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Cet ouvrage collectif, dirigé par Sophie Boutillier, est le 16e de la collection Business and Innovation chez Peter Lang. Il réunit douze textes, écrits par seize auteurs. Il a pour ambition de présenter « la diversité des formes entrepreneuriales dans l’économie contemporaine », ce qui est l’objet de la première partie de l’ouvrage, en lien avec le contexte, notamment le territoire (deuxième partie). L’ouvrage fait également référence aux modalités d’innovation. Cet état des lieux est le bienvenu, car de nouvelles formes d’entrepreneuriat sont apparues relativement récemment, et font l’objet de travaux et d’interrogations de plus en plus nombreux. Certaines de ces formes sont clairement reliées à l’innovation, pour d’autres, le lien est plus ténu. L’innovation n’y est pas forcément la finalité ou le fondement principal, mais ces entreprises peuvent être innovantes dans leur forme. De plus, l’entrepreneuriat, innovant ou non, est généralement relié à un contexte, notamment territorial, à travers différents dispositifs et formes d’organisation. Certains chapitres sont plutôt conceptuels ou théoriques, d’autres présentent des études de cas. Des contributions sont également consacrées au Sud. Enfin, les échelles macroéconomique, mésoéconomique, notamment territoriale, et enfin micro-économique, centrées sur l’entreprise, sont abordées.
Le premier chapitre propose une réflexion sur les perspectives de la société entrepreneuriale et les relations salariat-entrepreneuriat. À cet effet, il présente une équation originale, « l’équation entrepreneuriale », en s’appuyant sur les grands économistes fondateurs de la théorie de l’entrepreneur tels que Cantillon, Say, Schumpeter, Hayek, Mises et Kirzner qui ont fait émerger trois caractéristiques fondamentales de l’entrepreneur : le risque, l’incertitude, et l’innovation. Il convient d’y ajouter le rôle des politiques publiques, qui, au cours de l’histoire, ont influencé l’activité entrepreneuriale en créant un cadre institutionnel adéquat. Pourtant, malgré des politiques actuellement très favorables, les mesures de l’activité entrepreneuriale ne montrent pas un regain de celle-ci.
Le deuxième chapitre traite de l’organisation basée sur les connaissances. Un historique du concept est dressé. Il s’agit, selon l’auteur, d’un modèle organisationnel provenant de la notion d’apprentissage organisationnel, davantage relié aujourd’hui au knowledge management (management des connaissances). Fortement ancré au départ autour des informations et connaissances, plus particulièrement en termes de systèmes d’information et d’automatisation, il a toutefois laissé une place au thème de la connaissance organisationnelle, puis à celui du management des connaissances. Il s’appuie sur différentes formes de capital, plus particulièrement capital humain et capital social, le premier axé sur la compétence, le second sur la relation.
Le troisième chapitre aborde la question de l’environnement de l’innovation, à travers le « modèle de la triple hélice » de Leydersdorff et Etzkowitz, qui lie les sphères : université, entreprise, administration en un système dynamique favorisant l’innovation. L’auteur envisage les modalités et conséquences de l’intégration de ce modèle dans un territoire afin d’en faire un « milieu innovateur ». Toutefois il s’avère que l’émergence d’un milieu innovateur à l’échelle territoriale n’implique pas obligatoirement la présence d’une « triple hélice », a fortiori d’une quadruple ou quintuple, si on ajoute l’hélice « société civile » ainsi que celle « développement durable ». Cela permet de souligner l’importance des politiques publiques d’innovation et de leur gouvernance locale.
Le chapitre suivant consiste en une étude du cas d’une entreprise familiale, à travers une approche historique destinée à mettre en lueur les spécificités du comportement de ce type d’entreprise vis-à-vis de l’un des défis actuels, le développement durable. L’état de l’art en la matière montre des résultats contrastés, depuis la neutralité voire l’impact négatif du caractère familial dans la prise en considération du développement durable, jusqu’au rôle de l’implication de la famille et des perspectives de transmission. Le cas multigénérationnel étudié permet en outre d’identifier d’autres facteurs de contingence dans cette relation, tels que la source d’opportunités de marchés que constitue le développement durable, et le guide pour l’action qu’il peut représenter pour les entreprises familiales.
La question de l’emploi salarié versus l’entrepreneuriat est abordée dans le cinquième chapitre. L’auteur cherche à développer la notion d’« emploi durable », en prenant en compte l’émergence de nouvelles formes d’activité, le télétravail, et les fab labs. Le travail ou « activité laborieuse » est distingué de l’emploi, sa transposition sociale. S’il semble que le télétravail, ou « travail à distance », est une invention qui n’a pas pu se transformer en innovation, faute de soutien des décideurs économiques, les fab labs ou « fabrication personnelle », qui s’appuient sur des technologies, semblent susceptibles de permettre une réappropriation du travail par les individus, favorisant le développement de « l’emploi durable », ouvrant ainsi la perspective d’un nouveau modèle productif.
Le sixième chapitre, qui clôt la première partie, analyse la notion d’entrepreneuriat de nécessité en se fondant sur une revue de littérature. Si certaines caractéristiques différenciant les entrepreneurs par nécessité des entrepreneurs par opportunité ont été identifiées, les premiers ne constituent pourtant pas une catégorie homogène. Une typologie de huit profils est proposée, s’appuyant sur l’analyse de la littérature. Il n’y a de consensus ni sur l’impact économique de structures créées « par nécessité » ni sur leur pérennité ni sur les facteurs d’environnement économique susceptibles de favoriser leur apparition. Des propositions en termes de politiques publiques et des pistes de recherche sont proposées.
Dans le septième chapitre, le lien entre l’entrepreneuriat, la création d’entreprise, et l’évolution du territoire est analysé, d’une part en considérant le rôle de l’entrepreneuriat dans la dynamique territoriale, d’autre part en s’intéressant aux caractéristiques du territoire et ses conséquences sur la dynamique territoriale. Les auteures considèrent que l’entrepreneuriat contribue au développement territorial par le biais de la création et du développement d’un « capital savoir territorial », base de connaissance partagée par l’ensemble des acteurs du territoire.
Le huitième chapitre analyse la trajectoire stratégique d’un essaimage économique innovant, ou small-fish, émanant d’un organisme de recherche, dépendante au départ d’un écosystème de type plateforme déjà mis en place par une entreprise pivot dans le domaine du calcul numérique. Cette stratégie lui a permis de devenir progressivement elle-même une entreprise pivot ou keystone d’un nouvel écosystème d’affaires, concurrent, qu’elle a créé, grâce à un modèle d’affaires ouvert, articulé autour de nombreux partenariats.
Dans le neuvième chapitre, l’auteure démontre que la symbiose industrielle peut être considérée comme un milieu innovateur en comparant les caractéristiques, modes de fonctionnement et impacts attendus des deux notions. La notion de symbiose industrielle apporte en outre une dimension de durabilité. Toutefois, les éco-innovations engendrées par la symbiose industrielle peuvent être freinées par différents facteurs.
Dans le chapitre suivant, l’auteure interroge le lien entre entrepreneur et développement, au sens macroéconomique, plus particulièrement dans le contexte des pays en développement. S’il est admis que l’entrepreneur est un créateur de richesses, source de croissance économique, le lien entre entrepreneuriat et développement, entendu comme un « relèvement durable du niveau de vie », est davantage controversé. L’entrepreneuriat dans les pays en développement présente un certain nombre de caractéristiques, dont l’existence d’un entrepreneuriat informel important, et rencontre plusieurs obstacles pour se développer. Il doit relever de nombreux défis pour participer à la construction des compétences pour le développement.
Le onzième chapitre présente les résultats d’une étude historique consacrée au développement de l’entrepreneuriat artisanal dans une région du Nord du Cameroun. Le chapitre montre comment différents intervenants et facteurs qui se sont succédé dans le temps, depuis les communautés ethniques initiatrices jusqu’aux organismes internationaux en passant par l’administration coloniale, le tourisme international, l’État, les ONG, et les groupements d’artisans ont fait évoluer les formes d’entrepreneuriat artisanal comme les produits dans la région. L’auteur analyse également l’impact, mais aussi les freins au développement de ce type d’activité dans cette région.
Enfin, le douzième et dernier chapitre s’inscrit dans une approche macroéconomique. L’auteur relève que la transformation technologique liée aux technologies de l’information et de la communication s’est d’abord traduite, paradoxalement, par un ralentissement de l’accroissement de la productivité. Cette situation, envisagée d’abord comme une « stagnation séculaire des gains » fut alors attribuée à la globalisation de la finance. Une autre hypothèse apparut ensuite : celle de la nécessité d’une réorganisation des rapports entre producteurs et consommateurs. L’évolution de la fonction entrepreneuriale au cours du temps permet de documenter cette approche organisationnelle, mais l’intervention publique est nécessaire, exigence renforcée par l’impératif environnemental.
Au total, cet ouvrage apporte des connaissances très intéressantes sur l’entrepreneuriat et l’innovation, le tout en relation avec le contexte. Il présente un large panorama de problématiques récentes, variées, et propose des analyses originales qui ne manqueront pas de stimuler les lecteurs. À travers l’entrepreneuriat et l’innovation, c’est bien la petite entreprise, dans ses différentes, et souvent nouvelles formes, qui est au centre de l’analyse.