Thème 2 – État social et pauvreté

État social et pauvretéPrésentation du thème[Record]

  • Sylvain Lefèvre and
  • Nicolas Duvoux

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  • Sylvain Lefèvre
    Professeur – ÉSG, UQÀM

  • Nicolas Duvoux
    Professeur – Sociologie, Université Paris 8

Avec la collaboration de

Stéphanie Gaudet, professeure – École d’études sociologiques et anthropologiques, Université d’Ottawa

À propos des questions sociales et du rôle de l’État, la lecture des articles de Lien social et Politiques du début des années 1980 restitue les différentes dimensions d’un tournant. Premièrement, la critique de l’État, portée par les mouvements sociaux, est centrée sur sa dimension technocratique. L’analyse de la trajectoire des CLSC (Centres locaux de services communautaires), proposée par Bélanger et Lévesque (1988), rend bien compte de cette tension. Initié par des mouvements sociaux dans les années 1970 au Québec, ce dispositif décentralisé et dirigé par la population locale est progressivement « mis au pas », à mesure qu’il s’institutionnalise à la fin des années 1980, par la voie des dynamiques de contractualisation et de marchandisation. Une seconde dimension est mise en débat dans un numéro de 1985 ayant pour thème « La réflexion sur le local ». Le grand reflux de la dynamique de centralisation laisse place à de nouveaux acteurs, mais au Québec comme en France, c’est la « crise » qui structure le questionnement, qui fait apparaître des opportunités en même temps qu’il conduit à une involution de la dynamique historique fondamentale de centralisation des fonctions sociales (De swaan, 1988). Au Québec, ce tournant s’incarne par exemple, à l’échelle locale, à travers une élection municipale dans un petit village en 1983. Se font face, d’une part, une génération au coeur de la Révolution tranquille, dont sont issus de jeunes intellectuels et fonctionnaires adeptes d’une vision du développement impulsé par l’État et, d’autre part, la génération précédente, avec à l’avant-plan des notables locaux, agriculteurs et petits commerçants. Un documentaire et un débat entre des chercheurs et un réalisateur s’intéressent aux significations de la victoire des seconds qui « reprennent » le pouvoir, comme « premier symptôme du backlash généralisé » (RIAC/RICD, 1985). Ces transformations au Québec sont synchroniques d’évolutions de l’autre côté de la frontière américaine. En effet, le thème du backlash est aussi structurant dans le dossier de 1986 sur les politiques sociales aux États-Unis, qui restitue les lignes de force d’un débat à la fois universitaire et politique. Jenkins et Miller (1986) dénoncent les dé-gâts sociaux des compressions budgétaires, tandis que Charles Murray propose au contraire d’abroger les programmes sociaux (Murray, 1986)dans « L’assistance sociale, une proposition ». Dans la lignée de son ouvrage Losing Ground, publié en 1984, il développe une perspective malthusienne caricaturale, mais dont les thèmes feront florès par la suite : critique d’une « culture de la dépendance » qu’entretiendrait l’État social, « préférence pour le chômage » de certaines populations (notamment les familles noires monoparentales), moralisation de la question sociale, nécessité de la conditionnalité de l’aide grâce au workfare (Work-for-Welfare). L’implication de l’État dans la réponse à la nouvelle question sociale, et la définition de son rôle et du périmètre de son intervention, concomitant de l’essoufflement des dynamiques sociales des Trente Glorieuses, sont au coeur des numéros publiés entre 1988 et 1995. La portée et la mesure exacte du rôle de l’État relèvent aussi du fait qu’il a été précédé par une providence non étatique (Fecteau, 1995), sous l’orbite de philanthropes, et qu’il soit intervenu comme tiers dans les relations économiques et sociales au cours du XXe siècle. De même, l’intervention de l’État a conduit à une déterritorialisation des solidarités, largement mises en oeuvre au niveau local. « Repenser les solidarités étatiques », tel est en effet le titre de la présentation donnée au numéro de 1988 (Hamel, 1988). Réagissant à l’idée d’une « crise de l’État-providence » diffusée en France notamment par Pierre Rosanvallon (1981), les coordonnateurs du numéro mettent en lumière le déclin des prérogatives …

Appendices