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Introduction

La relation d’engagement, ou convention de financement à long terme, continue de faire l’objet d’un intéressant débat depuis des décennies. Cette relation de crédit peut être considérée comme le processus d’acquisition d’informations privées par la banque à travers des contrats de crédit répétitifs et des différentes interactions personnelles avec l’emprunteur durant une longue période (Angori, Aristei et Gallo, 2020). Vu l’évolution du contexte et de l’environnement du crédit, ces relations d’engagement continuent de susciter un vif intérêt sur les déterminants d’accès au crédit, en termes de disponibilité, des petites et moyennes entreprises (PME) (Angori, Aristei et Gallo, 2019) dont les structures informationnelles sont opaques[1] (Cenni, Monferrà, Salotti, Sangiorgi et Torluccio, 2015). Une grande partie de cette littérature a d’abord souligné la pertinence de ces relations d’engagement dans les économies qui sont caractérisées par la dominance du financement intermédié (comme c’est le cas de l’économie marocaine). Ensuite, elle a généralement reconnu les avantages de cette relation pour les emprunteurs en termes de taux d’intérêt appliqués, de garanties exigées et surtout de disponibilité du crédit (Petersen et Rajan, 1994 ; Allen et Gale, 1999 ; Elsas et Krahnen, 1998 ; D’Auria, Foglia et Reedtz, 1999 ; Boot, 2000 ; Bharath, Dahiya, Saunders et Srinivasan, 2011 ; Cenni et al., 2015 ; Kysucky et Norden, 2016 ; Cole, Dietrich et Frost, 2019).

Différentes études sur les relations d’engagement mettent généralement en évidence le flux d’information et de connaissances générées par une relation de crédit plus étroite, collaborative et répétée avec les PME (Cotugno, Stefanelli et Torluccio, 2013 ; Fiordelisi, Monferra et Sampagnaro, 2013). Ces informations dites soft peuvent améliorer l’efficacité des contrats de crédit et affecter les conditions d’accès de ces PME au financement bancaire. Canales et Nanda (2012), Uchida, Udell et Yamori (2012) et Bartoli, Ferri, Murro et Rotondi (2013), par exemple, suggèrent que les grandes banques décentralisées sont capables de générer des informations privées extrêmement importantes à inclure dans le processus de décision de crédit. Cependant, il n’y a pas de consensus sur les effets en termes de disponibilité du crédit d’une relation d’engagement entre une banque et les PME[2]. En effet, plusieurs travaux ont souligné les effets positifs de ce type de financement relationnel pour les deux parties suite à la réduction des asymétries d’information (Kysucky et Norden, 2016). En revanche, le revers de ce type de financement réside dans la situation de capture informationnelle et ses effets négatifs en termes de conditions d’accès au crédit. C’est ainsi que la littérature empirique, en ce qui concerne les relations d’engagement, affiche des conclusions divergentes selon les pays sur les effets de ces relations d’engagement (Boot et Thakor, 1994 ; Petersen et Rajan, 1994 ; Berger et Udell, 1995 ; Elsas, 2005 ; Chakraborty et Hu, 2006 ; Brick et Palia, 2007 ; Puri, Rocholl et Steffen, 2011 ; Behr, Entzian et Güttler, 2011 ; Bartoli et al., 2013 ; Gobbi et Sette, 2014 ; Stein, 2014 ; Beck, Degryse, De Haas et Van Horen, 2018 ; Chandera et Setia-Atmaja, 2020). Cette hétérogénéité des résultats empiriques peut s’expliquer par la taille ou la sélection de l’échantillon, les définitions et la mesure des variables et/ou la nature des données (Kysucky et Norden, 2016). Différents travaux empiriques ont essayé d’apporter des éléments de réponse par rapport à l’impact du modèle de financement d’engagement sur la disponibilité du crédit (Berger et Udell, 1998 ; Berger, Klapper et Udell, 2001 ; Flanner, Kwan et Nimalendran, 2004 ; Hernandez-Canovas et Koeter-Kant, 2008 ; Berger, Goulding et Rice, 2014 ; Tran, Hassan et Houston, 2019). Néanmoins, à notre connaissance, peu de travaux ont tenté de comprendre les stratégies commerciales des banques en termes de disponibilité du crédit en tenant compte du risque de défaut des PME (Adair et Fredj, 2013).

Dans cette perspective, cette recherche tente de combler cet écart et d’apporter des éléments de réponse à la question suivante : quelles stratégies commerciales, en termes de disponibilité du crédit, les banques marocaines développent-elles dans le cadre d’une relation d’engagement vis-à-vis des PME qui présentent des niveaux de risque différents ?

Notre contribution dans le cadre de cette recherche peut être considérée à plusieurs niveaux : premièrement, c’est le premier travail de recherche de ce genre réalisé au niveau du marché de crédit marocain, qui est considéré comme le plus dense en Afrique du Nord et de l’Ouest et l’un des plus performants à l’échelle du continent africain (Banque européenne d’investissement, 2020). Deuxièmement, même au niveau international, la majorité des études publiées depuis les travaux pionniers de Petersen et Rajan (1994) et Berger et Udell (1998) n’ont pas pu mobiliser des données contractuelles. D’ailleurs, l’hétérogénéité des résultats des travaux empiriques par rapport à l’impact positif ou négatif de la relation d’engagement sur les conditions d’accès au crédit (taux, disponibilité, collatéral) justifie, selon Kysucky et Norden (2016), le recours plutôt à ces données contractuelles, qui reflètent le point de vue de la banque. C’est l’un des points forts de ce travail. Nous abordons notre étude empirique à l’aide d’une base de données contractuelles d’un échantillon de 512 PME d’une grande banque marocaine. L’utilisation de cette base de données confidentielles, composée à partir des dossiers de crédit, des bilans et de tous les autres documents contractuels (notamment toutes les informations soft générées par la banque lors de sa relation avec les PME) est de nature à conforter nos résultats empiriques.

Le recours à une base de données contractuelles privée reflétant le point de vue du banquier, qui gère une relation de crédit, est à même de produire, à notre sens, des résultats empiriques plus probants qui vont enrichir la littérature existante. Dans la majorité des travaux antérieurs, le risque a souvent été mesuré par des proxys ; or, s’agissant d’une variable centrale dans la relation de crédit, la pertinence de sa mesure est importante. La connaissance, a priori, du risque des PME telle qu’a été appréciée par le banquier lui-même, nous permet d’avancer que les résultats empiriques de cette recherche reflètent mieux la réalité du financement des PME dans le cadre d’une relation d’engagement dans le marché de crédit marocain.

Une autre contribution de ce travail de recherche réside dans le fait de raisonner en termes de stratégie commerciale de la banque, allant du renforcement de la relation au retrait. À notre connaissance, très peu de travaux ont emprunté cette conception. Enfin, plusieurs implications pratiques ont été suggérées afin de pallier à la difficulté d’accès au financement des PME en favorisant un cadre institutionnel et un environnement informationnel à même de minimiser les effets négatifs de la relation d’engagement et de converger vers le modèle de financement alternatif (transactional-basedsystem) pour faciliter l’accès au crédit d’un nombre élevé de PME. Des suggestions ont été également proposées pour les dirigeants des PME afin de tirer profit du modèle de la relation d’engagement actuel compte tenu, d’une part, de leur profil de risque et, d’autre part, du comportement stratégique de la banque.

La suite de cet article est organisée comme suit : la première section réalise une revue de la littérature. Dans une deuxième section, nous présentons les données et la méthodologie de cette recherche. Une discussion des principaux résultats obtenus fait l’objet de la troisième section. Enfin, la dernière section conclut le manuscrit et présente certaines implications d’ordre pratique.

1. Relations d’engagement : revue de la littérature

Une importante littérature a été développée depuis les travaux pionniers d’Akerlof (1970), Rothschild et Stiglitz (1976) mettant en évidence les imperfections du marché de crédit entre les bailleurs de fonds et les demandeurs de financement. C’est d’ailleurs l’une des principales causes de la difficulté d’accès des PME au financement bancaire. Les banques, dans ce contexte, gèrent ces imperfections en développant des stratégies commerciales et en adoptant des modèles de convention de crédit afin d’éviter le risque de défaut (Niinimaki, 2015 ; Djoutsa Wamba, Sahut et Teulon, 2018). La littérature distingue deux types de financement : le financement transactionnel (transaction-based lending) et la relation d’engagement (relationship lending) (Berger et Udell, 2006 ; Kysucky et Norden, 2016 ; Song et Zhang, 2018). Le premier modèle de financement passe par l’utilisation de l’information publiquement disponible et basée sur des critères objectifs (Berger et Udell, 2006 ; Kysucky et Norden, 2016) tandis que le second modèle privilégie un processus de collecte d’informations privées durant toute la relation de crédit en multipliant les rencontres avec les dirigeants de la firme et en saisissant toute sorte d’information issue de son environnement (Boot, 2000 ; Berger et Udell, 2002). Généralement, le choix de ce dernier modèle est adapté à la relation de crédit avec les PME caractérisées par des structures informationnelles opaques (Berger et Udell, 2006 ; Berger, 2015).

Les banques jouent un rôle important dans le financement de l’activité économique dans le cas de l’économie marocaine. Ainsi, pour pallier aux différents problèmes d’ordre informationnel, les banques optent plutôt pour une relation d’engagement. En effet, afin de faire face à l’opacité informationnelle qui caractérise les PME, la banque tente d’insérer la relation de crédit dans une relation d’engagement qui permet de produire, dans le temps, des informations privées ou soft à même de mieux apprécier en permanence le risque de défaut des PME (Rajan, 1992 ; Berger et Udell, 2002 ; Fiordelisi, Monferra et Sampagnaro, 2013 ; Gambacorta, 2016 ; Duqi, Tomaselli et Torluccio, 2017 ; Song et Zhang, 2018). Dans leur évaluation de ce risque de défaut, les banques prennent en considération une panoplie de critères couvrant tout l’environnement interne et externe de la PME. La notion de risque, dont il est question dans cette recherche, est le risque de défaut de la PME provoquant le non-remboursement du crédit.

L’analyse des décisions de crédit prises par les banques est effectuée en référence aux hypothèses de comportement des emprunteurs. Pour faire face à l’asymétrie d’information et à l’opacité informationnelle des PME, la banque doit mieux interpréter la qualité du signal des PME de profil risque faible souhaitant se distinguer des autres entreprises de moins bonne qualité et doit donc réagir par une stratégie adaptée. Dans ces conditions, les conventions d’engagement constituent pour les banques une stratégie incontournable face aux PME. Bien entendu, ces informations privées sont qualitatives, contextuelles, des fois invérifiables (Liberti et Peterson, 2018) et surtout présentant un caractère subjectif difficile à interpréter et à intégrer dans le processus de prise de décision de crédit (Vashishtha, 2019). Rajan (1992), Schenone (2010) et Vashishtha (2019) soulignent qu’en adoptant ce modèle de financement, le banquier devrait être en mesure de développer un arsenal de connaissances sur ces clients PME en termes d’intégrité, de qualité de management et de leadership et, enfin, tout autre aspect pertinent à même de filtrer et classer les PME selon leur profil de risque. À titre d’exemple, Belas, Smrcka, Gavurova et Dvorsky (2018) soulignent l’effet que pourrait avoir l’expérience professionnelle du dirigeant sur la décision de crédit.

La littérature autour des relations d’engagement reflète des divergences sur leurs effets bénéfiques aussi bien pour les banques que pour les PME. Sharpe (1990) et Diamond (1984) parlent justement des coûts que peuvent supporter les deux parties. Concernant la PME, les avantages comprennent généralement une meilleure disponibilité du crédit (Petersen et Rajan, 1994 ; Harhoff et Korting, 1998 ; Weinstein et Yafeh, 1998 ; Angelini, Di Salvo et Ferri, 1998 ; Cardonne etal., 2005), moins de garanties exigées et des meilleures conditions de prêt (Petersen et Rajan, 1994 ; Berger et Udell, 2006 ; Bharath etal., 2011). Wlodarczyk, Szturo, Ionescu, Firoiu et Pirvu (2018) concluent que lorsque la PME polonaise a une relation moins stable avec sa banque et présente un faible niveau de profitabilité, l’accès au crédit, en termes de disponibilité, devient limité. Kremp et Sevestre (2013) et Cieply (2014) ont confirmé, dans le cadre du marché de crédit français, le faible recours au rationnement lorsque la durée de la relation est longue. Boot et Thakor (1994) ont démontré que le coût de la dette diminue dans le temps grâce au bon signalement de la firme. D’autres travaux empiriques ont également confirmé cet effet relatif à la réduction du taux d’intérêt (Diamond, 1984 ; Sharpe, 1990 ; Berger et Udell, 1995 ; Degryse et Van Cayseele, 2000 ; Brick et Palia, 2005 ; Chandera et Setia-Atmaja, 2020).

Les effets négatifs d’une relation d’engagement banque-firme sont principalement de deux catégories : la capture budgétaire (creditor capturing) ou la capture du débiteur (the lock-in situationouhold-upproblem) (Ono et Uesugi, 2009 ; Bolton, Freixas, Gambacorta et Mistrulli, 2016 ; Stein, 2014 ; Duqi, Tomaselli et Torluccio, 2017). La capture budgétaire survient lorsque la PME, en situation de difficulté financière, sollicite un financement particulier de sa banque. Cette dernière répond par un autre type de financement, visant plutôt à éviter un risque potentiel anticipé. C’est le cas également lorsque le projet de la PME devient risqué, la banque préfère accorder à l’entreprise d’autres prêts, notamment de restructuration ou de consolidation dans l’espoir d’éviter la faillite de l’entreprise (Elsas et Krahnen, 1998). Étant donné que la menace de mettre fin au prêt n’est souvent pas crédible dans une relation à long terme, la PME peut se comporter de manière opportuniste ex ante, par exemple en prenant plus de risques, qui ne peuvent être anticipés par la banque (Dewatripont et Maskin, 1995 ; Boot, 2000 ; Detragiache, Paolo et Luigi, 2000 ; Lehmann et Neuberger, 2001). Plus la PME a besoin d’un crédit élevé, plus elle risque d’être capturée et ainsi plus la banque emploie des ressources spécifiques (Gambini et Zazzaro, 2013) pour faire face au risque de défaut anticipé.

La capture du débiteur ou hold-up peut être la résultante d’une relation de long terme avec la PME. La banque accumule, à travers cette relation d’engagement, des informations précieuses et privées sur la PME. Une longue durée de la relation amplifie cet avantage informationnel : c’est ce qu’on appelle dans la littérature la capture informationnelle. La PME peut subir les effets négatifs de cette capture, surtout si elle entretient des relations exclusives avec une banque principale. Le coût de solliciter une autre banque (appelé switching cost) devient élevé (Ioannidou et Ongena, 2010). La banque peut profiter de cette situation, dans le cadre d’une relation d’engagement, pour générer des rentes de monopole en appliquant des conditions de crédit défavorables pour les PME (Stein, 2014 ; Hanley et Crook, 2005). À titre d’exemple, les travaux de Sharpe (1990), Rajan (1992), Von Thadden (2004) et Ioannidou et Ongena (2010) démontrent que les banques appliquent des taux d’intérêt plus élevés en situation de hold-up. Dans un marché de crédit très compétitif et dans le but d’attirer le maximum de PME de bonne « qualité », les banques appliquent des conditions très attrayantes d’accès au crédit au début de la relation d’engagement (Peterson et Rajan, 1994) pour ensuite appliquer des conditions moins avantageuses pour la PME (taux d’intérêt plus élevés, garanties plus importantes et maturité plus courte) lorsque la capture est assurée (Degryse et Ongena, 2005). Cependant, plus la PME multiplie ses relations bancaires pour se prémunir contre cette capture informationnelle, plus elle évite d’être enfermée dans la relation de crédit (Ongena et Smith, 2000). De cette façon, ces PME peuvent être amenées à renoncer à une source de crédit fiable (et essayer de nouer une nouvelle relation avec une autre banque partenaire) afin de limiter les effets négatifs de la capture informationnelle (Rajan, 1992 ; Von Thadden, 2004). En outre, les prêts multiples peuvent réduire le risque qu’un projet rentable soit résilié prématurément et éviter ainsi un éventuel rationnement de crédit (Detragiache, Paolo et Luigi, 2000).

Degryse et Ongena (2005) et Kysucky et Norden (2016) avancent que les prêteurs doivent être conscients qu’un emprunteur peut être incité à cacher des informations sur son risque réel de défaut pour obtenir de meilleures conditions que celles méritées. Alternativement, l’emprunteur pourrait pratiquer l’aléa moral s’il prévoit que, pour certaines raisons, le prêteur ne peut interrompre le crédit ou n’augmentera pas les coûts du crédit. Ce comportement augmentera les coûts de surveillance pour la banque.

Love et Peria (2015) concluent qu’une faible compétition entre les banques affecte négativement l’accès au crédit des PME. D’autres travaux ont essayé de comprendre comment la gouvernance au niveau national impacte la disponibilité du crédit pour les PME (Beck et al., 2018 ; Love et Peria, 2015). Ces travaux ont conclu que les PME, se situant dans des pays ayant une bonne gouvernance, ont plus de possibilités d’accès au crédit lorsqu’elles en ont besoin. L’accès au crédit est, par contre, plus difficile pour les PME appartenant à des pays dont la gouvernance est plutôt critiquable.

Plusieurs travaux ont étudié les stratégies de la banque en termes de disponibilité du crédit dans le cadre d’une relation d’engagement (Berger et Udell, 1995 ; Harhoff et Korting, 1998 ; Petersen et Rajan, 1994 ; Cenni et al., 2015). En effet, dans le cadre d’une relation d’engagement, la qualité de la relation banque-PME affecte la stratégie bancaire en matière de disponibilité du crédit (Murro et Peruzzi, 2022). Cependant, à notre connaissance, peu de travaux ont examiné ces différentes stratégies allant du maintien et du renforcement de la relation au désengagement total. La disponibilité des données contractuelles peut être considérée comme une contrainte majeure.

Nous pouvons déduire de cette revue de la littérature que la banque, dans le cadre d’une relation d’engagement, essaie d’abord d’identifier le profil de risque de la PME. Elle peut ensuite adopter une stratégie commerciale différente en termes de disponibilité du crédit en fonction de ce risque. Deux principales hypothèses méritent d’être formulées :

  • hypothèse 1 : la caractéristique de la relation d’engagement a un impact négatif sur la stratégie commerciale de la banque en termes de disponibilité du crédit pour les PME à haut risque ;

  • hypothèse 2 : la caractéristique de la relation d’engagement a un impact positif sur la stratégie commerciale de la banque en termes de disponibilité du crédit pour les PME à bas risque.

La section suivante présente la démarche méthodologique suivie pour vérifier ces hypothèses.

2. Données et méthodologie de la recherche

Nous avons collecté les données auprès d’une grande banque privée au Maroc[3]. Elles ont été recueillies, en présence des conseillers de clientèle des entreprises, auprès d’un grand centre d’affaires de la banque situé dans la plus importante zone industrielle de la capitale économique du royaume (Casablanca). Les dossiers ont été codifiés pour garder l’anonymat des PME[4].

Certains peuvent supposer que les résultats peuvent être influencés par la culture de la banque. Néanmoins, la spécificité du marché marocain (économie d’endettement caractérisée par une prédominance du système bancaire) et la structure du tissu économique du pays, où la grande majorité sont des PME, implique une forte concurrence sur le marché. Cette situation laisse présager que les banques pourraient avoir une logique et une stratégie commerciale assez semblables en termes de disponibilité du crédit[5].

Pour atteindre l’objectif de cette étude, nous devons disposer de toutes les données de prêt ainsi que les données comptables et financières de toutes les PME composant notre échantillon sur une période d’au moins trois années successives. Ainsi, les données recueillies contiennent les conditions contractuelles, les caractéristiques des PME et toutes les informations spécifiques produites par la banque et pertinentes pour les décisions de prêt telles que : les différentes lignes de crédit, les conditions des crédits, le nombre de banques partenaires, la notation de risque interne de la banque, le volume du chiffre d’affaires domicilié à la banque. Nous avons eu également accès aux dossiers de crédit.

Après avoir supprimé les valeurs manquantes et les données incomplètes de l’échantillon initial, l’échantillon final comprend 512 PME non financières. Les états financiers et comptables collectés datent de 2015, 2016 et 2017. Nous avons distingué deux sous échantillons en fonction de leur cotation risque par la banque[6] : 320 PME qualifiées de risque élevé et 192 PME qualifiées de risque moins élevé ou de « bon » risque.

Dans le but d’obtenir plus de pertinence dans l’interprétation des résultats obtenus, nous avons utilisé une triangulation grâce à des entretiens informels avec des cadres et directeurs afin de comprendre certaines données et d’avoir le point de vue de la banque. Les interprétations finales des résultats empiriques ont pris en considération cette démarche.

2.1. Les variables

Notre étude présente la relation de crédit dans sa globalité et propose ainsi plusieurs indicateurs de mesure de l’intensité de la relation d’engagement. Les informations dont nous disposons reflètent donc plus précisément le point de vue de la banque. Nous connaissons, à partir de ce point de vue, un certain nombre d’indicateurs sur le risque, le niveau d’engagement, les conditions de crédit et, encore mieux, les décisions stratégiques de la banque par rapport à la disponibilité du crédit, c’est-à-dire, sa décision de se désengager, diminuer, stabiliser ou augmenter ses engagements dans le futur.

2.1.1. Les variables indépendantes

En nous inspirant de la revue de la littérature, nous pouvons distinguer cinq caractéristiques principales captant la relation d’engagement. Il s’agit de la durée de la relation, la nature des crédits financés, le nombre de banques partenaires et la notion de banque principale, le flux de transactions domiciliées à la banque et la réciprocité de l’engagement. De ces différentes caractéristiques, nous pouvons déduire les variables indépendantes suivantes :

  • la durée de la relation, notée (Durée) ;

  • la nature des crédits financés, qui peuvent être des crédits de fonctionnement par décaissement, appelés aussi crédits à court terme (CC), ou des crédits à moyen et long terme finançant des projets d’investissement (CMLT) ;

  • la banque universelle, lorsque la banque répond positivement à tous les besoins de financement de la PME (CC et CMLT), notée Bq_Univ ;

  • le rapport des engagements de la banque par rapport au total des engagements de tous les autres créanciers (variable notée G) ;

  • le nombre de banques partenaires, noté Nb_Bq ;

  • le nombre de banques partenaires, noté Nb_Bq x (avec x = 2 ou x = 3)[7] si la PME a respectivement deux ou trois banques ;

  • le flux de transactions domiciliées à la banque par la PME, noté (Mvt) ;

  • la banque principale, lorsque l’essentiel du Mvt (70 %) est confié à une seule banque, notée Bq-Princ ;

  • la réciprocité de l’engagement, notée Re_Eng.

2.1.2. La variable dépendante : la stratégie commerciale de la banque (S_Comm)

La variable stratégie commerciale (S_Comm) indique si la banque, en fonction du profil risque de chaque PME, doit consolider ses rapports avec cette PME. En effet, si cette dernière présente un risque faible, la banque a le choix soit de stabiliser, soit d’augmenter ses engagements. Si, par contre, la PME présente un risque élevé, alors la banque peut soit stabiliser, soit réduire ses engagements. La réduction des engagements peut être envisagée dans une perspective de se désengager progressivement de cette affaire.

Nous distinguons les deux variables suivantes : S_Comm1 qui exprime la stratégie commerciale de la banque dans le cas où la PME serait un haut risque ; S_Comm2 indique la stratégie commerciale de la banque dans le cas où la PME serait un bas risque. La variable S_Comm1 prend la valeur 1 si la banque décide de se retirer. Dans ce cas, le refus de crédit est total. Si elle décide de stabiliser ou réduire ses engagements avec la firme, S_Comm1 prend la valeur zéro. L’accès au crédit est partiel. De même, la variable S_Comm2 prend la valeur 1 si la banque décide d’augmenter ses engagements avec la PME à risque faible. Dans ce cas, les lignes de crédit sont renouvelées avec une possibilité d’augmentation. La variable prend la valeur 0 si la banque décide de stabiliser ses engagements.

Ces deux variables mettent en évidence les décisions stratégiques en termes de disponibilité du crédit de la banque vis-à-vis des PME :

  • la variable S_Comm1 décrit le comportement de la banque d’un refus de crédit modéré à un refus de crédit total avec perspective de désengagement ;

  • la variable S_Comm2 décrit le passage d’une stratégie active d’augmentation des lignes de crédit à une stratégie de défiance (maintien ou stabilisation des lignes de crédit).

Ainsi la variable S_Comm1 caractérise le refus du crédit. La variable S_Comm2 caractérise la possibilité de renouvellement du crédit. En somme, ces deux variables caractérisent la stratégie commerciale en termes de disponibilité du crédit selon le risque (haut ou bas) de la PME.

Le tableau 1 synthétise l’ensemble de ces variables explicatives et les variables dépendantes.

Tableau 1

Synthèse des variables

Synthèse des variables

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2.2. Le modèle empirique

Pour estimer la relation entre les caractéristiques des relations d’engagement et la décision stratégique de la banque en termes de disponibilité du crédit, nous retenons les modèles suivants :

  • S_Comm1 = α + β1.Durée + β2.Mvt + β3.Re_Eng + β4.CC + β5.CMLT + β6.Bq_Univ ;

    + β7.Bq_Princ + β8.Nb_Bq1 + β9.Nb_Bq2 + β10.Bq_Nq3 + β11.G + ε (1) ;

  • S_Comm2 = α + β1.Durée + β2.Mvt + β3.Re_Eng + β4.CC + β5.CMLT + β6.Bq_Univ ;

    + β7.Bq_Princ + β8.Nb_Bq1 + β9.Nb_Bq2 + β10.Bq_Nq3 + β11.G + ε (2).

Les modèles de régression logistique Logit et Probit sont adaptés aux cas d’une variable dépendante binaire. Nous optons pour l’utilisation du modèle Logit compte tenu de la facilité d’interprétation des paramètres associés aux variables explicatives de la fonction logistique Logit et la simple utilisation de la fonction de répartition dans la loi logistique, contrairement au modèle Probit (Ben Ayad et Zouari, 2014). La régression logistique ne présuppose pas les conditions de normalité des variables (Howell, 1998).

Deux étapes composent notre démarche. Dans un premier temps, nous réalisons un premier test économétrique (Modèle 1), sur l’échantillon des PME cotées à haut risque.

3. Interprétation des résultats et discussion

Les statistiques descriptives des différentes variables sont synthétisées dans le tableau 2.

Tableau 2

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

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La qualité des modèles estimés est satisfaisante avec des chi-2 (équivalent au test de Fisher dans la régression linéaire) significatifs et des pseudo R² compris entre 0,2 et 0,4, ce qui selon Mcfaden constitue un bon ajustement des modèles[8]. Le test VIF[9] pour les deux modèles indique qu’en moyenne 79,52 % et 71,13 % de la variance de chaque variable explicative sont indépendants des autres variables exogènes, respectivement pour les modèles logistiques (1) et (2). Ce résultat nous amène à rejeter l’hypothèse de multicolinéarité.

Nous allons à présent interpréter les principaux résultats par rapport aux différentes caractéristiques de la relation d’engagement.

Les résultats présentés au tableau 3 font ressortir que la durée de la relation d’engagement a un impact sur la stratégie commerciale de la banque pour les PME à haut risque (avec un coefficient négatif et significatif au seuil de 1 %). Autrement dit, une firme cotée à haut risque n’aura pas intérêt à nouer une relation de longue durée avec la banque puisque cette dernière va s’apercevoir de la nature de ce risque et déclencher en conséquence une stratégie commerciale de désengagement. Ce résultat a été également confirmé par Bloch, Bourdieu, Collin Sedillo et Longueville (1995) sur la base d’une analyse quantitative de 30 dossiers bancaires. Ces auteurs confirment également que la durée de la relation a une importance dans les décisions de désengagement des banques envers les PME à haut risque. De même, Molkhou (1999), sur la base d’un échantillon de 105 entreprises françaises, confirme également que la durée de la relation a un impact négatif sur la stratégie commerciale de la banque envers les entreprises cotées défavorablement. Adair et Fredj (2013) concluent, sur la base d’un panel de 1 275 PME tunisiennes, que plus de 80 % sont rationnées compte tenu le niveau élevé de risque qu’elles présentent. Ils concluent également que la disponibilité du crédit est conditionnée par une garantie réelle.

Par contre, une PME cotée à bas risque peut développer une relation longue avec la banque et bénéficier ainsi des conditions de prêt, en termes de disponibilité du crédit, plus avantageuses. Les résultats confirment que la variable durée de la relation d’engagement a un impact positif sur la stratégie commerciale de la banque envers les PME cotées à bas risque (avec un coefficient positif et significatif au seuil de 5 %). Ce résultat confirme un certain nombre de travaux empiriques, qui ont démontré qu’il y a un impact négatif sur le coût du crédit, positif sur le montant du crédit accordé et négatif sur le montant des garanties. Ceci est expliqué par le fait que la banque bénéficie d’informations soft et de meilleure qualité sur l’entreprise, caractérisée par une forte opacité au départ de la relation. Ainsi, elle est en mesure de mieux filtrer les emprunteurs à faible risque[10]. Les firmes ayant une durée de relation longue ont plus de chance d’avoir une disponibilité du crédit plus importante (Kysucky et Norden, 2016). Djoutsa Wamba, Sahut et Teulon (2018), sur un échantillon de 262 PME, confirment l’effet de la dimension temporelle sur la décision de crédit, en ce sens que l’accès au crédit est plus important pour celles qui entretiennent une durée plus longue avec leur banque et vice-versa.

Les crédits à moyen et long terme (CMLT) sont considérés comme des engagements bancaires risqués. Ainsi, tout un dossier d’investissement d’une PME doit être minutieusement examiné. On peut facilement déduire, à partir du concept de « conventional wisdom », qu’en principe la banque accorde plutôt des crédits à court terme renouvelables par exercice comptable à des PME à haut risque et elle n’accorde les CMLT qu’à des firmes à bas risque. Les résultats infirment cette logique puisque le coefficient associé à la variable CMLT, pour les PME cotées à haut risque, est positif et significatif au seuil de 5 %. Molkhou (1999), sur des données françaises, conclut au même résultat. L’explication que l’on peut fournir est la suivante : la banque, en décidant de se retirer d’une affaire, met en place généralement des crédits de consolidation ou de restructuration qui s’étalent sur le moyen et long terme. La banque, en optant pour cette décision, préfère tout de même un arrangement amical avec la PME que de s’engager dans un processus de recouvrement judiciaire très long et incertain. Selon Guiso et Minetti (2010), les banques empêchent les entreprises en difficulté (cotées à haut risque) de faire défaut afin de prendre possession de leurs actifs pendant le processus de restructuration de la dette. C’est pourquoi les entreprises ayant des actifs redéployables et à valeur intrinsèque élevée cherchent à emprunter auprès des banques de manière très fragmentée et, ainsi, elles ont moins de chance de subir une réduction de l’offre de crédit.

Par ailleurs, on peut avancer que lorsqu’une entreprise continue à financer une PME en difficulté, elle espère tirer profit de cette opération. La réponse est probablement négative puisque la promesse que la PME soit loyale n’est pas crédible ex post. Elle sera tentée de nouer des relations avec d’autres banques, qui lui proposeront la même offre, et d’éviter ainsi le risque de refus de crédit partiel ou total. Sous cet effet de la multibancarisation, la banque verra son pouvoir et sa rente informationnelle réduits.

Le coefficient associé au nombre de banques (Nb_Bq2), pour les PME cotées à haut risque, est positif et significatif au seuil de 0,1 %. Le nombre de banques a donc une influence sur la décision commerciale de la banque pour ce profil de risque de la firme. Ainsi, pour les PME cotées à haut risque, plus le nombre de banques augmente, plus la banque accélère la stratégie commerciale de désengagement. Molkhou (1999), sur des données françaises, Petersen et Rajan (1994), sur des données américaines, et Hernandez-Canovas et Martinez-Solano (2006), sur des données espagnoles, concluent aux mêmes résultats.

Quant à la variable G, qui mesure le rapport des engagements de la banque par rapport aux engagements de tous les autres créanciers, les résultats confirment une relation négative et significative au seuil de 4,9 % pour les PME à haut risque. Ainsi, il existe une dépendance négative entre le poids des engagements de la banque dans le financement de l’ensemble des crédits et la stratégie commerciale de la banque envers les PME cotées à haut risque et à l’égard desquelles elle a décidé de se désengager. Autrement dit, pour une entreprise jugée à risque élevé par la banque, plus la part des engagements de la banque est faible comparativement à tous les autres créanciers, plus elle adopte une stratégie commerciale de désengagement. Un résultat comparable est obtenu par Angori, Aristei et Gallo (2020). Ainsi, ces auteurs confirment que la disponibilité du crédit diminue lorsque la part de la dette détenue par la banque principale est inférieure à 15 %. Ce résultat est cohérent avec le résultat de la variable CMLT pour les firmes à haut risque. Lorsque les engagements bancaires sont élevés (lignes de crédit importantes), la banque cherche à consolider l’ensemble des lignes en un crédit à moyen et long terme tout en envisageant un désengagement limitant ainsi son exposition au risque de défaut.

En revanche, pour les PME à bas risque, les coefficients associés au nombre de banques (Nb_Bq1 et Nb_Bq2) sont négatifs et significatifs respectivement au seuil de 2 % et 3 %. Un résultat similaire a été confirmé par Angori, Aristei et Gallo (2020). Plus précisément, les PME à bas risque, qui entretiennent des relations d’engagement avec une banque principale, auront plus de possibilités d’accès au crédit. Angelini, Di Salvo et Ferri (1998), Hernandéz-Canovas et Martìnez-Solano (2007) et Bharath etal. (2011) concluent que plus la relation d’engagement est forte avec une banque principale, plus cela réduit la probabilité du rationnement. Bris et Welch (2005) avancent que les firmes de bonne qualité (cotées à bas risque) choisissent un nombre réduit de banques partenaires afin de signaler leur capacité d’éviter la faillite et aussi vu que la concentration des sources de financement leur procure un important pouvoir de négociation. Dewatripont et Maskin (1995) et Gobbi et Sette (2014) constatent que la présence d’un nombre élevé de banques partenaires complique l’accès au crédit et rend le prêt moins rentable, ce qui dissuade les banques de faire des dispositions supplémentaires de crédit a priori jugées inefficaces. Cenni etal. (2015) concluent que pour les PME, il est préférable, dans le cadre d’une relation d’engagement, d’avoir un nombre réduit de banques partenaires. A contrario, plusieurs travaux ont démontré qu’une firme, cotée à bas risque, diversifie ses sources de financement pour échapper au problème de la capture informationnelle (Rajan, 1992).

Concernant la variable relative à la réciprocité de l’engagement, les résultats confirment un impact positif et significatif au seuil de 5 % pour les PME cotées à bas risque. De même, le coefficient associé à la variable Mvt est positif et significatif au seuil de 3 %. Ces deux résultats peuvent s’expliquer par le fait que plus la PME confie un flux important de son chiffre d’affaires (Mvt) à la banque, plus la banque adopte une stratégie commerciale favorisant plus de disponibilité du crédit pour les PME cotées à bas risque. Un tel résultat a été également obtenu par Molkhou (1999) sur des données françaises et par Chakraborty et Hu (2006) sur des données américaines. Hubert et Schäfer (2002) soulignent qu’une concentration de la dette auprès d’un principal banquier contribue à intensifier le problème de la capture informationnelle. Par contre, d’autres banques peuvent interpréter la concentration excessive de la dette auprès de la banque principale comme un signal négatif sur la solvabilité de l’entreprise, rendant ainsi ces banques concurrentes moins disposées à accorder des crédits (Dewatripont et Maskin, 1995).

Le tableau 3 synthétise l’ensemble des résultats des modèles Logit.

Tableau 3

Synthèse des résultats des modèles Logit

Synthèse des résultats des modèles Logit

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Conclusion

Au terme de cette recherche, première à notre connaissance au niveau de marché de crédit marocain, nous pouvons confirmer que la banque marocaine adopte différentes stratégies commerciales, en termes de disponibilité du crédit, pour faire face aux types de risque des PME dans le cadre d’une relation d’engagement. Ainsi, les résultats empiriques confirment l’effet de la durée de la relation sur cette stratégie. En effet, pour les PME cotées à risque élevé, la durée de la relation d’engagement a un impact sur la stratégie commerciale de la banque dans le sens où cette dernière opte pour un désengagement total aussi longtemps que le niveau du risque encouru est élevé. Plus le nombre de banques de ces PME à haut risque est élevé, plus la banque principale adopte une stratégie de retrait. Dans un marché de crédit compétitif, non seulement la concurrence est forte autour des PME qualifiées de « bons » risques, mais aussi les banques tentent de se désengager vis-à-vis des PME à risque élevé et qui ont plus qu’une banque partenaire. Ce constat a été confirmé à travers le test de la variable qui capte l’évolution des engagements de la banque comparé avec le total des engagements de tous les créanciers. Ainsi, pour une entreprise jugée à haut risque par la banque, plus la part des engagements de la banque est faible comparativement à tous les autres créanciers, plus elle opte pour une stratégie commerciale de désengagement accéléré.

Pour les PME en difficulté financière, la banque, en anticipant la perte éventuelle des fonds prêtés, accorde soit des crédits de restructuration lorsque les perspectives sont jugées bonnes[11], soit des crédits de consolidation dans le cas contraire (des projets dont la durée de vie est jugée très courte). La banque préfère des issues commerciales amicales lorsque le risque de la PME est douteux plutôt que le recours à des procédures judiciaires longues et incertaines.

En revanche, plus une PME, cotée à bas risque, est engagée dans le temps avec sa banque, plus elle bénéficie de conditions plus avantageuses d’accès aux crédits. Un nombre de banques réduit milite pour une meilleure disponibilité du crédit et vice-versa. La banque tente d’intéresser ces PME par ces conditions de crédit étant donné qu’elle est la banque principale. Les tests empiriques confirment l’importance des variables relatives à la réciprocité de l’engagement et le mouvement confié pour les PME cotées à bas risque. Plus une firme domicilie une part importante de son chiffre d’affaires à la banque principale, comparé aux crédits mis en place en sa faveur, plus elle bénéficie d’une meilleure disponibilité du crédit.

Cette recherche, même si basée exclusivement sur des données contractuelles, offre des perspectives de recherche à même de combler certaines limites, notamment, en termes de taille de l’échantillon, de qualité du client de la banque, etc. Il serait intéressant d’introduire d’autres variables que la disponibilité du crédit (taux d’intérêt, garanties et maturité) pour capter toutes les dimensions de la stratégie bancaire. D’autres variables de contrôle peuvent être considérées comme la rentabilité, la qualité du management et la nature de la relation personnelle entretenue avec les dirigeants de la banque. Une étude distinguant la qualité du client de la banque (particulier ou corporate) ou portant plus spécifiquement sur les grandes entreprises apporterait sans doute d’autres résultats empiriques permettant de mieux comprendre les stratégies bancaires en matière de disponibilité du crédit dans le cadre des relations d’engagement.

Enfin, un certain nombre d’implications managériales peuvent être avancées par rapport aux résultats de cette étude, et ce à trois niveaux.

Pour les décideurs (pouvoirs publics), il y a lieu de penser à créer des structures régionales de collecte d’informations qualitatives et quantitatives sur les PME des différents secteurs d’activité. Au Maroc, cette mission peut être réalisée à travers les centres régionaux d’investissement (CRI), à l’instar de l’Office marocain de propriété industrielle et commerciale (OMPIC) qui, depuis plus d’une décennie, a permis aux banques d’accéder aux bilans fiscaux de toutes les entreprises marocaines. La mise en place d’une telle infrastructure accessible aux banques pourrait avoir un avantage considérable pour faciliter l’accès au crédit pour ces PME (comme cela a été proposé par Beck et al., 2018). Le développement de ces structures pourrait également favoriser le financement transactionnel (transaction-based system) étant donné que la banque aurait accès à des informations pertinentes sur le profil de risque de la PME. L’État devrait profiter de cette ère technologique pour pousser les banques à passer d’un soft-information system à un hard-information system (hardening soft information). L’objectif est de pouvoir converger vers ce modèle alternatif qui permet d’éviter les contraintes du modèle d’engagement et procure des avantages en termes de temps et de coût et avec des possibilités importantes pour financer un nombre plus élevé de PME (Cenni et al., 2015). Enfin, une réglementation limitant certaines stratégies bancaires en termes de rupture abusive, soutien abusif ou favorisant la capture informationnelle pourrait être envisagée pour limiter le pouvoir de la banque au détriment des PME.

Lorsqu’une banque abuse de certaines situations de monopole informationnel dans le cadre d’une relation d’engagement, cela pourrait nuire à son image et à sa réputation (Sharpe, 1990). Une telle stratégie est risquée compte tenu du fait que l’information circule entre les PME et elle peut provoquer une perte de clientèle. Ainsi, la banque doit repenser sa stratégie commerciale en optimisant entre les éventuelles pertes en termes d’image et de clientèle et les avantages recueillis de sa rente de monopole.

Les résultats empiriques peuvent également avoir des implications pour les PME. Les dirigeants doivent prendre conscience de la compétence de la banque à produire des informations pertinentes sur leur entreprise, d’autant plus si la relation de crédit s’inscrit dans le temps. Ainsi, lorsque le risque est élevé, la PME n’a pas intérêt à diversifier le nombre de banques partenaires, sinon elle favorise un désengagement accéléré. Une banque face à un engagement risqué tente toujours des possibilités de redressement et de restructuration afin de limiter son exposition au risque. De même pour les PME, qualifiées de bas risque, la réduction du nombre de banques, la domiciliation de flux importants de chiffre d’affaires à la banque comparé aux concours bancaires mis en place, militent pour une meilleure disponibilité du crédit.