Introduction

Redessiner les contours de l’État : la mise en oeuvre des politiques migratoires[Record]

  • Camille Hamidi and
  • Mireille Paquet

…more information

  • Camille Hamidi
    Maîtresse de conférences en science politique, Université Lyon II, laboratoire Triangle

  • Mireille Paquet
    Professeure associée, département de science politique, Chaire de recherche de l’Université Concordia sur la nouvelle politique de l’immigration

L’action publique dirigée vers les dynamiques migratoires représente un point de vue particulièrement fécond pour observer l’État. Ce dossier de Lien social et Politiques regroupe des recherches qui portent sur les logiques contemporaines de mise en oeuvre des politiques migratoires en Europe, en Amérique du Nord et en Guadeloupe. Ce faisant, les contributions regroupées dans ce numéro permettent de mieux comprendre comment se vivent les politiques migratoires au jour le jour, au-delà des discours des élus ou des lois sur papier. Surtout, les recherches dialoguant dans ce numéro spécial confirment que, dans le domaine migratoire — tout comme dans d’autres domaines d’action publique, telles les politiques sociales —, l’État se transforme de façon multidirectionnelle et que la mise en oeuvre est un site central de négociation de ces changements : les acteurs agissant en son nom évoluent, les chaînes d’acteurs se complexifient, les responsabilités se diluent et les logiques néo-managériales s’entrecroisent avec des formes de débrouille qui s’institutionnalisent. Deux concepts unissent les textes de ce numéro spécial : celui des politiques migratoires et celui de leur mise en oeuvre. De façon générale, les politiques migratoires sont ici comprises comme l’ensemble des actions publiques qui visent au contrôle, à la sélection, à l’incorporation, ainsi qu’à la naturalisation des populations comprises comme étrangères ou immigrées (Hamidi et Fischer, 2016 : 5 ; Paquet, 2017). Ces politiques peuvent être explicitement présentées par les États comme prenant pour populations cibles les groupes immigrants. Elles peuvent aussi avoir des objectifs officiels plus généraux, mais agir comme mécanisme de contrôle des populations immigrantes. Les contributions regroupées dans ce numéro spécial s’inscrivent dans cette acceptation large tout en analysant des pratiques et des cas particuliers : les politiques de détermination du statut de réfugié ou d’accès au droit d’asile, de reconnaissance de la minorité, de contrôle frontalier et d’expulsions, d’intégration sociale et économique, d’immigration « choisie », ainsi que les programmes de gestion de l’immigration temporaire. Ce regard élargi sur l’action publique dans le domaine migratoire rompt avec la spécialisation croissante des études dans ce domaine. En effet, le développement actuel des études sur l’immigration dans les sciences sociales tend à s’effectuer autour de thématiques ou de domaines de politiques particuliers, les politiques des réfugiées, le droit de la nationalité, les enjeux économiques des migrations, etc. (Brettell et Hollifield, 2015). Cette tendance est justifiée par la complexité des thématiques migratoires et par le besoin de développer des outils pour rendre compte de réalités en partie uniques à chaque domaine (Fitzgerald, 2012 ; Freeman, 2005 ; Martiniello, 2013). Sans la critiquer, ce numéro fait le pari inverse : il propose de croiser l’étude de ces domaines de politiques, à l’aide d’un regard centré sur la mise en oeuvre, afin de rechercher des convergences et des divergences transversales. Le résultat de ce pari est l’identification d’une série de thématiques qui traversent les géographies et les sous-types de politiques migratoires. La mise en oeuvre des politiques publiques correspond aux actions qui sont déployées pour réaliser les mandats, les lois, les politiques et les programmes énoncés par un gouvernement ou des détenteurs de pouvoir exécutif (Mazmanian et Sabatier, 1989 : 20-21 ; Pressman et Wildavsky, 1984 ; Padioleau, 1982). Il s’agit des politiques publiques telles qu’elles sont réalisées sur le terrain, par le biais de multiples pratiques et d’interactions (Tomkinson et Miaz, 2019). Les études sur la mise en oeuvre des politiques — qui regroupent des chercheurs issus de multiples disciplines en sciences humaines et sociales — partagent le postulat selon lequel l’action publique doit être analysée par le biais de ces décisions et actions, plutôt que par un recours unique …

Appendices