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Introduction

Ces dernières années, la recherche sur la transformation numérique (TN) a suscité un intérêt croissant et la vague actuelle de numérisation est désormais considérée comme la troisième ou la quatrième révolution industrielle (Lee, Falahat et Sia, 2019). Les nouvelles technologies numériques ont transformé la nature de l’incertitude inhérente aux processus et aux résultats entrepreneuriaux ainsi que la manière de gérer cette incertitude (Nambisan, 2017). Avec l’essor de l’économie numérique et l’expansion des écosystèmes commerciaux mondiaux, les facteurs permettant la découverte et la poursuite de nouvelles opportunités se renforcent (Autio, Nambisan, Thomas et Wright, 2018). Grâce aux technologies numériques, ces facteurs naissants influencent les processus et les stratégies des PME qui s’internationalisent en permettant de repenser les modèles d’affaires (Andersson, Evers et Kuivalainen, 2014). La convergence de la numérisation et de la mondialisation a créé une nouvelle normalité de connectivité mondiale, renforçant les liens entre les nations, les entreprises et les individus (Luo, 2021).

De nombreuses recherches existent sur la digitalisation des grandes entreprises, mais peu de recherches traitent de la nécessité de la digitalisation des PME qui s’internationalisent. En effet, avec des ressources et des capacités limitées, la TN paraît plus fastidieuse et coûteuse pour une PME, notamment lorsqu’elle s’internationalise (Horváth et Szabó, 2019). En plus des coûts liés à l’internationalisation, la PME doit faire face à des ressources et capacités supplémentaires, qu’elle n’a pas forcément en interne. Aussi, elle doit définir une stratégie solide pour ne pas perdre le contrôle sur les marchés étrangers grâce à la digitalisation. Cet article a donc pour objectif de proposer un modèle qui pourrait faciliter la TN des PME internationales en identifiant les différents facteurs qui peuvent influencer le passage à l’acte.

Selon l’OCDE (2017), les PME sont des acteurs clés de l’économie d’un pays et de son écosystème. Leur permettre de s’adapter et de prospérer dans un environnement plus ouvert et de participer plus activement à la TN est essentiel pour stimuler la croissance économique et offrir une mondialisation plus inclusive[2]. En outre, l’internationalisation étant un processus particulièrement incertain, notamment pour les PME qui sont confrontées à ce que l’on appelle le désavantage de la petitesse et le fait d’être étranger (liability of smallness and foreignness) (Bannò, Piscitello et Varum, 2014 ; Martineau et Pastoriza, 2016), les technologies numériques devraient jouer un rôle dans la réduction de l’incertitude du processus d’internationalisation. De nombreuses recherches ont déjà souligné les avantages que les PME peuvent tirer de ces technologies (Deprince et Arnone, 2018). Cependant, il existe encore des lacunes dans la littérature concernant le rôle de la TN, comme l’illustre la citation suivante : « Des efforts limités ont été déployés pour théoriser le rôle des aspects spécifiques des technologies numériques dans le façonnement des opportunités, des décisions, des actions et des résultats entrepreneuriaux. » (Nambisan, 2017, p. 1930) C’est encore plus vrai du point de vue de l’entrepreneuriat international. En effet, selon Manyika et al. (2016), la digital globalization modifie les participants, la manière dont les affaires se déroulent au-delà des frontières, la rapidité avec laquelle la concurrence évolue et la destination des avantages économiques[3]. S’engager dans une TN pourrait permettre aux entreprises de renforcer leur internationalisation. Pour cette raison, plusieurs chercheurs ont appelé récemment à effectuer plus de recherches sur l’impact de la transformation numérique sur l’internationalisation (Coviello, Kano et Liesch, 2017 ; Manyika et al., 2016 ; Vahlne et Johanson, 2017). Très récemment, des études émergentes telles que celles de Strange et Zucchella (2017) et Castagnoli, Büchi, Coeurderoy et Cugno (2021) se sont intéressées au lien entre l’internationalisation et l’industrie 4.0. Cette dernière suppose l’adoption de technologies plus spécifiques et plus transformatrices que les seules technologies numériques. Ces études, bien que très instructives, ne s’adressent pas sceptiquement aux PME et se centrent sur une industrie très spécifique qui ne concerne qu’une fraction des entreprises. Néanmoins, Castagnoli et al. (2021) suggèrent que le développement de l’industrie 4.0 devrait accélérer le processus d’internationalisation des entreprises, PME incluses, ce qui va dans le sens de la littérature en entrepreneuriat international, qui propose un effet de la TN sur l’intensité de l’internationalisation. Il est désormais nécessaire d’identifier les compétences et les mécanismes qui sous-tendent la TN des PME et la manière dont elle affecte l’internationalisation des petites entreprises.

La révolution technologique numérique a permis aux entreprises d’innover plus facilement grâce à des réseaux de collaboration avec d’autres entreprises, notamment des multinationales, des universités et des organismes de recherche. Toutefois, cela nécessite des compétences en matière d’innovation, des capacités organisationnelles et des capacités de gestion. Celles-ci permettent de se coordonner avec des partenaires porteurs de connaissances externes et d’intégrer efficacement les connaissances provenant de sources externes dans les processus internes (OCDE, 2017). L’un des principaux défis pour les entreprises aujourd’hui consiste à s’adapter au développement technologique et à embrasser la révolution industrielle en cours, principalement de nature numérique (Schwab, 2017). Cela est particulièrement vrai pour les entreprises qui ne sont pas nées numériques ou mondiales (Hennart, 2014 ; Wamba et Queiroz, 2020) et qui souhaitent étendre leur part de marché à l’international. Pour celles-ci, la TN est un moyen nécessaire et rentable pour obtenir un avantage concurrentiel international (Elia, Giuffrida, Mariani et Bresciani, 2021). En outre, pour diriger efficacement une organisation dotée d’une bonne capacité d’utilisation des opportunités, des outils et des instruments numériques (Bennis, 2013 ; Hernandez et Pedersen, 2017), Kane, Palmer, Phillips, Kiron et Buckley (2017) ajoutent que la TN doit commencer par un changement de mentalité des dirigeants, qui doit être développé et nourri en vue de relever ce défi. Il est donc très important pour une PME internationale de mener à bien sa transformation numérique en prenant en compte les différentes contingences liées à cette opération.

Dans ce contexte, cet article vise à étudier comment la TN peut contribuer à l’internationalisation des PME et pose la question de recherche suivante : quelles sont les composantes de la transformation numérique et comment influencent-elles l’internationalisation des PME ? Ainsi, l’article poursuit trois objectifs : relier dans un cadre intégrateur les composantes de la transformation numérique en lien avec l’internationalisation de la PME ; mettre en évidence la capacité de ce cadre à rendre compte d’une relation entre la transformation numérique et le degré d’internationalisation ; discuter la pertinence de la mise en place, pour une PME, d’une stratégie d’alignement entre le développement des capacités numériques et la création de valeur sur les marchés étrangers. Pour répondre à notre problématique, nous proposons un modèle conceptuel basé sur une revue de littérature de la TN en PME internationalisée. Sur la période 2010-2022, 168 articles ont été identifiés à partir d’une recherche par mots-clés associant transformation digitale, internationalisation et PME (en français et en anglais, avec leurs variantes) dans les bases de données EBSCO Business Source Premier et Google Scholar. Après lecture des résumés, puis ajout de textes complémentaires issus de conférences internationales et d’ouvrages, 49 références traitant de la transformation numérique ont pu être conservées, dont 13 faisant du lien avec l’internationalisation son sujet central. Le modèle que nous proposons défend les relations entre la TN et l’internationalisation des PME en se fondant théoriquement sur l’approche par les ressources (RBV) et le champ de l’entrepreneuriat international. Il relie les composantes de la transformation numérique – à savoir les technologies et les capacités numériques – à l’internationalisation des PME, et met en évidence le rôle stratégique du propriétaire-dirigeant et de son orientation numérique. Cet article vise à contribuer à la littérature encore embryonnaire sur l’utilisation des technologies et des capacités numériques par les PME dans un contexte international. Notre modèle devrait également intéresser les PME et leurs dirigeants en leur exposant les différents facteurs qui pourraient mener à l’obtention d’un avantage concurrentiel durable sur les marchés internationaux grâce à la transformation numérique.

L’article est structuré comme suit : le cadre conceptuel basé sur les travaux en entrepreneuriat international et sur la TN au travers d’une optique RBV est présenté en première partie. Le modèle conceptuel sur la relation TN-internationalisation est présenté en deuxième partie. Enfin, nous discutons les implications théoriques et managériales de notre modèle.

1. Cadre conceptuel

Depuis quelques années, les technologies numériques permettent d’accéder à des informations sur les marchés étrangers et d’en améliorer la compréhension, ce qui a facilité le commerce transfrontalier, même pour les petites entreprises. Il est désormais nécessaire d’identifier les compétences et les mécanismes qui sous-tendent la TN des PME et la manière dont elle affecte l’internationalisation des petites entreprises. Cependant, avant de poursuivre cet objectif, il est important de définir clairement les différents aspects d’une TN. Pour cela, nous commençons par préciser les différentes acceptations de la TN et celle retenue dans cette recherche. Puis, nous mettons en évidence les différentes manières d’aborder l’internationalisation des PME. Enfin, nous discutons les raisons qui nous ont poussés à choisir l’approche par les ressources pour développer notre modèle conceptuel.

1.1. Transformation numérique, numérisation, ou digitisation ?

L’une des limites de la littérature existante sur la TN est « l’incapacité à faire une distinction adéquate entre la TN et ses termes connexes, car ils sont utilisés de manière interchangeable » (Gong et Ribière, 2021, p. 2). Il est alors nécessaire de clarifier la définition de la TN que nous retenons pour la construction du modèle conceptuel.

Les termes TN et numérisation sont fréquemment utilisés de manière interchangeable. Les chercheurs en sciences de gestion considèrent la TN comme l’ensemble des changements complexes qui modifient les produits, les structures organisationnelles ou les processus que les technologies numériques peuvent engendrer sur les modèles d’affaires (Tan, Ondrus, Tan et Oh, 2020). Selon Vadana, Torkkeli, Kuivalainen et Saarenketo (2019), ces changements de modèles d’affaires apportent à l’entreprise de nouveaux revenus et de nouvelles opportunités de production de valeur. Parfois, les auteurs font la distinction entre deux concepts étroitement liés, la numérisation et la digitisation (digitization, différent de digitalisation qui veut dire « numérisation »). Selon Tilson, Lyytinen et Sørensen (2010), la digitisation est un « processus technique » (p. 749) qui rend numériques les technologies. Il s’agit de convertir quelque chose d’analogique ou de physique en un format numérique pouvant être utilisé par un système informatique. Grâce à la digitisation, les informations peuvent être normalisées dans le même format et traitées par les mêmes technologies. La TN, en revanche, serait « un processus sociotechnique d’application des techniques de numérisation à des contextes sociaux et institutionnels plus larges qui rendent les technologies numériques infrastructurelles » (Tilson, Lyytinen et Sørensen, 2010, p. 749). La TN convient mieux à une approche managériale dans laquelle l’intérêt du chercheur se concentre sur la façon dont les technologies numériques interagissent avec les capacités et les performances des PME pour créer de la valeur (Nambisan, 2017 ; Lin et Lai, 2021). Dans cette étude, nous suivons Gong et Ribière (2021, p. 12) qui ont analysé 134 définitions de la TN et proposent la définition unifiée suivante : « Un processus de changement fondamental, rendu possible par l’utilisation innovante des technologies numériques accompagnée d’un effet de levier stratégique sur les ressources et les capacités clés, visant à améliorer radicalement une entité (une organisation, un réseau d’entreprises, une industrie ou une société) et à redéfinir sa proposition de valeur pour ses parties prenantes. »

Conformément à cette approche, nous considérons que la TN interagit avec les deux composantes suivantes : les technologies numériques et les capacités numériques. Les technologies numériques utilisées pour initier la TN des entreprises sont nombreuses. Nambisan (2017) en distingue trois : les artefacts numériques (digital artefacts), les plateformes numériques (digital platforms) et l’infrastructure numérique (digital infrastructure). Les artefacts numériques sont les composantes numériques, les applications ou le contenu média faisant partie d’un nouveau produit (ou service) et offrant une fonctionnalité ou une valeur spécifique à l’utilisateur final (Kallinikos, Aaltonen et Marton, 2013). Les plateformes numériques font référence à un ensemble commun de services et d’architectures qui servent à héberger des offres complémentaires, y compris des artefacts numériques, comme la plateforme iOS d’Apple. L’infrastructure numérique est définie comme l’ensemble des outils et des systèmes de technologie numérique (par exemple, l’informatique en nuage ou cloud computing, l’analyse des données, les communautés en ligne, les médias sociaux, l’impression 3D, les espaces de fabrication numérique, etc.) qui offrent des capacités de communication, de collaboration et/ou de calcul pour soutenir l’innovation et l’entrepreneuriat. Pergelova, Manolova, Simeonova‐Ganeva et Yordanova (2019) poursuivent l’analyse et identifient trois éléments d’infrastructure numérique : les infrastructures numériques frontales (un site Web, une option de commande en ligne, une option de paiement en ligne, l’utilisation de la signature électronique, etc.), les systèmes de gestion de l’information en arrière-plan (système de gestion de la relation client, système de gestion de la chaîne d’approvisionnement, système de planification des ressources de l’entreprise, etc.) et l’utilisation d’Internet à des fins professionnelles. L’intégration ou la mise en oeuvre des technologies numériques devient de plus en plus une partie inhérente des opportunités entrepreneuriales, tant au niveau des résultats que des processus (Nambisan, 2017). Ces technologies créent un flux d’hyperconnectivité qui permet aux entreprises, notamment aux PME, d’améliorer leur capacité d’innovation en intégrant de nouveaux acteurs – clients, personnels, partenaires, voire concurrents – dans leurs processus créatifs et leurs expérimentations (Hervé, Schmitt et Baldegger, 2020). La TN permet également aux entreprises d’encourager fortement la collaboration, le partage d’idées et la création de nouvelles valeurs. Selon Nambisan (2017), les artefacts numériques et les plateformes numériques font partie intégrante de l’idée entrepreneuriale (résultat) et l’infrastructure numérique sert de catalyseur externe (soutien du processus).

1.2. L’émergence de nouvelles capacités

Pour accéder à ces technologies numériques et les exploiter, un nouvel ensemble de capacités peut être nécessaire pour améliorer l’efficacité et l’agilité, optimiser les relations avec les nouveaux clients et augmenter la vitesse de réponse à leurs besoins, où l’information joue un rôle clé (Setia, Venkatesh et Joglekar, 2013). Ainsi, les organisations auront besoin de nouvelles capacités numériques pour soutenir leurs différentes fonctions basées sur des plateformes technologiques numériques (Yoo, Henfridsson et Lyytinen, 2010) et s’adapter rapidement aux impacts de l’évolution technologique. De nombreuses entreprises commencent à réaliser la puissance des ressources numériques et comprennent la nécessité de nouvelles capacités, dont la portée et l’étendue sont plus complètes que les capacités traditionnelles (Spyropoulou, Katsikeas, Skarmeas et Morgan, 2018). Les entreprises dotées de capacités numériques savent comment appliquer les nouvelles technologies pour soutenir leurs processus de production et d’innovation (Parida, Sjödin et Reim, 2019). Par exemple, les nouvelles infrastructures numériques et les capacités qui leur sont associées peuvent compléter de manière critique les pratiques des PME, comme leur collaboration avec les clients ou l’intégration des données et des informations dans un écosystème numérique reliant l’interne de la PME avec ses partenaires externes (Nambisan, 2017). Ces infrastructures augmentent également la capacité d’une organisation à rechercher, explorer, acquérir, assimiler et appliquer des connaissances sur les ressources et les opportunités et à déterminer comment les ressources peuvent être configurées pour explorer les opportunités (Tan et al., 2020). Ces capacités permettent aux entreprises de développer, de mobiliser et d’utiliser efficacement les ressources organisationnelles et d’améliorer les processus opérationnels pour relever ces défis et ceux liés à l’expansion internationale de leurs activités. Ainsi, les PME sont amenées à repenser leur stratégie et à se transformer. En combinant leurs capacités actuelles avec les capacités numériques, les entreprises sont en mesure de façonner une nouvelle proposition de valeur et une nouvelle orientation soutenue par leurs dirigeants (Westerman, Bonnet et Mcafee, 2014 ; Pagani, 2013 ; Kane, Palmer, Phillips, Kiron et Buckley, 2015 ; Matt, Hess et Benlian, 2015).

Dans cet article, nous considérons les capacités numériques comme étant les aptitudes de l’organisation à mettre en oeuvre des solutions numériques basées sur les technologies numériques (c’est-à-dire à gérer le processus de numérisation). Avoir une capacité numérique est nécessaire pour intégrer les nouvelles technologies en mobilisant les talents des employés dans le domaine. En s’inspirant de la théorie des capacités dynamiques, la capacité numérique pourrait être considérée comme une capacité dynamique au sens d’une capacité de l’organisation à créer de nouveaux produits et processus et à répondre aux circonstances changeantes du marché (Teece et Pisano, 2003), ce qui implique plusieurs aspects organisationnels (Wiesböck, 2018). Premièrement, les organisations doivent être en mesure de créer et de gérer des solutions numériques. Cela comprend l’identification et la sélection de technologies numériques innovantes prometteuses (Kohli et Melville, 2018 ; Nambisan, 2017), une vision stratégique concernant la façon d’utiliser les technologies numériques comme base des innovations numériques (Freitas Junior, Maçada, Brinkhues et Montesdioca, 2016 ; Kohli et Melville, 2018), ainsi que l’adoption et l’adaptation des technologies numériques à des besoins et des situations spécifiques (Kohli et Melville, 2018 ; Lu, Ram et Ramamurthy, 2011 ; Wiesböck, 2018). De plus, Lenka, Parida et Wincent (2017) ont identifié trois composantes sous-jacentes des capacités numériques : la capacité de renseignement, la capacité de connexion et la capacité d’analyse. En premier lieu, la capacité de renseignement est la capacité à configurer les composants matériels pour capturer des informations avec peu d’intervention humaine. Elle comporte deux sous-dimensions : la mise à niveau des composants matériels avec des sous-composants intelligents, tels que des capteurs intégrés, des processeurs de milieu de gamme, des systèmes d’exploitation intégrés, des logiciels et des interfaces numériques, et l’accès à des ressources de connaissances externes pour offrir de nouvelles possibilités de collecte d’informations sur l’état des produits et sur l’utilisation opérationnelle des produits par les clients. Deuxièmement, la capacité de connexion concerne la capacité à connecter des produits/services numérisés par la transmission d’informations ou de signaux depuis des produits intelligents vers des centres de stockage et de traitement, comme dans le cas des entreprises virtualisées dans le nuage (cloud), et le potentiel de connectivité entre produits intelligents qui pourrait être singulier (un à un) ou simultané (un à plusieurs ou plusieurs à plusieurs). Troisièmement, la capacité d’analyse est la capacité à transformer les données en informations utiles et en directives applicables, comme la capacité de développer des règles, une logique d’entreprise et des algorithmes qui transforment les informations ou les données en idées ayant une valeur opérationnelle pour l’organisation, ou encore la capacité d’exploiter les données des produits intelligents et connectés utilisés par les clients. Les implications des capacités numériques pour l’entreprise sont résumées dans le tableau 1.

Tableau 1

Les capacités numériques et leurs implications

Les capacités numériques et leurs implications
Source : inspiré de Lenka, Parida et Wincent (2017) et Benkaraache et Ghanouane (2020).

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En somme, les capacités numériques pourraient être définies comme la combinaison de compétences et de processus commerciaux numériques permettant de développer, de mobiliser et d’utiliser les ressources organisationnelles soutenues par la plateforme numérique pour répondre à l’environnement et ainsi ajouter de la valeur à l’organisation (Freitas Junior et al., 2016).

La TN implique des changements dans les façons de travailler, dans les rôles, dans les produits et services du fait de l’adoption par l’organisation des technologies numériques dans son environnement opérationnel (Parviainen, Tihinen, Kääriäinen et Teppola, 2017). Cela implique des changements à plusieurs niveaux, notamment au niveau des processus (adoption de nouveaux outils numériques et rationalisation des processus en réduisant les étapes manuelles), au niveau organisationnel (élimination des pratiques obsolètes et offre de nouveaux services ou de services existants selon de nouvelles modalités), au niveau du domaine d’activité (modification des rôles et des chaînes de valeur dans les écosystèmes) et au niveau sociétal (modification des structures sociétales, telles que le type de travail et les moyens d’influencer la prise de décision). Tous ces changements potentiels liés à une TN peuvent influencer l’entrée sur de nouveaux marchés ou la sortie des marchés actuels et donc, in fine, impacter le processus d’internationalisation des PME.

1.3. Internationalisation des PME

L’internationalisation peut être définie comme un processus d’intensification de l’engagement d’une entreprise sur les marchés internationaux (Martineau et Pastoriza, 2016 ; Dethine, Enjolras et Monticolo, 2020). Elle peut se dérouler via plusieurs modes : exportation, importation, investissement étranger, ouverture de filiales, etc. Dans la littérature, le cas particulier des PME fait l’objet de nombreuses publications proposant des approches différentes pour expliquer les processus impliqués dans les engagements internationaux.

Il existe deux grandes approches de l’internationalisation des PME : le modèle d’Uppsala, dans lequel les entreprises augmentent progressivement leur engagement sur les marchés étrangers (Vahlne et Johanson, 2017), et les entreprises à internationalisation rapide et précoce impliquant une internationalisation peu de temps après la création. Le modèle d’Uppsala repose sur la notion de chaîne d’établissement et postule un investissement progressif (ou incrémental) dans le temps, partant des modes avec peu ou pas de capital (exportation, bureau de représentation, franchise ou accord commercial) aux modes à plus forte intensité de capital (coentreprise de production, filiale à 100 % ou acquisition).

Cette vision de l’internationalisation par étapes peut se résumer en deux grands principes : l’implication progressive des dirigeants et des entreprises sur des marchés proches géographiquement ainsi que l’existence d’une distance psychologique surmontée par l’expérience acquise sur les marchés étrangers (ou par l’intégration dans des réseaux de relations, selon la version du modèle d’Uppsala proposée en 2009 par Johanson et Vahlne). Ces entreprises sont souvent appelées PME à internationalisation graduelle.

Cependant, l’incapacité de cette approche[4] à expliquer certains comportements d’internationalisation rapide des PME (Coviello, Kano et Liesch, 2017) a ouvert la voie à d’autres explications. En effet, aujourd’hui, avec la mondialisation accrue et l’utilisation intensive du numérique qui peut connecter clients et entreprises dans plusieurs pays, les PME sont en mesure de vendre à l’international ou de s’exporter plus facilement. De nombreuses PME entrent sur les marchés internationaux immédiatement ou peu de temps après leur création (Oviatt et McDougall, 1994). Elles sont appelées born globals (BG) ou entreprises à internationalisation rapide et précoce (EIRP). Les BG sont de « petites entreprises axées sur la technologie qui opèrent sur les marchés internationaux dès les premiers jours de leur création » (Knight et Cavusgil, 1996, p. 11). Alors que les EIRP sont des organisations commerciales qui « dès leur création cherchent à tirer un avantage concurrentiel important de l’utilisation des ressources et de la vente de produits dans plusieurs pays » (Oviatt et McDougall, 1994, p. 49). Les chercheurs caractérisent généralement les BG et les EIRP comme de jeunes organisations à forte intensité de connaissances commercialisant principalement des produits innovants, autodéveloppés et basés sur la technologie (Cavusgil et Knight, 2010).

Bien qu’il existe des différences distinctives entre les EIRP et les BG en ce qui concerne la vitesse, la portée et l’étendue de l’internationalisation, les chercheurs commencent progressivement à les regrouper sous le terme d’entreprises à internationalisation précoce (EIP). Ce terme inclut collectivement toutes les entreprises qui démarrent des activités internationales peu après leur création, faisant de cette définition le concept le plus large proposé dans la littérature (Romanello et Chiarvesio, 2019). Ces entreprises se caractérisent souvent par leur petite taille (Oviatt et McDougall, 2005). Elles s’adressent au marché mondial et rivalisent avec succès face à des PME plus traditionnelles (Cavusgil et Knight, 2010). Leur croissance est principalement attribuée au développement technologique et elles sont généralement dotées de ressources et de capacités intangibles distinctives (Knight et Cavusgil, 1996), telles que l’expérience des fondateurs, les réseaux de soutien et les alliances, ou les capacités des gestionnaires à identifier et exploiter les opportunités sur les marchés internationaux (Oviatt et McDougall, 2005).

La principale différence entre l’internationalisation progressive et les EIP est liée à la rapidité d’internationalisation de l’entreprise, laquelle repose d’abord sur le choix du dirigeant. De fait, le profil du dirigeant est souvent mis en évidence dans les études sur les PME. Dominguez et Mayrhofer (2017) soulignent la centralité du dirigeant et la dimension structurante de ses décisions. Elle est souvent analysée à travers les caractéristiques, les compétences, l’expérience et le réseau, qui influencent ses choix stratégiques. Dans leur revue de littérature systématique, Paul et Rosado-Serrano (2019) indiquent que les caractéristiques de l’entrepreneur-dirigeant influencent la décision et le rythme de l’internationalisation, que celle-ci soit progressive ou accélérée. Leurs conclusions invitent les entrepreneurs à développer une démarche articulant confiance, relations et réseaux, afin de rechercher, analyser et agir sur l’internationalisation.

Cela dit, les chercheurs utilisent généralement la vitesse, la portée ou l’échelle pour mesurer le degré d’internationalisation d’une entreprise et pour différencier les deux grands types d’internationalisation décrits précédemment (Hilmersson, 2014). Par exemple, Hsieh et al. (2019) ont défini le degré d’internationalisation en raison de la précocité, de l’étendue et de la diversification géographique. Par conséquent, l’internationalisation de la PME peut être évaluée à travers le degré d’internationalisation, qui est un des aspects clés étudié dans la littérature en internationalisation des entreprises (Brouthers, Geisser et Rothlauf, 2016). À l’instar de Spyropoulou et al. (2018), nous considérons que le degré d’internationalisation est le résultat des deux éléments suivants : le pourcentage du chiffre d’affaires total dérivé des exportations (scale) ajouté au nombre de pays de destination des exportations (scope) vers lesquels l’entreprise exporte. Ces deux critères s’appliquent aux PME graduelles comme aux EIP et nous nous attendons à ce que la TN joue un rôle dans cette internationalisation des PME.

1.4. Transformation numérique et internationalisation des PME à travers l’approche par les ressources

La RBV (resource-based view) explique comment la valeur et le profit sont générés sur la base des ressources des entreprises. Les ressources peuvent être définies comme « tous les actifs, capacités, processus organisationnels, attributs de l’entreprise, informations, connaissances, etc. contrôlés par cette dernière et lui permettant de concevoir et mettre en oeuvre des stratégies qui améliorent son efficience et son efficacité » (Barney, 1991, p. 101). Pour être en mesure de créer de la valeur et des bénéfices, les entreprises doivent accéder à des ressources qui sont au moins (a) précieuses donc capables de neutraliser les menaces ou d’exploiter les opportunités ; (b) rares dans le sens où seule une fraction des concurrents actuels et potentiels peut y accéder ; (c) inimitables, ou de façon plus réaliste, non parfaitement imitables par les concurrents ; et (d) non substituables dans le sens où il ne peut exister de substituts stratégiquement équivalents qui « soient précieux, mais ni rares ni imparfaitement imitables » (Barney, 1991, p. 106) ; ceci est couramment synthétisé sous le terme VRIN.

Selon Roth (1995), les entreprises peuvent être conceptualisées selon la RBV comme un ensemble unique de stocks de ressources tangibles et intangibles accumulées. Les entreprises dont les stocks de ressources sont précieux, rares, inimitables et non substituables ont un avantage sur leurs concurrents sur les marchés nationaux et étrangers (Barney, 1995). Ainsi, les entreprises avec des combinaisons uniques de stocks de ressources (par exemple, le capital humain, le capital relationnel avec les clients et les gouvernements) ont une plus grande propension à l’engagement international (Bloodgood, Sapienza et Almeida, 1996) et présentent une meilleure performance internationale (Hitt, Bierman, Uhlenbruck et Shimizu, 2006 ; Hitt, Tihanyi, Miller et Connelly, 2006). L’importance du rôle des ressources et des capacités d’exportation a largement été discutée dans la littérature (De Marchi, Di Maria, Golini et Perri, 2020). En revanche, le rôle des ressources et des capacités numériques dans l’obtention d’un avantage concurrentiel et dans la performance internationale des PME a été sous-étudié. D’ailleurs, Strange et Zucchella (2017) soulignent que l’industrie 4.0 elle-même n’en est qu’à ses prémices. Bien que ses effets sur l’économie mondiale se manifestent déjà, les efforts pour développer des normes internationales définissant l’interaction de ces éléments dans l’usine numérique du futur n’en sont qu’à leurs débuts. Pergelova et al. (2019) et Nambisan (2017) déclarent que les technologies numériques ont un puissant effet « démocratisant », car elles réduisent les barrières à l’entrée sur le marché et permettent à un plus grand nombre et une plus grande diversité de personnes de s’engager dans les échanges commerciaux internationaux.

Toutefois, contrairement aux entreprises nées dans le numérique, qui construisent et exploitent dès leur création une infrastructure numérique dans le cadre d’un modèle d’entreprise numérique (Brouthers, Geisser et Rothlauf, 2016 ; Chen, Despeisse et Johansson, 2020 ; Monaghan, Tippmann et Coviello, 2020 ; Stallkamp et Schotter, 2021), les entreprises qui se numérisent au cours de leur existence peuvent être confrontées à davantage de défis, comme la confusion entre les nouvelles connaissances et l’expérience internationale antérieure (Welch et Welch, 2009), le désapprentissage, la gestion de l’environnement (Surdu et Narula, 2020), l’incertitude technologique (Kriz et Welch, 2018) et surtout les tensions liées aux ressources limitées (Welch et Welch, 2009). La transformation numérique exige des objectifs clairs, un engagement et une sensibilisation des membres de l’entreprise pour braver ses effets secondaires potentiels ainsi que ses coûts cognitifs et émotionnels (Lanzolla, Pesce et Tucci, 2021 ; Matarazzo, Penco, Profumo et Quaglia, 2021). Or, les PME sont généralement moins bien préparées aux nouvelles technologies et à ses exigences ; de nombreux auteurs (Mittal, Khan, Romero et Wuest, 2018) ont souligné l’entrave que peut représenter le manque de ressources financières pour les PME. En revanche, les multinationales ont davantage de possibilités d’investir dans les nouvelles technologies, et par conséquent, tendent à appliquer des technologies de fabrication plus avancées que les PME (Gupta, Dangayach, Singh, Meena et Rao, 2018).

Selon Horváth et Szabó (2019), des opportunités différentes se présentent aux PME et aux entreprises multinationales, et leur compétitivité est déterminée par plusieurs facteurs : les ressources financières, l’utilisation de technologies de fabrication avancées, la recherche et le développement, la nature de la spécialisation des produits, la prise en compte des normes, la culture de l’organisation/la flexibilité du leadership, la stratégie de l’entreprise, la prise de décision, la structure organisationnelle, l’engagement des ressources humaines, l’exposition au développement des ressources humaines, les connaissances et expériences de l’industrie, les alliances avec des universités ou des instituts de recherche, la dépendance à l’égard des réseaux de collaboration, les clients et les fournisseurs.

Néanmoins, Kennedy et Hyland (2003) ont noté que les PME manufacturières peuvent tirer parti de leurs capacités opérationnelles face aux grandes multinationales, bien que leur manque relatif de ressources financières, d’expérience et de capacité puisse constituer un inconvénient majeur et limiter leurs possibilités de développement à l’international.

Dans cet article, nous considérons les technologies numériques comme des ressources technologiques ancrées dans les cadres RBV et VRIN (Barney, 1995). L’important du point de vue de la RBV, ce ne sont pas les infrastructures numériques considérées comme des fonctionnalités technologiques sophistiquées, mais plutôt la capacité de l’entreprise à tirer parti des ressources et capacités numériques disponibles pour atteindre les objectifs commerciaux (Zhu et Kraemer, 2005). La RBV est donc intéressante, car d’une part, elle traite de la manière dont certaines organisations développent initialement des capacités internes spécifiques et, d’autre part, de comment elles renouvellent leurs compétences pour répondre aux évolutions de l’environnement des affaires (Eisenhardt et Martin, 2000). Cette approche permet de comprendre comment les PME peuvent développer leur capacité d’adaptation et même capitaliser sur des environnements technologiques et internationaux en évolution rapide. Elle nous paraît ainsi tout à fait appropriée pour notre recherche.

2. Modélisation de la relation transformation numérique-internationalisation des PME

Alors que l’internationalisation et la numérisation deviennent de plus en plus imbriquées, il est regrettable que l’impact de la TN des PME sur leur internationalisation reste mal compris. Néanmoins, les PME peuvent utiliser divers mécanismes (outils, technologies, compétences et/ou capacités) pour améliorer leur processus d’internationalisation.

2.1. Technologies numériques et internationalisation des PME

Cette section examinera les différents liens entre les technologies numériques, l’internationalisation et la proposition de valeur ajoutée des PME pour les marchés étrangers.

2.1.1. La connexion entre les technologies numériques et l’internationalisation des PME

Les technologies numériques permettent aux PME d’améliorer leur connaissance du marché, d’accéder aux marchés mondiaux avec une présence physique limitée et aux réseaux de connaissances à des coûts relativement bas (Jin et Hurd, 2018). La transition numérique offre de nouvelles opportunités aux PME et leur permet d’améliorer leur compétitivité sur les marchés locaux et mondiaux grâce à l’innovation de produits ou de services et à l’amélioration des processus de production. L’utilisation des technologies numériques peut également faciliter l’accès des PME aux compétences et aux talents grâce à de meilleurs sites de recrutement, à l’externalisation et à l’embauche de travailleurs en ligne, ainsi qu’à des connexions avec des partenaires de l’industrie de la connaissance (OCDE, 2017). Elle peut également faciliter un accès à une gamme d’instruments de financement (OCDE, 2017).

De nombreux auteurs soulignent un lien positif entre la TN et les résultats de l’internationalisation. Par exemple, Cassetta, Monarca, Dileo, Di Berardino et Pini (2020) ont montré que « les technologies de commerce électronique n’ont un impact positif sur l’internationalisation que lorsqu’elles sont intégrées dans des processus et des innovations organisationnelles et que des investissements dans les compétences numériques ont été réalisés » (p. 311). De leur côté, Jin et Hurd (2018) ont découvert que les plateformes numériques aidaient les entreprises, confrontées à des contraintes de ressources financières, en renforçant la notoriété de la marque à un coût relativement faible. De plus, la gestion des relations commerciales avec les plateformes numériques permet également aux entreprises d’accéder à un réseau plus large, fournissant des millions de consommateurs potentiels et une connaissance du marché. Très récemment, Denicolai, Zucchella et Magniani (2021) ont constaté que l’intelligence artificielle influence positivement la performance internationale des PME, avec un impact plus important lorsque l’intensité des exportations est faible. De plus, selon Hervé, Schmitt et Baldegger (2020, p. 13), « en impliquant une intégration plus directe et plus importante des données entre les acteurs, les technologies numériques renforcent l’immédiateté, modèrent le besoin d’intermédiaire, et par conséquent, accélèrent le rythme des échanges ». Cependant, Pergelova et al. (2019) avancent que les technologies numériques pourraient avoir un impact différent sur l’internationalisation des PME en fonction de leur engagement sur les marchés étrangers et/ou de la vitesse d’entrée sur les marchés internationaux après leur création. On peut penser notamment à un effet supérieur chez les entreprises à internationalisation précoce, la TN leur permettant de faire face à la multiplicité des marchés étrangers dans lesquels elles opèrent, par exemple en offrant des possibilités d’interaction à distance avec les parties prenantes ou encore de la veille informationnelle automatisée pour rester alerte sur des marchés très éloignés géographiquement et culturellement. En ce sens, Castagnoli et al. (2021) suggèrent que le développement de l’industrie 4.0 devrait accélérer le processus d’internationalisation des entreprises.

Ainsi, les outils et technologies numériques peuvent être considérés comme des leviers de mobilisation pour atteindre les objectifs commerciaux internationaux des PME (Safar, Sopko, Bednar et Poklemba, 2018). En s’étendant au-delà des frontières, les PME peuvent accéder à de nouveaux marchés, réaliser des économies d’échelle, s’engager dans des opportunités d’apprentissage bénéfiques et utiliser des intrants à faible coût (Kim et Aguilera, 2015), qui sont tous des aspects pertinents de la mise à l’échelle des modèles commerciaux. En outre, les technologies numériques pourraient profiter spécifiquement aux PME en améliorant leur capacité à concurrencer les grandes organisations sur les marchés internationaux (Louw et Nieuwenhuizen, 2019), compensant ainsi une présence internationale physique plus faible. Ces éléments nous aident à énoncer la proposition suivante :

Proposition 1 : l’introduction de technologies numériques renforce l’internationalisation des PME et leur avantage concurrentiel face aux grands groupes.

2.1.2. La connexion entre les technologies numériques et la proposition de valeur

Les technologies numériques affectent positivement la création de valeur. Cependant, Pergelova et al. (2019) ont déclaré que l’important du point de vue de la RBV n’est pas l’infrastructure numérique considérée comme une somme de fonctionnalités technologiques sophistiquées, mais plutôt la capacité de l’entreprise à tirer parti des ressources numériques disponibles pour atteindre ses objectifs commerciaux.

Selon Tan et al. (2020), l’utilisation des nouvelles technologies implique souvent des changements dans la création de valeur. Ces évolutions concernent l’impact des stratégies de TN sur les chaînes de valeur des entreprises (c’est-à-dire, dans quelle mesure les nouvelles activités numériques s’écartent du coeur de métier classique, souvent encore analogique). De plus, la TN affecte un certain nombre de fonctions et d’activités des entreprises (Parviainen et al., 2017). Par exemple, le marketing, les ventes et le support sont des éléments clés pour fidéliser ou gagner de nouveaux clients et améliorer les décisions commerciales basées sur des algorithmes traitant des données volumineuses (big data) à partir de technologies numériques. Enfin, la TN peut jouer un rôle complémentaire dans l’augmentation de la valeur et la réduction des coûts de transaction, même lorsque le maintien ou l’adaptation des produits/services plutôt que la numérisation est le principal facteur de valeur (Parida, Sjödin et Reim, 2019).

Ainsi, nous faisons la proposition suivante :

Proposition 2 : les technologies numériques modifient la capacité stratégique de la PME et renforcent ainsi sa proposition de valeur ajoutée sur les marchés étrangers.

2.2. Le rôle des capacités numériques dans l’internationalisation des PME

Cette partie examinera les différentes relations établies entre les capacités numériques et l’internationalisation des PME, en considérant l’interaction de ces capacités avec les technologies numériques dans le but de soutenir la TN d’une entreprise et de l’aider à gagner ou à maintenir son avantage concurrentiel au niveau international.

2.2.1. L’influence des capacités numériques sur l’internationalisation des PME

La plupart des entreprises reconnaissent que le fait de disposer d’une capacité numérique représente un puissant outil pour créer une nouvelle marque commerciale et pour renforcer les relations avec les partenaires. En effet, cela réduit de manière unique les distances spatiales et augmente la réactivité (Cassetta et al., 2020). De surcroît, les PME adoptant une forme plus complexe d’internationalisation possèdent souvent des capacités informatiques plus développées ainsi qu’ont pu l’observer Dutot, Bergeron et Raymond (2014). En améliorant leur capacité à concurrencer les grandes organisations et à opérer à l’international (Louw et Nieuwenhuizen, 2019), les capacités numériques bénéficieraient spécifiquement aux PME par l’augmentation de leur avantage concurrentiel. En effet, ces capacités peuvent aider les PME à s’adapter rapidement aux conditions environnementales changeantes (Günther, Mehrizi, Huysman et Feldberg, 2017 ; Huang, Liu, Van Der Maaten et Weinberger, 2017 ; Kim, Hong, Kwon et Lee, 2017 ; Kohli et Johnson, 2011 ; Lin et Lai, 2021) et atteindre ainsi leurs objectifs commerciaux internationaux (Safar et al., 2018).

Lenka, Parida et Wincent (2007) distinguent trois principaux mécanismes de capacités numériques : la capacité de renseignement, la capacité de connexion et la capacité d’analyse (Lenka, Parida et Wincent, 2017). Dans un contexte d’internationalisation, nous soutenons que la capacité de connexion est essentielle aux entreprises pour créer de la valeur. Les technologies numériques ouvrent les frontières et lèvent les barrières, offrant plus d’informations. La connectivité permet de nouvelles formes de collaboration entre divers réseaux. Cette nouvelle réalité offre un énorme potentiel d’innovation et de performance organisationnelle, dépassant les frontières de l’entreprise pour atteindre les individus, les industries et la société (Vial, 2019).

Simultanément, la façon dont ces entreprises parviennent à se tenir informées des évolutions de leur réseau implique nécessairement des capacités de renseignement qui leur permettront d’analyser leurs actions mises en place en vue de s’adapter aux changements de leur environnement et, ainsi, contrôler davantage d’éléments de leur environnement opérationnel (Porter et Heppelmann, 2015 ; Nehme, Srivastava, Bouzas et Carcasset, 2015 ; Hansen et Sia, 2015). Cette façon d’agir permet aux entreprises un meilleur accès aux informations internationales, réduisant de ce fait l’incertitude liée à leurs activités ainsi qu’une identification plus efficace des opportunités internationales prometteuses. En effet, sur la base de ces informations, elles peuvent connaître les ressources disponibles à l’international et évaluer efficacement les capacités nécessaires à leur survie sur les marchés internationaux, etc.

Les produits intelligents et connectés modifient complètement la chaîne de valeur. De ce fait, les entreprises ont intérêt à répondre à ce nouvel environnement et à ajouter de la valeur à leur organisation (Freitas Junior et al., 2016) par l’exploitation des données concernant les produits intelligents et connectés utilisés par les clients. En ce sens, les capacités analytiques, reflétant la capacité à traiter les données numériques et à les transformer en des idées ayant une valeur opérationnelle pour l’organisation, permettent de saisir les opportunités prometteuses. Elles permettent également aux organisations d’analyser efficacement ces données à l’échelle mondiale et de planifier les activités potentielles. Ainsi, le renforcement des capacités numériques implique de meilleures capacités de renseignement, de connexion et d’analyse, qui influenceront l’internationalisation de l’entreprise.

Par conséquent, la troisième proposition est la suivante :

Proposition 3 : le développement des capacités numériques entraîne l’émergence de nouvelles capacités au sein de la PME et renforce ainsi son internationalisation.

2.2.2. L’influence des capacités numériques sur la proposition de valeur ajoutée

Eisenhardt et Martin (2000) soulignent que les capacités dynamiques sont des conditions nécessaires à l’amélioration des configurations de ressources existantes pour obtenir un avantage concurrentiel. Cependant, elles sont insuffisantes pour faire face aux défis de l’économie numérique. Selon Tan et al. (2020), les entreprises visant à maîtriser le processus de transformation numérique doivent également développer des capacités numériques dédiées.

Ces dernières contribuent en effet à générer et à ajouter de la valeur pour l’entreprise (Freitas Junior et al., 2016). Par exemple, les capacités numériques, telles que la capacité de renseignement et la capacité d’analyse, aident les entreprises numériques à surveiller leurs concurrents, connaître les tendances du marché et comprendre les besoins des clients (Kolhi et Grover, 2008 ; Nambisan, Lyytinen, Majchrzak et Song, 2017). Elles permettent ainsi aux entreprises de prévoir et de déterminer le comportement social futur, de rester en contact perpétuel avec leurs environnements et de créer des propositions de valeur appropriées (Nambisan, 2017 ; Wiesböck, 2018).

De plus, ces capacités affectent l’agilité et la réactivité organisationnelles des entreprises et, par conséquent, leur permettent d’améliorer leurs processus : la gestion de la relation client, le développement de nouveaux produits et la gestion des connaissances. Elles représentent un atout pour répondre aux besoins de clients de plus en plus exigeants et possédant un plus grand pouvoir de négociation (Tams, Grover et Thatcher, 2014). D’ailleurs, Fernandes et al. (2017) soulignent que la vitesse de réaction des organisations peut impliquer une amélioration de leur performance grâce aux technologies numériques. Müller, Holm et Søndergaard (2015) soulignent également l’importance d’être réactif aux réponses du marché, aux consommateurs et aux autres parties prenantes et suggèrent l’utilisation de plateformes et du nuage numérique (cloud) pour acquérir la réactivité.

Grâce à une amélioration de la réactivité, les entreprises sont susceptibles d’obtenir une meilleure performance commerciale et un avantage concurrentiel, voire un avantage concurrentiel durable (Fernandes et al., 2017 ; Tams, Grover et Thatcher, 2014). Jin et Hurd (2018) ont également insisté sur l’importance d’être réactif aux marchés, aux consommateurs et autres parties prenantes. Ils ont suggéré d’utiliser des plateformes et le nuage numérique pour atteindre cette réactivité. En effet, les niveaux croissants de collecte de données numériques et d’analyse prédictive permettent aux entreprises d’identifier et d’analyser de nouvelles tendances et de nouveaux modèles, éléments clés dans un environnement international en mutation.

Afin de continuer à collaborer et communiquer avec et à travers cet environnement international en mutation et débloquer de nouvelles vagues de croissance, les informations provenant de l’écosystème numérique de l’entreprise doivent s’intégrer. Les acteurs de l’écosystème ont un potentiel de rentabilité plus important : il existe des effets multiplicateurs potentiels de croissance lorsque les entreprises visent le même objectif (Freitas Junior et al., 2016). Par exemple, une entreprise disposant de la capacité de connectivité sera en mesure d’obtenir de meilleurs résultats par sa capacité à établir des liens entre les différents acteurs de l’écosystème et de sa chaîne d’approvisionnement (clients, fournisseurs, etc.). De fait, la capacité de connectivité permet aux entreprises de connecter, coordonner et orchestrer les agents de l’écosystème numérique et, in fine, d’améliorer l’efficacité de la communication entre les agents internes tout en structurant l’écosystème commercial existant. Cette capacité permet également d’interagir avec les clients, pouvant créer des avantages concurrentiels durables – souvent grâce à un plus grand potentiel de personnalisation. Parfois, plus simplement, l’amélioration de l’accès à l’information et son utilisation suffisent à renforcer la relation et par voie de conséquence la proposition de valeur de l’entreprise. Ainsi, nous formulons la proposition suivante :

Proposition 4 : les capacités numériques améliorent la réactivité de la PME vis-à-vis des clients et par effet de retour sa proposition de valeur pour les marchés étrangers.

2.3. Le propriétaire-dirigeant de la PME comme déterminant de la transformation numérique

Il est généralement admis que les propriétaires-dirigeants déterminent en grande partie le comportement et les décisions stratégiques des PME. En effet, pour comprendre le comportement stratégique des PME, il est nécessaire de comprendre les caractéristiques comportementales du propriétaire-dirigeant lui-même (Lloyd-Reason et Mughan, 2002). Dans la littérature sur l’internationalisation, les auteurs mettent en évidence l’influence des caractéristiques du propriétaire-dirigeant, en particulier son orientation internationale, sur le processus d’internationalisation des PME (Morgan, 1997 ; Lloyd-Reason et Mughan, 2002). Au contraire, dans la littérature en entrepreneuriat international, l’orientation entrepreneuriale du propriétaire-dirigeant est considérée comme le point de départ d’une internationalisation rapide (Oviatt et McDougall, 2005).

Dans cet article, nous soutenons que l’orientation numérique du propriétaire-dirigeant de la PME est le premier déterminant du processus à l’oeuvre. En effet, ainsi que le remarquent Elbeltagi, Al Sharji, Hardaker et Elsetouhi (2013), les spécificités des PME à structure organisationnelle plate, dans lesquelles les propriétaires-dirigeants prennent la majorité des décisions de planification à long terme, « constituent la principale raison pour laquelle les propriétaires-dirigeants ont tendance à être impliqués dans les décisions relatives aux technologies de l’information et de la communication » (p. 27). Plus précisément, ces auteurs ont démontré le rôle joué par la capacité d’innovation du propriétaire-dirigeant, sa connaissance des technologies et sa participation aux technologies (comme la planification, la mise en oeuvre d’ateliers de gouvernance des TI, la formation, etc.). Dans cet article, l’orientation numérique est définie comme l’engagement des individus vis-à-vis de l’utilisation des technologies numériques pour fournir des produits, des services et des solutions. Dans le même ordre d’idées, Favre-Bonté et Tran (2013) ont constaté les rôles prépondérants joués par le niveau de connaissance et l’attitude favorable du dirigeant envers ces technologies sur l’augmentation des investissements en la matière. Ainsi, les propriétaires-dirigeants ayant un fort niveau d’orientation numérique semblent plus ouverts aux initiatives numériques et ont tendance à les adopter rapidement et avec engagement. Par conséquent, notre proposition est la suivante :

Proposition 5 : la transformation numérique de la PME sera plus profonde si le propriétaire-dirigeant a une forte orientation numérique et aligne sa vision numérique avec sa vision internationale.

Bien entendu, si cet article se concentre sur l’orientation digitale du dirigeant comme principal déterminant de la TN, d’autres facteurs peuvent également influencer la TN de la PME, notamment ceux relatifs à l’environnement externe. Par exemple, l’évolution de l’environnement international peut pousser l’entreprise à initier une TN pour se maintenir sur les marchés étrangers, comme nous avons pu l’observer durant la crise de la Covid-19 avec les nombreuses entreprises qui se sont digitalisées pour continuer à vendre malgré les restrictions sanitaires. L’environnement technologique peut également jouer un rôle, notamment lorsque de nouvelles pratiques d’affaires deviennent indispensables grâce au numérique (la veille informationnelle au travers des réseaux sociaux) ou que les technologiques deviennent plus accessibles financièrement ou en termes de compétences (tel que le développement de site Internet avec les systèmes de glisser/déposer – drag and drop). Enfin, l’environnement concurrentiel pèse lui aussi dans le déclenchement d’une TN, par exemple lorsqu’un leader du secteur adopte un nouveau standard technologique qui pousse les concurrents à réagir ou lorsque l’entreprise fonde sa stratégie de différenciation sur le numérique.

2.4. La boucle de rétroaction positive entre l’internationalisation et la numérisation

La littérature sur le commerce international a démontré la façon dont les entreprises utilisent leurs connaissances et leurs réseaux pour accroître leur engagement sur les marchés étrangers, et comment, en retour, ce nouvel engagement permet à l’entreprise soit d’acquérir de nouvelles connaissances (Johansson et Vahlne, 1977), soit de développer de nouvelles relations commerciales (Johansson et Vahlne, 2009). Dans le même esprit, nous défendons des boucles de rétroaction positives entre la transformation numérique et ses résultats vers l’internationalisation. En effet, si la transformation numérique influence positivement l’internationalisation des PME, nous pensons qu’une plus grande internationalisation devrait à son tour influencer la transformation numérique mise en oeuvre par la PME, ainsi que l’orientation numérique du dirigeant-propriétaire. Cette proposition fait écho à celle de Castagnoli et al. (2021) selon laquelle l’expansion internationale de l’entreprise influence positivement l’adoption de technologie de l’industrie 4.0. Nous défendons ici un lien similaire pour la TN en général appliqué aux PME au-delà de l’industrie 4.0.

En entrant sur un nouveau marché étranger, la PME se confrontera à un nouvel environnement avec ses propres pratiques commerciales, mais aussi ses propres avancées et pratiques numériques. L’entreprise peut découvrir et apprendre de nouvelles technologies et de nouvelles façons de faire des affaires avec le numérique. Ainsi, l’entreprise s’oriente vers des technologies spécifiques et développe progressivement de nouvelles capacités pour les exploiter de la bonne manière. Par exemple, dans un contexte où l’usage des services numériques par les individus passe par le smartphone et non par les ordinateurs, comme c’est le cas dans certains pays d’Afrique, l’entreprise sera incitée à adopter progressivement une migration de ses services vers une application mobile et la mise en place d’une nouvelle analyse de clientèle basée sur l’utilisation du smartphone. Cependant, pour atteindre cet objectif, l’entreprise devra développer des capacités de développement d’applications mobiles et des compétences spécifiques afin de connecter cette nouvelle technologie à la technologie existante.

De la même façon, un nouvel engagement international va de pair avec la collecte de nouvelles connaissances et le développement de nouvelles relations commerciales. Ces nouvelles connaissances et relations s’avèreront particulièrement précieuses pour les PME dans leur processus d’internationalisation. D’une part, le flux de nouvelles connaissances poussera l’entreprise à adopter des solutions numériques permettant de les collecter, les analyser et les exploiter correctement. D’autre part, les nouvelles relations commerciales impliqueront une plus grande connectivité numérique entre les partenaires. Cette connectivité est susceptible d’entraîner le partage de solutions et de capacités numériques afin de surmonter les différences de contexte et de technologie et de mieux atteindre les objectifs communs. Enfin, l’orientation numérique du dirigeant-propriétaire de la PME peut être, à son tour, profondément influencée par ces nouvelles connaissances et relations, créant ainsi une boucle vertueuse. Sur la base de la discussion qui précède, nous proposons :

Proposition 6 : l’internationalisation croissante et pérenne de la PME ne peut se faire sans la mise en place d’une boucle rétroactive entre internationalisation – transformation numérique – orientation numérique du propriétaire-dirigeant.

La figure 1 présente notre modèle conceptuel, démontrant ces boucles de rétroaction positives entre l’internationalisation et la numérisation.

Figure 1

Modèle conceptuel

Modèle conceptuel

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3. Discussion

Sur la base d’une revue de la littérature, nous proposons un modèle conceptuel de recherche, démontrant l’interaction complexe entre les composantes de la TN (technologies et capacités), l’orientation digitale des propriétaires-dirigeants de la PME et plusieurs conséquences de la TN en lien avec l’internationalisation. Notre modèle contribue à compléter la littérature encore embryonnaire sur l’utilisation des technologies et des capacités digitales dans un contexte international. En effet, de nombreuses études (Favre-Bonté et Tran, 2013 ; Elbeltagi et al., 2013 ; Dutot, Bergeron et Raymond, 2014 ; Deprince et Arnone, 2018) ont déjà présenté les bénéfices liés aux outils numériques, dont les petites entités peuvent tirer profit, mais les spécificités de leur utilisation dans le contexte de l’internationalisation restent peu développées. Par conséquent, cette recherche vise à compléter la littérature sur l’entrepreneuriat international et conduit à plusieurs implications théoriques et managériales.

3.1. Implications théoriques

Nos contributions théoriques portent sur les quatre points suivants : les spécificités de la TN dans une perspective d’internationalisation, l’ancrage dans la RBV, le rôle stratégique des propriétaires-dirigeants et la perspective de la proposition de valeur ajoutée dans la TN. Au-delà des relations mutuelles mises à jour, nous terminons cette partie par la nécessité d’adopter une approche holistique de la relation internationalisation – numérisation.

Un premier apport théorique de ce travail réside dans le fait de répondre à l’appel de plusieurs chercheurs (Coviello, Kano et Liesch, 2017 ; Manyika et al., 2016 ; Vahlne et Johanson, 2017 ; Luo, 2021) à mener des recherches sur la digitalisation des PME internationales, en réunissant deux corpus de littérature – l’entrepreneuriat international et la TN. Ce sujet est particulièrement pertinent à la suite de la crise de la Covid-19, qui a généré du stress et des tensions dans l’environnement commercial international (Ratten, 2020) ainsi que de profonds changements dans les affaires internationales (Alon, Minki, Lagakos et Vanvuren, 2020). Dans ce contexte, innover en utilisant par exemple de nouveaux outils numériques et en créant de nouvelles propositions de valeur pourrait être l’une des réponses stratégiques potentielles à la crise de la Covid-19 (Wenzel, Stanske et Lieberman, 2020). De plus, pendant les périodes de confinement, l’utilisation des outils numériques s’est accrue dans les entreprises, mais sans forcément être mise en perspective avec la stratégie : il est donc plus utile que jamais de mieux comprendre le lien entre la TN et l’internationalisation afin d’anticiper de prochaines crises et de dégager de nouvelles pistes.

Ce faisant, nous avons tenté d’aller au-delà des études précédentes, qui se concentrent sur la TN en tant que concept unique englobant principalement ou exclusivement les technologies numériques, en faisant la distinction entre les technologies numériques et les capacités numériques, conformément à la perspective de Gong et Ribière (2021). Nous soutenons que les technologies numériques en elles-mêmes ne sont pas une condition suffisante pour que la PME obtienne des résultats en termes de proposition de valeur ajoutée et d’internationalisation. L’entreprise a également besoin de certaines capacités numériques spécifiques pour tirer parti des technologies mises en oeuvre. En outre, les nouvelles technologies numériques impliquent des défis majeurs pour la mise en place de structures et le développement de nouvelles compétences afin de gérer une TN et de fonctionner efficacement à l’ère numérique.

Deuxièmement, il a été possible d’élargir la compréhension du phénomène de la TN pour les PME internationalisées grâce à la RBV. Cette approche peut être utilisée pour comprendre comment les configurations de ressources existantes peuvent améliorer l’avantage concurrentiel d’une entreprise. Dans cette veine, notre modélisation soutient le cadre VRIN (Barney, 2001), qui stipule que la performance est déterminée par la qualité des ressources et des capacités de l’entreprise (de valeur, rares, difficiles à imiter). Ici, les technologies numériques sont adoptées pour ajouter une nouvelle valeur et exploiter les opportunités internationales, mais nous pouvons également observer la manière dont l’entreprise les utilise à travers ses capacités digitales. Par conséquent, notre modèle défend l’idée que les technologies numériques et les capacités numériques sont des ressources stratégiques pour le développement international des PME au même titre que les autres ressources et capacités internationales. Même si le concept de capacités numériques est récemment devenu un sujet d’étude, il n’existait pas, à notre connaissance, d’étude sur l’impact de la transformation numérique sur la proposition de valeur ajoutée dans le cadre du développement international des PME.

Troisièmement et en complément de la première contribution, nous avons démontré que la TN des PME dépend d’abord de l’orientation numérique du propriétaire-dirigeant, davantage que dans les grandes entreprises, étant donné que le comportement stratégique de la PME dépend des caractéristiques comportementales du propriétaire-dirigeant lui-même (Lloyd-Reason et Mughan, 2002). Le rôle du propriétaire-dirigeant est trop souvent oublié dans les études sur la TN, comme le démontre le schéma conceptuel de Gong et Ribière (2021), alors que ce rôle a une place majeure dans les théories sur les PME et sur l’internationalisation. Une des ambitions de notre modèle conceptuel est d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche concernant la relation entre les caractéristiques comportementales du propriétaire-dirigeant et le processus de la TN.

Quatrièmement, dans notre modèle conceptuel, nous soutenons qu’une TN permet à une PME d’adapter sa chaîne de valeur (c’est-à-dire de la numériser) (Vadana et al., 2019) pour améliorer sa proposition de valeur (Tan et al., 2020). En d’autres termes, la création de valeur étant liée à l’avantage concurrentiel, une PME qui met en place de nouvelles façons de créer et de fournir davantage de valeur grâce aux technologies et capacités numériques renforce son avantage concurrentiel et obtient alors de meilleurs résultats, spécifiquement dans un contexte d’internationalisation. En prolongeant le raisonnement, investir dans les capacités numériques peut développer de nouvelles capacités stratégiques au sein de la PME, capacités qui viendront soutenir l’avantage concurrentiel et renforcer le positionnement international.

Ainsi, l’approche que nous proposons est novatrice, car elle est holistique. Nous montrons que pour saisir le lien internationalisation-numérisation, il est nécessaire d’analyser conjointement la TN et l’approche internationale de la PME à travers la vision stratégique de son dirigeant. C’est grâce à la mobilisation de la RBV que nous pouvons établir des liens entre les capacités numériques, les capacités stratégiques et la proposition de valeur sur les marchés étrangers. De plus, cette approche permet de mettre à jour la boucle rétroactive qui constitue un véritable atout pour la PME, qui va pouvoir renforcer non seulement son avantage concurrentiel, mais aussi son positionnement international face à de plus grandes entreprises.

Nos résultats offrent également plusieurs implications pratiques pour les propriétaires-dirigeants et les acteurs publics. Nous proposons de les développer dans la partie suivante.

3.2. Implications managériales

Notre étude fournit de nouvelles perspectives et plusieurs implications managériales significatives pour les dirigeants de PME impliqués dans la TN au niveau stratégique international. Tout d’abord, elle souligne le rôle déterminant des dirigeants de PME dans l’adoption de la TN pour atteindre des objectifs internationaux. L’intensité de la TN et la réussite du processus dépendent fortement de leur orientation numérique. Nous avons tenté de démontrer que l’adoption d’une TN représente une décision stratégique ne pouvant pas être improvisée, mais devant être décidée et conçue en premier lieu par les dirigeants de la PME. En effet, ils sont la personnification des comportements et des stratégies de l’entreprise. De la même manière que l’orientation internationale des dirigeants propriétaires est considérée comme un facteur déterminant du succès de l’internationalisation des PME (Freeman et Cavusgil, 2007), l’orientation numérique sera un facteur déterminant du degré et du succès de la TN et, en fin de compte, du succès de l’internationalisation.

Si le domaine des technologies de l’information dans les PME constitue une perspective de recherche riche et documentée, peu de travaux ont porté sur l’alignement de la stratégie internationale et de la stratégie de transformation numérique. Le modèle conceptuel fournit également des heuristiques utiles et crée une base pour comprendre le rôle clé de la TN dans la stimulation des résultats internationaux. Il aide ainsi les dirigeants propriétaires à aborder la TN de manière plus systématique dans le contexte du processus d’internationalisation en soulignant le rôle non seulement des technologies numériques, mais aussi des capacités numériques des PME. En effet, de nouvelles ressources et compétences technologiques sont nécessaires pour exploiter le plein potentiel des outils et obtenir des retombées managériales et commerciales. Un apport d’autant plus important dans un contexte de PME où chaque ressource et chaque compétence sont comptées et sélectionnées. Impliquant la PME dans le développement de capacités numériques, le développement des technologies numériques doit ainsi s’inscrire dans un processus stratégique. Les changements à l’oeuvre touchent non seulement les compétences des individus dans la maîtrise de certaines capacités numériques, mais aussi l’organisation qui doit se reconfigurer pour s’adapter à de nouveaux modes de fonctionnement en interne et en externe lors de la pénétration des marchés internationaux. Nous souhaitons donc mettre en évidence une dynamique à plusieurs niveaux, tant organisationnelle qu’individuelle. Les capacités numériques, les capacités internationales et la structure organisationnelle sont intimement liées. Il est donc nécessaire d’instaurer un dialogue au sein de l’entreprise entre les individus responsables de l’international et ceux responsables des systèmes d’information.

La TN la mieux réussie commence par un changement d’état d’esprit des dirigeants pour relever ce défi (Kane et al., 2017). Dans le même temps, les organisations auront besoin de nouvelles capacités numériques pour soutenir leurs différentes fonctions basées sur des plateformes technologiques numériques (Yoo, Henfridsson et Lyytinen, 2010) et pour s’adapter rapidement à l’impact d’un changement technologique (Yoo, Henfridsson et Lyytinen, 2010). Comme expliqué par Goerzig et Bauernhansl (2018), la TN est l’interconnexion entre une entreprise, son produit ou service et les êtres humains, ce qui nécessite le partage des informations et des connaissances avec les employés afin qu’ils puissent mieux comprendre la situation et prendre des décisions (Ford et Fottler, 1995). L’exercice est difficile : « dans de nombreuses PME, donner aux employés des responsabilités et de l’autonomie dans des tâches spécifiques, ainsi que des informations leur permettant de participer à la prise de décision, au transfert de connaissances, à l’accès aux ressources et aux affaires organisationnelles » n’est pas un réflexe naturel (Abukhait, Bani-Melhem et Zeffane, 2019, p. 3-4). Le risque est de remettre en cause les jeux de pouvoir et les influences au sein des PME et de provoquer le stress des salariés. Il est donc primordial d’accompagner ce changement de mentalité.

Enfin, une implication plus large de cette étude est l’identification du besoin de cadres politiques complémentaires pour soutenir la logique du modèle proposé (la formation et le développement des dirigeants) pour accompagner le processus de TN et réaliser les gains supposés pour l’entreprise dans un contexte international. Néanmoins, nous pensons que le soutien financier ou technique à la mise en oeuvre des nouvelles technologies est insuffisant pour tirer le meilleur parti de la TN et obtenir de nouveaux résultats au niveau international. Il faut donc au préalable évaluer et nourrir l’orientation numérique des dirigeants-propriétaires et de l’ensemble de l’équipe. Ce faisant, l’aide à la réalisation d’une analyse stratégique de la situation s’avèrerait très utile pour permettre aux organisations d’une part de comprendre leur positionnement face à la situation numérique en interne, dans leur environnement, et d’autre part d’identifier les problèmes clés à résoudre avant d’adopter une TN. En effet, il est important pour les dirigeants de comprendre les problématiques associées à la digitalisation pour mieux mettre en oeuvre leurs stratégies (Parviainen et al., 2017). Ainsi, notre modélisation suggère que l’adoption de nouveaux outils numériques pour les PME devrait représenter un sujet stratégique et qu’elles ne devraient pas se contenter de suivre leurs concurrents dans la mesure où cette adoption est une opération très coûteuse. Il est donc essentiel d’établir des objectifs bien définis pour une telle transformation et de comprendre son impact sur l’organisation et la façon dont la PME exerce ses activités. Il est également important d’évaluer les capacités internes nécessaires pour en exploiter les avantages.

4. Limites et perspectives de recherche

Cette recherche se concentre sur les nouvelles conceptualisations théoriques concernant la transformation numérique dans le cadre de l’internationalisation. Bien que les études existantes aient apporté des contributions significatives à la littérature, plusieurs domaines de recherche restent ouverts. De plus, malgré les contributions de ce travail, cette étude doit être interprétée avec prudence et certaines limites doivent être prises en compte, ce qui représente également des directions pertinentes pour des recherches futures. Nous identifions ici les pistes qui nous semblent intéressantes à poursuivre par la communauté de chercheurs.

Ce travail, entièrement basé sur une revue de la littérature, a permis de construire un objet d’étude théorique, mais nécessite une validation empirique. Il représente donc une première étape théorique à confirmer et à confronter sur le terrain. Compte tenu de la nouveauté du sujet de recherche, les informations disponibles sont limitées et les études précédentes se sont principalement concentrées sur les industries à haute technologie (Andersson, Evers et Kuivalainen, 2014 ; Parida, Sjödin et Reim, 2019). Cependant, les TN se produisent dans des secteurs autres que ceux de l’innovation et des technologies de pointe. Ainsi, il pourrait être intéressant d’étudier les secteurs moins innovants et de répondre à cette question : comment les entreprises des secteurs traditionnels font-elles face aux investissements numériques et au déploiement des technologies numériques au sein de structures moins agiles ? L’investissement numérique peut être coûteux et, avec des propositions de valeur floues, il n’est pas du tout certain que la valeur puisse être capturée. Ainsi, nous suggérons que l’alignement de la capture de la valeur et de la stratégie internationale sur les composantes numériques peut maximiser la probabilité de performance sur les marchés internationaux.

Une autre limite potentielle pourrait être la métrique de la TN utilisée. Conformément aux études précédentes, notre modèle comprend trois types de technologies numériques (artefacts, plateformes et infrastructures). À ce jour, les études ne sont pas assez nombreuses pour permettre d’élaborer un modèle reliant chaque type de technologie numérique à la proposition de valeur ajoutée. Une question intéressante pourrait donc être la suivante : quels types de technologies numériques sont nécessaires pour capturer de la valeur ? Le même raisonnement pourrait être appliqué à l’influence spécifique des trois capacités numériques (renseignement, connexion et analyse) proposées par Lenka, Parida et Wincent (2017) : quels types de capacités numériques sont nécessaires pour être plus performant dans un contexte international ? De futures études pourraient chercher à découvrir les conditions dans lesquelles des capacités numériques particulières « fonctionnent » mieux et renforcent la valeur de l’entreprise au niveau international. En effet, la TN offre aux entreprises des possibilités beaucoup plus grandes de faire preuve de flexibilité face à des conditions changeantes, elle pourrait donc être un élément notable de résilience dans un environnement international turbulent.

La question de connaître la façon dont les PME s’approprient les technologies numériques pour se différencier se pose également. En effet, la plupart du temps, la TN réduit les défis posés par la distance géographique en permettant un accès direct aux clients internationaux. Cependant, souvent, les capacités de réaction et d’adaptation à cette demande internationale font défaut aux PME, pour lesquelles ces nouveaux clients requièrent au moins le développement de nouvelles capacités et une stratégie adaptée. De nouvelles capacités numériques doivent être développées et intégrées dans une stratégie plus globale de création de valeur. Comprendre la transformation numérique comme partie intégrante de la stratégie internationale est la clé du succès. Selon Strange et Zucchella (2017), les entreprises qui pourront se permettre d’investir dans les technologies naissantes et d’employer la main-d’oeuvre associée hautement qualifiée seront celles qui prospéreront. Elles représentent l’avenir de l’entreprise dans les prochaines décennies du xxie siècle.

Tous ces questionnements représentent autant de pistes pour explorer et tester le lien TN-internationalisation des PME : il est nécessaire d’approfondir cette relation en déployant des études empiriques qualitatives et quantitatives permettant de soutenir, voire de compléter, notre modélisation. Nous pensons que nous sommes au début d’une ère fondamentalement nouvelle dans le domaine de l’entrepreneuriat international et des technologies numériques, promettant des opportunités de recherche passionnantes, tant sur le plan empirique que théorique.