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Avec son troisième tome consécutif chez Kentucky, Urban Guerrilla Warfare, Anthony James Joes, professeur de science politique à l’université de Saint Joseph (SJU), ajoute à son œuvre un sixième volume sur la guérilla. Ses lecteurs fidèles seront au fait de la composition, voire du contenu, de cette addition. L’ouvrage s’étale sur sept chapitres, chacun décrivant un cas spécifique nommé d’après l’endroit géographique de l’action et placé dans l’ordre chronologique : Varsovie (1944) ; Budapest (1956) ; Alger (1957) ; Sao Paolo (1965-1971) et Montevideo (1963-1973) ; Saigon (1968) ; l’Irlande du Nord (1970-1998) ; et Grozny (1994-1996). Les chapitres ont en commun une structure interne — l’auteur présente une situation et son arrière-plan lointain et proche, un moment de guérilla urbain, et une analyse brève de l’action et de son issue. Le résultat est une collection compacte qui dépeint un panorama de guérilla urbaine sur quatre continents et sur des décennies. Avec des esquisses concises et claires dans les passages historiques, Joes montre qu’il mérite la réputation qui le précède d’avoir une prose agréable à lire. C’est sans doute pour sa perspective globale et son exposition détaillée que ce livre a été reconnu comme œuvre importante pour l’éducation par Choice, le journal de l’Association améri-caine de la bibliothèque.

Mais on peut pourtant s’inquiéter du message qu’en retireront les étudi-ants, car Joes se préoccupe très peu de l’analyse. Sa thèse, exprimée avec plus ou moins de précision et de nuance à plusieurs reprises dans le texte, est que toute guérilla urbaine est destinée à échouer car elle transgresse les lois justes et les procédés établies des grands penseurs et pratiquants de la guerre, ceux qui reconnaissent que le succès de la guérilla dépend des conditions rurales (bases inaccessibles, vaste terrain d’opération, choix d’engagement, etc.) (e.g., pp. 7, et 157). Vraisemblablement, Joes voit la contradiction entre cette thèse principale et sa position parallèle justifiant ce livre : la guérilla urbaine est en train de s’accroître et la contre-insurrection urbaine réclame de l’attention. Il semble également saisir que sa première explication sur ce désaccord, celle d’une urbanisation et d’une progression de technologie qui devance la guérilla classique (pp. 1-2), ne résout pas la tension, car elle ne donne aucune raison pour laquelle les guérillas urbains ne peuvent pas modifier ou abandonner leur tactique futile.

Face à cette antinomie, Joes — qui décrit les insurgés dans des termes qui s’approchent de la définition courante de la folie (répéter les mêmes actions en attendant des résultats différents) — opte régulièrement pour une interprétation psychologique, méprisant les guérillas urbaines comme irrationnelles, immatures, et pathétiques (e.g., pp. 75, 83, et 159). Cette échappatoire permet à Joes de se prononcer sur les débats et les « crimes » de ses cas individuels (Staline et le massacre de Katyn, la torture et les harkis dans la guerre d’indépendance algérienne, la presse occidentale et l’Offensive du Têt, etc.) et de se laisser aller dans l’histoire dite imaginaire (Si Moscou avait pris Varsovie en 1920, le communisme aurait-t-il envahi l’Europe? Si l’Ouest avait ralenti la crise du Suez, les Soviets auraient-t-ils écrasé Budapest ? etc.). Le fatras cède sur la fin à une suite de conseils banals pour une politique de contre-insurrection contre des rebelles « débiles » — isoler les insurgés, recueillir des renseignements sur l’ennemi, et garder une haute moralité (prendre soin de la population, interdire la torture, etc.) (pp. 161-4). C’est cependant une conclusion qui manque d’originalité aussi bien que de démonstration dans le texte.

Cette conclusion masque d’ailleurs un malaise dans le livre, une complex-ité qui surgit pour démentir la thèse de l’œuvre. Joes mentionne des guérillas rurales qui connaissent la défaite, comme le Sendero Luminoso de Pérou (p. 89), et il concède l’existence des guérillas urbaines qui jouent un rôle indirect dans la victoire, comme à Alger et à Saigon (les chapitres 3 et 5). Et si le couple rural-urbain est instable, la binaire théorie-pratique l’est encore plus. Joes refuse tout simplement de prendre la théorie de la guérilla urbaine au sérieux : il cite bizarrement De la Guerre de Clausewitz comme texte fondateur de la théorie de guérilla, tout en ridiculisant les travaux d’Abraham Guillen et Carlos Marighella — c’est-à-dire ceux qui ont essayé consciemment de formuler une doctrine de guérilla urbaine face à la théorie du foco de Che Guevara — pour la raison philistine que d’autres auteurs les ont négligés (e.g., p. 79). Compte tenu de ce qu’est la thèse même du livre, c’est exactement ses voix que l’on devrait entendre et examiner en profondeur.

Urban Guerrilla Warfare est destiné à se trouver dans les bibliothèques, et le livre offrira une approche initiale à la guérilla urbaine, qui est en effet un sujet urgent à comprendre, ainsi que l’explique Joes. Puisse ce travail provoquer la curiosité des étudiants pour faire avancer l’analyse et la compréhension de la guérilla urbaine dans l’avenir.

Benjamin P. Nickels is Faculty Researcher at the START Center at the University of Maryland, College Park.