Abstracts
Résumé
À partir de l’étude d’une base de 297 licences internationales collectées auprès des membres de la « Licensing Executive Society », nous montrons que les stratégies de licence défensive sont déployées principalement par de petites entreprises qui n’ont pas les ressources nécessaires pour exclure seules les contrefacteurs potentiels. Par ailleurs, nous mettons en évidence la nature paradoxale de ces stratégies pour le bien-être du breveté. Nous montrons notamment que l’implication du licencié dans la défense des brevets concédés va généralement de pair avec une augmentation des risques contractuels pour le concédant.
Mots-clés :
- Licences de technologie,
- Brevets,
- PME
Abstract
Relying on a database of 297 agreements collected from the Licensing Executives Society International members, I show that defensive strategies are implemented mainly by small firms that do not have enough resources in order to cope with potential piracy. Moreover I highlight the paradoxal nature of these strategies as defensive clauses usually increase the contractual risks for the licensor.
Keywords:
- Technology licensing,
- Patents,
- SME
Resumen
A partir del estudio de una base de 297 licencias internacionales informadas por los miembros de la Licensing Executive Society, mostramos que las estrategias de licencia defensiva son principalmente implementadas por las pequeñas empresas que no disponen de los recursos necesarios par excluir solas los potenciales infractores. Por otra parte, evidenciamos la naturaleza paradójica de estas estrategias para el bienestar del titular de la patente. Mostramos especialmente que la implicación del licenciatario en la defensa de los patentes objetos de la licencia suele generar un crecimiento de los riesgos contractuales para el titular de la patente.
Palabras clave:
- Licencias de tecnología,
- Patente,
- PyME
Article body
Introduction
L’importance de l’innovation pour la stratégie d’entreprise a souvent été mise en avant dans la littérature. Selon Atamer, Durand et Raynaud (2005), il s’agit même de concepts indissociables puisque toute stratégie doit nécessairement être innovante afin d’aboutir à un avantage concurrentiel. En matière stratégique, l’innovation peut intervenir à plusieurs niveaux, et peut s’appliquer à l’organisation, à la technologie, voire plus largement, aux modes d’accès aux ressources et aux marchés. Concernant l’innovation technologique, cette capacité à fonder la compétitivité des entreprises explique le raccourcissement actuel des cycles de vie des technologies dans une économie désormais ouverte et concurrentielle. Les budgets de R et D, et les dépôts de brevets ont plus que doublé entre 1997 et 2006 (OCDE, 2008), ce qui témoigne à la fois de l’importance accrue du levier technologique et de la réallocation des ressources au profit des activités innovantes dans un grand nombre d’organisations (Lefebvre et Lefebvre, 1993 ; MacDonald et Turpin, 2007).
Les chiffres agrégés masquent toutefois une réalité un peu plus complexe. Toutes les entreprises ne sont pas équivalentes face à l’innovation. Parmi les facteurs de contingence expliquant cette disparité, la taille semble notamment jouer un rôle primordial. Les recherches menées sur ce point soulignent généralement à la fois le potentiel d’innovation et la spécificité du management de la technologie des PME (Lescure, 2001 ; Marchesnay, 1980 ; Arrow, 1983 ; Acs et al., 1997). Bénéficiant d’une culture entrepreneuriale souvent encore très présente et d’une structure organisationnelle malléable, les PME possèdent des atouts indéniables pour innover (Julien et Carrier, 2005), mais les PME manquent aussi souvent des ressources nécessaires pour mener à bien leurs projets innovants. Ce manque de ressources a des implications dans les phases de création et de valorisation des innovations. En phase amont, il explique la popularité des alliances en R et D qui permettent de partager des ressources rares (Boldrini, 2008 ; Mothe et Ingham, 2003). De même en phase aval, il permet de comprendre la logique propre aux PME en matière de gestion des brevets d’invention (Crevoisier, Amgwerd et Tissot, 2005 ; Teece, 1986). Contrairement aux grandes entreprises innovantes, les PME ne possèdent pas de structures formalisées leur permettant de bénéficier d’économies d’échelle au niveau des dépôts et de la valorisation des brevets d’invention (Ayerbe et Mitkova, 2005). Par ailleurs, leur capacité à rendre exécutoires leurs brevets est souvent limitée par l’importance des frais de poursuite des contrefacteurs potentiels.
Ceci explique que les PME hésitent encore à breveter leurs inventions par peur des contrefaçons éventuelles (OSEO, 2009) et malgré d’importants bénéfices potentiels (Gambardella, Giuri et Luzzi, 2007 ; Corbel, 2006 ; Hanel, 2004).Or, les licences défensives peuvent paradoxalement permettre de sécuriser la propriété intellectuelle de ces entreprises dans un certain nombre de configurations de marché, offrant aux PME un levier pour valoriser leurs efforts de recherche[1]. Mais ces licences semblent aussi exposer les brevetés à des aléas contractuels spécifiques. L’objectif de cette recherche est donc d’identifier l’origine des coûts de transaction associés aux licences défensives en tenant compte des caractéristiques de taille des entreprises concernées. Ce travail, réalisé à partir de l’étude des transactions sur les marchés technologiques, capitalise sur une base détaillée de 297 licences provenant de la « Licensing Executive Society » (LES). L’exploitation de cette base tranche avec les études empiriques antérieures qui se sont pour la plupart concentrées sur de petits échantillons et sur un seul secteur d’activité (Aulakh, Cavusgil et Sarkar, 1998 ; Grindley et Teece, 1997 ; Hall et Ziedonis, 2001). Les apports de cette recherche relèvent donc à la fois des niveaux méthodologique et théorique. D’un point de vue méthodologique, nous montrons qu’un changement de perspective concernant la catégorisation des transactions (en fonction des stratégies poursuivies et non plus en fonction des secteurs industriels) peut permettre d’affiner notre connaissance relative du mode de fonctionnement des marchés technologiques. Par ailleurs, nous proposons ici de recourir à l’analyse log-linéaire afin de traiter les biais d’endogénéité qui sont récurrents en matière d’analyse contractuelle.
D’un point de vue théorique, nous corroborons les prédictions de la théorie des coûts de transaction portant sur les motivations et sur l’ambiguïté des stratégies défensives. Nous montrons plus précisément que les clauses de défense incluses dans les licences sont corrélées (a) à une petite taille du licencieur (b) à des clauses de non-contestation antérieures, (c) à la présence d’un audit renforcé du licencieur sur le licencié. Enfin, nous présentons les implications de ces stratégies pour le management des petites entreprises et nous montrons que la prise en considération des licences défensives est à même de modifier la problématique liée au renforcement des droits de propriété intellectuelle sur les marchés technologiques.
L’article est organisé comme suit : la section 1 présente les stratégies de licence défensive et développe notre cadre théorique afin de générer un certain nombre de propositions testables. La section 2 présente les données, les variables utilisées et le modèle statistique. Les résultats du test effectué sont présentés et analysés dans la section 3. La dernière section conclut l’article.
1. Licences patrimoniales, licences stratégiques et défense de la propriété intellectuelle
Les rares études appliquées sur les contrats de licence montrent que la décision de licencier dépend de plusieurs facteurs, parmi lesquels un certain nombre peut être qualifié de stratégique (Taylor et Silberston, 1973 ; MacGavock, Hass et Patin, 1992). Cette distinction entre licences stratégiques et patrimoniales constitue en fait une clé d’entrée dans la littérature traitant des marchés technologiques (Bessy et Brousseau, 2003).
La majorité des travaux envisagent la conclusion d’un contrat de licence dans une optique patrimoniale. La licence est alors considérée comme un moyen d’engranger des redevances, compte tenu des caractéristiques de l’environnement et de la technologie qui s’imposent à la firme. Tout se passe ici comme si le breveté maximisait ses revenus sous un ensemble de contraintes environnementales. La nature de la licence est fondamentalement différente lorsque l’innovateur adopte une démarche stratégique. La licence est, dans ce cas, appréhendée comme un levier pour agir sur l’environnement concurrentiel de la firme. Les profits associés à ces stratégies sont démultipliés par rapport à la forme patrimoniale puisque le licencieur gagne des parts de marché en sus des redevances. Les gains patrimoniaux sont secondaires pour la firme qui suit ce type de démarche, et la licence change donc de finalité. En fonction de l’objectif poursuivi, les licences stratégiques peuvent avoir ou non un impact anticoncurrentiel (Tableau 1). Les déterminants stratégiques peuvent renvoyer aux caractéristiques de la technologie (Katz et Shapiro, 1986b), à celles des entrants potentiels (Gallini, 1984 ; Gallini et Winter, 1985 ; Rockett, 1990 ; Eswaran, 1994b), ou à la crédibilité des engagements pris (Shepard, 1987).
Les déficiences de l’environnement institutionnel peuvent aussi donner lieu à des licences stratégiques de type défensif. Ces licences peuvent, par exemple, renvoyer à des licences croisées de brevets substituables (Hall et Ziedonis, 2001 ; Grindley et Teece, 1997), permettant de sauvegarder la liberté d’action de la firme ou à des accords portant sur des technologies plus âgées (Fosfuri, 2000), qui visent à réduire les bénéfices liés à la stratégie d’imitation. Enfin, la nécessité de défendre sa propriété intellectuelle peut pousser un breveté à conclure une alliance avec son partenaire afin de défendre son brevet contre les contrefaçons éventuelles (Sattin, 2004 ; Megantz, 2002). Cette configuration donne alors lieu à une alliance défensive, qui se caractérise par un contrat de licence où les frais de poursuite des contrefacteurs potentiels sont pris en charge pour totalité ou partie par le licencié (et non plus par le breveté).
Le brevet permet théoriquement à son propriétaire de choisir les entreprises pouvant utiliser la technologie protégée. Toutefois, dans la pratique, tous les brevetés ne parviennent pas à valoriser efficacement leurs brevets d’invention (Teece, 1986). D’une part, la valeur du brevet dépend de l’existence de technologies substituables sur le marché (Arora et Fosfuri, 2003). D’autre part, les institutions n’offrent généralement qu’une protection limitée aux droits de propriété (Bessy et Brousseau, 1997 ; Demsetz, 1967). Dans une optique de maximisation du bien-être social, les coûts liés à la délimitation et au respect des droits de propriété intellectuelle (DPI) ne sont socialisés que s’ils restent inférieurs à la perte sociale engendrée par cette définition imparfaite (Posner, 1986). Ceci explique qu’ils soient en grande partie privatisés (Bessy et Brousseau, 1997), et que la loi laisse le soin aux détenteurs des brevets de poursuivre les contrefacteurs éventuels.
La littérature théorique suggère généralement l’existence d’un lien positif entre le recours aux marchés technologiques et la « force » des DPI dans les pays considérés. Teece (1986), par exemple, met en exergue le rôle de l’environnement institutionnel comme vecteur d’appropriabilité des innovations ; tandis que Gallini (2002) montre l’importance des systèmes de brevets afin de sécuriser les transferts de connaissances. Ces résultats ont depuis été confirmés par maintes recherches sur ce thème (Nagaoka, 2007 ; Wakasugi et Banri, 2009 ; Kultti et Takado, 2002). On note toutefois que cette littérature se caractérise par une vision agrégée des stratégies de licence qu’elle explore à l’aide de régressions en coupe. Elle ne nous renseigne donc pas précisément sur le détail des différentes stratégies poursuivies ainsi que sur les caractéristiques des acteurs. Or, d’après Williamson (1996), les différents niveaux de gouvernance peuvent être substituables dans une certaine mesure. Confrontés à une défaillance de l’environnement institutionnel, les acteurs peuvent ainsi modifier les dispositions contractuelles afin de garder l’alignement de la structure de gouvernance avec les caractéristiques des transactions. Dans cette perspective, l’étude des différentes clauses présentes dans les accords de licence nous renseigne donc à la fois sur les risques perçus par les partenaires et sur les stratégies déployées pour y remédier.
L’alliance défensive peut être vue comme une stratégie d’adaptation de certains licenciés aux défaillances de l’environnement institutionnel[2]. En matière d’innovation, le breveté qui conclut une alliance défensive reporte tout ou partie des coûts de poursuite des contrefacteurs sur son licencié. L’idée est de confier l’administration des poursuites à un partenaire qui peut exclure les contrevenants du marché à un coût inférieur au sien. Ces coûts inférieurs peuvent par exemple provenir d’une discrimination des entreprises étrangères sur le marché considéré (Zaheer, 1995), ou d’une contrainte en capital qui empêche le breveté d’engager des poursuites efficaces envers les contrefacteurs. Le breveté conditionne alors le transfert de ses connaissances à un certain nombre d’actions de protection qui incombent au licencié. Le licencié peut, par exemple, prendre part à une action de surveillance du marché pour le compte du licencieur. En demandant à ses concessionnaires de lui reporter toute contrefaçon relative aux brevets concédés dont ils auraient connaissance, le licencieur se construit un réseau de veille relatif à la contrefaçon. Toutefois, si les clauses de signal permettent de faciliter le repérage des contrefacteurs et permettent aux brevetés d’économiser certains coûts de détection, les coûts de poursuite (i.e. les frais de suite) lui incombent toujours. C’est pourquoi certains contrats prévoient aussi le partage de ces frais de suite entre les parties, voire leur paiement intégral par le licencié.
En pratique, le motif défensif peut suffire à motiver les licences lorsque deux conditions sont réunies (Sattin, 2004) : 1) le licencieur n’a pas les ressources nécessaires pour exclure les contrefacteurs potentiels du marché sur lequel porte le brevet et 2) le licencié obtient un profit supérieur en protégeant le brevet que dans le cas inverse. En pratique, la seconde condition est vérifiée si la rente de monopole nette des coûts de poursuite est positive.
Les alliances défensives devraient donc normalement reposer sur une concession de rentes au profit du licencié. Le fait que cette politique soit coûteuse pour le breveté suggère que le recours aux licences défensives soit géré avec parcimonie par les entreprises. En accord avec les recherches précédentes, nous devrions donc trouver un lien négatif entre les ressources à disposition de l’entreprise et le recours aux alliances défensives. On a donc l’hypothèse suivante :
H1 : Les stratégies d’alliances défensives sont le fait de brevetés aux ressources limitées.
Une caractéristique saillante des articles précédents est qu’ils ne questionnent pas le coût d’opportunité de ce type de licences. La théorie des coûts de transaction suggère que les transferts de connaissances au moyen d’accords de licence sont sujets à des manifestations d’opportunisme de la part du licencié (Bessy et Brousseau, 1998) ; or cette caractéristique générale se trouve exacerbée dans le cadre des alliances défensives. En effet, le recours à ce type de partenariat peut être perçu comme un aveu de faiblesse du licencieur. S’il trouve son intérêt à défendre les brevets concédés vis-à-vis des tiers, le licencié peut aussi être tenté d’accroître son profit en exploitant la connaissance transmise dans un cadre qui dépasse celui du contrat. Finalement, la profitabilité des alliances défensives pour le licencieur dépendra aussi de sa capacité à encadrer les actions de son licencié. Elle passera donc par la mise en place d’une structure de gouvernance renforcée avec un contrat qui aura pour objectif de spécifier très précisément l’étendue des droits et obligations des parties, ainsi que les modalités de contrôle des partenaires (Bessy et Brousseau, 1998).
H2 : Les alliances défensives impliquent une structure de gouvernance renforcée pour la transaction.
À ce titre, le licencieur semble exposé à deux types de risque distincts, auxquels la modification du contrat doit permettre de remédier. Tout d’abord, et avant de transmettre ses connaissances, ce dernier devra s’assurer des bonnes intentions de son partenaire vis-à-vis du respect des brevets concédés. Ceci passe par la définition claire de la propriété du licencieur ainsi que par un engagement écrit de la part du licencié à ne pas contester ultérieurement cette propriété. L’engagement du licencié à défendre les brevets du licencieur doit donc être associé à la présence d’une clause de non-contestation dans la licence. On peut donc préciser l’hypothèse 2 de la façon suivante :
H2a : La présence d’une clause de défense dans le contrat est positivement corrélée à la présence d’une clause de non-contestation.
L’opportunisme du licencié peut aussi s’exprimer d’une façon plus insidieuse. Sans contrefaire directement les brevets concédés, ce dernier peut choisir d’exploiter la technologie d’une façon qui se révèle dommageable pour le licencieur. C’est notamment le cas lorsque le licencié prend des décisions qui le conduisent à diminuer unilatéralement le niveau de qualité des produits fabriqués sous licence[3]. Afin d’éviter de tels comportements, le licencieur doit alors contrôler la production de son licencié grâce à des audits réguliers[4]. On peut donc reformuler l’hypothèse 2 en tenant compte de ce point :
H2b : La présence d’une clause de défense dans le contrat est positivement corrélée à la présence d’une clause d’audit de la production sous licence.
Les deux types de comportements opportunistes entraînent deux catégories d’adaptations distinctes au niveau de la structure de contractuelle. La relation entre les hypothèses H2a et H2b peut être illustrée par le graphique 1 ci-dessous :
2. Données, variables et modélisation statistique
2.1. Les données
La base de données utilisée provient d’une enquête sur les pratiques de licences internationales menée conjointement par la « Licensing Executive Society International »[5]et par l’Université de Paris-Ouest entre 2000 et 2001. Un questionnaire a été envoyé à 2 685 entreprises membres du LES, principalement en Europe, au Japon, aux États-Unis et au Canada. Malgré les relances des LES nationaux, seuls 160 questionnaires ont été retournés, générant de l’information sur 297 contrats de licence (soit un taux de réponse d’environ 6 %[6]). La prise en compte des valeurs manquantes réduit notre échantillon à 264 observations.
Le questionnaire a été organisé en deux temps. Dans une première partie, il a été demandé aux répondants de caractériser leur environnement national et sectoriel ainsi que leurs stratégies technologiques. Dans un second temps, il a été demandé aux entreprises de fournir des exemples de contrats de licence représentatifs de leur activité (jusqu’à trois par entreprise). La base de données permet donc de repérer les licences défensives, qui se caractérisent par la présence d’une clause de défense instituant le partage ou le report intégral des frais de suite sur le licencié. Le faible taux de réponse noté plus haut est donc plus que compensé par la précision des informations récoltées auprès de chaque entreprise (environ 70 variables par contrat).
La base est par nature multisectorielle et internationale (Tableau 2). Elle comprend 52 % de grandes entreprises et 48 % de PME (entendues comme des entreprises comportant moins de 500 salariés[7]). La répartition de la taille des entreprises dans les différents secteurs semble représentative de la population sous-jacente, avec une surreprésentation des grandes sociétés dans les secteurs à forte intensité capitalistique (chimie, matières premières, équipements), et une forte concentration des PME dans le secteur des services. La répartition nationale permet de son côté de montrer la surreprésentation des grandes entreprises japonaises. Les principaux résultats risquent donc de ne pas devoir s’appliquer aux PME de ce pays.
Le tableau 3 présente le degré d’ouverture internationale des entreprises en fonction de leur taille. Contrairement aux grandes sociétés qui apparaissent majoritairement ouvertes sur l’étranger (avec une majorité réalisant entre 20 et 50 % des ventes à l’International), le profil des PME semble plus diversifié et concentré autour de points extrêmes. Plus précisément, il semble que ces entreprises soient ou bien très peu ouvertes (40.4 % entre 0 et 5 %) ou bien fortement tournées vers l’International (47.6 % à plus de 20 %), avec une faible concentration intermédiaire. Cette répartition suggère l’existence d’un processus d’internationalisation pour ces entreprises qui, une fois commencé, doit se poursuivre jusqu’à son terme.
Le tableau 4 analyse les politiques de protection et de valorisation des inventions des entreprises en fonction de leur taille. Notre base de données confirme ici les résultats des travaux antérieurs. Nous trouvons notamment que les grandes entreprises déposent en moyenne plus de brevets que les PME (Hanel, 2004 ; Mansfield, 1986 ; Arundel et Kabla, 1998 ; Brouwer et Kleinknecht, 1999 ; Keupp et al., 2009). Toutefois, les PME déposent aussi en moyenne leurs brevets dans un plus grand nombre de pays que les grandes entreprises. La politique d’expansion internationale peut être considérée comme une variable reflétant la valeur des brevets : les dépôts multiples étant onéreux, ceux-ci sont souvent réservés aux innovations à fort potentiel. À ce titre, nous confirmons donc que les petites entreprises brevètent prioritairement les innovations qui ont une valeur de marché suffisante pour envisager un dépôt dans plus de 10 pays différents (Obayashi et Yamada, 2009). Enfin, les données du LES confirment que le recours aux licences est en moyenne plus important au sein des grandes entreprises (et ce quel que soit le type d’accord considéré), compte tenu de leur plus grande propension à breveter (Jensen et Webster, 2006).
2.2. L’analyse log-linéaire
Un problème majeur de l’analyse du design contractuel réside dans l’endogénéité de la plupart des dispositions contractuelles. Le transfert d’une ressource donnée peut ainsi être conditionné à l’inclusion d’une disposition particulière dans le texte de l’accord. De la même manière, les négociations préalables à un accord de licence sont généralement menées de front sur la plupart des dimensions du contrat. Les partenaires arbitrent en permanence et diminuent parfois certaines de leurs exigences pour en faire aboutir d’autres. L’analyse des relations entre les différentes clauses du contrat est donc malaisée avec un modèle déterministe. La validité des résultats trouvés ne peut être soutenue que s’il existe une subordination logique entre les différentes dimensions de l’accord, ou si les variables endogènes peuvent être estimées à l’aide de variables instrumentales. Ces deux solutions ont toutefois des inconvénients : la première peut rarement être mise en oeuvre ; la seconde est lourde sur le plan statistique.
Il existe toutefois des modèles d’analyse de données qui permettent d’étudier précisément les relations entre les différentes dimensions contractuelles en dehors d’un cadre déterministe. Les modèles log-linéaires permettent par exemple d’étudier les tableaux de contingences en déployant une analyse de type ANOVA pour les données qualitatives. Ils développent ainsi des tests d’association entre les différentes variables analysées sans distinguer entre variables exogènes et endogènes. Jusqu’à la fin des années 1960, les interactions entre variables étaient traditionnellement testées deux à deux à l’aide d’un test du chi², ce qui posait des problèmes de simultanéité. Apparus au début des années 1970, les modèles log-linéaires ont permis de généraliser les tests d’indépendance à des configurations où plus de deux variables interagissent simultanément.
Le modèle log-linéaire représente le logarithme des fréquences attendues dans les cellules du tableau de contingences comme une combinaison linéaire des effets directs des variables et de leurs différentes interactions, d’une manière qui est similaire au modèle traditionnel d’analyse de la variance[8].
Dans un tableau de contingences 4x2 où nous avons reporté la taille du licencieur (T)[9], la présence ou non de garanties poursuites par le licencié (P), d’engagement de non-contestation du brevet par le concessionnaire (N) et de possibilités d’audit par le licencieur (A)[10], la fréquence d’une cellule particulière Fijkl dans ce tableau peut s’écrire :
Fijkl = C fiT fjP fkN flA fijTP fjkTN fjlPA fjkNA fijkTPN fijlTPA fjklPNA fiklTNA fikklTAPN
Les fréquences dans chaque cellule dépendent donc d’un effet fixe C, du croisement des effets des différentes variables analysées (effets simples) ainsi que des éventuelles interactions entre variables. Par souci de commodité, on prend généralement le logarithme des expressions présentes de chaque part de l’égalité. On a donc finalement le modèle suivant :
Ln (Fijkl) = m + λiT + λjP + λkN +lλA +λijTP + λikTN +λilTA + λjkPN + λjlPA + λjkNA + λijkTPN +λijlTPA +λijlTNA + λjklPNA + λijklTAPN
où λa=Ln (f a) et où μ=Ln (C)
Ce modèle est connu sous le nom de modèle saturé, car il incorpore les effets de toutes les interactions possibles. Notre objectif étant de repérer les associations significatives dans ce modèle saturé, nous avons recouru à une analyse log-lineaire hiérarchique descendante où le modèle saturé est progressivement ajusté en tenant compte de la non significativité de certaines interactions.
3. Présentation et discussion des résultats
3.1. Les résultats empiriques
En première analyse, nous nous sommes concentrés sur les liens existant entre les différentes catégories de risques ressentis par les brevetés. Les réponses ont été codées à partir d’une échelle ordinale : nous avons donc calculé les corrélations des rangs de Spearman ainsi que le Taux-B de Kendall, les deux indices donnant des résultats convergents (Tableau 5). Il semble notamment qu’il existe une corrélation significative entre l’importance anticipée des problèmes de contrefaçon et les aléas associés aux licences de technologie. Les brevetés qui sont les plus à même de profiter des stratégies de licences défensives sont aussi ceux qui se défient le plus des accords de licence !… Par ailleurs, les aléas contractuels sont aussi très fortement corrélés entre eux. Au-delà de la contrefaçon directe, les brevetés semblent prendre toute la mesure des possibilités de contrefaçon indirecte ouvertes aux licenciés par le contrat. Les risques contractuels associés aux licences défensives semblent finalement bien anticipés par les licencieurs ; nous devrions donc en trouver trace dans le texte du contrat.
L’analyse des profils contractuels confirme cette intuition. Les résultats de l’analyse log-linéaire hiérarchique sont présentés ci-dessous. Le tableau 6 nous renseigne sur la significativité des différents niveaux d’interaction entre les variables T, P, N, A à partir de l’évolution de la statistique G²[11]. La structure du tableau de contingence analysé n’est pas expliquée par l’interaction d’ordre 4 T*P*N*A. Plus précisément, les effets d’ordre 4 semblent exister, mais ne sont pas assez robustes sur le plan statistique (G²=3.47, p=0.067 le seuil étant fixé à p=0.05). La structure des données semble donc uniquement découler d’interactions d’ordre 2 (ΔG²=45,076***, p<0.01) et des effets directs des variables concernées (ΔG²=182,362, p<0.01).
Le tableau 7 présente le processus de sélection du modèle par SPSS. L’objectif est ici de trouver le modèle non saturé qui permette de répliquer au mieux la structure du tableau de contingences analysé. Ce résultat est atteint en vérifiant que le modèle testé à une étape donnée ne retourne pas des résultats moins significatifs que les modèles d’ordres inférieurs. La première itération se base sur le modèle saturé et intègre donc toutes les interactions d’ordre 1 à 4 entre les variables. On retrouve la faible significativité des interactions d’ordre 4 notée plus haut. La variable croisée correspondante est donc retirée du modèle entre l’itération 1 et l’itération 2, et ainsi de suite. Le modèle final ne retient que trois types d’interactions d’ordre 2 en plus des effets directs. Plus précisément, il semble qu’il existe des associations distinctes entre la présence d’une clause de poursuite d’une part et la présence d’autre part d’une clause d’audit (P*A, G²=6,254, p<0.01), d’une clause de non-contestation (P*N, G²=12,481, p<0.01) et d’un licencieur de taille réduite (P*T, G²=24, 289, p<0.01). Nos différentes hypothèses semblent donc confirmées (Tableaux 6 et 7). La présence d’une clause de défense du brevet s’explique en partie par la taille du licencieur et implique, indépendamment de la taille, la présence à la fois d’une clause de non-contestation et d’une clause d’audit. On note que les deux dimensions de la structure de gouvernance sont aussi associées chacune de leur côté à la présence d’une clause de défense. En pratique, cela signifie qu’il n’existe pas d’externalité entre ces différentes clauses et que chacune répond à un besoin particulier vis-à-vis de la stratégie de défense. Ce dernier résultat semble donc corroborer l’existence de deux risques contractuels distincts lorsque le licencieur déploie des stratégies de licence défensive. La contrefaçon directe doit être traitée grâce à une clause de non-contestation, tandis que les risques de contrefaçon indirecte doivent être gérés à l’aide de procédures d’audit[12].
3.2. Licences défensives, innovation et développement des PME
Alors que les grandes entreprises brevètent principalement pour protéger leur capital technologique, les petites et moyennes entreprises envisagent avant tout le brevet comme un moyen d’accès à des ressources complémentaires (Holgerson, 2013). La finalité du dépôt de brevet, ainsi que les stratégies de valorisation déployées, s’en trouvent modifiées. Certaines PME cherchent ainsi parfois à signaler par ce moyen leur inventivité à leurs financeurs potentiels, qu’il s’agisse d’investisseurs privés, de banques (Rassenfosse, 2012) ou de capitaux-risqueurs (Thumm, 2004 ; Keupp et al., 2009). Par ailleurs, les PME valorisent plus fréquemment leurs brevets par des licences, et ce, afin d’obtenir des ressources financières qui leur font défaut grâce au paiement de redevances[13].
Or, dans le même temps, les PME manquent souvent de ressources pour rendre leurs brevets exécutoires dans les pays où ils sont déposés (Kitching et Blackburn, 1998), alors même qu’elles se trouvent particulièrement exposées aux risques de contrefaçon (Lanjouw et Schankerman, 2004)[14]. Cela les conduit à être particulièrement sceptiques quant à l’efficacité des brevets pour protéger leurs inventions (OSEO, 2009) ; ce qui les amène, comme le suggère l’analyse de nos données, à limiter leurs dépôts aux technologies qui possèdent un fort potentiel de valorisation sur les marchés technologiques.
Ce phénomène explique que la stratégie d’alliance défensive, même si elle n’est pas spécifique aux PME, soit particulièrement attrayante pour ces entreprises. À ce titre, l’analyse des données LES confirme que les licences défensives sont utilisées tout particulièrement par les entreprises de taille modeste. En effet, ces licences permettent d’ouvrir les marchés technologiques à des firmes qui n’y ont normalement pas accès, ou qui y ont accès dans des conditions défavorables. Toutefois, notre analyse suggère aussi que ces stratégies sont associées à la présence de contrôle et à des risques de contestation du brevet par le licencié. Le paradoxe est donc que ces stratégies se révèlent au final assez coûteuses à déployer pour le licencieur. En confiant la défense de ses brevets à son licencié, il doit à la fois dédommager ce dernier en lui concédant une rente et le surveiller afin de prévenir d’éventuels comportements opportunistes de sa part.
Ces accords peuvent en outre influencer la politique des petites et moyennes entreprises sur au moins deux plans.
Les opportunités d’accords défensifs peuvent tout d’abord avoir un impact sur les incitations à innover des PME. Le brevet devenant un outil de protection des innovations efficace grâce à la licence, l’innovateur est plus à même de capter les bénéfices associés à son innovation. La prise en considération des alliances défensives peut donc conduire certaines PME aux ressources limitées à développer des projets innovants qu’elles n’auraient pas menés si les seules options de valorisation disponibles avaient été l’exploitation en interne ou la licence patrimoniale (Cohen, Nelson et Walsh, 2000 ; Levin, Klevorick et Nelson, 1987) (Graphique 2). En outre, la capacité des accords défensifs à rentabiliser les investissements en RetD semble favoriser l’innovation à plusieurs niveaux puisqu’elle procure ex ante des incitations à la recherche tout en permettant de générer ex post un retour sur investissement suffisant pour financer les innovations de seconde génération.
Les alliances défensives nous invitent ensuite à reconsidérer les modèles de développement des PME à l’international (Pedersen et Petersen, 1998 ; Ellis et Pecotich, 2001 ; Rommer et Schmiele, 2009). Contrairement à la logique de l’internationalisation progressive, la licence défensive n’a pas pour objectif d’acquérir de l’expérience sur un marché étranger, mais vise plutôt à profiter des capacités du partenaire local pour protéger les brevets déposés dans le pays considéré. La licence défensive peut alors constituer un outil original de développement à l’International, notamment dans les pays où une discrimination judiciaire envers les entreprises étrangères peut exister.
Il n’en demeure pas moins que la portée pratique de ces stratégies reste limitée tant par les coûts de transaction qui leur sont associés que par la sensibilisation préalable des dirigeants de PME aux stratégies de licence.
Les stratégies d’alliances défensives nécessitent en effet une compréhension fine des licences de technologie et découlent d’une opérationnalisation de leur « design » contractuel. Il est donc nécessaire d’avoir connaissance au préalable de la possibilité d’inclure une clause de défense dans l’accord, ce qui nécessite d’être formé à leur rédaction. Ceci est loin d’être évident dans les PME où la propriété intellectuelle est souvent gérée par des dirigeants qui n’ont qu’une culture réduite de ce domaine (OSEO, 2009 ; Arundel et Steinmuller, 1998 ; Pitkethly, 2012). Il semble donc que les politiques publiques de soutien à l’innovation puissent bénéficier d’une sensibilisation accrue des patrons de PME non seulement aux techniques de protection de l’innovation, mais aussi à celles liées à leur valorisation. On note que dans ce domaine, de nombreux efforts ont déjà été réalisés ces dernières années (notamment en France avec la création de l’IEEPI[15]), mais ceci devra aussi passer par une adaptation de la politique d’accompagnement des entreprises menée par les acteurs institutionnels engagés dans l’entrepreneuriat et dans l’innovation.
La profitabilité des alliances défensives dépend par ailleurs des redevances prévues dans le contrat, des coûts de surveillance du licencieur et des autres coûts de transaction[16]. Les autres coûts de transaction, notamment, risquent d’être plus élevés dans le cadre d’une licence défensive que dans le cadre d’une licence patrimoniale compte tenu des exigences supplémentaires du breveté vis-à-vis de son partenaire contractuel. Un accord défensif nécessite en effet que le licencié possède à la fois les ressources pour exploiter la technologie concédée et les moyens de s’acquitter de la défense de la propriété intellectuelle licenciée. Ceci peut réduire encore le nombre de candidats potentiels pour le breveté. Par ailleurs, la nature paradoxale de l’alliance défensive incite le licencieur à mettre en place un certain nombre de garanties contractuelles qui complexifient le processus de négociation du contrat.
Au final, la profitabilité des accords défensifs est donc loin d’être toujours assurée, et elle doit s’apprécier au cas par cas. Le graphique 3 synthétise l’arbitrage à mener par le breveté en matière d’accords défensifs. Les licences défensives n’apparaissent notamment pas comme des solutions adéquates lorsque le supplément de coûts de transaction, la rente allouée et les coûts de surveillance du licencié sont trop importants pour contrebalancer l’effet négatif de la contrefaçon dans le cadre d’une licence patrimoniale ou d’une internalisation de la production. Lors du choix du mode de valorisation de l’innovation, il est donc nécessaire d’anticiper le plus précisément possible les coûts afférents à chaque mode de gouvernance, ce qui peut s’avérer délicat pour des PME n’ayant qu’une pratique limitée des accords de licence[17].
Conclusion
Alors que la plupart des travaux plaident désormais pour une approche contingente de la propriété intellectuelle (Bonhomme, Corbel et Sebai, 2005), les stratégies d’alliances défensives apparaissent ici comme un outil important de valorisation des brevets à la disposition des entreprises. À la différence de la plupart des motifs stratégiques poussant à la licence, le motif défensif s’inscrit en adéquation avec les règles de la concurrence et permet aux firmes concernées d’accéder à des marchés qui leur sont habituellement inaccessibles compte tenu des défaillances institutionnelles et de leurs ressources limitées. Les alliances défensives semblent donc particulièrement adaptées à un public de PME, mais ces licences sont par nature paradoxales. L’externalisation de la défense des brevets se révèle généralement coûteuse, car le breveté doit dans ce cas mettre en place une structure contractuelle qui lui permette de se prémunir contre un possible opportunisme de ses licenciés. Or, le bénéfice pour le licencié de tels comportements opportunistes est particulièrement important justement lorsque l’intérêt des alliances défensives est élevé pour le licencieur, c’est-à-dire lorsque ce dernier n’a pas les moyens de défendre lui-même ses brevets. Par ailleurs, la profitabilité des stratégies défensives doit être évaluée au regard de l’ensemble des coûts de transaction qui lui sont associés. Les recherches futures devront donc s’attacher à expliciter les déterminants et l’importance relative des coûts inhérents aux alliances défensives. Ceci nécessitera tout d’abord de développer de nouveaux terrains d’analyse (nouvelles bases de données notamment) et de varier les méthodes d’investigation empirique. Les entrepreneurs ne pourront toutefois tirer pleinement parti des alliances défensives que s’ils appréhendent correctement leur relation contractuelle avec leurs licenciés ; ce qui plaide notamment pour la poursuite de l’effort de sensibilisation des dirigeants de PME à la pratique des accords de licence.
Appendices
Remerciements
Je remercie le LES et E. Brousseau (Université Paris-Dauphine) pour l’accès aux données, D. Chabaud (Université d’Avignon), S. Areia ainsi que les membres du LARIME de l’IAE de Valenciennes et du PRISM-SEE de l’Université Paris 1 pour leurs remarques et suggestions. Toute erreur ou omission éventuelle relève de ma responsabilité exclusive.
Note biographique
Jean-François Sattin est maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Paris 1 et membre du PRISM. Ses travaux de recherche portent sur le financement de l’innovation et sur la gestion des PME. Il a notamment publié plusieurs contributions portant sur les stratégies de valorisation des brevets, sur le financement par capital risque et sur la dynamique entrepreneuriale au sein des PME.
Notes
-
[1]
Cf. l’exemple du Workmate (Roos, 1983), où la licence conclue entre son inventeur et Black et Decker a constitué le principal vecteur d’exclusion des contrefacteurs présent sur le marché.
-
[2]
À ce stade, il est important de noter que ces stratégies ont une portée générale et ne sont pas l’apanage des entreprises. L’histoire de France nous fournit ainsi un certain nombre d’illustrations de stratégies défensives appliquées au domaine militaire. L’instauration des feodus sous l’empire romain, ainsi que la sédentarisation des normands à l’embouchure de la Seine par le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911) en constituent des exemples significatifs.
-
[3]
Ce dernier point est particulièrement sensible lorsque des marques sont transférées conjointement avec les brevets et lorsque la responsabilité civile du licencieur se trouve engagée par les actions de son licencié (Sattin, 2012).
-
[4]
Suivant Williamson (1996), notre analyse porte sur les risques perçus ex ante par le breveté, et sur les adaptations de la structure de gouvernance qui en découlent. Elle ne se prononce donc pas sur les modalités de déploiement ainsi que sur l’efficacité ex post de l’audit.
-
[5]
La « Licensing Executive Society International » est une association professionnelle regroupant plus de 12 000 praticiens de la propriété intellectuelle et des accords de licence dans plus de 90 pays. Son objectif est de promouvoir les meilleures pratiques au sein de ses membres tout en leur offrant un espace d’interaction. Les « managers » adhérents interviennent alternativement au sein de grandes entreprises ou de PME.
-
[6]
Ces accords sont généralement considérés comme stratégiques par les entreprises qui hésitent à en divulguer les détails.
-
[7]
La taille est codée de façon binaire et renvoie à la définition administrative de la PME en vigueur en France à l’époque où ont été collectées les données. Cette variable ne nous permet donc pas de distinguer les PME des TPE dans notre échantillon.
-
[8]
Cf. Hendrickx (2004) pour une présentation plus détaillée de l’approche log-linéaire.
-
[9]
T est codée 1 si l’entreprise comporte plus de 500 salariés et 0 sinon.
-
[10]
P, N et A sont codées de façon binaire (1 si présence de la clause dans le contrat et 0 sinon).
-
[11]
G² correspond ici au carré du rapport de vraisemblance.
-
[12]
Avec des valeurs qui restent très proches, la comparaison des tableaux de contingences prédites et observées semble confirmer la robustesse du modèle final. Par ailleurs, les valeurs des résidus normalisés ne prennent pas de valeur aberrante par rapport à l’hypothèse de normalité.
-
[13]
Dans cette perspective, Lallement (2008) montre que 25 % des brevets européens déposés par les PME donnent lieu à des accords de licence, contre seulement 9 % des brevets détenus par les grandes entreprises.
-
[14]
Notamment en Europe où, à l’exception de l’Allemagne, les dommages et intérêts ne semblent pas suffisamment dissuasifs pour les contrefacteurs (Mitkova et Corbel, 2010).
-
[15]
L’Institut Européen Entreprise et Propriété Intellectuelle, créé en 2004, est localisé à Strasbourg. Il est destiné à promouvoir les stratégies de propriété intellectuelle, notamment auprès des dirigeants de PME.
-
[16]
Il s’agit principalement des coûts de recherche des partenaires potentiels et de négociation des contrats (Coase, 1937).
-
[17]
Le recours à un conseil en propriété intellectuelle peut alors s’imposer dans ce cas.
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