64–83
AbstractFR:
Partant du constat que les espaces frontaliers restent trop peu étudiés par les sociologues de l’urbain, cet article analyse les stratégies résidentielles de différentes fractions des classes moyennes originaires de l’agglomération lilloise et ayant déménagé en Belgique voisine. Comprendre les déterminants et les effets de leur repositionnement hors du quartier et hors du pays de résidence permet de mieux saisir le rôle des classes moyennes dans des dynamiques de ségrégation résidentielle qui se prolongent au-delà du territoire national. À partir d’entretiens conduits auprès d’habitant·es (n = 33) et d’acteur.trices participant à la construction des trajectoires résidentielles et migratoires (n = 31), l’article analyse trois temps de la migration (la formulation d’un projet de départ, sa réalisation concrète et le positionnement à l’arrivée), et met en lumière deux résultats principaux : premièrement, bien qu’elle favorise parfois des reclassements résidentiels atypiques, la migration transfrontalière a plutôt tendance à renforcer les écarts de position entre fractions hautes et basses des classes moyennes, car leurs ressources économiques et culturelles ne circulent pas avec la même facilité d’un pays à l’autre ; deuxièmement, les pratiques des acteurs du logement participent de ces écarts et contribuent à l’existence de processus discrets de tri social et urbain à l’échelle transfrontalière.
EN:
While border regions remain understudied by urban sociologists, this article focuses on the residential strategies of the French middle class moving to neighbouring Belgian cities. It analyses the determinants and the social effects of their mobility and sheds lights on the role played by the middle class in segregation dynamics that go beyond the national border. Based on interviews conducted with different fractions of the middle classes (n = 33) and actors involved in the construction of residential and migratory trajectories (n = 31), the article analyses three stages of migration (how the project to move is framed, its concrete realisation and the residential and social position obtained at the arrival). Two main results can be put forward: firstly, cross-border migrations tend to reinforce internal divisions within the middle classes because the economic and cultural resources of the lower and the upper middle class cannot circulate as easily from one country to the other; secondly, the practices of housing actors contribute to this growing division and take part in the discrete processes of social and urban fragmentation on a cross-border scale.
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Les pratiques de colocation des jeunes de classe moyenne : des stratégies résidentielles d’affirmation de soi dans un contexte d’incertitude ?
Patricia Loncle and Emmanuelle Maunaye
pp. 84–103
AbstractFR:
Dans le présent article, nous interrogeons le rôle que peuvent jouer les pratiques de colocation dans les parcours vers le logement autonome des jeunes de classe moyenne dans un contexte de précarisation de cette population. L’article est basé sur un corpus de 25 entretiens semi-directifs conduits auprès de 33 jeunes ayant entre 18 et 30 ans au moment de l’entretien (19 femmes et 14 hommes composent l’échantillon). Les entretiens ont été menés essentiellement dans une agglomération de taille moyenne entre 2018 à 2020. Le parcours résidentiel étant très lié au parcours de vie, une perspective biographique a été déployée pour saisir les cheminements, les bifurcations et les temporalités qui viennent marquer l’entrée et la sortie de la colocation. L’article montre que les pratiques de colocation permettent aux jeunes d’échapper au déclassement résidentiel. En outre, ces pratiques sont présentées comme des moyens, certes de répondre à des difficultés économiques, mais également de construire leur identité en optant pour des modes de vie collectifs. Enfin, ces pratiques peuvent être, selon les jeunes, plutôt pensées comme des parenthèses en attendant une installation en couple ou bien comme des choix durables de modes de vie remettant en cause les normes dominantes du passage à l’âge adulte. En conclusion, l’article insiste sur le fait que les pratiques de colocation des jeunes peuvent être considérées comme des moyens pour les individus de construire leur identité dans un contexte d’incertitude et de risques de déclassement social et résidentiel des jeunes de classe moyenne.
EN:
In this article, we question the role that sharing practices can play in the pathways to independent housing for middle-class young people in a context of precariousness of this population. The article is based on a corpus of 25 semi-structured interviews conducted with 33 young people aged between 18 and 30 at the time of the interview (19 women and 14 men in the sample). The interviews were conducted mainly in a medium-sized conurbation between 2018 and 2020. As the residential pathway is closely linked to the lifecourse, a biographical perspective was deployed to capture the paths, junctions and temporalities that mark the entry and exit of shared accommodation. The article shows that the practices of home-sharing allow young people to escape from residential decline. Moreover, these practices are presented as a means, certainly to respond to economic difficulties, but also to build one's identity by opting for collective lifestyles. Finally, according to the young people, these practices can be thought of as parentheses while waiting for a couple to settle down or as sustainable lifestyle choices that challenge the dominant norms of the transitions to adulthood. In conclusion, the article insists on the fact that young people's co-tenancy practices can be seen as a means for individuals to construct their identity in a context of uncertainty and risks of social and residential downgrading for middle-class youth.
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Le double écart : politique de déségrégation et normes familiales dans les beaux quartiers parisiens
Pascale Dietrich-Ragon, Camille François, Anne Lambert and Lydie Launay
pp. 104–124
AbstractFR:
Le rééquilibrage territorial en matière de logement social s’est imposé depuis les années 2000 comme un nouvel outil de l’action publique pour lutter contre la ségrégation urbaine. Dans les grandes métropoles soumises au renchérissement des prix immobiliers, des logements sociaux sont construits au coeur des quartiers bourgeois où leur part est historiquement faible. À partir de trois sources de données (fichiers administratifs de relogement, recensements à l’échelle infracommunale, monographies de familles relogées), cet article livre une analyse quantitative et qualitative des modalités et des conditions d’insertion des ménages relogés dans les quartiers bourgeois parisiens. Les populations relogées se distinguent non seulement des populations résidantes par des écarts de niveaux de vie et par des différences d’origine (phénomène déjà bien documenté), mais aussi du point de vue de leur structure familiale et des normes de genre. Nombreuses à être relogées dans ces quartiers, les femmes à la tête de familles monoparentales se trouvent confrontées au modèle de la famille nucléaire stable, prépondérante dans ces arrondissements, qui contrarie leurs chances et leurs expériences d’insertion locale.
EN:
Since the 2000s, the objective of territorial rebalancing in terms of social housing has become a new tool of public intervention to fight against urban segregation. In large metropolises subject to rising housing prices, social housing is being built in well-off neighborhoods where its share is historically low. Based on three sources of data (administrative re-housing files, censuses on an infra-municipal scale, monographs of re-housed families), this article provides a quantitative and qualitative analysis of the modalities and conditions of integration of re-housed households in Parisian well-off districts. The re-housed populations are distinguished not only from the resident populations by differences in standards of living and origin (a phenomenon already well documented), but also by differences in family structure and gender norms. Women at the head of single-parent families, many relocated in these neighborhoods, are in reality confronted on a daily basis with the norm of the stable nuclear family, which is prevalent in these districts, and which thwarts their chances and experiences of local integration.
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Point de vue de femmes et d’acteurs du milieu communautaire sur l’accès au logement à la sortie d’un contexte de violence : quand le spatial fix renforce la spirale de l’itinérance dans certaines régions administratives du Québec
Catherine Flynn, Simon Turcotte, Christophe Levesque, Pénélope Couturier, Julie Godin, Mélissa Cribb, Elie Fortin-Otis, Gabrielle Petrucci, Isabelle Marchand and Marie-Marthe Cousineau
pp. 125–149
AbstractFR:
Cet article présente les résultats de deux études semblables menées entre 2017 et 2020, au cours desquelles 68 entretiens de type récit de vie avec des femmes violentées ayant vécu une ou plusieurs situations d’itinérance ont été réalisés, ainsi que 17 groupes de discussion auprès d’intervenant·es communautaires oeuvrant auprès d’elles. Il expose une analyse féministe des obstacles rencontrés dans l’accès au logement dans certaines régions périphériques du Québec, au moment de quitter un contexte de violence conjugale. Il montre que la spirale de l’itinérance des femmes (Gélineau, 2008) peut être liée à leur fragilité économique à la sortie d’un contexte de violence, mais surtout aux inégalités (re)produites par le spatial fix. Les résultats illustrent 1) l’effet du développement économique, lequel est principalement axé autour des domaines traditionnellement masculins, sur le prix des logements, et 2) les difficultés à accéder, principalement pour les femmes seules, à un logement social. Par conséquent, les femmes tentant d’échapper à un contexte de violence sont contraintes 1) de se reloger dans un secteur éloigné des centres, loin des pôles de développement, renforçant du même coup leur précarité ; 2) de résider dans un logement vétuste ou d’être sujette aux abus d’un propriétaire ou d’un concierge dans les centres urbains régionaux ; ou 3) de retourner dans un contexte de violence.
EN:
This article presents findings from two similar studies conducted between 2017 and 2020. 68 lifecourse interviews were carried out with women who had experienced violence and one or more homelessness situations, as well as 17 focus groups with community workers. It suggests a feminist analysis of the obstacles encountered in accessing housing in remote regions of the province of Québec, when leaving a context of domestic violence. It shows that the spiral of women’s homelessness (Gélineau, 2008) can be produced by their economic fragility when they escape from a context of violence, which is reinforce by the inequalities (re)produced by spatial fix. Findings illustrate 1) the impact of economic development, which is mainly focused around traditionally male domains, on housing prices in development poles, and 2) difficulties in accessing social housing, mainly for single women. Consequently, women trying to escape a context of violence are forced to 1) relocate in a sector far from the poles, thereby reinforcing their precariousness due to problems of access to employment and resources; 2) being poorly housed in the development poles; or 3) making a return in a context of violence.
Section 3 – Les politiques du droit au logement : mobilisations, pouvoirs publics et tiers-secteur face aux inégalités
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Quand les groupes communautaires prennent le relais : réponses du tiers-secteur au mal-logement et à la gentrification dans deux quartiers tremplins d’immigration de Montréal
Chloé Reiser
pp. 150–174
AbstractFR:
Dans cet article, l’objectif est de présenter les initiatives mises en place localement par les organismes communautaires pour lutter contre le mal-logement au sein de deux quartiers tremplins d’immigration de Montréal. Basé sur une méthodologie qualitative, il s’appuie sur un travail d’observation participante mené pendant près de trois ans comme bénévole au sein de deux organismes de défense des droits des locataires, le Comité d’action de Parc-Extension (CAPE) et le Bureau Info Logement (BIL) de Saint-Michel. La recherche mobilise également l’analyse d’une trentaine d’entretiens semi-directifs conduits auprès de différents professionnels du secteur du logement dans les deux quartiers. Dans les quartiers Parc-Extension et Saint-Michel, les résidents, pour la plupart des travailleurs pauvres immigrants, font face à de nombreux problèmes d’insalubrité et de surpeuplement des logements, mais aussi aux impacts des dynamiques de gentrification qui s’opèrent dans ces espaces de transit. Pour répondre à ces différents enjeux et compenser le manque d’intervention criant des pouvoirs publics, les organismes communautaires se mobilisent et proposent des réponses innovantes allant de l’accompagnement individuel des locataires à la promotion du logement social à travers des manifestations dans l’espace public, en passant par la participation aux projets de développement de logements communautaires adaptés aux besoins des ménages. Cependant, alors que le tiers-secteur semble jouer un rôle de plus en plus important à l’échelle locale, on peut se demander si cette prise en charge des problèmes de mal-logement par les organismes communautaires ne participe pas à légitimer le manque d’intervention des acteurs institutionnels dans le secteur.
EN:
The aim of this paper is to present the initiatives implemented locally by community organizations to fight against poor housing in two transitional immigrant neighborhoods of Montreal. Based on a qualitative methodology, it uses participatory observation carried out over three years as a volunteer with two tenants' rights organizations, the Parc-Extension Action Committee, and the Bureau Info Logement in Saint-Michel. The research also mobilizes the analysis of about thirty semi-structured interviews conducted with various professionals in the housing sector in the two neighborhoods. In Parc-Extension and Saint-Michel, residents, most of whom are working poor immigrants, face many problems of insalubrity and overcrowding, but also the impacts of the gentrification dynamics taking place in these transit areas. To meet these different challenges and to compensate for the lack of intervention by public authorities, community organizations are mobilizing and proposing innovative responses ranging from individual support for tenants to the promotion of social housing through protests in the public space, and participation in community housing development projects adapted to the needs of households. However, while the third sector seems to be playing an increasingly important role at the local level, one may wonder whether this approach to the problems of poor housing by community organizations does not help to legitimize the lack of intervention by institutional stakeholders in the sector.
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Limites et défis du recours au modèle coopératif dans la mise en oeuvre des politiques étatiques d’habitation
Geneviève Breault
pp. 175–191
AbstractFR:
Dans le cadre de la refonte des pouvoirs des villes entreprise par le gouvernement provincial québécois, la Ville de Montréal s’est vue octroyer en 2016 le statut de métropole. Certaines responsabilités jusqu’alors provinciales lui ont été transférées, dont l’administration des enveloppes budgétaires dédiées à la réalisation de nouveaux logements d’habitation sociaux et communautaires. À la lumière de ce changement de paradigme historique qui confère à l’administration municipale la possibilité de se doter d’outils de planification, d’orientation et de réalisation de son parc de logements sociaux, cet article s’intéresse aux coopératives d’habitation en tant qu’outil privilégié sur le territoire montréalais pendant les 20 dernières années. Il se propose d’analyser l’exploitation d’une coopérative comme une forme de sous-traitance de l’État : ce dernier confie à des ménages à faible et modeste revenu la responsabilité d’offrir à ces mêmes ménages des logements abordables et de les gérer. Pour mieux comprendre comment les membres-locataires engagés dans la gouvernance de leur coopérative vivent les limites de cette forme d’autogestion, nous présenterons les résultats de onze entrevues individuelles menées à l’hiver 2019 auprès de membres ou d’ex-membres de conseils d’administration de onze coopératives d’habitation. Ces dernières permettent de dresser un bilan tiède comportant plusieurs critiques sur l’insuffisance de l’action gouvernementale pour offrir des programmes efficaces, mais également sur les limites et les défis du modèle coopératif. Celui-ci s’accompagne de plusieurs paradoxes, notamment quant à la sélection des membres et à leur implication au sein du projet résidentiel où ils habitent. Ainsi, l’empowerment, la prise en charge collective et la gestion démocratique apparaissent pour des répondant·es davantage comme des idéaux à atteindre que comme une réalité caractéristique du quotidien.
EN:
As part of the overhaul of the powers of cities undertaken by the Quebec provincial government, the city of Montreal was granted in 2016 the status of metropolis and transferred specific responsibilities in housing, including the administration of the budget envelopes dedicated to the realization of new social and community housing units. A In light of this historical paradigm shift which gives the municipal administration the possibility of acquiring tools for planning, orienting and building its social housing stock, this article focuses on housing cooperatives. as a privileged tool in Montreal for the past 20 years. It proposes to analyze the operation of a cooperative as a form of subcontracting of the State, while the latter entrusts the responsibility of providing and managing affordable housing for low and modest income households to these same households. To better understand how the member-tenants involved in the governance of their project experience the limits of this self-management, we will present the results of 11 individual interviews carried out in winter 2019 with members or former members of the board of directors of 11 different housing cooperatives. These allow us to draw up a lukewarm assessment comprising several criticisms of the inadequacy of government action to offer effective programs, but also of the limits and challenges of the cooperative model. This is accompanied by several paradoxes, especially in the selection of members and their involvement in the project they inhabit. Thus, empowerment, collective responsibility and democratic management appear to respondents more as ideals to be achieved than a reality that transcends everyday.
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La place des logements sociaux dans le mouvement des Villes en santé
Marie-Ève Desroches
pp. 192–211
AbstractFR:
Le mouvement des Villes en santé encourage les municipalités à intégrer la santé de façon holistique et transversale afin d’établir des mesures concrètes pour réduire les inégalités en matière de santé. De nombreuses municipalités canadiennes adhérant à ce mouvement sont actuellement frappées par une crise du logement qui touche particulièrement les femmes locataires cheffes de familles monoparentales. Cet article explore les liens entre ce mouvement et la création de programmes de logements sociaux avec soutien communautaire à travers l’étude de cas à Montréal, à Toronto et à Vancouver. En s’appuyant sur des entretiens avec des personnes clés et sur une analyse documentaire, il étudie notamment les liens entre ces stratégies municipales et les processus associés à la création de logements sociaux. La recherche confronte également la vision des personnes interrogées concernant la contribution des programmes pour la santé à celles décrites dans les stratégies municipales. Les résultats soulignent que, bien que le logement social constitue un champ d’action pour les Villes en santé, les stratégies municipales ne font que soutenir ou mettre sur pied des coalitions qui, ensemble, peuvent pallier l’absence ou les insuffisances des programmes publics pour le logement social. De plus, les initiatives de logements ne sont pas pensées comme une contribution à une Ville en santé, même si les personnes clés reconnaissent leur potentiel comme leviers pour promouvoir la santé des quelques ménages qui y résident. Ces résultats suggèrent que le mouvement au Canada dépend de communautés soucieuses de leur bien-être, mais surtout qui s’organisent en réseau, parvenant ainsi à surmonter le manque d’investissements publics afin de répondre aux besoins locaux de logements.
EN:
The Healthy Cities movement encourages municipalities to integrate health in a holistic and cross-cutting way to establish tangible actions to reduce health inequalities. Many Canadian municipalities within the Healthy Cities movement are currently experiencing a housing crisis that particularly affects female renters’ heads of single-parent families. This paper explores the connections between this movement and the creation of supportive housing programs through case studies in Montreal, Toronto and Vancouver. Based on key informant interviews and document analysis, it examines the connection between these municipal strategies and the processes involved in creating social housing programs. The research also compares their vision of the contribution of these programs for health to what is described in municipal strategies. The results highlight that while social housing is part of the actions to foster healthier cities, municipal strategies only support or create coalitions that can overcome the absence or inadequacies of public programs for social housing. At the grassroots level, the housing initiatives have not been thought of as contributions to Healthy Cities, although by key informants recognize them as levers to promote the health of the few households they serve. These results suggest that the movement in Canada depends on caring communities, but more importantly, working with a network to overcome the lack of public investment to meet those needs.
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« Logement d’abord » : présupposer une égalité dans la capacité à habiter pour lutter contre les inégalités dans l’accès au logement et le sans-abrisme
Élodie Gilliot, Nicolas Chambon and Léa Aubry
pp. 212–232
AbstractFR:
La politique du « Logement d’abord » initiée en France en 2018 invite à repenser les principes et modalités de l’accompagnement vers et dans le logement. Prenant en partie appui sur l’expérimentation « Un chez-soi d’abord », aujourd’hui pérennisée, le « Logement d’abord » vient remettre en cause un modèle d’accompagnement basé sur l’urgence sociale. L’État invite et encourage ainsi les collectivités (métropoles, communes, départements) à coopérer avec les associations pour mettre en place cette politique. Aussi, le « Logement d’abord » propose-t-il de fonder l’accompagnement vers et dans le logement sur une présomption d’égalité des capacités à habiter de chacun afin de lutter contre les inégalités dans l’accès au logement et contre le sans-abrisme.
Notre proposition s’appuie sur une enquête1, sur la responsabilité et l’animation du diplôme universitaire « Logement d’abord », et sur l’inscription dans un réseau d’acteurs du « Logement d’abord » à l’échelle nationale et internationale. Cette présupposition d’égalité des capacités à habiter invite en tout cas à nous intéresser davantage à la subjectivité de l’individu, au sujet, que des accompagnements orientés vers le rétablissement semblent favoriser. Cependant, des points de vigilance doivent être observés afin de ne pas accentuer d’autres formes d’inégalités.
EN:
The “Housing First” policy initiated in France in 2018 invites us to rethink the principles and methods of accompaniment towards and in housing. Based in part on the “Un chez-soi d’abord” experiment, which has now been made sustainable, “Housing First” calls into question a support model based on social emergency. The State invites and encourages local authorities (cities, municipalities, departments) to cooperate with associations to implement this policy. In this way, “Housing First” suggest grounding support towards and in housing on a presumption of equality of each person’s capacity to live in order to fight against inequalities in the process of accessing to housing and against homelessness.
Our proposal is based on a survey, on the responsibility and the coordination of the “Housing First” university diploma, and on the enrolment in a network of “Housing First” policies at national and international level. This presupposition of equality of capacities to live invites us in any case to be more interested in the subjectivity of the individual, in the subject, which accompaniments oriented towards recovery seem to favour. However, points of vigilance must be maintained in order not to accentuate other forms of inequality.
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L’appropriation de l’habitat à l’épreuve de l’accompagnement en santé mentale : le cas des personnes vivant en logement accompagné en France
Marcos Azevedo
pp. 233–254
AbstractFR:
Cet article analyse, d’une part, le travail d’intermédiation locative, de soin et d’accompagnement à domicile à destination de personnes atteintes de troubles psychiques graves et, d’autre part, les difficultés d’appropriation de l’habitat vécues par ces personnes. Cette analyse s’appuie sur une enquête de terrain réalisée dans une métropole française au sein d’une équipe chargée d’accompagner des patient·es psychiatriques vivant dans des logements accompagnés, une structure combinant l’offre d’habitat aux soins et à des interventions socioéducatives. L’article montre que, si cette équipe cherche à « sécuriser » les cohabitations en essayant de prévenir et de réguler des pratiques d’habitation jugées déviantes (isolement à domicile, incurie, squattage, consommation de drogues, par exemple), les résident·es expriment des sentiments d’insécurité (au sens d’instabilité) et des difficultés d’appropriation qui sont associés tantôt à leurs trajectoires résidentielles morcelées et vulnérables, tantôt à leurs conditions de vie et d’habitation (précarité économique, surveillance de leurs modes de vie, incertitude quant à leur avenir en matière de logement). La prise en compte du point de vue des personnes concernées permet de voir comment des pratiques supposées favoriser l’inclusion sociale, dans et par le logement, de personnes stigmatisées peuvent en vérité organiser des mécanismes de régulation et de contrôle de leurs modes de vie à domicile, de leurs pratiques de mobilité quotidienne et, in fine, de l’exercice de leur citoyenneté.
EN:
This article analyzes, on the one hand, housing and home support for people leaving with mental health conditions and, on the other hand, the difficulties of belonging and home-making that they face. This analysis is based on a field survey carried out in a French metropolis within a team delivering home-based care for psychiatric patients living in supported housing. Our results show that, while this team seeks to secure cohabitation, by trying to prevent and regulate housing practices that are considered deviant (home isolation, negligence, squatting, drug use, for example), residents express feelings of insecurity (i.e. instability) and show difficulties of taking possession of home that are associated with their vulnerable and fragmented residential trajectories, and with their living and housing conditions (economic deprivation, weight of cohabitation rules, uncertainty about their future housing situation). We seek to demonstrate, by integrating the point of view of residents, how practices that are supposed to promote the social inclusion of stigmatized people in and through housing can actually shape mechanisms for regulating and controlling their everyday living and mobility practices and, therefore, the exercise of their citizenship.