Abstracts
Résumé
Dans un contexte caractérisé par la volonté d’accroître la responsabilisation individuelle des salariés dans l’acquisition et le maintien de leurs compétences professionnelles, l’utilisation du numérique apparaît aux yeux de certains décideurs comme une solution pertinente pour former leurs employés plus rapidement et en lien plus direct avec la stratégie des entreprises. Mais au-delà des principes séduisants, que montrent les expérimentations en cours ?
Pour apporter des éléments de réponse, nous nous appuyons dans cet article sur une enquête qualitative réalisée auprès des apprenants et des formateurs qui ont suivi — voire, pour certains, qui ont mis en place — une formation à distance entièrement numérisée (Corporate Open Online Courses ou COOC) au sein d’une grande entreprise. Nous pointons l’importance du taux d’abandon chez les apprenants, les difficultés des formateurs à exercer leur nouveau rôle d’animateur, et soulignons les discontinuités que la numérisation de la formation induit sur les espace-temps de travail et sur les interconnaissances professionnelles. Nous montrons également que ces discontinuités ont des effets différenciés sur les capacités d’apprentissage des salariés. Grâce à l’approche par les capacités d’Amartya Sen, nous interprétons ces constats en termes de facteurs de conversion (environnementaux, sociaux, individuels). Nous soutenons que c’est l’absence de ces trois catégories de facteurs qui explique, pour les apprenants et pour les formateurs, les discontinuités rencontrées et les inégalités dans la maîtrise des nouveaux dispositifs de formation. Enfin, nous esquissons des pistes pour repenser la numérisation de la formation continue, afin de réduire les risques d’inégalités sociales cristallisées autour de ce type de dispositifs technico-pédagogiques.
Mots-clés :
- numérique,
- formation,
- COOC,
- environnement capacitant,
- espace,
- temps,
- interconnaissance,
- discontinuité
Abstract
In a context characterized by the desire to increase the individual responsibility of employees in the acquisition and maintenance of their professional skills, the use of digital devices appears to some decision-makers as a relevant solution to train their employees more quickly and in a more direct link with business strategy. But beyond these attractive principles, what do the current experiments show?
To provide some answers, in this article, we rely on a qualitative survey of learners and trainers who have followed - or, for some, implemented - fully digitized distance learning (Corporate Online Open Courses), within a big company. After having indicated the importance of the dropout rate among learners and the difficulties of trainers in exercising their new role of facilitator, we highlight the discontinuities that the digitalization of training induces in terms of working time-space and professional interknowledge networks. We also show that these discontinuities have differentiated effects on the learning abilities of employees. Based on Amartya Sen's capacity approach, we interpret these findings in terms of conversion factors (environmental, social, individual). This allows us to argue that it is the absence of these three categories of factors which explains, for both learners and trainers, the discontinuities encountered and the inequalities in the mastery of the new training devices. Finally, the same framework of analysis allows us to sketch out ways to rethink the digitalization of professional training in order to reduce the risks of social inequalities crystallized around this type of technical-educational devices.
Keywords:
- digital,
- training,
- vocational training,
- COOC,
- enabling environment,
- time-space,
- interknowledge,
- discontinuity
Appendices
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