Vue dans une perspective historique, cette question appelle, sans contredit, une réponse positive. Pendant des siècles, la loi et les politiques ont d'une façon très explicite distingué entre le féminin et le masculin et structuré les droits et les actions de chacun des deux sexes. Les common laws et les codes civils ont accepté certains comportements comme légitimes chez les hommes mais tout à fait inacceptables chez les femmes. Pensons par exemple au divorce, à l'adultère et aux responsabilités parentales avant les années 1960 et 1970. Jusque-là, les systèmes de protection sociale des régimes libéraux ont distingué clairement les veuves, qui méritaient une prestation pour éduquer leurs enfants parce qu'elles « avaient eu » un homme, et les « filles-mères », qui n'avaient pas respecté les normes de la vie matrimoniale. Pensons à la loi française, qui jusqu'en 1984 n'ouvrait qu'aux mères l'accès aux congés parentaux. Pensons aux codes du travail, qui acceptaient non seulement les échelles salariales différenciées selon le sexe mais l'exclusion de toutes les femmes ou des femmes mariées des postes les plus importants. Dans ces cas, la loi privait les femmes d'une autonomie économique et de la possibilité de vivre de façon autonome, hors de la tutelle d'un homme, qu'il s'agisse d'un père ou d'un mari. En mettant l'accent sur les problèmes à résoudre et sur les cibles à atteindre, les politiques publiques, globales comme sectorielles, ont souvent renforcé des comportements et des identités « genrés ». On a vu des décideurs opérer des distinctions importantes entre les politiques qui ciblaient les hommes et celles qui s'adressaient aux femmes. C'est le cas du code du travail, qui « protégeait » les femmes, comme les enfants, tandis que les dispositifs touchant le travail masculin suivaient des principes différents. Oui, les politiques publiques ont un genre… De nos jours, la question posée dans ce numéro de Lien social et Politiques reçoit néanmoins — et de plus en plus — une réponse négative. Nombreux sont les décideurs, les chercheurs et les citoyens qui ne voient pas d'effet différencié aux politiques et aux droits, aux comportements et aux attitudes de chacun des sexes. Un discours de « neutralité » et des déclarations d'égalité des droits rendent ainsi souvent invisible le genre des politiques publiques. Que s'est-il donc passé ? Après la Deuxième Guerre mondiale, un discours égalitaire a miné la légitimité des politiques ouvertement sexuées. Par exemple, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 proclame que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », et plusieurs constitutions de l'après-guerre, y compris celle de la quatrième République française et la Constitution italienne, ont doté les femmes de droits égaux. Le discours d'égalité exigeait un traitement neutre. Dans les années 1970 et 1980, les congés de maternité ont été rebaptisés « parentaux » dans plusieurs pays. On a examiné à la loupe le divorce, la loi fiscale, le code du travail pour éliminer les distinctions qui pourraient rendre légitime un traitement discriminatoire. Les femmes, comme les hommes, peuvent dorénavant travailler la nuit, accéder aux grandes écoles et aux postes « non traditionnels ». Les pères, comme les mères, peuvent prendre un congé parental ou toucher l'Allocation parentale d'éducation. L'aide sociale est versée aux mères célibataires sans égard à leur état civil. L'heure était donc à la neutralité et au traitement « égal » de tous les citoyens. La force de ce discours égalitaire était telle que, jusqu'à une période récente, on laissait peu de place à l'analyse différenciée selon le sexe au niveau de l'élaboration des politiques publiques, de leur contenu, de leur …
Les politiques publiques ont-elles un genre ?[Record]
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Renée B.-Dandurand
INRS-Urbanisation, Culture et SociétéJane Jenson
Département de science politique
Université de MontréalAnnie Junter
Université Rennes 2, Infed