Thème 1 – Savoirs

SavoirsPrésentation du thème[Record]

  • Renaud Crespin and
  • Carole Clavier

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  • Renaud Crespin
    Chargé de recherche – Sociologie, CNRS, CSO/CNRS/SciencesPo, UMR 7116

  • Carole Clavier
    Professeure – Science Politique, UQÀM

Avec la collaboration de

Johanne Charbonneau, professeur – INRS

Rétrospectivement, extraire le sujet du savoir pour en retracer les variations épistémiques dans les archives de Lien Social et Politiques est un moyen heuristique de mettre en lumière certains déplacements de problématiques qui signent des changements plus profonds sur la manière dont les sciences humaines et sociales conçoivent et définissent leur rapport avec leurs environnements social et politique. Partant d’un point de vue critique sur l’accès inégal au savoir académique, la question du savoir ouvre, dans les années 1980, une réflexion sur une possible coproduction entre savoirs savants et savoirs pratiques ou populaires (Dubet et Wieviorka, 1981 ; Pineau, 1979 ; Thielen et Hotat, 1979 ; Zuniga, 1981). Cette coproduction du savoir devait viser, si ce n’est une transformation radicale, du moins une réforme possible de la société par l’alliance entre les sciences sociales et les acteurs sociaux, en particulier le monde associatif, les mouvements sociaux et les groupes d’éducation populaire. Ainsi, Pineau (1979) soutient que pour démocratiser le savoir, et ainsi contrer le compromis historique entre les universités, les syndicats et le patronat, il convient de développer un réseau plus dense entre les universités et les groupes des milieux populaires. Vingt-cinq ans plus tard, Lochard et Simonet-Cusset (2003) réitèrent la nécessité de reconnaître pleinement la légitimité des savoirs produits dans le monde associatif ainsi que leur rôle politique. Le bilan critique de cette expérience d’articulation entre recherche et action (Franck, 1981) conduit alors à devoir réinterroger la place des savoirs scientifiques, dont ceux des sciences sociales, dans les processus de décision politique (Fisette et al., 1986). Le constat est sombre : loin d’être un facteur de démocratisation, le recours aux savoirs scientifiques, désormais cantonné à l’expertise, restreindrait l’espace de la participation populaire au profit de pouvoirs institués, qu’ils soient politiques ou industriels. Dès le milieu des années 1980, la revue en tire les conclusions nécessaires. Désarticulées du mythe du progrès, du projet démocratique et de l’horizon de l’émancipation populaire, les sciences sociales perdent leurs principes fédérateurs pour entrer en crise. Le savoir doit désormais s’écrire au pluriel. Au cours des années 1990, les préférences de la revue vont vers des textes qui interrogent de manière réflexive non seulement les conditions de production et de diffusion des savoirs de sciences sociales, mais qui proposent en outre une approche critique de leurs usages et des demandes sociales qu’ils suscitent. Ces enjeux se traduisent, dans la revue, par des textes qui interrogent le décalage entre la production de connaissances et l’action (Martin et Chopart, 1988). Nelkin (1986) analyse les ambigüités de la reconnaissance des scientifiques qui cherchent à participer à l’action publique : souvent critiqués par leurs pairs, ils font aussi face à la méfiance des décideurs. Pour Soulet (1986), cette question se décline selon trois modes : du plus distancié de l’action au plus impliqué, en passant par une posture de négociation constante de la différentiation entre recherche et action. Afin de maintenir une forme d’autonomie du questionnement des sciences sociales, les recherches publiées rendent visibles les articulations, les bricolages et les agencements de savoirs multiples qui sont au principe de nouvelles professions ou pratiques sociales à l’intersection de la science et du marché (les médecines douces, l’évaluation). En mettant en lumière ces bricolages, le travail de Fortin (Fortin, 1990 ; Sévigny et al., 1990) sur les médecines douces dénonce l’emprise du paradigme dominant de la recherche scientifique (néo) positiviste, qui empêche la reconnaissance des savoirs populaires et traditionnels. En étant parvenue à sauvegarder l’originalité de son approche, la revue se donne, au début des années 2000, la possibilité de se saisir à nouveau de la question des usages …

Appendices