Abstracts
Résumé
Dans la cité médiévale, les cimetières arboraient communément le profil d'une place publique. Bien que frappée d'impiété et pour cette raison condamnée au XVIIe siècle, cette situation ne disparut que très tardirement en France. À Paris, le cas du cimetière des Saints-Innocents permet de porter un éclairage accru sur cette réalité et témoigne de la victoire des milieux populaires sur la politique officielle de sacralisation des champs des morts.
Sous l'Ancien Régime, les Saints-Innocents désignait, outre le plus important site sépulcral de la capitale, l'une des places marchandes les plus animées de la ville. Lieu de commerce, de loisirs et de rencontres, il constituait, dans le voisinage de la mort, un véritable espace de vie. Tant au-dessous (où se succédaient les échoppes) qu'au-dessus (où se dressaient des corps de logis) des galeries des charniers, dans un espace confusément sacré, public et privé, une part de la population laborieuse de Paris trouvait non seulement son gagne-pain et son toit, mais encore un dense réseau d'appartenance sociale et professionnelle. La réalité des Saints-Innocents recouvrait en effet à la fois une forme d'organisation sociale originale — que traduit l'affirmation d'une microsociété, la communauté du cimetière — et un mode d'existence particulier — dont rend compte la « vie des charniers » —, qui permettaient à chacun de se dire et de se définir dans un rapport à la fois intime et collectif au cimetière.
C'est ce phénomène que met en valeur la présente communication, pour mieux comprendre comment un espace, en conséquence de l'occupation qui en est faite, peut devenir le support et le vecteur d'une identité singulière — en l’occurrence celle du « Paris populaire des charniers ». Les archives du Chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois (responsable de la nécropole) et les dossiers des commissaires du quartier sont les principales sources qui furent analysées à cette fin.
Abstract
In the medieval town, cemeteries were commonly treated as public places. Though tainted as impious and for this reason condemned in the 17th century, this state of affairs disappeared only slowly in France. In Paris, the case of the Saints-Innocents cemetery sheds some light on the issue and exemplifies the victory of popular culture over the official policy sanctifying burial grounds.
During the Ancien Régime, the Saints-Innocents was not only the most sepulchral space in the capital, but also one of its most animated market-places. As a site of commerce, leisure, and gatherings, it constituted, next door to death, a real place for the living. Both below the galeries des charniers, where market stalls competed for space, and above these ossuaries, where the main buildings stood, was a confusedly sacred, public, and private space, where part of the working population of Paris not only made a living and a home, but also created a dense social and professional network. The Saints-Innocents was thus an original form of social organization — a micro-society, the cemetery community — as well as a particular style of life which, as exemplified by the vie des charniers, permitted each individual to proclaim and define himself or herself in a relationship to the cemetery that was both intimate and collective.
The present paper explores this phenomenon in order to better understand how a space and the way people occupy it can support and define a unique identity: in this case that of the popular ossuaries of Paris. To this end, the main sources analyzed are the archives of the Chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois, responsible for the necropolis, and the records of the commissaires du quartier.
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