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Cet ouvrage collectif, réalisé sous la direction de Christophe Schmitt, vise à mettre en lumière des perspectives en émergence dans le domaine de l’entrepreneuriat. En ce sens, l’ouvrage se veut tourné « vers un futur proche » et complémentaire aux travaux proposant des « approches contemporaines et historiques de l’entrepreneuriat » (p. 1).
Le corps de l’ouvrage est composé de deux parties, annoncées dès l’introduction. La première partie comporte des réflexions centrées sur le thème de l’évolution des pratiques entrepreneuriales, qu’il s’agisse de pratiques « traditionnellement reconnues » (p. 8), qui évoluent, ou de pratiques en émergence ; la seconde est structurée autour d’outils permettant de favoriser l’évolution de ces pratiques entrepreneuriales. Au-delà de la diversité des « regards » dont cet ouvrage collectif est composé, chaque partie présente une cohérence forte, comme le montre la conclusion qui souligne des points de convergence des contributions : le lien entre les dimensions individuelle et sociale de l’entrepreneur, d’une part, le lien entre connaissance et action, d’autre part.
L’introduction, rédigée par Christophe Schmitt, est une introduction « engagée ». En effet, si la troisième partie de cette dernière déroule le fil rouge de l’ouvrage, les deux premières parties, clairement, constituent des plaidoyers, respectivement en faveur d’une « approche anthropocentrée de l’entrepreneuriat » (p. 3) et de la création de liens entre chercheurs et praticiens.
De fait, de l’ensemble des contributions se dégage une conception commune de l’entrepreneuriat et de l’entrepreneur, le premier étant envisagé comme un processus, le second se définissant par ses « relations avec les autres dans un contexte d’interdépendance » (p. 5), ainsi que par sa représentation de son environnement. Les contributions de la première partie, notamment, s’attachent à dessiner cet entrepreneur interagissant.
La question de la relation entre chercheurs et praticiens est aussi celle de la relation entre connaissance et action. Cette interaction, ce dialogue entre chercheurs et praticiens, sont nécessaires à la production de savoirs scientifiques ; ils contribuent également à leur diffusion. C’est du statut du chercheur, de sa relation au terrain et de « l’utilisation » de sa non-neutralité qu’il est ici question. Ainsi, le « projet scientifique de cet ouvrage est […] d’élaborer des connaissances dans et pour l’action et, donc, de fournir des repères aux personnes qui sont liées à l’entrepreneuriat » (p. 7). D’ailleurs, l’ensemble des contributions ont en commun de résulter de travaux menés en contact avec le terrain. Et celles qui composent la seconde partie de l’ouvrage traitent plus spécifiquement d’outils destinés à accompagner les praticiens.
La première partie de l’ouvrage est constituée de réflexions sur des thèmes, qui font apparaître l’entrepreneur en interaction : le premier chapitre, rédigé par Pierre-André Julien et Christophe Schmitt, donne le ton. C’est un plaidoyer pour une vision sociale d’un entrepreneur appréhendé non plus comme un individu isolé mais au travers de ses interactions sociales. Quant aux chapitres suivants, ils mettent en scène cet entrepreneur dans le cadre de plusieurs de ses interactions. En ce sens, la première partie contribue à définir l’entrepreneur - l’idée sous-jacente étant « dis-moi avec qui tu interagis et comment tu interagis et je te dirai qui tu es » - et pose la question du lien entre la dimension individuelle et la dimension sociale de ce dernier.
Sont ainsi évoquées des interactions à différents stades de la vie d’une entreprise : les interactions avec le successeur dans le cadre d’une reprise d’entreprise (Robert Paturel) et, plus généralement, avec l’ensemble des parties prenantes, lors de la transmission d’une entreprise familiale (Louise Cadieux) ; la question du réseautage également est abordée, en liaison avec le développement des entreprises (Pierre-André Julien). Des contributions traitant de l’intrapreneuriat (Camille Carrier) ou des équipes entrepreneuriales (Haifa Naffakhi et Mohamed Bayad) apportent un éclairage sur les interactions internes à l’entreprise. L’entrepreneur est également décrit à travers ses interactions avec l’extérieur de l’entreprise : les places de marché électronique viennent influencer ses relations avec ses clients et fournisseurs (Louis Raymond) ; l’entrepreneur social contribue à apporter une solution aux problèmes sociaux de la communauté (Sophie Bacq et Frank Janssen).
La seconde partie, en portant sur des démarches et des outils destinés à aider les entrepreneurs dans leurs pratiques, se trouve au coeur de la relation entre connaissance et action, et, plus généralement, au coeur de la relation entre recherche et terrain.
Sont envisagés l’identification collective d’occasions d’affaires (Maripier Tremblay), le coaching et le mentorat (Paul Couteret et Josée Audet), la formation en entrepreneuriat (Frank Janssen et Christophe Schmitt). Sont également proposés un outil de gestion du risque des projets d’expansion des PME (Josée St-Pierre), une méthodologie d’analyse alternative à l’étude de marché (Robert Paturel), un outil d’étalonnage et de diagnostic comparatif (Josée St-Pierre), une démarche d’identification et d’évaluation des compétences de l’entrepreneur (Yosra Boughattas, Mohamed Bayad et Michaël Benedic), un outil destiné à aider ce dernier à construire une vision du projet entrepreneurial (Christophe Schmitt, Marie Gallais et Malek Bourguiba), un modèle des choix juridiques s’offrant au créateur d’entreprise (Pascal Philippart).
Au premier abord, cet ouvrage semble destiné aux personnes intéressées par le domaine de l’entrepreneuriat : entrepreneurs, managers, accompagnateurs, formateurs, consultants, enseignants, étudiants, chercheurs, politiques également. Toutefois, son lectorat potentiel est plus étendu. En effet, si l’entrepreneuriat est la clé de lecture principale de l’ouvrage, elle n’est pas la seule. Ce livre peut intéresser toute personne s’attachant à appréhender les phénomènes complexes et, plus généralement, tout chercheur qui réfléchit sur sa place et son rôle, sur ce qu’est la recherche, quel que soit son domaine de prédilection. Se dessine en effet à travers l’ouvrage une conception du chercheur en interaction – un peu comme l’entrepreneur décrit en première partie – et de la recherche.
Ce chercheur est un chercheur de terrain, au sens où il interagit avec ce dernier, avec le praticien : il se nourrit du terrain ainsi que de l’expérience de l’entrepreneur et produit aussi à destination du terrain, avec le terrain, en utilisant à cette fin sa non-neutralité.
Ce chercheur est, pour reprendre un terme d’actualité, « publiant » et surtout « diffusant » et « échangeant ». La diffusion inclut les publications destinées aux chercheurs, mais doit également s’adresser aux praticiens, enseignants, étudiants et politiques. Elle se déroule dans le cadre d’échanges, de discussions ; le chercheur est tourné vers l’autre – il n’hésite d’ailleurs pas à regarder ce qui se fait dans d’autres disciplines – et vers des projets à venir.
L’ouvrage est lui aussi orienté vers l’avenir. En effet, il s’intéresse à des phénomènes émergents, amenés, d’après les auteurs, à se développer. Ceux-ci invitent d’ailleurs les lecteurs à continuer à observer, car « le principal juge de cet ouvrage est finalement le temps, qui donnera raison ou non aux pratiques entrepreneuriales présentées » (p. 2). Cette idée du temps qui va se constituer juge est séduisante. Notons que les auteurs, en décrivant des tendances, en cherchant à les cristalliser pour attirer l’attention des acteurs de l’entrepreneuriat sur ces dernières, en les présentant comme « en émergence », risquent peut-être justement d’influer sur les phénomènes entrepreneuriaux à venir…
Peut-être le caractère émergent de certains des phénomènes abordés aurait-il pu être plus souligné, le positionnement par rapport au passé et aux tendances lourdes du présent, plus marqué. Par là auraient été mieux mises en valeur la complémentarité de la lecture offerte par rapport aux approches historiques et descriptives, ainsi que l’originalité des regards proposés.
Tourné vers l’avenir, l’ouvrage l’est toutefois incontestablement, par ces regards qu’il porte sur un futur proche, mais aussi par la façon dont il est conçu, rédigé : il constitue un point de départ pour des échanges et des travaux ultérieurs. Ainsi, les illustrations de l’évolution des pratiques entrepreneuriales offertes par les contributions se veulent critiques, destinées à provoquer une prise de conscience et, sur la base de cette dernière, à mettre en place une démarche de veille, des échanges d’informations, une discussion sur ces pratiques ainsi que sur leur évolution… Quant aux points de convergence des contributions mis en exergue dans la conclusion, ils sont présentés comme « autant de voies à explorer davantage » (p. 323). Ainsi, l’ouvrage invite à participer à la discussion, à compléter et poursuivre le travail engagé ; il ouvre des portes, propose des pistes et donne envie au lecteur de voir où elles conduisent.