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Chers collègues, chers lecteurs,
Avec le dernier numéro de la RIPME (31, 3/4) prenait fin la Chronique sur le métier de chercheur animée par Pierre Cossette. Cette chronique a permis de mettre en lumière différentes facettes du métier de chercheur. Y ont été abordés la production scientifique et le choix de la démarche méthodologique, la décision de travailler en collaboration, la mise en valeur des apports théoriques et managériaux de la recherche. La chronique a également traité plusieurs aspects de la diffusion scientifique : les exigences, la langue de publication, le cycle des conférences. Ont aussi été publiés plusieurs textes présentant des réflexions nouvelles et tout à fait d’actualité sur l’évolution du métier de chercheur et les enjeux que cela pose pour les prochaines générations, incluant la question de l’équilibre entre la recherche et l’enseignement. Les textes publiés depuis cinq ans ne laissent pas indifférents et nous montrent parfois la face cachée du métier ou encore le présentent sous des perspectives critiques. Ces chroniques, nous vous invitons à les lire et les relire, pour en saisir pleinement les subtilités, et « absorber » le contenu dérangeant, nous remettant parfois en question. Nous tenons à remercier sincèrement notre collègue Pierre Cossette pour la pertinence de cette chronique, le choix des thèmes, la qualité des travaux qu’il a pu obtenir des nombreux collaborateurs et la volonté de bousculer certains acquis par des propos lucides.
Cette chronique a abondamment discuté du métier de chercheur et ses défis, il nous reste maintenant à explorer le « milieu de la recherche », l’écosystème scientifique. En effet, une bonne connaissance du fonctionnement de cet écosystème permet de mieux saisir certains enjeux nouveaux qui s’imposent aux chercheurs. Outre les universités, les laboratoires et les unités de recherche qui sont les structures les plus visibles de l’écosystème de la recherche scientifique, on y trouve également les organismes de soutien de la recherche, les associations de chercheurs, les organes de diffusion (revues et congrès), et les parties prenantes aux résultats, dont les pouvoirs publics et certaines organisations socioéconomiques. Dans l’exercice de leur métier, les chercheurs sont soumis à des règles, des conventions, des normes qui, comme le métier lui-même, ont évolué au cours des dernières années pour s’adapter à un environnement plus exigeant. Comment sont définies ces normes ? D’où viennent-elles ? Quelle est leur utilité ? Qu’est-ce qui les motive ? Il est plus facile de comprendre ces normes en considérant le chercheur comme un acteur dans un écosystème qui produit et diffuse de la connaissance scientifique, plutôt qu’un acteur individuel.
Tout au long de sa carrière, le chercheur est amené à côtoyer différents membres de cet écosystème, qu’il connaît plus ou moins, engagés dans des activités diverses. Certains chercheurs sont moins intéressés que d’autres à partager leur temps entre la recherche et ces activités classées comme du « service à la collectivité », dont ils ne voient pas toujours l’intérêt. Il est vrai que ces tâches n’ont pas d’impact direct sur la production scientifique ; mais pour autant, elles doivent être assumées, pour permettre à l’écosystème de fonctionner, de répondre aux besoins des chercheurs, de comprendre, voire de participer à l’élaboration des nouvelles exigences qui s’imposent à notre métier, pour s’assurer que cet environnement est toujours propice à l’exercice de leur rôle de producteurs de connaissances.
Il nous paraît ainsi utile, dans le prolongement de la Chronique sur le métier de chercheur, et pour « boucler la boucle », de discuter des composantes de cet environnement en mettant de l’avant l’implication essentielle des chercheurs. Pour garantir l’efficacité de cet écosystème de la recherche, il est impératif de préserver une certaine cohésion entre les différents acteurs – qui ne sont pas tous des chercheurs –, et maintenir un réel engagement de ces derniers. D’abord, prenons le temps de décrire les principaux acteurs de l’écosystème de la recherche :
Les organismes de soutien à la recherche[1] (OSR), financés par des fonds publics, ont pour mission de soutenir la recherche principalement par des programmes de financement et d’en faire la promotion et la diffusion au bénéfice de la société. Derrière cet énoncé général de mission, on trouvera des éléments plus spécifiques qui concernent le type d’aide financière fournie aux chercheurs et aux étudiants, mais aussi les règles selon lesquelles une recherche « intègre » doit être réalisée et diffusée. Les « fonds publics » distribués par ces organismes soutiennent la recherche fondamentale, et peuvent également être attribués à des domaines de recherche ciblés où le besoin de connaissances scientifiques est jugé crucial. Aussi, et pour répondre à des impératifs de reddition de compte face à leurs bailleurs de fonds, ces OSR peuvent imposer de nouvelles orientations qui viendront affecter les activités des chercheurs, puisque ces orientations sont par la suite largement reprises et intégrées dans les missions des universités. C’est ainsi que se sont imposés depuis quelques années, les besoins de constituer des équipes de recherche multidisciplinaire, réunissant des chercheurs de différentes institutions et aussi, mieux connectés aux utilisateurs finaux de la recherche que sont les praticiens ou des acteurs socioéconomiques dans nos domaines.
Les associations de chercheurs sont nombreuses et souvent liées à des domaines spécifiques. Leur but est de favoriser les échanges entre des chercheurs ayant des intérêts communs pour discuter de recherche, partager leurs résultats, construire des réseaux, débattre des grandes questions qui demandent à être investiguées, pour contribuer à faire évoluer leur champ de connaissances. L’organisation et le fonctionnement de certaines associations sont assurés uniquement par des chercheurs actifs, mais lorsque leur taille est trop importante et que les activités sont trop nombreuses, les chercheurs sont accompagnés par du personnel n’ayant pas de fonction de recherche à réaliser.
Les laboratoires et unités de recherche sont clairement dédiés à la production scientifique et à la formation de jeunes chercheurs pour assurer la relève. Selon leur taille et leur budget, ces structures sont habituellement gérées par des chercheurs actifs, accompagnés par différentes catégories de personnel. Bien que la mission centrale de ces unités concerne la production de connaissances, le directeur doit notamment assurer la visibilité de son équipe, trouver les sources de financement pérennes, tisser des liens avec les communautés socioéconomiques, participer à des débats publics.
Finalement, les revues scientifiques, qui sont dirigées par des chercheurs connaissant bien le métier de « chercheur », mais souvent moins celui de rédacteur et de gestionnaire d’un processus de validation et de diffusion scientifique. Si ces connaissances s’acquièrent au fil des années, les enjeux s’accentuent rapidement. En effet, la transition actuelle vers l’économie numérique et l’accès libre à la connaissance scientifique contribuent à créer des zones d’incertitude voire d’inquiétude chez les rédacteurs, influençant le fonctionnement de leur revue, et ce à un rythme accéléré. Selon la taille de la revue, le rédacteur pourra compter sur du personnel de soutien à qui seront déléguées des tâches administratives. Il faudra compter sur la collaboration de nombreux chercheurs qui, en plus de contribuer au bon fonctionnement de la revue, auront aussi à se prononcer notamment sur les orientations stratégiques, la révision de la ligne éditoriale et des normes à respecter, les collaborations à réaliser pour un plus grand rayonnement. S’ajoutent à cela les enjeux liés à la promotion des enseignants-chercheurs, processus dans lequel la publication joue un rôle croissant et qui se fonde sur des classements des revues pouvant avoir des impacts décisifs sur l’existence même de ces revues.
Dans sa chronique sur le métier de chercheur, Raymond (2018) insiste sur les transformations du métier qui sont en grande partie imputables aux pressions exercées par les gouvernements et les organismes subventionnaires auxquels on peut ajouter les universités et leurs propres enjeux. Les chercheurs sont aujourd’hui incités, parfois contraints, à travailler davantage avec des partenaires socioéconomiques et gouvernementaux, souvent les principaux utilisateurs éventuels des résultats de la recherche, tout en travaillant dans des projets internationaux, interdisciplinaires, interinstitutionnels. Fraîchement modelé par un travail individuel réalisé sur près de cinq ans en moyenne, le jeune chercheur a de quoi se sentir un peu à la dérive dans cet environnement qui se présente plus compliqué que ce qu’il laissait paraître. De la même façon que les PME que nous étudions ont dû s’ajuster à un environnement économique mondialisé plus complexe et turbulent, les chercheurs vivent également une période de transition souvent imposée par l’écosystème. Alors que Raymond (2018) propose quelques mises en garde pour que le chercheur auquel on est habitué de se référer continue à produire, Monin (2017) nous présente le « chercheur 2.0 » qui s’installe dans un monde digitalisé, où l’activité de recherche est de plus en plus divisée étant donné le besoin accru de spécialisation pour étudier des données massives (big data) et produire des résultats probants (evidence) ! S’opposent présentement le « chercheur décathlonien » qui maîtrisait tout et le chercheur surspécialiste qui construira ses recherches en équipe avec d’autres acteurs spécialisés. Est-ce que cela sera bénéfique au développement de la connaissance ? La réponse n’est pas évidente et mérite réflexion. La connaissance peut bénéficier grandement de la multiplication des points de vue face à un objet complexe comme le sont les PME et l’entrepreneuriat, mais pour être produite, il faut des conditions particulières et un écosystème adéquat. Et la qualité de cet écosystème dépend de l’engagement des chercheurs et de leur disponibilité à y dédier leur temps et à partager leur talent.
Dans les prochains numéros, nous présenterons les témoignages de chercheurs qui ont contribué de façon importante à cet écosystème afin de nous fournir un regard « de l’intérieur » sur le fonctionnement et les défis que rencontre chacun des acteurs identifiés.
Au plaisir de partager avec vous ces témoignages !
Appendices
Note
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[1]
À titre d’exemples, on peut mentionner le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH), le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC), le Centre national de recherche scientifique (CNRS-France), l’Agence nationale de la recherche (ANR-France).
Références
- Monin, P. (2017). La grande transformation du métier de chercheur, Chronique sur le métier de chercheur. Revue internationale PME, 30(3/4), 7-15.
- Raymond, L. (2018). Le métier de chercheur : quelques leçons apprises au fil des ans, Chronique sur le métier de chercheur. Revue internationale PME, 31(2), 7-14.