Chronique sur le métier de chercheur

Écrire, c’est bien ; bien écrire, c’est mieux[Record]

  • Pierre Cossette

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  • Pierre Cossette
    ESG UQÀM

Cette chronique est la vingtième et dernière à figurer dans cette rubrique sur le métier de chercheur. L’idée de cette rubrique vient de Josée St-Pierre, Camille Carrier et Louise Cadieux qui, en 2012, m’avaient demandé d’en assumer la responsabilité, ce que j’avais accepté avec enthousiasme ; je les remercie chaleureusement d’avoir pensé à moi pour cette tâche qui fut toujours très excitante. Je veux aussi témoigner toute ma reconnaissance à Olivier Germain et Linda Rouleau qui m’ont aidé à déterminer des thèmes intéressants à aborder et à trouver des chercheurs francophones compétents pour les traiter. Les commentaires que j’ai reçus au sujet de ces chroniques est qu’elles auraient fait réfléchir de nombreux lecteurs de la RIPME et plusieurs autres chercheurs, en formation ou établis. J’en suis ravi, et je suis persuadé que ceux et celles qui les ont rédigées sont également très heureux d’avoir ainsi apporté leur contribution au développement de notre communauté de chercheurs francophones.

Un chercheur est quelqu’un qui écrit. Ce ne sont pas les idées ou les projets de recherche que quelqu’un a dans la tête qui font de lui un chercheur, ni même qu’il les développe, réalise ou mène à terme ; c’est plutôt le fait qu’il écrive le compte rendu de son travail et, éventuellement, qu’une revue accepte de le publier. En d’autres mots, écrire, c’est bien, et c’est même essentiel pour quiconque aspire au statut de chercheur. Mais le chercheur à succès ne se contente pas d’écrire beaucoup ; à ses yeux, bien écrire est tout aussi crucial. Il est très conscient que des textes bien écrits ont plus de chances d’être publiés ou de l’être dans des revues de niveau supérieur. À de très rares exceptions près, un chercheur productif est un chercheur qui écrit bien. Bien écrire renvoie essentiellement aux questions de forme, c’est-à-dire à la façon d’exprimer des idées. Mais cela ne doit pas faire oublier que la forme et le fond sont intimement liés. Victor Hugo (1802-1885) a bien rendu cette idée de la quasi-inséparabilité des deux : « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface. » Ce lien entre les deux est si étroit qu’en améliorant l’un, on se trouve presque immanquablement à améliorer l’autre. Le chercheur qui veut soigner la rédaction de son texte est donc amené, dans la plupart des cas, à peaufiner les idées qu’il présente, notamment en clarifiant celles qui ont besoin de l’être (et qui sont toujours plus nombreuses qu’on ne le croit). Écrire un texte empirique destiné à une revue savante – ce serait un peu différent dans le cas d’un texte conceptuel, où l’objectif n’est pas tout à fait le même –, c’est avant tout raconter une histoire (Pollock et Bono, 2013). Cette histoire doit au départ convaincre le rédacteur en chef d’une revue et les évaluateurs auxquels il fait appel de la qualité du travail accompli. C’est un peu comme si le chercheur entrait dans une conversation avec le lecteur, en lui racontant qu’après avoir examiné la littérature pertinente sur un objet de recherche de plus en plus précis, il a trouvé un « trou » dans cette littérature, un vide théorique à combler, une perspective différente à adopter ou des fondements épistémologiques à remettre en question. Il lui explique ensuite que ce « problème », qu’il vient en quelque sorte de construire à partir de l’état actuel des connaissances, permet de justifier ou problématiser la poursuite d’un objectif de recherche qui, sur le plan théorique, vaut la peine d’être poursuivi. Il lui présente aussi la définition des principaux concepts qu’il utilise et fait état du contexte théorique dans lequel s’inscrivent les hypothèses ou propositions de sa recherche. Il décrit également les éléments du cadre méthodologique de son travail… Et le reste. C’est tout cela l’histoire de sa recherche. Mais, pour être convaincant, le chercheur doit en faire un récit qui soit à la fois clair et vivant. La clarté est certainement la caractéristique la plus fondamentale d’un texte bien rédigé, mais une histoire claire ne sera pas bien mise en valeur si le chercheur est incapable de la raconter de manière vivante. En général, si le rédacteur en chef ou les évaluateurs d’un texte soumis en vue d’une publication ne comprennent pas bien ce que le chercheur écrit, ou encore trouvent qu’il est rédigé dans un langage terne ou sans éclat, alors ce texte n’a probablement pas beaucoup d’avenir. Nous verrons ici comment s’y prendre pour construire un récit clair et vivant de l’histoire de sa recherche. Il y a là un travail …

Appendices