Les analyses des transformations actuelles de l’État, et particulièrement de l’État sous sa forme providentielle, sont souvent menées en fonction d’une lecture critique du néolibéralisme associée à une analyse des ravages du capitalisme financier et de la pression qu’il exerce sur la réduction des dépenses et de la dette publiques. L’intention de ce numéro est de tenter d’éviter de recourir à une telle grille d’analyse qui, certes, demeure pertinente, mais limitée en raison du primat qu’elle accorde à l’analyse économique (et particulièrement la notion de crise économique) pour comprendre ces transformations. Nous proposons plutôt de privilégier une analyse des processus d’informalisation de l’action de l’État, à l’oeuvre tant aux plans politique, juridique, social, culturel qu’économique, et de répondre à la question : Qu’entendons-nous par processus d’informalisation ? Les notions d’informalité, de secteur informel, de travail, d’emploi, de commerce, d’habitat informels ont été développées au cours des années 1970 sous l’impulsion des grands organismes internationaux en rapport avec l’idée de « sous-développement » des sociétés du Sud. Dans cette perspective, l’informalité était caractérisée comme une manifestation de sociétés traditionnelles qui n’avaient pas encore accédé à la modernité dans leur totalité et dont on pensait que de larges pans allaient progressivement, dans une dynamique de « développement », s’intégrer à une société moderne de consommation constituée par l’expansion d’une classe moyenne de salariés et dirigée par une technocratie éclairée. À partir des années 1990, sous les pressions de la concurrence à l’échelle planétaire, d’une recherche sans cesse accrue de productivité et de profit à court terme, l’informalité a changé de statut : elle est devenue hypermoderne dans le sens où le recours à l’informalité apparait désormais comme la condition d’une productivité et d’une compétitivité accrues pour les entreprises et pour le commerce. De nouveaux outils apparaissent (tels la dérégulation, les partenariats public-privé, les villes créatives), autant de façons légitimes de parler de processus qui s’apparentent à ce que les économistes des années 1970 et 1980 appelaient l’informalité. L’informalité peut dès lors être analysée comme un phénomène situé au coeur et non pas à la périphérie des réalités étudiées, non pas comme une manifestation de sous-développement, un défaut de régulation ou de planification, mais bien comme une condition essentielle de la performance et de la productivité à l’échelle mondiale, transformant et renouvelant la compréhension que nous avions de l’évolution récente des sociétés. En d’autres termes, on passe d’une conception essentialiste et stable de l’informalité à une conception relative, interactive et mouvante de cette informalité. Elle ne se définit plus dans une opposition entre le formel et l’informel, elle n’est plus l’attribut de secteurs archaïques et pauvres qui échappent au « développement » et dont la survie relèverait de la « débrouille ». Cette nouvelle informalité se trouve dès lors induite par le retrait voire la disparition de la régulation étatique, ou à tout le moins étroitement associée à ce processus d’affaiblissement généralisé qui détermine une autre stratégie d’allocation des ressources, d’accumulation et de source d’autorité, développée parfois par l’État, parfois par des intérêts organisés, grandes entreprises multinationales, réseaux financiers spéculatifs, cartels licites ou illicites, mafieux ou non. En ce sens, l’informalité loge au coeur même de l’action de l’État. Elle est partie intégrante de ses politiques et stratégies, autant que de celles des entreprises globalisées ou des trafics globalisés. Si plusieurs travaux ont montré il y a longtemps que le formel et l’informel sont interdépendants, ce n’est qu’avec la montée en force des perspectives postcoloniales dans la littérature anglo-saxonne que cette articulation, de même que la porosité entre le formel et l’informel ont été re-théorisées. Cette informalité, d’abord associée …
PrésentationL’État en processus d’informalisaton[Record]
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Julie-Anne Boudreau
Professeure – INRSFrédéric Lesemann
Professeur – INRS
Ancien Directeur de la revueClaude Martin
Directeur de recherche – CNRS
Directeur de l’UMR 6051-CRAPE – Université de Rennes 1, Sciences-Po Rennes, EHESP
Codirecteur de la revue