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Introduction

Le cadre conceptuel de « l’écosystème entrepreneurial », introduit par Isenberg (2010, 2011), souligne l’existence d’interrelations complexes, notamment entre ses différents domaines en lien avec le soutien entrepreneurial. Divers constats établis par des études de terrain sur la dynamisation et la densification de l’activité entrepreneuriale ont démontré l’intérêt d’approfondir l’examen des interrelations entre les dirigeants-entrepreneurs et leurs accompagnateurs (Julien, 2000 ; Julien et Marchesnay, 2011 ; Fayolle, 2004). Les dirigeants-entrepreneurs et décideurs publics se questionnent sur les actions à entreprendre pour dynamiser et densifier l’activité entrepreneuriale. Dirigeants-entrepreneurs et accompagnateurs cherchent ainsi à développer des collaborations productives entre acteurs privés et publics, à coordonner l’action entrepreneuriale, à lui donner collectivement un sens dans le contexte d’une région (Julien et Marchesnay, 2011 ; Messeghem, Sammut, Chabaud, Carrier et Thurik, 2013). La vision partagée et le caractère systémique d’initiatives d’acteurs privés et publics en soutien au développement entrepreneurial pourraient être confrontés, dans le contexte d’un terrain déterminé, à la définition et aux implications managériales de l’écosystème entrepreneurial proposés par Isenberg (2010, 2011).

La problématique de recherche traitée dans cet article s’articule autour de quatre constats principaux à l’égard de l’état des connaissances sur la notion d›écosystème entrepreneurial. Premièrement, aux plans conceptuels et théoriques, les principes suggérés par l’application des notions d’écosystème d’affaires et d’écosystème entrepreneurial reposent principalement sur des anecdotes ou des cas de figure spécifiques. Le caractère idiosyncrasique des antécédents et des résultats de ces travaux rend difficilement transférables leurs enseignements conceptuels à d’autres contextes spécifiques. Deuxièmement, certains auteurs soulignent le manque d’études empiriques permettant l’identification et l’analyse d’écosystèmes d’affaires hétérogènes (Ben Letaifa, 2012 ; Koenig, 2012). En effet, les propositions théoriques associées à la notion d’écosystème d’affaires ont fait l’objet de peu d’analyses permettant de prendre la pleine mesure empirique de l’agencement des facteurs favorisant le développement entrepreneurial. Troisièmement, un des besoins de recherche importants concerne l’étude d’écosystèmes au moyen d’une perspective intégrative, pouvant mettre en évidence la contribution des acteurs (Ben Letaifa, 2012). Dorion, Roth et Zeni, (2002, p. 12) avaient proposé une approche conceptuelle qui place les actions des parties prenantes au centre de la réalité d’un contexte déterminé. Cloutier, Cueille et Recasens, (2013) ont mis en place une méthode pour l’étude contextuelle de l’action entrepreneuriale accompagnée, mais leur démarche n’illustre pas comment en extraire les enseignements pertinents à l’étude d’écosystèmes entrepreneuriaux. Quatrièmement, les études multiniveaux (Aldrich, 1992 ; Thornton, 1999) au sujet des facteurs endogènes et exogènes liés au développement entrepreneurial n’ont pas fait l’objet d’avancées significatives permettant une compréhension systémique de leur portée.

L’objectif de la présente recherche consiste à mettre à l’épreuve l’approche de la cartographie des concepts, introduite par Trochim (1989a, 1989b), dans l’étude d’un écosystème entrepreneurial. Il s’agit d’une démarche de recherche ascendante (bottom-up) participative et de groupe. Elle peut faciliter la collecte et le traitement de données mixtes (qualitatives et quantitatives) relatives à des actions (Kane et Trochim, 2007) susceptibles de soutenir le développement entrepreneurial dans une région. Grâce à cette approche, il serait possible de traiter certaines questions par le truchement de l’analyse de résultats empiriques tirés de la représentation systémique partagée de participants sous forme de carte des concepts. À cet égard, certaines questions peuvent être approfondies. Comment est-il possible par une cartographie des concepts d’identifier un écosystème entrepreneurial ? Comment les domaines de l’écosystème entrepreneurial à l’étude cadrent-ils avec les domaines de l’écosystème au sens proposé par Isenberg (2010, 2011) ? Comment les domaines de l’écosystème identifiés dans un contexte spécifique sont-ils en adéquation avec les implications managériales de l’écosystème entrepreneurial au sens proposé par Isenberg (2010, 2011) ?

Cette recherche contribue donc de manière conceptuelle, théorique et empirique à la question du développement entrepreneurial. Bien que l’intérêt de cet article soit principalement d’ordre méthodologique, ses implications sont nombreuses pour l’étude contextualisée du développement entrepreneurial. La présente recherche identifie dans une région au Québec, d’une part, les actions que les entrepreneurs doivent mettre en oeuvre dans leurs entreprises et au sein des réseaux d’affaires pour favoriser le développement de leurs projets et, d’autre part, les actions et les modes de gouvernance que les accompagnateurs doivent mettre en oeuvre envers les entreprises, les réseaux d’affaires, les institutions, les usagers et les électeurs afin de soutenir le développement entrepreneurial.

L’article est structuré de la manière suivante : les notions générales associées au développement entrepreneurial et à l’étude des écosystèmes entrepreneuriaux sont présentées dans la section 1. Le cadre méthodologique de recherche est présenté dans la section 2. Dans la section 3, les résultats de la cartographie des concepts sont présentés et interprétés. La mise à l’épreuve de la cartographie des concepts comme approche intégrative théorique, empirique et contextualisée est présentée dans la section 4. Avant la conclusion, les constats suivant la mise à l’épreuve de l’approche sont répertoriés dans une discussion présentée à la section 5.

1. L’écosystème entrepreneurial comme objet d’étude et aspects méthodologiques

L’étude de la question du développement entrepreneurial selon une approche contextualisée du phénomène, amène à s’interroger, dans la section 1.1, sur les manières de l’appréhender, ce qui renvoie aux notions d’environnement et d’écosystèmes entrepreneuriaux. Dans la section 1.2 sont présentés les principales approches et les thèmes abordés dans l’étude d’écosystèmes d’affaires et entrepreneuriaux.

1.1. Environnement et écosystème entrepreneurial

La littérature consacrée à l’étude des environnements entrepreneuriaux vise principalement à analyser les caractéristiques d’un contexte favorable au développement de l’entrepreneuriat et à identifier les manières de produire un tel contexte. Ce contexte est souvent décrit comme une combinaison de facteurs (Gnyawali et Fogel, 1994), qu’ils soient économiques, socioculturels, légaux, politiques, ou encore relatifs aux aides et soutiens à l’entrepreneuriat. Ainsi, de très nombreux facteurs ont historiquement été identifiés dans différents contextes pertinents au développement entrepreneurial (Acs et Audretsch, 2010) : les cadres légaux et institutionnels (Jacob et Ouellet, 2002), le type et le coût de la main-d’oeuvre disponible (Vesper, 1989), l’accès aux fournisseurs, aux clients et aux marchés (Eisenhardt et Forbes, 1984), la présence d’entrepreneurs expérimentés, la structure et le niveau de concurrence entre les firmes (Eisenhardt et Schoonhoven, 1990), l’existence de politiques de soutien à l’entrepreneuriat, le niveau de régulation, les incitatifs en matière fiscale (Fortin et Toulouse, 1996), l’existence de services de formation et de soutien (Fayolle, 2005), la disponibilité des ressources humaines (Vesper, 1989) et financières (Young et Welsh, 1993), les caractéristiques de la zone géographique, la présence de centres de recherche et d’universités… Certains travaux ont analysé plus spécifiquement l’environnement institutionnel des pays, de manière à estimer leur capacité à promouvoir le développement entrepreneurial (Spencer et Gomez, 2003 ; Dana, 1987, 1997, 2000).

Par ailleurs, certaines recherches portent plus particulièrement sur les interactions pouvant exister entre les différentes composantes de l’environnement entrepreneurial, adoptant ainsi une approche interorganisationnelle du phénomène. Ainsi, le développement entrepreneurial peut être analysé comme un processus de coconstruction sociale au sein d’un écosystème. Van de Ven (1993) examine le développement d’infrastructures favorisant les projets entrepreneuriaux. Spécifiquement, il montre comment différents acteurs et fonctions interagissent pour favoriser et, parfois, contraindre le développement entrepreneurial, dans un processus collectif de coconstruction impliquant de nombreux intervenants interdépendants des secteurs privé et public.

La nature des interrelations entre les entreprises membres d’un écosystème est également pertinente. Dans son travail de réflexion sur les écosystèmes d’affaires, Moore (1993) souligne que dans chaque écosystème d’affaires, les entreprises participent à un processus de coévolution en tissant des relations complexes en termes de stratégies de coopération et de concurrence, soit de coopétition (Largier, Lartigue, Soulard et Tarquis, 2008). Ces relations sont structurées par et autour d’une entreprise pivot, « qui apporte de la valeur à la communauté », en créant une vision commune à l’ensemble des acteurs qui vont réaliser leurs investissements en conséquence et trouver des rôles d’appui mutuel. La métaphore écologique en biologie utilisée par Moore (1993, 1996, 2006) trouve sa limite dans le fait que les acteurs dans l’écosystème d’affaires lui donnent, de façon consciente, une direction. Néanmoins, comme le souligne Mira-Bonnardel, Géniaux et Serrafero (2012), la stratégie de l’acteur leader de l’écosystème combine des aspects délibérés et émergents, autrement dit, une part de programmation et d’improvisation.

En matière de développement entrepreneurial, une question importante concerne les principes clés pouvant favoriser l’émergence d’écosystèmes entrepreneuriaux, notamment en matière de politiques publiques, d’aide et de soutien au développement des entreprises (Isenberg, 2010). Toutefois, seule une approche systémique de l’entrepreneuriat serait susceptible de garantir la cohérence et la performance de ces systèmes d’aide et de soutien en raison de la nature interreliée et interdépendante des différents domaines d’un écosystème entrepreneurial. Plusieurs principes d’actions sont susceptibles de favoriser l’émergence d’un écosystème entrepreneurial : laisser chaque écosystème se développer selon un modèle propre, réduire les contraintes administratives et réglementaires, apporter un soutien public aux activités porteuses afin de les aider dans leur développement sans chercher à le planifier, concentrer le soutien public sur les projets à haut potentiel de développement, développer la culture entrepreneuriale et des normes sociales pro-entrepreneuriales (par exemple, favoriser le développement de la tolérance envers l’échec), améliorer la capacité de l’entrepreneur à accéder aux ressources financières et humaines (en le laissant se confronter aux difficultés d’accès à celles-ci).

Une seconde question concerne la composition de l’écosystème entrepreneurial et la façon dont celui-ci peut évoluer et se pérenniser dans le temps. Selon Isenberg (2011), tout écosystème entrepreneurial est constitué d’éléments que l’on peut regrouper en six domaines : des politiques de développement entrepreneurial, des marchés financiers, une culture d’affaires, des soutiens aux projets entrepreneuriaux, du capital humain et des marchés de consommation. Chaque domaine est également constitué de sous-domaines. Par exemple, le domaine de la culture d’affaires comporte, selon Isenberg (2011), deux sous-domaines qui sont, d’une part, les cas exemplaires de réussites et, d’autre part, les normes sociales (tolérance au risque, perception sociale des faillites, statut social de l’entrepreneur…). Ces domaines n’agissent pas directement de manière causale les uns sur les autres, mais interagissent de manière complexe (interrelations, interdépendance, cohérence, cohésion, délais associés aux rétroactions, propriétés émergentes…) au sein d’un système.

La question du développement entrepreneurial amène à s’interroger sur la performance des écosystèmes entrepreneuriaux et les dimensions sur lesquelles les évaluer. Iansiti et Levien (2004) retiennent trois dimensions permettant de les évaluer : la productivité (le retour sur investissement des entreprises), la robustesse (la capacité à surmonter les crises, les ruptures technologiques…) et la capacité à générer une diversité organisationnelle en son sein.

1.2. Aspects méthodologiques de l’étude de l’écosystème entrepreneurial

Les approches employées dans l’étude des écosystèmes, selon les principes de Moore (1993, 1996, 2006) s’appuient généralement sur des propositions conceptuelles, voire sur des thèmes pertinents à l’étude de l’écosystème d’affaires tels la coordination, la gouvernance, le rôle des plateformes… Il existe peu de contributions empiriques systématiques pouvant apporter des possibilités de théorisations sur les facteurs du développement entrepreneurial au plan systémique (donc, individuel, collectif et/ou systémique émergent). Isenberg (2010, 2011) utilise une notion d’écosystème, sans référence spécifique à celle de Moore (1993, 1996, 2006), en l’enrichissant de divers « domaines » pouvant en constituer des fondements conceptuels pour l’analyse d’un écosystème « entrepreneurial », plutôt que « d’affaires ». Toutefois, la pertinence de chaque domaine constituant l’écosystème présenté par Isenberg semble, à l’instar des exemples de Moore, reposer sur des anecdotes et des cas de figure peu approfondis.

Des contradictions intrinsèques de la notion d’écosystème telle que proposée par Moore (1993, 1996, 2006) ont été mises au jour par Koenig (2012). Ces contradictions sont en lien avec et entre les métaphores d’écologie mises de l’avant par Moore, que l’auteur assimile surtout à « […] une manière astucieuse d’attirer l’attention » (Koenig, 2012, p. 210). Néanmoins, cet auteur suggère une typologie des écosystèmes beaucoup plus contextualisée et souligne à juste titre : « […] le peu de place accordé dans les recherches empiriques aux écosystèmes de type communautaire » (Koenig, 2012, p. 221), donc l’absence de cadres méthodologiques et empiriques permettant de faire avancer les différents débats relativement à la notion d’écosystème d’affaires.

Il existe un besoin pour des études intégratives et empiriques permettant de « […] saisir l’impact du contexte ainsi que de l’influence des individus décideurs dans le processus » (Ben Letaifa, 2012, p. 254). Les approches intégratives en management seraient intéressantes dans l’étude de l’écosystème entrepreneurial, car elles permettent de mettre en évidence ses propriétés systémiques émergentes. En particulier, des études multiniveaux (micro, méso, macro) (Aldrich, 1992 ; Thornton, 1999) fourniraient une compréhension systémique permettant d’identifier et de distinguer le rôle des acteurs dans l’étude d’écosystèmes hétérogènes et le contrôle qu’ils exercent dans le management des facteurs endogènes et exogènes liés au développement entrepreneurial.

Force est de constater que les méthodes suggérées pour étudier un écosystème entrepreneurial sont peu nombreuses et comportent des lacunes qui limitent les avancées aux plans des possibilités de théorisation. La contribution de cette recherche consiste à faire avancer le potentiel de développement méthodologique dans l’étude de l’écosystème entrepreneurial et de s’interroger au sujet de ce constat. Les approches dites « cognitives » pourraient être d’un grand secours dans l’étude de l’arrimage des besoins entre les acteurs d’un écosystème entrepreneurial pour mesurer, à titre d’exemple, les différences de perceptions entre les acteurs (Fayolle, 2004) ou encore les consensus au sujet d’actions communes à mettre en place entre les dirigeants d’entreprises et les accompagnateurs en contexte entrepreneurial. Les approches cognitives peuvent être utiles pour identifier les causes et les effets associés à la vision entrepreneuriale (Cossette, 1996, 2001), mais, il semble que la littérature rapporte peu d’exemples de ce type d’approches dans l’étude d’écosystèmes entrepreneuriaux ou d’affaires, principalement pour en identifier le pourtour. Le développement de telles approches pourrait mener à une meilleure analyse des mécanismes de coordination, des modes de gouvernance, et des facteurs favorisant le développement entrepreneurial.

La cartographie des concepts, originalement introduite par Trochim (1989a), consiste en une approche intégrative mixte (Jaccard et Jacoby, 2010), soit qualitative et quantitative, et de surcroît participative. Une différence importante entre cette approche et la cartographie cognitive ou le mind mapping se rapporte à la manière dont les cartes sont construites et interprétées. À titre d’exemple, l’approche proposée par Novak (1998) et Novak et Gowin (1997) fait appel principalement au jugement informel de chercheurs et autres personnes qui peuvent s’aider d’un logiciel spécialisé de représentation graphique de liens entre les variables pertinentes à une étude. Cette approche à la cartographie cognitive résulte d’une démarche qualitative essentiellement descendante (top-down) et ne fait pas directement intervenir l’estimation statistique dans la construction de cartes pour permettre une étude des construits (Kolb et Shepherd, 1997). L’approche suggérée par Tyler et Gnyawali (2009) met plus en évidence la dimension participative d’une manière formelle dans la cartographie des cognitions managériales, sans pour autant l’intégrer en dernière analyse avec des méthodes statistiques formelles et intégrées aux données qualitatives.

L’approche proposée par Trochim (1989a) résulte d’une démarche participative ascendante (bottom-up). Les résultats reposent sur des calculs statistiques et font intervenir le jugement des participants dans la recherche d’une carte des concepts interprétée selon le contexte. Les approches de recherche mixtes utilisées dans d’autres contextes, telle la cartographie des concepts (Trochim, 1989a, 1989b ; Kane et Trochim, 2007), semblent appropriées pour analyser des systèmes organisationnels complexes (Trochim et Cabrera, 2005), voire des écosystèmes entrepreneuriaux. En particulier, l’analyse du développement des entreprises dans un écosystème doit tenir compte d’un nombre important d’acteurs. Dans ce contexte, le caractère systémique du développement entrepreneurial et le rôle des acteurs sont mis en évidence (Filion, 2012). En effet, selon Trochim et Cabrera (2005), la cartographie des concepts constitue une approche systémique et est apparentée aux notions de complexité selon les trois critères suivants : une carte des concepts est le reflet statistique d’un système complexe adaptatif (aspect interne), les cartes résultantes permettent d’identifier des possibilités d’interventions dans les politiques publiques (aspect externe), les cartes peuvent servir à guider l’action de systèmes sociotechniques tout en utilisant pour leviers les propriétés qu’exhibent les systèmes complexes (adaptatif, évolutif, émergents) (Trochim et Cabrera, 2005 ; Trochim, Marcus, Masse, Moser et Weld, 2008). En effet, une carte des concepts produite lors des analyses statistiques multivariées permet de concevoir ces résultats comme des « agents » en interaction et à la source de rétroactions, d’adaptation et d’évolution d’un système complexe (Trochim et Cabrera, 2005). La représentation systémique partagée, émergent de l’interaction de dirigeants-entrepreneurs et d’accompagnateurs, apporterait une perspective systémique par la mesure des consensus et des divergences entre les participants, au sujet du développement entrepreneurial, et permettrait une certaine triangulation, voire l’identification de construits théoriques et/ou une généralisation empirique.

Des études qui mettent en place la cartographie des concepts par cette approche intégrative mixte participative sont répertoriées dans le domaine de l’évaluation de programmes, principalement, et dans divers champs d’applications, soit : en technologies de l’enseignement (Abrahams, 2010), en soins de santé (Trochim et Kane, 2005), en santé publique et communautaire (Risisky et al., 2008 ; Dagenais, Ridde, Laurendeau et Souffez, 2009), en travail social (Petrucci et Quinlan, 2007 ; Ridings et al., 2008), en évaluation de programmes de recherche et d’évaluation biomédicales (Trochim et al., 2008), notamment. Quelques études ont été aussi réalisées avec cette approche en marketing des soins de santé (Hall, 2008 ; Shewchuk et O’Connor, 2002), en commerce électronique (Su, Zhao, Song et Chen, 2008) et en tourisme (Bigné, Aldas-Manzano, Küster et Vila, 2002).

2. Cadre méthodologique

La cartographie des concepts permettrait l’étude d’un écosystème entrepreneurial. Premièrement, il s’agit d’identifier le pourtour de cet écosystème circonscrit par les énoncés d’actions répertoriées et pouvant être entreprises par les acteurs de l’écosystème entrepreneurial, soit les dirigeants-entrepreneurs et leurs accompagnateurs. Le contexte à l’étude permettant d’identifier les domaines de l’écosystème, tel qu’appréhendé par Isenberg (2010, 2011), est présenté à la section 2.1. Deuxièmement, l’intérêt du cadre méthodologique est présenté à la section 2.2. Il s’agit de la possibilité d’examiner les consensus, les priorités des participants, mais également les portées interprétatives théoriques et empiriques pouvant contribuer à l’étude de l’écosystème entrepreneurial identifié.

2.1. Contexte : un écosystème entrepreneurial à identifier

Situé au Québec, le terrain à l’étude, essentiellement rural, est régi par une municipalité régionale de comté (MRC). Au Québec, une MRC comprend, dans une seule entité administrative, un même territoire d’appartenance selon le sens juridique défini par la Loi sur l’organisation territoriale municipale[1]. Les caractéristiques de ce territoire sont typiques d’une zone périurbaine, à savoir : au niveau économique, des activités essentiellement rurales qui tendent à se diversifier (par exemple, agrotourisme, récréotourisme (plein air), villégiature, entreprises culturelles…) ; au niveau démographique, une croissance relativement forte de la population, notamment du fait de l’implantation d’actifs effectuant des migrations journalières vers un lieu de travail (phénomène de « villes-dortoirs »). Les territoires périurbains connaissent un développement fort dans l’ensemble des pays occidentaux (Chéry, 2010). Une attention particulière est désormais portée à ce phénomène (Bryant et Charvet, 2003 ; Doyon et Frej, 2003). L’un des enjeux principaux est en effet d’élaborer des politiques publiques visant à accompagner le développement harmonieux des zones périurbaines. Un tel contexte est parsemé d’obstacles précis à identifier, car limitant le développement entrepreneurial, notamment en ce qui concerne l’accès aux compétences, capacités et ressources (capitaux, infrastructures, main-d’oeuvre qualifiée…).

Le maître d’oeuvre principal du développement entrepreneurial d’une MRC est le Centre local de développement (CLD). Le CLD existe au sens de la Loi sur les compagnies : « La MRC confie au CLD les mandats suivants : offrir, le cas échéant, en partenariat avec d’autres personnes ou organismes, notamment du secteur privé, l’ensemble des services de première ligne aux entreprises […], en tenant compte des orientations, des stratégies et des objectifs nationaux et régionaux, une stratégie en matière de développement de l’entrepreneuriat »[2].

Les participants à l’étude ont été identifiés par un comité de pilotage du projet formé de membres du CLD et de l’équipe de recherche. À l’étape de la préparation de l’intervention, il était important de motiver la participation, par une thématique pertinente ; les participants devant investir des ressources-temps importantes tout au long du travail (environ six heures sur quelques semaines), de la collecte des données à l’interprétation des résultats. Il s’agit d’accompagnateurs et de dirigeants-entrepreneurs de microentreprises[3], menant des opérations et activités d’affaires dans la MRC. Bien qu’il existe des ententes formelles, souvent financières, entre les dirigeants et le CLD, les entreprises ne sont pas groupées dans un même lieu physique, mais participent à diverses activités de soutien (formation, mentorat…). Elles sont non spécialisées et oeuvrent dans divers secteurs (ex. : cliniques de soins de santé, biens culturels artisanaux, agrotourisme, restauration, salles de spectacles, galeries d’art, organisation de festivals…). Les entreprises sont en développement, dans le sens où elles sont établies depuis quelques années et sur le point d’entrer dans une phase de croissance nécessitant des changements organisationnels. Des discussions entre les participants visent à fédérer leurs interactions dans un « réseau » d’affaires et d’accompagnement formel. Les profils et affiliations des accompagnateurs qui ont participé à l’étude incluent des agents de développement économique affiliés au CLD, des dirigeants d’agences gouvernementales (municipale, provinciale, fédérale), des élus locaux, des représentants d’institutions financières et des consultants.

2.2. Étapes de recherche

Quatre étapes principales de recherche ont été suivies pour mettre à l’épreuve l’approche de la cartographie des concepts auprès du groupe de participants composé de dirigeants-entrepreneurs et d’accompagnateurs : 1) la génération des idées obtenues lors d’un groupe de discussion, 2) la structuration des idées des participants en énoncés d’actions, 3) l’analyse de cartographie des concepts, donc l’obtention des résultats des analyses statistiques multivariées sous-jacentes à cette approche, et 4) l’interprétation de la carte des concepts et autres résultats obtenus permettant d’établir des constats.

Génération des idées

L’étape de la génération des idées visait à générer, lors d’un groupe de discussion, une liste d’énoncés d’actions. Lors de ce groupe de discussion, une vingtaine de participants, dont des dirigeants-entrepreneurs et des accompagnateurs, ont proposé une série d’énoncés qui avaient pour objectif de compléter une phrase préalablement formulée par l’équipe de recherche et les membres du comité de pilotage du projet : « Une action spécifique à entreprendre pour assurer le développement de mon entreprise est… ». La conversation entre les participants durant la discussion de groupe a fait émerger des idées, des opinions, pouvant faire l’objet d’énoncés d’actions qualitatifs. Le groupe de discussion a permis d’obtenir des idées sous forme qualitative, afin de procéder dans une étape ultérieure, à des mesures quantitatives de ces mêmes énoncés dans un cadre méthodologique mixte intégré (Geoffrion, 2010). Des notes ont été prises par deux membres de l’équipe de recherche et le contenu des discussions a été enregistré. Environ 125 idées ont été initialement recueillies pour compléter la phrase et une liste initiale de ces énoncés d’actions a été dressée. Des rondes de révision des énoncés d’actions retenus ont été exécutées par les membres de l’équipe afin d’éliminer les doublons et les incohérences, de s’assurer que les énoncés étaient étroitement reliés à la phrase à compléter et aux objectifs de recherche, de simplifier la terminologie employée et d’en prétester la compréhension. La liste finale comprenait 82 énoncés d’actions.

Structuration des énoncés

À l’étape de la structuration des énoncés, le groupe a été élargi à 37 participants (accompagnateurs [n = 12] ; dirigeants-entrepreneurs [n = 25]). Sur rendez-vous individuels, les participants ont accompli les trois tâches assignées. Premièrement, chaque participant a rempli un formulaire lui permettant de s’identifier, d’apporter quelques informations d’ordre sociodémographique au sujet de son statut dans l’étude, soit dirigeant-entrepreneur ou accompagnateur, et de fournir quelques informations additionnelles au sujet de son rôle, son expérience et sa formation. Ces informations ont été utilisées spécifiquement pour déterminer le statut du participant dans l’échantillon et mener des analyses de sous-groupes.

Deuxièmement, les participants ont reçu un jeu de 82 cartes (format cartes de visite). Sur chacune des cartes était imprimé un seul des 82 énoncés d’actions ainsi que le numéro d’identifiant attribué à cet énoncé. Les participants devaient former des piles de cartes d’énoncés d’actions en associant entre elles les idées, d’une manière qui avait du sens pour eux. Parmi les contraintes de classement imposées, on retrouvait : i) la possibilité de former autant de piles de sujets que d’énoncés d’actions dans le jeu de cartes (donc un maximum de 82 piles), ii) un énoncé ne pouvait être classé dans deux piles, iii) il ne pouvait y avoir moins de cinq piles d’énoncés, et iv) il ne pouvait y avoir de piles d’énoncés classés pêle-mêle, puisqu’un énoncé ne pouvant être associé à un autre, devait constituer une pile (cette pile comprenant, dans ce cas, un seul énoncé). Les consignes ont été transmises verbalement à chaque participant par un membre de l’équipe, elles étaient également transmises par écrit pour consultation en cas de doute. Les numéros d’identifiants des énoncés étaient ensuite retranscrits sur un formulaire et les participants devaient proposer un titre descriptif des énoncés pour chaque pile de cartes formée.

Finalement, pour réaliser la troisième tâche, les participants ont coté chacun des 82 énoncés d’actions pour son importance et sa faisabilité sur une échelle numérique de type Likert de 1 (pas important/pas faisable) à 5 (relativement plus important/plus faisable). Les participants étaient invités à considérer l’importance et la faisabilité relatives perçues. Il était primordial d’insister sur ce point auprès des participants, puisque tous ces énoncés issus du groupe de discussion étaient susceptibles d’être considérés importants ou faisables, réduisant ainsi à néant toute possibilité de variance statistique. Ces construits ont été choisis puisqu’il était essentiel pour les participants de connaître les actions à prioriser et aussi de saisir le degré de faisabilité perçue des actions. Des instructions précises ont été transmises verbalement et par écrit aux participants afin qu’ils puissent bien distinguer les deux échelles.

Analyse de cartographie des concepts

Les données ont été saisies dans le logiciel The Concept System Professional® (V. 4.0.175) permettant un traitement statistique des données, l’obtention de cartes des concepts et la production de rapports statistiques. Une première étape dans l’analyse des données consistait à former une matrice binaire des similitudes pour chaque participant. Dans ce projet, les matrices de similitudes sont des matrices carrées de 82 rangées × 82 colonnes (les rangées et colonnes de la matrice correspondant aux croisements entre les 82 énoncés d’actions formant une même pile de cartes). Chaque cellule de cette matrice indique les énoncés qui ont été classés par un participant sur les mêmes piles par le nombre « 1 » ou par un « 0 » si cela n’est pas le cas. La somme des 37 matrices individuelles de chaque participant produit une matrice carrée totale des similitudes. Cette matrice est ensuite analysée par une technique d’estimation statistique d’échelonnement multidimensionnel (MDS) non métrique qui réduit le nombre de dimensions dans l’espace de 82 à deux dimensions (Kruskal et Wish, 1978 ; Davidson, 1983). Cette analyse produit aussi une estimation des coordonnées (x, y) de chaque énoncé d’action sur un plan bidimensionnel (représenté sur un plan par un point et le numéro d’identifiant de l’énoncé). Ce calcul a produit une représentation sur un plan (x, y) de l’ensemble des classements d’énoncés, soit à partir des données brutes collectées auprès des participants lors du classement des énoncés.

Le positionnement des coordonnées (x, y) des énoncés sur le plan bidimensionnel de la solution de la MDS permet ensuite de former des groupements d’énoncés (représentés par les points (coordonnées [x, y]) (Kane et Trochim, 2007). Il s’agit alors de mener une classification ascendante hiérarchique (CAH) (hierarchical agglomerativecluster analysis), par l’algorithme de Ward (Everitt, 1980 ; Aldenderfer et Blashfield, 1984). Les résultats de cette méthode sont les seuls moyens techniques par lesquels les groupements d’énoncés d’actions sont formés sur une carte des concepts. La CAH permet de déterminer la partition des énoncés d’actions de manière non chevauchée (ou sans recoupement entre eux). Au-delà de ce classement par groupements agglomérés que l’algorithme de Ward impose aux coordonnées obtenues des résultats de la MDS, il n’existe pas de critère mathématique permettant de préciser le nombre de groupements à retenir sur une carte des concepts. Il est donc essentiel de faire intervenir le jugement humain dans la détermination du nombre de groupements sur une carte des concepts[4].

Ces résultats permettent de produire une carte des concepts qu’il est possible d’interpréter pour l’agencement et le sens à donner aux résultats obtenus. Dans cette étude, le nombre de groupements à retenir pour l’interprétation de la carte des concepts a été déterminé selon une procédure systématique mise en place par les membres de l’équipe et du comité de pilotage du projet suivant les pratiques documentées dans la littérature (Kane et Trochim, 2007). Cette procédure consiste en réductions successives du nombre de groupements d’énoncés des solutions obtenues de la CAH par l’algorithme de Ward. En effet, à chaque itération, le classement proposé par le résultat de l’algorithme compare la distance euclidienne entre tous les barycentres de chaque groupement d’énoncés se trouvant sur la carte des concepts. Par comparaison, l’algorithme de Ward identifie la distance euclidienne minimale entre les barycentres de deux groupements d’énoncés et leur agglomération est alors proposée. Cette distance euclidienne minimale fait foi de la proximité mathématique non chevauchée entre deux concepts, ce qui ne correspond pas nécessairement à une proximité de sens, d’où la nécessité de l’intervention du jugement humain permettant d’interpréter ces résultats. Au départ, vingt groupements ont été pris en compte. Chaque suggestion de fusion entre groupements obtenue par la CAH a fait l’objet d’un travail individuel, indépendant, systématique et approfondi des résultats par les membres de l’équipe et de pilotage du projet. Cet examen est également mené en prenant en compte les propos des participants lors du groupe de discussion. À cette fin, les notes écrites prises durant le groupe de discussion ont été consultées et son enregistrement réécouté. Cette procédure se poursuit par une confrontation des résultats individuels, lorsque mis en commun, afin que la carte des concepts obtenue soit une représentation adéquate des priorités des participants. Cette procédure a permis de déterminer et de documenter huit groupements de concepts sur la carte. Le résultat proposé de huit groupements pour la carte des concepts constitue une représentation systémique partagée des concepts. Le nombre de groupements représente un équilibre entre les détails qu’ils apportent et une interprétation adéquate des contenus pour le sens pouvant être attribué aux résultats. Les noms attribués aux groupements d’énoncés sont également le résultat d’un traitement statistique des suggestions des participants obtenus lors du classement des énoncés. Les noms des groupements ont aussi fait l’objet de discussions entre les membres de l’équipe et du comité de pilotage.

Avant de procéder aux analyses de cartographie, il était nécessaire de s’assurer que les résultats quantitatifs pouvaient être intégrés dans une analyse globale des données recueillies, les résultats devant constituer une représentation systémique partagée par les participants (Rosas et Kane, 2012 ; Trochim, 1993). Des tests statistiques permettent d’évaluer la fiabilité du processus de classement des cartes d’énoncés (entrées) et donc les cartes des concepts obtenues (résultats) entre les deux sous-groupes hétérogènes de participants (dirigeants-entrepreneurs, accompagnateurs). Pour ces calculs, des analyses de corrélation du produit-moment de Pearson ont été menées sur les matrices totales des similitudes (données brutes collectées) et sur les matrices de distance (sorties post-analyse des coordonnées d’abscisses et d’ordonnées) obtenues des analyses de la MDS. Les résultats de ces deux tests ont permis de documenter la fiabilité quantitative de l’analyse globale comprenant les membres hétérogènes des deux sous-groupes. L’analyse de la MDS comprenant les données de l’ensemble des 37 participants a produit une valeur de stress (VS) = 0,2548 (après 16 itérations), ce qui établit une validité représentative interne des données traitées ; en effet, le résultat obtenu de l’estimation des données dans cette étude (VS = 0,2548) se situe en deçà du seuil minimum du critère d’acceptabilité le plus stricte, soit VS = 0,27, dans un intervalle de confiance de 95 % (Rosas et Kane, 2012).

Interprétation des cartes

Pour réaliser l’étape d’interprétation de la carte des concepts obtenue, les résultats et leurs interprétations initiales ont d’abord fait l’objet de discussions et ont été affinés par les membres de l’équipe. Ensuite, ces résultats ont été présentés aux participants dans le but de stimuler les échanges avec les chercheurs et de favoriser leur appropriation par les participants. Les résultats obtenus sous forme de cartes, par groupement d’énoncés d’actions, et les mesures obtenues des échelles d’importance et de faisabilité ont été présentés et discutés en détail avec les participants. Liée à des contraintes d’organisation, une première présentation a été tenue auprès de vingt dirigeants-entrepreneurs et accompagnateurs, alors que la deuxième présentation comprenait douze accompagnateurs, dont un membre élu, de la MRC. L’ensemble des participants aux rencontres a contribué à la construction d’une interprétation commune de chaque groupement d’actions à entreprendre afin d’assurer le développement de l’entreprise, fourni des suggestions au sujet du nom des groupements d’énoncés et suggéré des pistes d’interprétation des résultats.

3. Identification d’un écosystème entrepreneurial par la cartographie des concepts

L’analyse des résultats de la cartographie des concepts est présentée dans les deux sous-sections qui suivent. Dans la section 3.1, la carte des concepts obtenue de huit groupements est introduite et interprétée succinctement. L’évaluation des priorités pour les décideurs, selon les échelles d’importance et de faisabilité évaluées, est présentée à la section 3.2.

3.1. Carte des concepts et indices d’ancrage et de chevauchement (IAC) par groupement

La carte des concepts retenue, composée de huit groupements, est présentée à la figure 1. Les points sur la carte portent les numéros d’identifiant de chacun des 82 énoncés d’actions répartis sur les huit groupements. La disposition des groupements sur le plan permet de situer ceux qui sont plus rapprochés conceptuellement les uns des autres (par exemple, lorsque limitrophes) de ceux plus éloignés les uns des autres (par exemple, lorsqu’intercalés avec d’autres groupements ou opposés sur la carte).

Figure 1

Carte des concepts : ancrage et chevauchement des groupements d’énoncés

Carte des concepts : ancrage et chevauchement des groupements d’énoncés

† Note : légende des groupements : strate 1 : 0,15 à 0,24 ; strate 2 : 0,24 à 0,33 ; strate 3 : 0,33 à 0,42 ; strate 4 : 0,42 à 0,51 ; strate 5 : 0,51 à 0,60.

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Les huit groupements identifiés concernent une variété d’actions spécifiques relatives au développement de l’entreprise telles que : les aspects politiques, réglementaires et administratifs, les questions de ressources financières et humaines, les enjeux de développement de réseaux d’entreprises ou de marchés… Certains groupements font référence aux actions que les accompagnateurs doivent mener pour favoriser le développement entrepreneurial sur le territoire (groupements 1, 5 et 6), mais la plupart des groupements concernent des actions que dirigeants-entrepreneurs et accompagnateurs doivent mener de manière partagée (répartition des actions à poursuivre entre eux) ou conjointe (coordination entre dirigeants-entrepreneurs et accompagnateurs, et réalisation d’actions en commun des groupements 2, 3, 4, 7 et 8). Un constat qu’il est possible de tirer de ce résultat est relié au caractère partagé du développement entrepreneurial identifié dans l’écosystème à l’étude.

Le tableau 1 montre, pour chaque groupement, des exemples d’énoncés d’actions spécifiques ainsi que le numéro d’identifiant attribué. Ceci permet de situer ces énoncés d’actions sur les groupements d’énoncés de la carte des concepts de la figure 1.

Les groupements montrés sur la carte des concepts de la figure 1 sont également listés au tableau 1 par ordre croissant d’indice d’ancrage et de chevauchement (IAC) des concepts. Les IAC des concepts permettent une analyse de la nature systémique des interrelations qui coexistent entre les groupements d’énoncés. L’interprétation de l’IAC est la suivante : plus l’indice du groupement est faible (par exemple, près de 0, échelle de 0 à 1) plus ce groupement constitue une ancre au plan conceptuel et, donc, cela traduit que les participants ont fréquemment classé ensemble les énoncés qui le composent. Au contraire, plus l’IAC est élevé (par exemple, près de 1, échelle de 0 à 1), plus il exprime des différences marquées dans la fréquence de classement des énoncés d’un groupement entre les participants. Mais, il est important de retenir qu’un IAC = 1 n’est pas possible, sauf par arrondissement de décimale, puisque l’application de l’analyse de groupement hiérarchique ne permet pas cette possibilité.

Tableau 1

Thèmes des groupements identifiés et IAC

Thèmes des groupements identifiés et IAC

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Les groupements sur la carte des concepts de la figure 1 sont composés de strates dont les intervalles sont décrits par une légende. Le nombre de strates permet de distinguer visuellement l’IAC des concepts. Les groupements de concepts les plus chevauchés ont plusieurs strates. Dans ce cas, il s’agit d’un groupement, voire d’un concept, dont les énoncés ont été relativement plus fréquemment classés par les participants parmi des énoncés d’actions que l’on retrouve dans d’autres groupements ; il est donc moins clairement défini conceptuellement par les participants. À titre d’exemple, on constate que le centre de la carte est occupé par le groupement d’énoncés, dont les actions spécifiques concernent les « Politiques de soutien à l’entrepreneuriat ». Cette notion, dans le contexte de l’étude, est sous-jacente aux autres concepts de la carte, ce qui peut expliquer le caractère chevauché de ce concept. Le concept « Réseautage, collaborations d’affaires et développement concerté » est représenté par deux strates, et il est donc relativement plus ancré dans ce système de représentation systémique partagé, que le concept qui caractérise le groupement d’énoncés « Développer l’identité communautaire et la coopération dans la région », représenté par cinq strates.

3.2. Priorités d’action : importance et faisabilité

Le schéma des correspondances de la figure 2 montre, sur des échelles d’importance et de faisabilité relatives, les résultats au sujet des actions à entreprendre pour le développement de l’entreprise. On note sur l’échelle d’importance[5], que le groupement d’énoncés coté comme relativement plus important est : accompagner, former les dirigeants, soutenir l’entreprise (I = 4,18). Les résultats obtenus montrent une forte congruence entre les mesures de plus haute importance relative et les IAC les plus consensuels des groupements, et vice versa (voir tableau 1). Les groupements les plus importants sont au coeur du mandat que doit exercer le CLD. Il est clair que les initiatives que doivent mener les accompagnateurs sont considérées comme les plus importantes : accompagner, former le dirigeant et soutenir l’entreprise (I = 4,18 ; IAC = 0,15) ; promouvoir (durablement) le territoire, les entreprises et les produits locaux (I = 3,98 ; IAC = 0,35).

Un deuxième groupe d’énoncés d’actions coté comme moyennement important, relativement à ceux portant sur l’accompagnement est constitué, dans l’ordre décroissant de priorité, de : promouvoir le territoire, les TPE, les produits locaux (I = 3,98), alléger les contraintes administratives et réglementaires (I = 3,94), développer les infrastructures, l’attractivité du territoire (I = 3,89), développer l’identité et la coopération communautaire (I = 3,83), réseautage, collaboration et développement concerté des affaires (I = 3,80). Enfin s’ensuit le thème des actions relativement moins importantes : politiques de soutien à l’entrepreneuriat (I = 3,68) et développer les ressources humaines et financières (I = 3,67).

Si l›on compare les rangs des cotes d’importance avec ceux de l’échelle de relative faisabilité des actions, les croisements des correspondances de rang entre ces échelles sont peu nombreux. Toutefois, le croisement le plus évident concerne les actions d’allègement des contraintes administratives et réglementaires (I = 3,94 ; F = 2,74), estimé comme relativement important (3e rang), alors que la faisabilité de ces actions est très faible (8e et dernier rang). Par contre, les actions concernant l’accompagnement sont considérées comme les plus importantes et également les plus faisables. Un des aspects importants de la gouvernance d’accompagnement consiste donc à rendre congruent le rang de la faisabilité des actions selon l’importance que leur accordent les participants en lien avec les besoins exprimés en contexte. Il est intéressant de noter que l’énoncé d’action spécifique : de simplifier la bureaucratie entre les divers paliers de gouvernements [3], a été coté comme un des plus importants (I = 4,35), mais est considéré comme l’un des moins faisables (F = 2,49) de l’ensemble des énoncés d’actions de l’analyse de cartographie.

Figure 2

Schéma des correspondances : importance et faisabilité des actions par groupement

Schéma des correspondances : importance et faisabilité des actions par groupement

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4. Identification d’un écosystème entrepreneurial et analyse de construits latents

Les méthodes associées à la cartographie des concepts génèrent des connaissances additionnelles dans l’étude d’un écosystème entrepreneurial. L’objectif de cet article étant la mise à l’épreuve de la cartographie des concepts, les résultats sont présentés de manière succincte, car ils visent surtout à démontrer l’intérêt de l’approche et à illustrer certaines pistes d’interprétations possibles. Dans la section 4.1, les résultats sont interprétés avec les notions se rapportant à l’environnement et à l’écosystème entrepreneurial introduites à la section 1.1. La carte des concepts suggère également une interprétation selon les fondements économiques du management stratégique (section 4.2).

4.1. L’écosystème entrepreneurial : identification et analyse des domaines

Le tableau 2 présente les domaines de l’écosystème entrepreneurial selon Isenberg (2010, 2011) et les actions à mener par groupements d’énoncés identifiés dans la cartographie des concepts. Ce tableau permet une comparaison des résultats de la cartographie des concepts avec les domaines et actions par domaine de l’écosystème entrepreneurial. Cette comparaison est susceptible d’identifier et de mettre en évidence les spécificités du développement entrepreneurial dans l’écosystème étudié au regard des six domaines du cadre d’analyse d’Isenberg (2010, 2011).

Tableau 2

Identification des domaines de l’écosystème entrepreneurial

Identification des domaines de l’écosystème entrepreneurial

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Au sujet du domaine « Politique » de l’écosystème entrepreneurial, la cartographie des concepts peut être interprétée comme étant en adéquation avec le cadre d’analyse d’Isenberg (2011) en ce qui concerne, d’une part, la nécessité de ne pas entraver, du point de vue administratif et réglementaire, le développement entrepreneurial, d’autre part, celle d’asseoir le développement entrepreneurial sur les forces du territoire, notamment en améliorant son attractivité et, enfin, la recherche de collaborations entre secteurs public et privé.

Dans le domaine « Financier », le cas étudié s’avère plus spécifique. Il existe une relation de renforcement importante entre les questions financières et de ressources humaines sur ce territoire périurbain, car les agglomérations urbaines constituent un pôle gravitationnel pour les individus, les ressources et l’activité. En conséquence, les questions d’accès et de développement des ressources financières pour les entreprises deviennent extrêmement sensibles.

Or, dans le domaine du « Capital humain », le cas analysé présente des spécificités, liées essentiellement au caractère périurbain du territoire. Malgré la croissance démographique, les entreprises qui cherchent à s’y développer rencontrent une rareté des ressources humaines aux caractéristiques requises, une grande partie des résidents exerçant son activité professionnelle dans les pôles urbains limitrophes. Les infrastructures offertes au transport des personnes limitent la fluidité de l’accès au territoire, ce qui constitue pour les entreprises un défi lié au recrutement de la main-d’oeuvre. Il s’agit de favoriser l’accès physique de la main-d’oeuvre à ce territoire périurbain, mais aussi la retenir, la former et la développer avec des conditions salariales avantageuses, ce qui représente un défi devant être surmonté par les entreprises et les acteurs du milieu.

Dans le domaine « Culturel » de l’écosystème entrepreneurial, le cas à l’étude se présente sous un angle très précis, du fait des mutations que rencontre le territoire étudié. L’activité entrepreneuriale se développe essentiellement autour du tourisme, de l’agrotourisme, des entreprises récréotouristiques (plein air, villégiature…), des entreprises culturelles, sur ce territoire. Ces secteurs d’activités sont développés de façon coordonnée et cohésive par les entreprises et les accompagnateurs. Une des clés pour réussir un développement entrepreneurial concerté réside dans la recherche d’un esprit communautaire susceptible d’aider chacun à trouver sa place dans cet écosystème. L’un des enjeux est de parvenir à un niveau de diversité suffisamment élevé dans l’écosystème, au sens d’Iansiti et Levien (2004), de manière à assurer sa pérennité.

Dans le domaine du « Soutien » à l’activité entrepreneuriale, le cas étudié souligne le rôle des réseaux et de l’accompagnement de proximité par rapport au cadre d’analyse d’Isenberg (2011). Le soutien à l’activité entrepreneuriale dépend d’initiatives des réseaux d’affaires et de l’action des organismes de soutien en concertation entre eux. Il ne s’agit pas nécessairement d’apporter un soutien plus important aux activités porteuses, mais d’opter pour un accompagnement adapté en fonction des phases de développement des entreprises sur le territoire.

Dans le domaine des « Marchés », le cas à l’étude est relativement spécifique. Le développement des marchés ne peut uniquement reposer sur l’action des entreprises en raison de la spécificité de leur secteur d’activité. Le développement des marchés passe, non seulement par la valorisation des microentreprises et de leurs produits et services offerts, mais par celle du territoire, de ses atouts, de sa culture et des produits de son terroir.

4.2. Analyses de construits latents : pistes d’interprétation théorique

En cartographie des concepts, les construits latents ne sont pas directement tirés des énoncés retenus par les participants, mais représentent des propriétés émergentes d’un système à l’étude et ouvrent des avenues d’interprétations conceptuelles et théoriques (Miller, Rosas et Hall, 2012). Sur la figure 3 apparaissent deux dimensions qui traversent la carte des concepts et se croisent en son centre près de l’énoncé d’action spécifique [53] : favoriser l’harmonisation des exigences des différents programmes provenant des multiples organismes de développement. Cet énoncé d’action fait appel à des notions de gouvernance, de coordination et de cohésion associées aux politiques de soutien à l’entrepreneuriat dans l’écosystème à l’étude.

Figure 3

Carte des concepts avec construits latents

Carte des concepts avec construits latents

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La dimension reliant le coin supérieur droit au coin inférieur gauche de la carte sur la figure 3 met en évidence le développement des compétences du dirigeant et le développement des capacités dynamiques pour la microentreprise. La dimension « Développement des compétences – développement des capacités dynamiques » est relative, d’une part, aux activités de soutien envers l’entrepreneur afin de lui permettre, à un niveau individuel, de développer les compétences et la culture entrepreneuriale nécessaires pour aborder les différentes phases du cycle de vie de l’entreprise, et d’autre part, aux questions de collaborations entre secteurs public et privé afin de développer les capacités dynamiques permettant de soutenir le développement entrepreneurial, à un niveau collectif. Les domaines « Soutien, Culture, Marchés » (par exemple, à travers la promotion, par l’intermédiaire de collaborations entre secteurs public et privé, du territoire, des entreprises et des produits locaux afin de susciter le développement des marchés) et « Politique » (par exemple, à travers les choix des infrastructures à développer pour soutenir l’action entrepreneuriale) sont concernés par cette dimension.

De la même manière, la deuxième dimension reliant le coin supérieur gauche au coin inférieur droit de la carte, distingue le développement des ressources internes et le développement des ressources externes pour la microentreprise. Cette dimension « Développement ressources internes – développement ressources externes » renvoie, d’une part, à la question de l’accès au capital humain et financier afin de permettre le développement, au niveau organisationnel (ou interne) de l’entreprise, et d’autre part, au problème de l’insertion dans les réseaux d’affaires et à l’écosystème entrepreneurial local, positionnant ainsi le développement de l’entreprise à un niveau interorganisationnel (ou externe). Les domaines « Capital humain, Finance, Culture » (à travers la question de l’identité communautaire) et « Soutien » (par les réseaux d’affaires et autres organismes intermédiaires) de l’écosystème entrepreneurial sont concernés par cette dimension.

Une interprétation théorique, même sommaire, de ces deux dimensions de construits latents est possible. L’analyse de la dimension « Développement des compétences – développement des capacités dynamiques » peut s’appuyer sur la disposition des groupements d’énoncés qu’il traverse sur la carte des concepts. Cette dimension, tirée de l’analyse de MDS, peut être interprétée en référence à Salvato et Rerup (2011) sur l’élaboration d’une théorie multiniveaux, assemblant les notions théoriques pertinentes dans ce contexte à l’établissement de routines (voir la figure 4, colonne [A]). Ainsi, la compréhension de cette dimension peut être guidée par la définition de compétences orientée sur les routines de décision, basée sur des apprentissages réalisés tels qu’introduits par Betsch, Haberstroh et Höhle (2002) et Squire et Kandel (1999). Les capacités dynamiques renvoient à des routines de haut niveau permettant d’adapter les routines opérationnelles à l’environnement par des interventions managériales délibérées prenant en compte l’apprentissage et l’expérience (Eisenhardt et Martin, 2000 ; Teece, Pisano et Shuen, 1997 ; Helfat et al., 2007 ; Zollo et Winter, 2002). Dans la perspective de la dimension où elles apparaissent, les capacités dynamiques basées sur la carte des concepts sont, soit le résultat d’actions spécifiques liées à des routines, soit des actions groupées dans les politiques de soutien à l’entrepreneuriat, en lien avec des thématiques touchant les infrastructures et l’attractivité du territoire.

L’interprétation de la dimension « Développement des ressources internes – développement des ressources externes » pourrait reposer sur la théorie des coûts de transactions (CT) (Coase, 1937 ; Williamson, 1996) et/ou la perspective de la firme basée sur les ressources (Penrose, 1959). La théorie des CT suggère que l’étendue ou la frontière de la firme est liée aux CT associés aux activités qu’elle entreprend versus celles « laissées » à d’autres organisations. Ce choix s’opère selon divers mécanismes de gouvernance permettant la coordination entre la firme individuelle et les autres acteurs de l’environnement (voir la figure 4, colonne [B]). Ceci est intéressant de la perspective de la microentreprise qui fait face à une rareté de ressources (humaines et financières), de compétences et de capacités dynamiques, et qui choisira entre différentes dimensions de gouvernance (incitatifs, agence, protection des rentes…) pour coordonner un entrepreneuriat concerté et orienté vers la communauté à travers des alliances et des collaborations d’affaires. Aussi, le développement des capacités dynamiques va évoluer selon l’envergure de l’entreprise, pour des raisons de coûts de transactions et de capacités (Teece, 2007).

Figure 4

Ancrage conceptuel du croisement des dimensions des construits latents

Ancrage conceptuel du croisement des dimensions des construits latents

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La perspective de la firme basée sur les ressources fournit une interprétation théorique potentiellement tout aussi pertinente de la dimension « Développement ressources internes – développement ressources externes ». Pour Penrose (1959), la firme consiste en une collection de ressources qui fournit un « service » d’allocation des ressources associé aux actions administratives. Une des fonctions entrepreneuriales associées à la firme consiste à organiser ces ressources, à partir d’actions administratives, avec les ressources externes accessibles (autres entreprises, institutions…), et aussi d’actions entrepreneuriales, lui permettant de fournir des biens et des services (Mahoney, 2005). Dans le contexte de l’écosystème examiné, la microentreprise, à travers les programmes de soutien au développement, sera en mesure d’accéder aux ressources par un réseautage favorisant les alliances et collaborations. Ceci contribue à l’assimilation de nouveaux concepts et idées par la microentreprise, lui permettant de mettre en place une organisation de ressources internes et externes, dans le développement de produits et services orientés vers le territoire, en collaboration avec d’autres acteurs locaux. Les dimensions des construits latents sur la carte mettent bien en évidence une proposition de Teece (2007), à l’effet que même si une entreprise entreprend des actions lui permettant de détenir des ressources et de construire des compétences, tel que montré dans la portion supérieure droite de la carte des concepts (voir notamment les groupements « Accompagner, former le dirigeant, soutenir l’entreprise, développer les ressources financières, humaines et, réseautage, collaborations et développement concerté des affaires »), une des conséquences serait que l’extraction des rentes associées à ces actions ne serait que temporaire, voire non pérenne. Il est donc utile de prendre en compte le caractère systémique des interactions identifiées dans la représentation partagée des concepts de la carte, au regard des capacités dynamiques complémentaires identifiées par les participants. En effet, dans la portion inférieure gauche de la carte, sous la dimension, les participants indiquent aussi que ces actions complètent et contribuent au potentiel de développement pérenne de leur entreprise. Les « Politiques de soutien à l’entrepreneuriat », situées au centre de la carte contribuent à l’agencement des facteurs de développement dans la dimension « Compétencescapacités ». L’accompagnement peut donc soutenir les dirigeants-entrepreneurs dans le développement de capacités dynamiques, et de « métacompétences » transcendantes des actions managériales leur permettant de s’engager dans des actions transformatrices et de pérennisation de l’entreprise (Teece, 2007). Ces actions consistant à « Développer les infrastructures et l’attractivité du territoire pour les entreprises, à promouvoir le territoire, les entreprises, les produits locaux et à alléger les contraintes administratives et réglementaires ».

L’intersection de l’ancrage conceptuel des dimensions définies par les construits latents de la cartographie des concepts est représentée au centre de la figure 4. On note les mécanismes de gouvernance de l’accompagnement entrepreneurial où des actions sont coordonnées par les accompagnateurs dans la mise en place des « Politiques de soutien à l’entrepreneuriat ». Ces principes de gouvernance peuvent reposer sur les approches adaptées à l’accompagnement entrepreneurial, soit cognitive et relationnelle (Pugliese et Wenstøp, 2007 ; Voordeckers, Van Gils et Van Den Heuvel, 2007), plutôt que de « contrôle », tels que favorisés par la théorie de l’agence et autres extensions (Jensen et Meckling, 1976). Cet accompagnement suggère une cohésion de la faisabilité sur le terrain des actions administratives et entrepreneuriales dans l’acquisition des compétences, de ressources et, de la construction des capacités dynamiques qui prennent en compte les facteurs contextuels associés aux dimensions définies par les construits latents.

5. Discussion : bilan de la mise à l’épreuve de la cartographie des concepts

Dans cette discussion sont présentés cinq principaux constats à tirer de la mise à l’épreuve de la cartographie des concepts dans l’étude d’un écosystème entrepreneurial afin de souligner les contributions de la recherche. La mise à l’épreuve de la cartographie des concepts comme méthode intégrative suscite nécessairement quelques réflexions d’ordre épistémologique. La mise en place du cadre méthodologique, tel que proposé dans cet article, présupposait une perspective réaliste critique de la connaissance en études de cas (Easton, 2010 ; Tsang, 2014 ; Wynn et Willams, 2012). Le réalisme critique présuppose une conception ontologique de la réalité composée de structures, de mécanismes, d’événements et de schémas correspondant à différentes formes de recherche de sens (sensemaking) selon Weick (1979) et pouvant être combinées à la création, l’imagination, ou l’intuition dans la génération de connaissances (Langley, 1999 ; Tsang, 2014).

Premièrement, la cartographie des concepts est une approche intégrative, car elle met en évidence le contexte et les acteurs (dirigeants-entrepreneurs, accompagnateurs) engagés dans un processus managérial. Koenig (2012) a souligné qu’un des aspects clés de l’étude de l’écosystème d’affaires (ESA) selon Moore (1993, 2006) en était l’aspect « démocratique », alors que les exemples cités par ce dernier semblaient en forte contradiction avec ce principe : « Moore affirme qu’une des propriétés essentielles de l’ESA est d’être gouverné de façon démocratique, mais il n’étaye pas cette assertion sur le plan empirique. D’un côté, Moore privilégie l’observation d’ESA, assez peu démocratique, dans lequel une firme exerce une influence dominante en raison du contrôle qu’elle détient sur les ressources clés de l’écosystème. » (Koenig, 2012, p. 213). Par son caractère participatif de groupe, la cartographie des concepts répond à cette perspective « démocratique » appréhendée par Moore (1993, 2006), car elle met en évidence une représentation systémique partagée entre les participants, ce qui permet ainsi de prendre la pleine mesure du caractère coconstruit de l’écosystème entrepreneurial, tel qu’envisagé par Houle et Prévost (2003). La prise en compte de la perspective des acteurs de manière intégrative et ascendante, dans la démarche de recherche, et les résultats associés, constitue une contribution fondamentale de cette recherche dans l’étude de l’écosystème entrepreneurial.

Deuxièmement, l’examen de la démarche de la cartographie des concepts a servi à identifier un écosystème entrepreneurial. Spécifiquement, les étapes de la structuration des énoncés, de l’analyse de cartographie des concepts et l’interprétation des cartes ont conduit à l’identification des groupements d’énoncés d’actions. À la section 3.1, les groupements d’énoncés ont fait l’objet d’une analyse thématique mixte ayant pour objet les six domaines de l’écosystème entrepreneurial selon Isenberg (2010, 2011). Ces résultats ont montré une adéquation des thèmes émergents du terrain à l’étude avec les domaines de l’écosystème entrepreneurial (Isenberg, 2010, 2011). La mise en place de cette démarche est une contribution importante puisqu’elle permet de systématiser l’analyse de l’ensemble des domaines de l’écosystème et des interrelations entre eux dans le contexte d’un cas unique, s’éloignant ainsi d’analyses précédentes principalement basées sur des données parcellaires tirées de situations non reliées entre elles. Dans le cas empirique examiné, les groupements identifiés sur la carte des concepts ont pu être assimilés aux domaines de l’écosystème d’Isenberg (2010, 2011), établissant ainsi une demi-régularité empirique nécessaire à la généralisation de ce résultat, tel qu’établi par la perspective réaliste critique en études de cas (Easton, 2010 ; Tsang, 2014 ; Wynn et Williams, 2012).

Troisièmement, comme exposé par Trochim et Cabrera (2005) chaque groupement d’énoncés sur une carte des concepts est en interaction systémique complexe avec un autre groupement d’énoncés. Autrement dit, chaque groupement d’énoncés se comporte comme un « agent » dynamique dans un système complexe lorsqu’en interaction avec un autre groupement. Ces interactions systémiques tirent leurs origines des données collectées des participants et quantifiées dans la matrice carrée totale des similitudes (voir la section 2). À titre d’exemple, le groupement « de soutien à l’entrepreneuriat en interaction » avec le groupement « Accompagner, former le dirigeant, soutenir l’entreprise » prend une signification différente, de celle qui émerge lorsqu’en interaction avec le groupement « Développer les ressources financières et humaines ». Dans la première interaction, l’accompagnement vient en soutien au développement des compétences des dirigeants-entrepreneurs, alors que dans l’autre interaction, il s’agit plutôt de soutenir l’accès à des ressources permettant de construire des capacités dynamiques. Les cartes de huit groupements de la figure 1 ou de la figure 3 peuvent générer minimalement 56 permutations de 2-uplets en interaction, et aussi un nombre élevé de permutations de 3-uplets… à n-uplets d’ordre supérieur en interaction, si l’on considère des ensembles de plus de deux groupements en interaction à la fois. Cette constatation peut conduire à autant d’interprétations structurelles systémiques possibles pouvant décrire les interactions entre les groupements d’actions d’intérêt dans l’analyse d’un écosystème entrepreneurial. Les résultats d’une cartographie des concepts permettent l’examen de ces permutations dans un mode d’inférence de rétroduction (ou abduction) (Tsang, 2014). Ceci rend possible l’identification des mécanismes générant les régularités que supposent les explications théoriques, sous forme d’hypothèses et de propositions, en intégrant de multiples perspectives théoriques (Wheeldon, 2010).

Quatrièmement, comme il a été vu à la section 3.2, l’analyse des thèmes émergeant du terrain par domaine de l’écosystème a permis de mettre en évidence les inadéquations et nuances à apporter entre le terrain à l’étude et les implications managériales générales que propose Isenberg (2010, 2011). Il s’agit, en effet, d’un cas de figure singulier. La découverte des contingences liées aux manifestations comportementales d’un système peut assurément varier entre les cas de figure. Toutefois, les résultats empiriques obtenus constituent une avancée intéressante. Le développement entrepreneurial de cet écosystème présente des spécificités en matière de financement et de capital humain, étroitement liées sur ce territoire, de culture, notamment au regard de l’intérêt communautaire, de soutiens à l’activité entrepreneuriale à coordonner et à adapter, et de marchés, dont le développement repose surtout sur la valorisation du territoire, des entreprises et des produits du terroir. Chaque groupement d’énoncés est caractérisé par une mesure d’IAC, d’importance et de faisabilité des actions proposées pour chaque domaine contextualisé dans un espace-temps. Ceci permet donc de mettre en évidence les besoins des participants associés aux six domaines de l’écosystème entrepreneurial. Néanmoins, bien que non spécifiquement généralisables, les implications managériales de ces résultats constituent deux ajouts à la contribution de cette recherche : 1) ils apportent des analyses empiriques au sujet d’écosystèmes d’affaires, en général, et entrepreneuriaux, en particulier, dont l’intérêt d’être étudiés a été mis en évidence dans la littérature (Koenig, 2012), et 2) ils permettent de prendre la pleine mesure de l’agencement des facteurs favorisant le développement entrepreneurial pour des écosystèmes spécifiques puisqu’ils mettent en évidence les contingences des politiques à mettre en place pour dynamiser et densifier l’activité entrepreneuriale de cette région. Ces résultats pourraient servir à tester les implications managériales obtenues en lien avec les implications théoriques attendues de celles d’Isenberg (2010, 2011), afin d’en établir les limites.

Cinquièmement, la cartographie des concepts permet de mettre en évidence, par les construits latents identifiés à la section 4.2, les facteurs endogènes et exogènes liés au développement entrepreneurial. Les construits latents observés sur la carte des concepts de la figure 3 ont été interprétés théoriquement avec les notions tirées de la théorie des coûts de transaction, de la perspective de la firme basée sur les ressources ainsi que de la théorie des capacités dynamiques. Ces perspectives théoriques apportent leurs présuppositions respectives au sujet des facteurs exogènes et sur la façon dont ils influencent les variables endogènes. Le caractère interdépendant de ces variables présuppose une approche systémique de la question du développement entrepreneurial. Ce caractère systémique de la démarche de recherche proposée prend aussi en compte les interrelations, la cohérence et la cohésion de l’écosystème. Comme indiqué par Trochim et Cabrera (2005), la carte des concepts est une représentation statistique (de groupe) et exhibe les caractéristiques des systèmes complexes, sur le plan endogène, tout en guidant les possibilités d’interventions en matière de politiques publiques, au plan exogène. Ce sont des notions essentielles à la compréhension des actions utiles à l’agencement des facteurs de développement entrepreneurial répertoriés dans la littérature (voir la section 1.1). Une contribution de la recherche consiste en l’examen des construits latents qui permet une étude simultanée des facteurs relatifs aux aides et soutiens à l’entrepreneuriat dans un écosystème entrepreneurial.

Conclusion

Cet article avait pour objectif la mise à l’épreuve de la cartographie des concepts, selon l’approche mixte et ascendante proposée par Trochim (1989a, 1989b) afin d’identifier et d’analyser un écosystème entrepreneurial. Le travail réalisé a permis de mieux comprendre les facteurs du développement accompagné, pour lesquels il est parfois difficile d’établir des représentations systémiques partagées entre les dirigeants-entrepreneurs et leurs accompagnateurs.

Malgré les bénéfices obtenus de la mise à l’épreuve des méthodes mixtes d’analyses empiriques que suggère la cartographie des concepts, un certain nombre de limites peuvent être soulignées. Des efforts considérables ont été déployés pour recruter un groupe représentatif de participants pouvant présenter une perspective aussi large que possible au sujet des actions à entreprendre pour favoriser le développement entrepreneurial. Il est possible que le groupe soit principalement formé de dirigeants d’entreprises plus motivés par les services liés à l’accompagnement au bénéfice de leur entreprise, mais l’engagement et la disponibilité exigés de la part des participants sont importants ; il est possible que cela en ait découragé plus d’un à s’impliquer dans la collecte de données. Il aurait été intéressant de faire intervenir les participants plus activement à l’étape de détermination du nombre de groupements sur la carte des concepts. Ceci enrichirait l’analyse de la perspective d’une « recherche-action », puisque les acteurs du « système » sont des agents de changements sur le terrain (Mackay et Marshall, 2001). Ceci explique pourquoi la mise en place de devis de recherche, tels que celui mis en oeuvre dans ce travail, exige une compréhension approfondie du contexte à l’étude. À l’instar de toute recherche empirique, une des limites de l’approche est que les résultats peuvent être sujets à certains jugements (Trochim, 1989b) et à différents cadres d’interprétation. En effet, les étapes d’exécution de la cartographie des concepts comme méthode sont clairement établies, mais le choix du nombre de groupements à retenir sur une carte nécessite une attention particulière si l’on prend en considération divers critères se rapportant, à titre d’exemple, à des aspects pragmatiques, politiques (contextuels), théoriques ou empiriques.

Des développements récents en matière de méthodes de recherche mixtes soulignent qu’il pourrait y avoir divergence entre les résultats quantitatifs et qualitatifs obtenus dans la mise en place d’un devis de recherche (Pluye, Grad, Levine et Nicolau, 2009). Dans la présente recherche, ces divergences possibles n’ont pas fait l’objet d’analyses approfondies entre les sous-groupes de dirigeants-entrepreneurs et d’accompagnateurs, puisque les données ont été groupées suivant un test statistique de fiabilité globale. Il serait néanmoins intéressant d’examiner et de contraster les divergences possibles entre les résultats qualitatifs et quantitatifs dans l’analyse des résultats obtenus entre ces sous-groupes.

Comme avenues de recherches futures, il serait utile de mener une analyse des sous-groupes des dirigeants-entrepreneurs, afin de comparer leurs IAC et priorités d’actions, avec ceux des accompagnateurs. Ce travail permettrait potentiellement d’identifier les besoins plus spécifiques des dirigeants-entrepreneurs de manière à proposer une offre d’accompagnement étroitement liée aux besoins. L’objectif étant aussi de cibler les leviers de développement des entreprises en soutien à un positionnement stratégique du territoire. D’autres recherches sont en cours pour établir des comparaisons internationales avec la France. Bien que les contextes soient différents, il serait intéressant d’établir des comparaisons permettant de dégager des propositions théoriques, et dans un cadre plus appliqué, les facteurs clés de succès des actions mises en place dans le cadre de relations entre dirigeants-entrepreneurs et accompagnateurs. Un tel travail permettrait également de comparer les priorités d’actions au plan international entre les dirigeants-entrepreneurs et leurs accompagnateurs.

Enfin, les énoncés d’actions eux-mêmes pourraient permettre l’élaboration de cadres de recherche de nature confirmatoire au sujet des actions entrepreneuriales et des groupements. La cartographie des concepts est le résultat de l’analyse d’un système complexe orienté sur le sens à attribuer à l’agencement et à l’interaction entre les concepts. Les groupements en interaction apportent une perspective systémique conceptuelle, potentiellement théorique, voire épistémologique permettant un apprentissage quant aux paradigmes associés à la systémique. Il est assurément envisageable d’utiliser les contenus des énoncés pour développer des diagrammes d’influences. Cet autre travail d’analyse systémique serait plutôt orienté sur une modélisation formelle et des mesures d’un système pour caractériser la structure des boucles de renforcement et d’équilibrage contribuant au développement entrepreneurial de l’écosystème. Ceci permettrait d’observer le comportement des sentiers dynamiques des leviers du développement entrepreneurial et les impacts des actions dans le temps.