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01. Introduction

Le cadre normatif sur les femmes, la paix et la sécurité doit son origine à divers événements historiques, notamment le passage de la sécurité de l'État à la sécurité humaine. Les efforts pour remédier à la situation des femmes en conflit remontent aux années 1960. En 1969, la Commission de la Condition de la Femme a examiné la question de la protection des femmes et des enfants en situation d'urgence et de conflit lors de sa 22 e session. Il a alors été convenu de demander au Secrétaire général des Nations Unies de soumettre à la Commission un rapport sur la situation des femmes dans les situations de conflit au cours de sa 23 e session (Union africaine, 2019a : 5). En 1975, les États membres de l’ONU ont adopté, lors de la 1ère Conférence mondiale sur les femmes de Mexico, un « plan d’action mondial pour la mise en œuvre des objectifs de l’Année internationale de la femme », qui avait 1985 pour horizon.  Ce plan se concentre sur trois points : une égalité complète entre les hommes et les femmes et l’élimination de la discrimination fondée sur le sexe ; l’intégration et la pleine participation des femmes au développement; et une contribution de plus en plus importante des femmes au renforcement de la paix internationale [1] . De plus, les états membres africains sont signataires de la Convention historique de l’Assemblée générale de l’ONU sur l’élimination de la discrimination à l'égard des femmes, qui a été adoptée en 1979 (Union africaine, 2008 : 2). D’autres initiatives vont suivre, comme la deuxième conférence mondiale sur les femmes tenues à Copenhague, Danemark (1980), puis la troisième tenue à Nairobi, Kenya (1985), et finalement la quatrième tenue à Beijing, Chine en 1995. Alors que ces conférences ont contribué au renforcement progressif des dimensions légales, économiques, sociales et politiques du rôle des femmes, le monde est toujours loin d'atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes (Union africaine, 2008). En considérant qu’un consensus émerge autour du principe selon lequel l’égalité des chances pour tous est essentielle pour la construction de sociétés justes et démocratiques pour le vingt et unième siècle, les liens fondamentaux entre les trois objectifs d'égalité, développement et paix doivent être créés. Les 12 secteurs critiques de la Plateforme d’action de Beijing ont émergé comme un programme puissant pour l’autonomisation des femmes et l’égalité entre les hommes et les femmes. Les recommandations de Beijing vont, en conséquence, demander aux États membres et aux parties prenantes d’accélérer la mise en œuvre du programme d’autonomisation des femmes (Union africaine, 2008 : 3). La conférence mondiale sur les femmes de 1995 a été le principal moteur de l’élaboration d’une politique onusienne sur les femmes, la paix et la sécurité, au travers de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing. Cette amorce a révélé la pluralité des enjeux qui concernent l’implication des femmes dans la construction d’une paix durable à l’échelle mondiale, régionale et nationale (Doucy, 2022 : 2).

C’est dans ce contexte que l’ONU adopte en octobre 2000 la résolution 1325, une étape historique qui légitime politiquement le rôle des femmes dans la paix, la sécurité dans la gestion des conflits et post-conflits. La résolution contient des actions pour l’intégration du genre dans les opérations humanitaires et le désarmement, démobilisation et la réintégration (DDR). Elle souligne également l’importance de l’inclusion et de la collaboration par les organes de l’ONU, la société civile et la Commission sur la condition de la femme (Union africaine, 2008 : 3). La résolution 1325 (2000) exhorte toutes les entités des Nations unies et les États membres à adopter un arsenal de mesures destinées à favoriser la représentation et la participation des femmes à la prévention, la gestion et la résolution des conflits, à promouvoir le respect et la protection de leurs droits fondamentaux, à garantir leur sécurité et à répondre à leurs besoins généraux avant, pendant et après les conflits (ONU, 2012 : 1). Cette conceptualisation de la sécurité a présenté un moment clé où la violence sexuelle et sexiste a pu être conçue comme une question de paix et de sécurité, et où les femmes ont pu être repositionnées en tant qu’actrices de la paix et de la sécurité (Hendricks, 2020 : 1). Les organisations internationales étant dotées de compétences en matière de prévention, de règlement des conflits et de consolidation de la paix, elles peuvent apporter des solutions adaptées à ces enjeux, tout en permettant l’inclusion de la société civile et des organisations de femmes (ONU, 2022 : 15).

Au moment de sa création, l’Union africaine (UA) se positionne, en tant qu’organisation internationale :

« pour l’égalité entre hommes et femmes ainsi que l’autonomisation des femmes, et plus spécifiquement pour le droit des femmes de participer à la vie politique et publique, notamment en garantissant l’équilibre entre hommes et femmes dans les fonctions de dirigeant politique et de décision » (ONU, 2020a : 18).

Entre 1995 et 2002, 48 pays africains ont établi des plans nationaux de réduction de la pauvreté incluant la dimension genre. En outre, certains pays africains ont mis en place des stratégies permettant de soutenir l’entrepreneuriat des femmes par le biais des systèmes de microcrédit et de renforcement des capacités en gestion des entreprises (CEA, 2004 : 3). Aussi, l’Union africaine, apparue en 2000 et fonctionnant sur le principe de l’égalité, a créé immédiatement :

« la Direction Femme, Genre et Développement qui relève du Bureau du Président de la Commission. Elle a reçu la fonction de diriger, faciliter, coordonner et conseiller sur les actions d’égalité entre les hommes et les femmes dans le système de l’UA » (Union africaine, 2008 : 4).

L’ensemble de ces développements et de cet historique permettent de se demander comment définir la trajectoire relative à la transcription en normes et en politiques de femmes, paix et sécurité par l’Union africaine de 2000 à 2003 ?

Pour répondre à cette question centrale, l’hypothèse émise est que l’Union africaine a développé une action juridique et des politiques relatives à la femme, la paix et la sécurité pendant la période retenue comme bornes chronologiques. Ces dernières sont respectivement justifiables par l’adoption de l’Acte constitutif en 2000 et particulièrement en ce qu’il proclame l’égalité hommes femmes comme principe de fonctionnement. Sans omettre la résolution 1325 adoptée en octobre 2000 par le Conseil de sécurité des Nations unies. L’année 2023 voit l’institution d’un groupe de travail sur les changements climatiques femmes, paix et sécurité. Cette contribution, dont le but est de faire l’historique d’une politique de l’Union africaine, s’inscrit dans le champ de l’histoire des relations internationales. « Étude scientifique [de l’évolution] des phénomènes internationaux [contemporains] pour aboutir à découvrir les données fondamentales et les données accidentelles qui les régissent » (Duroselle, 1952 : 683). Pour ce faire, la réalisation de cette étude demande une approche multidisciplinaire. Il s’agira de mobiliser les méthodes inhérentes à l’histoire des relations internationales. D’abord la méthode historique permettant de reconstituer et d’expliquer la démarche de l’UA, à partir d’une analyse des instruments juridiques et des politiques rendues publiques par l’organisation dans la limite temporelle préalablement définie. Le droit international étudie des normes en termes d’obligation et de sanction, ou en termes d’effectivité qui permet de distinguer le caractère déclaratoire ou contraignant d’une norme (Duroselle, 1952 ; Cabanis, Crouzatier, Ruxandra, Soppelza, 2010 : 3). Cette combinaison d’approches éludera l’argumentaire porté respectivement par les fondamentaux de la régularisation de femmes paix et sécurité par l’Union africaine entre 2000 et 2012 (1), et sa transformation en action politique (2) continue de 2013 à 2023.

02. Les principes de la normalisation de femmes, paix et sécurité par l’Union africaine 2000-2012

La conférence mondiale sur les femmes de 1995 a été le principal moteur de l’élaboration d’une politique onusienne sur les femmes, la paix et la sécurité, au travers de la déclaration et du programme d’action de Beijing. Cette amorce a révélé la pluralité des enjeux qui concernent l’implication des femmes dans la construction d’une paix durable à l’échelle mondiale, régionale et nationale. Cinq ans plus tard, la résolution 1325, adoptée à l’unanimité par le Conseil de Sécurité, a constitué la première pierre de l’édifice que l’on dénomme aujourd’hui l’agenda femmes, paix, sécurité (Doucy, 2020 : 2). La déclaration de Beijing reconnaît le rôle de premier plan des femmes dans le mouvement pacifiste [s’agissant d’] œuvrer activement à la réalisation d’un désarmement général et complet, sous un contrôle international rigoureux et efficace, et d’appuyer les négociations en vue de la conclusion immédiate d’un traité universel et effectivement vérifiable au plan multilatéral d’interdiction complète des essais nucléaires qui favorisera le désarmement nucléaire et la prévention de la prolifération des armes nucléaires sous tous ses aspects, rôle réaffirmé en 1998 par la Commission de la condition de la femme de l’ONU (Heyzer, 2003 : 5). Par ricochet, mais avec des particularités sur femmes, paix et sécurité, l’Union africaine entame une normalisation du rôle de la femme à partir de ses textes fondamentaux (1), en prenant des instruments juridiques spécifiques (2) et généraux (3) durant cette période.

2.1 L’affirmation de l’égalité hommes femmes par l’Acte constitutif et l’impasse du Protocole relatif au Conseil de paix et sécurité (CPS) 2000-2002

En 2000, la résolution 1325 a été adoptée sous la présidence de la Namibie. Cette résolution constituait le premier effort international officiel pour intégrer le rôle des femmes dans la paix et la sécurité, mettant au premier plan du discours sur la sécurité et le développement le concept du programme pour les femmes, la paix et la sécurité (ONU, UA, 2020 : 41). La résolution 1325 commence par rappeler à quel point il est essentiel que les femmes soient représentées dans les institutions et mécanismes nationaux et régionaux ainsi que dans les organisations multilatérales (Farr, 2003 : 37). L’applicabilité du principe de subsidiarité invite tacitement l’UA à entreprendre une démarche de continentalisation de cette initiative des Nations unies. Comme suite logique, le préambule de l’Acte constitutif, adopté le 12 juillet 2000, énonce 1) que l’Union africaine est fortement inspirée par la « vision commune d’une Afrique unie et forte, ainsi que par la nécessité d’instaurer un partenariat entre les gouvernements et toutes les composantes de la société civile, en particulier les femmes », et 2) que l’organisation fonctionne conformément aux principes de promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes (art. 4.l). Pour consolider les acquis de l’Acte constitutif, le même jour l’UA appelle à : « accorder une attention particulière au renforcement du pouvoir des femmes afin de leur permettre de participer de façon active et indépendante au développement économique » ( Union africaine, 2000 : 14 ). L’UA prend aussi en compte le principe d’égalité homme femme dans la composition de ses organes et institutions, laissant imaginer la possibilité de considérer ce principe dans toutes ses structures politiques et administratives. Les statuts de la Commission, comme organe administratif de l’Union, rappellent qu’elle représente l’Union, défend ses intérêts et « assure l’intégration des questions de genre dans tous les programmes et activités de l’Union » (art. 3-2cc). Il est donc institué un processus de présélection au niveau régional [pour la composition des organes de l’Union]. Ainsi, chaque région propose deux (2) candidats, dont une femme, pour chaque portefeuille, sur la base des modalités convenues par la région (art. 13). Le thème des femmes, de la paix et de la sécurité a été traité avec plus d’intérêt et de cohérence dans toute l’organisation au cours de cette période, en particulier après l’adoption en octobre 2000 de la résolution 1325. De plus, l’inquiétude générale qui régnait face aux moyens violents utilisés dans les conflits modernes – les armes légères et de petit calibre – a conduit à l’organisation d’une conférence mondiale sur le sujet (Hill, 2003 : 21). De l’affirmation de l’égalité comme principe, de fonctionnement, d’organisation, d’orientation politique et stratégique, l’on peut penser à une implémentation sans conteste du triptyque femme paix et sécurité par l’UA : « De tous ces débats, il est ressorti que la prévention des conflits passait impérativement par une participation accrue des femmes » (Hill, 2003). Le principe d’égalité influence donc la constitution de la Commission de l’UA comme le précise le règlement intérieur de la Conférence de l’UA :

« les Commissaires doivent être des femmes ou des hommes compétents, ayant une expérience prouvée dans le domaine concerné, des qualités de dirigeants et une grande expérience dans la fonction publique, au parlement, dans une organisation internationale ou dans tout autre secteur pertinent de la société » (art. 39-2).

La question de l’égalité, on présume, ne saurait donc épargner aucun organe, encore moins le CPS comme institution veillant à la sécurité collective au sein de laquelle les femmes prendraient mieux en considération le triptyque femme paix et sécurité autant que ses implications.

La création de l’Union africaine, qui proclame son attachement au principe de l’égalité et de l’équité des sexes, offre de nouvelles opportunités aux femmes pour une plus grande participation à la prise de décisions sur le plan national, sous régional et régional. La Commission de l’UA a été créée sur la base de la parité hommes femmes. La Présidente du Parlement panafricain de l’UA est une femme au moment du lancement de cette institution, et il y a au moins une femme parmi les cinq représentants de chaque pays au Parlement panafricain (CEA, 2004 : 1). Dès 2002, un état des lieux a été mené dans le premier rapport du Secrétaire général sur les femmes, la paix et la sécurité, sur les multiples conséquences dramatiques des violences sexuelles. Les risques de contracter des maladies sexuellement transmissibles, l’absence des hommes et des garçons en raison de leur service dans les forces armées, les difficultés d’accès aux biens de première nécessité comme l’alimentation ou les médicaments conduisent à un climat délétère et propice à l’occurrence de ces violences (Doucy, 2020 : 4). L’institutionnalisation de la sécurité collective par l’UA aboutit le 9 juillet 2002 par l’approbation du Protocole relatif au CPS, un instrument juridique équivoque, quant à sa considération de l’égalité comme principe de fonctionnement et d’organisation. Ce texte ne prévoit aucunement la prise en compte de la dimension genre dans la composition du CPS. En effet, il est composé :

« de quinze membres, notamment dix membres élus pour un mandat de deux ans, cinq membres élus pour un mandat de trois ans en vue d’assurer la continuité. En élisant les membres du Conseil de paix et de sécurité, la Conférence applique le principe de la représentation régionale équitable et de la rotation » (art. 5).

A l’opposé des statuts de la Commission, il faut noter que la question de l’égalité n’apparait nullement dans le Protocole. Alors que la résolution 1325 :

« insiste sur la nécessité d’incorporer une démarche soucieuse d’équité entre les sexes à tous les niveaux des opérations de maintien de la paix, et notamment ceux du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion ; demande instamment la participation judicieuse des femmes aux exercices de désarmement ; et insiste sur le droit qu’ont les femmes de mener leurs activités dans la phase de reconstruction libérées de toute menace, et plus particulièrement de toute violence sexuelle » (Farr, 2003).

Il est donc surprenant de constater le silence du principal instrument juridique relatif à la paix et la sécurité, sur la participation institutionnelle et politique des femmes au CPS, avec comme conséquence son insuffisante orientation sur le genre. Tandis que la résolution 1325 présente des méthodes concrètes pour lutter contre le déficit de participation des femmes (CEDEAO, 2020 : 20). Les femmes apportent de nouvelles perspectives de la prévention des conflits au niveau de la base et au niveau communautaire. Il est de ce fait nécessaire :

« d’encourager les moyens créatifs et innovateurs de tirer parti du talent des femmes dans la prévention des conflits et le maintien de la paix. De plus, on doit définir des mesures et des stratégies pratiques pour appuyer individuellement et collectivement le rôle des femmes dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix après les conflits » (Farr, 2003 : 22).

La communauté internationale agit :

« sur une pluralité de volets : la prévention, la protection des victimes et la répression des violences, eux-mêmes subdivisés en de nombreuses activités comme la formation et la sensibilisation, le monitoring et le reporting des violences, la lutte contre l’impunité et l’assistance technique et financière à une réponse pénale appropriée » (Doucy, 2020).

A contrario, le CPS propose une participation non institutionnelle de la femme comme actrice de la société civile, une perspective pour le moins surprenante et limitative dans la mesure où :

« le Conseil de paix et de sécurité encourage les organisations non gouvernementales, les organisations communautaires et les autres organisations de la société civile, notamment les organisations de femmes, à participer activement aux efforts visant à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique » (art. 20).

Le débat sur la résolution 1325 et la suite qui y a été donnée ont également souligné davantage l’énorme contribution potentielle des femmes comme artisanes de la paix, du désarmement et de la prévention des conflits. Il en a résulté une prise de conscience, par la communauté internationale, des dimensions sexospécifiques des situations de conflit et d’après-conflit (Heyzer, 2003 : 5). La posture de limiter le rôle des femmes, du moins de ce qui ressort du Protocole sur le CPS, se qualifierait comme un anachronisme qu’il faudra corriger :

« S’intéresser à cette problématique permet non seulement d’obtenir des informations sur les femmes, informations qui sans cela pourraient passer inaperçues, mais aussi de faire la lumière sur les idées reçues et les stéréotypes concernant les hommes et les femmes, les valeurs et les qualités qu’on leur associe d’ordinaire et la façon dont les relations de pouvoir peuvent évoluer » (Heyzer, 2003).

Par conséquent, l’aide proposée par le Protocole sur le CPS aux femmes dans des conditions de fragilité s’avère essentielle, mais il faut aller au-delà. Le texte précise : « l’assistance aux personnes vulnérables, y compris les enfants, les personnes âgées, les femmes et d’autres groupes traumatisés de la société » (art. 14-3.e). Une déconsidération évidente, alors qu’il faut :

« éviter de faire des femmes un élément accessoire en insistant pour que chaque aspect d’une activité donnée, comme les négociations sur la paix ou le désarmement, ou encore les opérations qui suivent un conflit, soit considéré du point de vue de ses incidences sur la condition féminine » (Heyzer, 2003 : 9).

En dépit de cela le Protocole sur le CPS dans son élan insiste sur une « formation en droit international humanitaire et dans le domaine des droits de l’homme, avec un accent sur le droit des femmes et des enfants, doit être partie intégrante des programmes de formation » (art.1 3-12). Une ambivalence est indubitablement établie entre l’Acte constitutif qui énonce un fonctionnement de l’UA porté par la parité et l’égalité, le Protocole sur le CPS vient tout de même tempérer cette présomption, particulièrement au moment de l’adoption de la résolution 1325. En revanche, il convient aussi de rappeler que la vision du Protocole sur le CPS ne saurait être immuable, les mesures consécutives sont à suivre.

2.2 Le Protocole de Maputo et l’institution d’une politique post conflit : un recentrage de femmes, paix et sécurité 2003-2006

Pour certains analystes, l’existence de cadres juridiques, de politiques et d’institutions, ainsi que la présence des femmes dans le secteur de la sécurité ne sont pas suffisantes (Hendricks, 2020 : 4). Ils constituent cependant un socle indispensable permettant une normalisation de femmes, paix et sécurité. Puisque, les femmes ont un droit fondamental, et sont intéressées à prendre part aux décisions qui les affectent ainsi que l’avenir de leur pays. De plus, la participation des femmes aux processus de paix apporte des bénéfices substantiels (ONU, 2021a : 3). Les organisations internationales peuvent ainsi compléter les efforts des États et être utiles dans l’élaboration d’approches régionales et le partage des bonnes pratiques, l’UA fait figure d’exemple, dans la mesure où elle a obtenu une plus grande collaboration entre les pays qui la composent, mais aussi une participation plus active des femmes (ONU, 2022 : 3). Elle peut donc accroitre la participation des femmes à la gouvernance de la paix et la sécurité à tous les niveaux (CEDEAO, 2020 : 19). Tout comme l’intégration d’une perspective genre et la participation des femmes à toutes les étapes des processus de paix (CEDEAO, 2020 : 19).

Le Protocole relatif aux droits de la femme adopté le 11 juillet 2003 à Maputo demande donc aux États membres de prendre :

« toutes les mesures appropriées pour assurer une participation accrue des femmes : aux programmes d’éducation à la paix et à la culture de la paix; aux mécanismes et aux processus de prévention, de gestion et de règlement des conflits aux niveaux local, national, régional, continental et international aux mécanismes locaux, nationaux, régionaux, continentaux et internationaux de prise de décisions pour garantir leur protection physique, psychologique, sociale et juridique » (art.10-2).

Ces dispositions s’inscrivent dans le droit fil de l’Acte constitutif et viennent combler les lacunes du Protocole sur le CPS qui réduisait jusque-là la participation de la femme aux actions des organisations de la société civile sans pour autant que le CPS ne prenne en considération la question de la parité dans sa composition.

« Ces évolutions actuelles reconnaissent, les impacts différentiés des conflits sur les femmes, les filles et placent les femmes au cœur des efforts pour prévenir le déclenchement des conflits et parvenir à une paix durable » (ONU, 2021a).

Bien que la participation effective de la femme soit désormais formalisée par un instrument juridique, il importe de rester vigilant, car la paix et la sécurité des femmes sont intimement liées à la paix et à la sécurité générales (Hendricks, 2020 : 4). La recherche montre que l’égalité des sexes et le respect des droits et de la dignité des femmes contribuent de manière significative à la paix, à la cohésion sociale et à la sécurité dans les sociétés (CEDEAO, 2020 : 15). Le Protocole sur les droits de la femme exige leur protection dans les conflits armés dans la mesure où :

« les États partis s’engagent à respecter et à faire respecter, les règles du droit international humanitaire applicables dans les situations de conflits armés qui touchent la population, particulièrement les femmes »[2] (art. 11-1).

L’UA manifeste de fait sa volonté de faire du thème femmes paix et sécurité une préoccupation en prenant des décisions et en les mettant en œuvre progressivement. L’épisode raté du Protocole relatif au CPS semble corrigé par le Protocole relatif aux droits des femmes lequel inscrit la participation des femmes aux initiatives de paix et sécurité. Cette approche progressive enregistrera probablement des avancées significatives dans le futur. En revanche, la mise en œuvre présente des lacunes majeures qu’il faut combler pour assurer la protection et la participation pleines des femmes, garantir la parité hommes-femmes et soutenir la réalisation de solutions durables, notamment en intégrant le genre dans les discours (ONU, UA, 2020 : 8).

Après l’adoption de la Charte sur les droits de la femme, les progrès en matière de promotion et de protection des droits des femmes ont surtout concerné le renforcement des cadres juridiques et politiques (CEA, 2004, p. 4). Le 8 juillet 2004 les Chefs d’État et de gouvernement membres de l’UA se sont engagés, dans le cadre de la déclaration solennelle sur l’égalité entre les hommes et les femmes en Afrique, à assurer la pleine participation et représentation des femmes au processus de paix, y compris la prévention, la gestion et le règlement des conflits et la reconstruction post-conflit en Afrique, tel que stipulé dans la résolution 1235 des Nations Unies (ONU, UA, 2020, p1). En 2004 au niveau sous-régional, des organismes intergouvernementaux (CEDEAO, SADC, CAE, IGAD, CEEAC et COMESA) ont adopté des politiques, des déclarations et des orientations sexospécifiques en faveur de la promotion et de la protection des droits des femmes (CEA, 2004 : 4). La voix des femmes dans la prévention des conflits et le rétablissement de la paix est le plus souvent à peine entendue et elles restent de ce fait en marge des processus de paix. Des dilemmes persistent entre la réconciliation après les conflits et une justice qui tienne compte des spécificités hommes-femmes, la réintégration et le rejet, la participation et l’esprit partisan, autant d’éléments qui exigent que l’on s’occupe avant tout des femmes dans les situations de conflit et après (CEA, 2004). D’ailleurs la déclaration de l’UA sur l’égalité est préoccupée :

« par le fait que les femmes et les enfants sont les principales victimes des conflits et des déplacements à l’intérieur du pays, notamment les viols et les massacres, et que les femmes sont en général exclues de la prévention des conflits et des processus de négociation de la paix et de consolidation de la paix ».

L’appui aux femmes dans le cadre des processus politiques dans les pays sortants de conflit doit être renforcé de façon à ce qu’elles puissent avoir une influence sur la prévention des conflits, le rétablissement de la paix et la reconstruction (CEA, 2004). Subséquemment, la déclaration sur la politique commune de défense et sécurité adoptée en février 2004 à Syrte confirme « la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes » comme mode d’organisation et de fonctionnement de l’UA tout comme l’égalité des droits.

« Il faudrait [donc] faire respecter les mesures qui réaffirment le rôle et les droits des femmes pendant les phases de négociation, de transition et de reconstruction et renforcer les mécanismes en vue de leur application aux niveaux régional et international » (CEA, 2004 : 9).

Ainsi, l’UA reconnaît qu’il est impératif de protéger les droits des femmes et des filles en sensibilisant le public, en promouvant l’adoption de lois progressistes et le développement inclusif ainsi qu’en soutenant le rôle des femmes dans les processus de paix, entre autres choses (Union africaine, 2019a : 7). Autrement dit, évoluer vers une participation égale, pleine et significative des femmes est essentiel pour adopter des solutions durables dans les domaines du rétablissement de la paix (ONU, 2021a : 3).

Alors que les femmes sont victimes de toutes sortes de violence et de l’insécurité, le Protocole à la convention de l’Union africaine pour la prévention contre le terrorisme, adopté en juillet 2004 à Addis Abeba, apparaît comme étant insensible au genre : aucune référence n’est faite aux femmes et aux particularismes qu’elles suscitent face aux phénomènes violents. Dans ces conditions, l’appui aux femmes dans le cadre des processus politiques dans les pays sortants de conflits doit être renforcé de façon à ce qu’elles puissent avoir une influence sur la prévention des conflits, le rétablissement de la paix et la reconstruction (CEA, 2004). Pour continuer ses efforts, l’UA adopte donc en juillet 2006 le cadre politique de reconstruction et de développement post conflit (RDPC) pour prendre en compte, l’implication des femmes et leurs besoins dans les contextes de reconstruction post conflit. « Le cadre de l'UA pour la RDPC insiste particulièrement sur la nécessité de faire en sorte que les femmes participent à la conception et à la mise en œuvre des programmes de RDPC » (Union africaine, 2019b : 6).

En effet :

« les interventions de RDPC tendent à ignorer ou à marginaliser les questions du genre. Pour prendre en charge cette lacune, et accélérer la transformation de la société, cette politique de RDPC intègre le genre dans tous les éléments constitutifs et les aborde comme un élément constitutif autonome » (Union africaine, 2006 : 20).

Les femmes doivent jouer un rôle essentiel en ce qu’elles contribuent à créer les conditions propices à la cessation des conflits violents, à des activités telles que la surveillance du processus de paix, la prise en charge des traumatismes parmi les victimes et les auteurs d’actes de violence, la collecte et la destruction des armes et la reconstruction des sociétés (Farr, 2003 : 31). Pour éviter toute impasse de la question du genre, l’organisation s’assure donc que « le processus de transformation du secteur de la sécurité reconnaît ce rôle et prend en charge les besoins et défis spécifiques auxquels les femmes et les enfants combattants sont confrontés » (Union africaine, 2006 : 8). L’institution s’engage à prendre des dispositions pour :

« la garantie de la participation des groupes de femmes, des organisations de la société civile et autres représentants des catégories concernés par les processus de reconstruction,y compris les processus de paix » (Union africaine, 2006 : 11).

Il convient de noter qu’en adoptant en 2003 le Protocole relatif aux droits de la femme, l’UA va rectifier certaines incompréhensions relatives au Protocole sur le CPS et par la suite, affirmer une évolution en renforçant les instruments juridiques de l’organisation afin qu’elle soit mieux adaptée aux enjeux relatifs à la thématique femmes paix et sécurité. L’histoire de l’institutionnalisation de femmes paix et sécurité par l’UA, retiendra que la jeune femme n’en est pas exclue. Au cours de cette année 2006, l’UA a approuvé la Charte africaine de la jeunesse, dans le domaine de la paix et la sécurité avec les jeunes femmes comme cibles. Elle définit :

« la participation des jeunes dans toutes les sphères de la société à travers une participation active aux organes et processus décisionnels, à l'égalité d'accès des jeunes hommes et femmes à la prise de décisions » (art.11).

Pour développer chez les jeunes une culture de Paix et de tolérance qui les décourage à participer aux actes de violence, de terrorisme, de xénophobie, de discrimination basée sur le genre (art.17-1b). La normalisation et l’institutionnalisation de femmes, paix et sécurité par l’organisation panafricaine considèrent donc la femme dans sa globalité.

2.3 La Charte africaine de la démocratie et la politique genre : une consolidation de femmes, paix et sécurité 2007-2012

A ce niveau de réalisation l’on doit « pouvoir tirer un bilan de l’expérience acquise et établir un ensemble d’outils, notamment des aide-mémoires, à l’intention des organismes d’aide et des professionnels, pour mieux repérer et prendre en compte les dimensions sexospécifiques des processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion » (Heyzer, 2023 : 13). Cette rétrospective est naturellement inhérente au renforcement des instruments juridiques; c’est probablement pourquoi l’UA a adopté en 2007 la Charte africaine de la démocratie, et ce avec une orientation considérable sur le genre. Ainsi, a-t-elle pour « objectifs de promouvoir l’équilibre entre homme et femme ainsi que l’égalité dans les processus de gouvernance et de développement » (art. 2-11). Quant aux États partis, ils sont invités à prendre les mesures susceptibles d’encourager la pleine participation des femmes dans le processus électoral et l’équilibre entre homme et femme dans la représentation à tous les niveaux, y compris au niveau des corps législatifs (art. 29-3). Les organisations régionales peuvent contribuer à une plus grande participation des femmes aux processus de négociation et post conflit, tout en identifiant les problèmes les plus aigus affectant les femmes dans les conflits et autres situations de violence (Hill, 2003 : 23). Logiquement, les instruments juridiques de l’UA pouvant améliorer la condition des femmes en rapport avec la paix et la sécurité introduisent systématiquement l’égalité hommes femmes ou du moins établissent une certaine orientation sur le genre. L’élaboration et l’adoption des politiques et instruments juridiques devraient « prendre en compte les menaces auxquelles sont confrontés les civils ainsi que leurs besoins de protection, y compris les groupes ayant des besoins particuliers tels que les femmes » (Union africaine, 2010 : 6).

L’Union africaine va publier en 2008 sa politique sur le genre avec des engagements supplémentaires relatifs à femmes, paix et sécurité. Ils :

« sont basés sur les instruments d’égalité entre les hommes et les femmes de l’UA et internationaux, y compris l’Acte constitutif de l’Union africaine, le Protocole à la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits des femmes en Afrique, la Résolution soulignant l’intégration du genre comme partie essentielle dans la promotion de la culture de la paix » (Union africaine, 2008 : 5).

Des promesses « que les organes de l’UA, les Communautés économiques régionales (CER) et les États membres renforceront leurs politiques en matière de genre et incluront les perspectives du genre dans les questions » (Union africaine, 2008), les actions de programme sur les femmes, la guerre et la paix en Afrique, en intégrant le genre dans les politiques, programmes et activités de paix (Union africaine, 2008). La politique sur le genre prend également l’engagement d’œuvrer à la :

« représentation et participation égales des femmes dans les processus de paix et de sécurité dans des structures telles que la Conférence de l’UA, le Conseil de paix et de sécurité, le département de paix et de sécurité de l’UA et le Parlement panafricain. Les dirigeantes (femmes) doivent être mobilisées et incluses dans les processus de médiation de paix et de groupes de réflexion et les actions post-conflit » (Union africaine, 2008).

La politique révisée de l’UA en matière d’égalité des sexes fournit des directives sur l’institutionnalisation de la prise en compte des considérations sexospécifiques et l’autonomisation des femmes en Afrique (Union africaine, 2019).

« La politique sur l’égalité entre les hommes et les femmes de l’UA est axée sur huit domaines prioritaires. Quatre de ces domaines visent à mettre en place des mécanismes institutionnels solides. Elle prend en compte l’intégration du genre dans tous les secteurs, notamment la législation et la protection juridique, l’autonomisation économique, la paix et la sécurité » (Union africaine, 2018 : 17).

Aussi, faut-il préciser que :

« la politique de l'UA en matière de parité entre les sexes contraint les institutions, organes et CER de l'UA et les États membres à intégrer la perspective de genre dans toutes les politiques, programmes et activités. En particulier, il les engage à promouvoir la participation effective des femmes au maintien de la paix et à la sécurité ainsi qu'aux efforts visant la réconciliation et la RDPC » (Union africaine, 2019).

En outre, la Convention de l’UA pour la protection et l’assistance des déplacés internes en Afrique en 2009. Également appelée Convention de Kampala, est le premier instrument juridiquement contraignant pour la protection des droits des personnes déplacées dans leur propre pays. Elle impose notamment aux autorités nationales la responsabilité primaire d’apporter protection et assistance aux personnes déplacées dans leur propre pays et de faciliter des solutions durables dans ce domaine (ONU, UA, 2020 : 1). La Convention de Kampala interdit également aux États membres de permettre le recrutement « par la force des individus, de se livrer à des actes d’enlèvement, de rapt ou de prise d’otages, d’esclavage sexuel et de trafic d’êtres humains, notamment des femmes » (art. 7-5f). Selon les termes de cet instrument juridique :

« les États partis protègent les droits des personnes déplacées, quelle que soit la cause de déplacement, en s’abstenant de pratiquer, et en prévenant les actes suivants, entre autres la violence sexuelle et fondée sur le genre, notamment le viol, la prostitution forcée, l’exploitation sexuelle, et les pratiques néfastes » (art. 9-1d).

De ce fait la convention voudrait :

« apporter une protection spéciale et une assistance aux personnes déplacées ayant des besoins spéciaux, notamment les enfants séparés et non accompagnés, les femmes chefs de ménage, les femmes enceintes, les mères accompagnées de jeunes enfants » (art. 9-2c).

L’instrument reconnaît les risques et les vulnérabilités spécifiques auxquelles sont confrontées les femmes et les filles et leur droit d’accéder à un vaste éventail de dispositifs de protection, y compris l’accès à la santé sexuelle et à un soutien dans les cas de violences sexuelles et fondées sur le genre (ONU, UA, 2020).

Aussi, faisant suite au procès-verbal de la rencontre extraordinaire des ministres africains responsables des questions de genre et des affaires féminines qui s’est tenue en décembre 2008 ainsi qu’aux recommandations du Conseil exécutif de l’Union africaine en janvier 2009, l’Assemblée de l’Union africaine va déclarer 2010-2020 décennie de la Femme africaine et inviter les États membres, les organes de l’Union africaine et les Communautés économiques régionales à soutenir la mise en œuvre des activités de cette décennie (Wandia, 2010 : 1). L’année 2010 marque également les 6 ans de la déclaration solennelle sur l’égalité des genres en Afrique et les 5 ans [de l’entrée en vigueur] du Protocole de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant sur les droits des femmes en Afrique. Dans tous les cas de figure, l’année 2010 constitue un moment opportun pour les États d’examiner et de se reconcentrer sur les questions liées à l’égalité des genres et sur les droits des femmes dans tous les domaines (Wanda, 2010). Pour aller plus loin dans la dynamisation du thème femmes paix et sécurité en Afrique l’UA s’engage donc pour la période 2010-2011 :

« à institutionnaliser les politiques qui garantissent l’égalité des genres auprès des tous les organismes décideurs et des organisations en charge des questions politiques et de gouvernance. Le principe de la parité des genres de l’Union africaine doit être reproduit et mis en œuvre à tous les niveaux de gouvernance nationale, sous-régionale et régionale, y compris par des actions soutenues et des échéances bien définies » (Wanda, 2010 : 5).

On notera parallèlement une augmentation globale des conflits et un changement du contexte des conflits après 2010. Dans les situations de conflit, les femmes sont plus vulnérables, et la violence sexuelle reste à la fois une stratégie délibérée et une entreprise opportuniste, tant par les factions belligérantes que par celles envoyées pour maintenir la paix (Hendricks, 2020 ; 4). Dans le même ordre d’idées, on notera qu’en 2012, la Commission est en plein processus d'intégration du genre dans les activités de l'UA, et ce dans le but de promouvoir la paix et la sécurité, notamment par le biais du déploiement d'experts en matière de genre dans les bureaux de liaison et les opérations de soutien à la paix (OSP) de l'UA, la proposition de nommer les femmes comme envoyées ou représentantes spéciales, la nomination d'un Représentant spécial sur les questions de femmes, de paix et de sécurité, ainsi que la participation des femmes aux processus de paix (Union africaine, 2012 : 13).

03. L’Agenda 2063 et les politiques post Agenda : la continuation de femmes paix et sécurité 2013-2023

L’Union africaine a franchi un pas de plus en adoptant le principe de la parité entre hommes et femmes, c’est-à-dire d’un équilibre à 50/50 entre les sexes dans toutes les structures, politiques opérationnelles et pratiques de l’UA. Le principe de la parité entre hommes et femmes a été repris dans les engagements des CER (ONU, 2019 : 8). Ces efforts nécessitent d’être soutenus et renforcés à tous les niveaux de la gouvernance de l’Union. Aussi, l’Agenda 2063 (1) comme politique de transformation marque-t-il une étape importante pour l’égalité, avec le programme femmes paix et sécurité. Nous verrons qu’en dépit des insuffisances de cette politique (2), l’organisation panafricaine paraît s’adapter aux difficultés en prenant des instruments (3) supplémentaires.

3.1 L’intégration de l’égalité dans l’Agenda 2063 et l’adoption du programme femmes paix et sécurité 2013-2015

Tout en offrant un cadre général et un ensemble d’objectifs et cibles communs, l’Agenda 2063 tient compte de la diversité de l’Afrique en définissant des trajectoires et des réponses liées à cette diversité. Ce qui est tout aussi important, c’est que l’UA met en avant le caractère pleinement participatif et collectif de l’Agenda 2063 et insiste sur son entière appropriation par tous les acteurs de la société, au premier rang desquels figurent la jeunesse et les femmes (Gambotti, 2015 : 139). Cette politique de transformation de l’Afrique consacre une aspiration (6) à la jeunesse et à la femme, il s’agit de « renforcer le rôle des femmes africaines en assurant la parité hommes-femmes dans toutes les sphères de la vie politique, économique et sociale » sans omettre toutes les composantes de la paix et la sécurité. Dans ce contexte, l’Union africaine a accompli de nombreux progrès aux niveaux normatif, politique et institutionnel afin d’assurer la réalisation de l’égalité entre les sexes et de l’autonomisation des femmes dans le cadre de l’Agenda 2063 : l’Afrique que nous voulons (ONU, 2021a : 2). Pour l’organisation, c’est une preuve de plus pour la prise en compte de l’importance de la femme pour la construction d’une Afrique pacifique. L’Agenda ambitionne d’éradiquer « toutes les formes de violence contre les femmes auront été réduites d'un tiers en 2023 » (Union africaine, 2015a : 26). La difficulté à ce jour est la disponibilité des données et des rapports, il faudra probablement attendre 2024 pour que ces informations soient disponibles.

« La Commission de l'Union africaine est l'organe chargé du suivi de la formulation et de l'adoption des décisions relatives à l'Agenda 2063 » (Union africaine, 2015a : 28). Par conséquent, il lui incombe de faire en sorte que la participation des femmes et la problématique hommes-femmes soient pleinement intégrées dans toutes les initiatives pour la paix et la sécurité engagées, notamment en créant les capacités nécessaires (ONU, 2016 : 3). L’UA appuie ainsi un programme régional pour l’Afrique au titre de l’initiative Spotlight dont l’objectif est d’éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles en Afrique par de gros investissements ciblés (ONU, 2021a : 12). Précisons que « dans le but de faire avancer la mise en œuvre du programme FPS, l’UA a élaboré en 2013 le manuel de formation sur le genre pour ses opérations de soutien à la paix. Grâce à ce manuel, la Force africaine en attente (FAA) devrait être en mesure d’identifier et d’intégrer les questions de genre dans tous les aspects de ses opérations » [3] . Les OSP sont donc un reflet substantiel de l’égalité hommes femmes, et pour ce faire, la Commission doit veiller à la mise en œuvre des politiques et directives s’y rapportant. En outre, la participation des femmes aux processus de paix apporte des bénéfices substantiels.

Leur participation directe à une masse critique peut contribuer à changer la dynamique et à élargir le débat, ce qui augmente les chances d’éliminer les causes du conflit et d’emporter l’adhésion de la communauté aux processus et aux résultats (ONU, 2020b : 3). Dans cette perspective l’année 2014 s’avère particulière remplie d’événements ayant concouru à la consolidation des ambitions de l’UA relatives à femmes paix et sécurité.

« En janvier, un accord historique a été signé entre l’Union africaine et l’Organisation des Nations Unies qui vise à prévenir et répondre aux violences sexuelles lors des conflits armés. Ce texte signé en marge du 22e Sommet de l’Union africaine sert de cadre de coopération dans plusieurs domaines tels que la lutte contre l’impunité, le renforcement de la capacité des forces de maintien de la paix, des forces de sécurité, ainsi que la consolidation des politiques nationales, des législations et institutions travaillant sur les questions de violences sexuelles liées au conflit »[4].

Faut-il rappeler que « la nomination de l’Envoyée spéciale de l’UA pour les femmes, la paix et la sécurité en 2014 » [5] constitue une évolution majeure dans l’institutionnalisation de femmes paix et sécurité à l’UA.

« Son objectif est de travailler au niveau politique le plus élevé pour s’assurer une évolution au-delà de la perception des femmes uniquement en tant que victimes, et des hommes uniquement en tant qu’agresseurs. Pour considérer les femmes comme des agents actifs de la lutte pour la prévention des conflits liés aux violences sexuelles » (Union africaine, 2015b : 6).

Aussi, l’Union africaine, l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ont déployé des femmes médiatrices. De surcroît, l’Union africaine et l’Union européenne ont été les premières à adopter des programmes relatifs à l’égalité ou des instruments similaires (ONU, 2019 : 19). Comme souligné précédemment l’année 2014 a été une année d’activité intense. C’est au cours de cette année que « l’Union africaine a lancé sa première campagne continentale pour mettre fin aux mariages d’enfant, qu’elle a prolongée par la suite jusqu’en 2023 » (ONU, 2021a : 12). Elle s’est également dotée d’un cadre de réforme du secteur de la sécurité qui donne « toute sa légitimité au rôle des femmes dans toutes les activités relatives à la paix et à la sécurité, et en particulier dans la RSS. La réforme du secteur de la sécurité sur le continent africain doit donc être en mesure d’aborder les besoins de sécurité, et veiller à la participation des hommes, des femmes, des garçons et des filles. Il s’ensuit que le processus de RSS doit être le résultat de consultations entre les hommes et les femmes des différents groupes sociaux, dont les organisations de femmes » (Union africaine, 2014 : 25). Pour conclure cette année particulièrement dynamique, en décembre 2014, « la Commission de l'UA, à travers la coordination du Bureau de l'Envoyée spéciale sur les femmes, la paix et la sécurité, à formuler un cadre continental de résultats pour surveiller la mise en œuvre par les États membres de l'UA et d'autres parties prenantes concernées des divers instruments africains et internationaux et d'autres engagements sur les femmes, la paix et la sécurité en Afrique » (Union africaine, 2019a : 2). C’est l'aboutissement d'un processus transparent, inclusif et consultatif de quatre ans avec les organes de l'Union africaine (UA), les États membres, les CER, les Organisations des Nations Unies et la société civile (Union africaine, 2019a : 4). Toutes ces réalisations vont être consolidées par l’adoption de mesures supplémentaires l’année suivante.

Au nombre de ces actions, « le lancement du Programme sur la femme, la paix et la sécurité en 2015, visant à élaborer des stratégies efficaces pour faire avancer l’Agenda et intégrer le genre dans l'architecture de paix et de sécurité en Afrique » (Union africaine, 2019a : 3). Le programme genre, paix et sécurité vise à l'intégration de l’aspect genre dans tous les programmes de paix et de sécurité, y compris la RDPC, à travers la collaboration avec les CER/MR [mécanismes régionaux] et les plates-formes régionales des Organisations de la société civile (OSC) pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies régionales et continentales pour la participation des femmes à la paix et la sécurité (Union africaine, 2017 : 2). Ce programme analyse particulièrement les moyens consacrés à « réduire le fossé entre les différents instruments politiques sur les femmes, la paix et la sécurité et leur mise en œuvre » (Union africaine, 2015b). En fait, l’obligation d’impact est introduite par ce programme à partir d’une évaluation des effets spécifiques. Cette dynamique consolidatrice s’explique par des mesures chiffrées, « pour faciliter la disponibilité des femmes médiatrices, et fournir un soutien à celles qui sont nommées, de nombreuses organisations régionales ont mis en place des unités et des groupes de travail spécifiques. L’UA a créé le registre de la capacité africaine de réserve en 2015 pour recruter et former des experts civils pour le soutien de la paix, la médiation, et les projets d’après-conflit – le registre exige une représentation des femmes à hauteur de 50 % et la formation intègre la problématique du genre » (ONU, 2019 : 21). Autant dire qu’une certaine volonté est visible au sein des instances de l’UA aux fins de porter la thématique femmes paix et sécurité à l’échelle continentale.

3.2 Les limites du programme femmes paix et sécurité et l’institution d’un cadre de résultats 2016- 2019

Au début de l’année 2016, l’Union africaine établit un plan d’action ou encore feuille de route reposant sur l'Architecture africaine de Paix et de Sécurité (APSA) pour la période 2016-2020. Le plan :

« reconnaît que l'égalité des sexes, la paix et la sécurité sont des éléments essentiels pour la prévention, la gestion, le règlement et la reconstruction post-conflit. La feuille de route vise à renforcer la participation des femmes à la paix, à la sécurité et à la reconstruction post-conflit en Afrique et à améliorer la qualité et l’efficacité des organismes chargés de la protection des femmes et des enfants dans les contextes de conflit et post-conflit » (Union africaine, 2019a).

Afin de raffermir les capacités et les compétences des acteurs impliqués aux politiques relatives à femmes paix et sécurité, en mars 2016, l’UA a organisé plusieurs :

« ateliers en commémoration de la Journée de la femme et à la lutte contre la violence faite aux femmes. Les recommandations de ces ateliers comprenaient la promotion des droits des femmes et l'égalité des femmes, la lutte pour l'éradication des pratiques sociales, religieuses et culturelles négatives à l'égard des femmes et des jeunes filles » (Union africaine, 2017 : 3).

Comme pertinence politique avec ses démembrements :

« l'UA, les Communautés économiques régionales et les mécanismes régionaux ont mis en place des instruments et des structures qui traitent de l’agenda femmes, la paix et la sécurité. Selon le rapport 2016 de la CUA sur la mise en œuvre de l’agenda FPS, la Commission de l'Union africaine, par exemple, a mis en place environ quatorze instruments, alors que collectivement, les CER et les MR ont plus de quatorze instruments » (Union africaine, 2019b : 4).

L'impact de ce programme et des politiques qu'il a stimulé sur la vie des femmes n'est pas clair pour un certain nombre de raisons. Il s'agit notamment de l'absence de suivi des progrès, des réalisations et des faiblesses dans la mise en œuvre (Union africaine, 2019b : 5). Des résolutions connexes découlant de l'incapacité des États Membres africains à institutionnaliser le suivi et l'évaluation des questions de parité dans les différents secteurs de paix et de sécurité (Union africaine, 2019b) ont en effet été prises, mais, au niveau continental, il n'y a pas eu de mécanisme cohérent, régulier et systématique de suivi et d'établissement de rapports, de sorte que des données comparables adaptées au contexte africain ont fait défaut (Union africaine, 2019b). D’ailleurs le Secrétaire général de l’ONU s’indignait du fait que « le programme pour les femmes et la paix et la sécurité continue d’être contesté et subisse des revers à travers le monde » (ONU, 2022).

Afin de maintenir son image d’institution engagée dans l’institutionnalisation de femmes, paix et sécurité, « la création par l’Union africaine en 2017 du Réseau panafricain des femmes pour la prévention et la médiation des conflits, dans le cadre de l’architecture de paix et de sécurité africaine » (ONU, 2022 : 11) en constitue l’évidence. Elle indique des efforts progressifs pour parvenir à la participation inclusive des hommes et des femmes sur le continent. Le Réseau des femmes africaines pour la prévention des conflits et la médiation comme mécanisme subsidiaire compte plus de 300 membres inscrits (ONU, 2019) dont les objectifs sont : soutenir la participation et l'influence des femmes dans les processus de paix à tous les niveaux (Union africaine, 2019a). Il vise à intégrer le genre dans le programme continental de paix et de sécurité et à préserver la participation et la protection accrues des femmes en période de conflit (Union africaine, 2019a), mais également pour leur présence dans les négociations et processus de paix. En outre, le Conseil de Paix et de Sécurité a institutionnalisé des séances publiques consacrées aux femmes et aux enfants dans les conflits armés. Les sessions donnent aux États membres de l'Union africaine l'occasion d'évaluer les progrès, les lacunes et les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du programme FPS (Union africaine, 2019a). Tout comme l’organisation a institué, en novembre 2017, des lignes directrices pour encadrer la lutte contre les violences sexuelles. Celles-ci :

« demeurent en effet aujourd’hui un fléau mondial, qui n’épargne pas le continent africain. Elles restent largement répandues, tant dans les situations de conflits et de crises qu’en temps de paix. Elles s’exercent dans l’espace public, la rue, les transports en commun, mais aussi dans la sphère privée, sur le lieu de travail ou au sein du couple. Elles touchent majoritairement les femmes et les filles, mais aussi les hommes et les garçons » (Union africaine, 2017b : 6).

Ce sont autant d’indications claires de la détermination de l’UA à mettre pleinement en œuvre les instruments normatifs et les engagements progressifs en matière d’égalité entre les sexes et du programme FPS en Afrique (Union africaine, 2019a : 6).

L’année 2018 fut porteuse d’actions nouvelles en vue de renforcer les politiques et, comme il est démontré depuis l’entame de cette contribution, l’UA poursuit le développement des politiques en mettant en œuvre des nominations sensibles au genre.

« Dans cette posture, l’UA a établi le Groupe des Sages au sein de son dispositif pour la paix et la sécurité en tant qu’organe de promotion de l’égalité des sexes. Pour le mandat 2018–2022, le Groupe des sages de l’UA [mécanisme de prévention des conflits et de médiation] est composé de trois femmes, soit l’ancienne présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, l’ancienne vice-présidente de l’Ouganda, Speciosa Wandira Kazibwe, et une ancienne ministre du Gabon, Honorine Nzet Bitéghé » (ONU, 2019).

Pour l’institution panafricaine, il s’agit d’une démonstration de plus pour ses promesses de généralisation de l’égalité, l’exemple du Conseil des Sages prouve que l’UA peut constituer un organe majoritairement composé de femmes. Par ailleurs, l’UA s’inscrit dans la logique de bénéficier de ses partenariats pour faire davantage pour femmes paix et sécurité en Afrique. A la suite de l’officialisation de :

« sa position de tolérance zéro à l'égard de la violence sexuelle et sexiste avec l'adoption par le Conseil de paix et de sécurité en 2018 de deux grandes politiques, la Politique de prévention et de répression de l'exploitation et des abus sexuels et la Politique en matière de conduite et de discipline dans les opérations de soutien de la paix » (Union africaine, 2019b : 55).

L’Union africaine et l’ONUSIDA se sont, de leur côté, accordées pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes et traiter les questions de santé dans les contextes de crise humanitaire. Un plan d’action conjoint a été décidé en vue de former et sensibiliser les personnels en uniforme qui interviennent dans les opérations de maintien de la paix, ainsi que garantir des meilleurs taux de signalement des cas d’exploitation sexuelle et de violence à l’égard des femmes et des filles [6] . Cependant, la stratégie de l’Union africaine pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (2018-2028) appelle à une participation égale des femmes aux processus de paix. Adoptée en 2018, elle vient améliorer le positionnement de l’UA sur le programme FPS :

« La Stratégie est conçue comme un cadre de travail de la CUA relativement à l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes dans la prévention des conflits, la protection, la participation, le renforcement des capacités et la gestion des connaissances » (ONU, UA, 2020 : 55).

S’inscrivant dans le cadre de l’agenda, la stratégie de l’UA aspire à ce que « toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles soient réduites, criminalisées et condamnées par la société ; les femmes participent de manière égale aux processus de paix » (Union africaine, 2018 : 12). L’organisation prend donc des responsabilités « en faveur de l’égalité des hommes et des femmes et de l’autonomisation des femmes dans les domaines de l’action humanitaire » (Union africaine, 2018). Dans le but d’évaluer les effets des politiques, la Commission de l'Union africaine a adopté en mai 2018, à travers le Conseil de paix et de sécurité, le Cadre continental de résultats pour le suivi et l'établissement de rapports sur l’agenda femmes, paix et sécurité en Afrique. Le cadre de résultats vise à institutionnaliser un suivi et des rapports réguliers et systématiques sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’agenda FPS, à générer des données, à améliorer la transparence, la responsabilisation, à promouvoir la synergie et la collaboration entre les acteurs de la FPS à tous les niveaux et à informer la formulation des politiques et programmes de paix et sécurité (Union africaine, 2019b). Le Cadre continental de résultats (2018-2028) est un outil permettant de rendre compte et de superviser la mise en œuvre de de l’agenda en Afrique par la Commission de l’UA ainsi que des États membres (ONU, 2019).

De son côté, le cadre continental jeunesse femmes, paix et sécurité rendue publique en 2019 souligne l’importance de l’intégration de la dimension genre dans toutes ses actions. Particulièrement toutes les implications relatives à la jeune femme. Ce document de politique affirme que « les progrès nécessiteront l'intégration de l'égalité des sexes (parité) à tous les niveaux de programmation et d'intervention sur les jeunes, la paix et la sécurité » (Union africaine, 2019c : 18). En revanche, la critique faite aux politiques de l’UA porte essentiellement sur le caractère insuffisamment holistique des résultats. Afin de produire des rapports qui répondent aux critères d’objectivité, reposant sur une méthodologie, à la suite de l’adoption du cadre, l’UA publie un rapport considéré comme adéquat en 2019 :

« Les indicateurs pour évaluer les efforts de l'UA en faveur de l'agenda FPS sont de nature interne et visent à suivre les progrès accomplis par la CUA dans la mise en œuvre de l'Agenda dans ses efforts pour promouvoir la paix et la sécurité sur le continent. Au moins 13 indicateurs convenus en interne ont été mis au point, alignés sur les quatre piliers du programme FPS. Ces indicateurs constituent le strict minimum et seront révisés en fonction des enseignements tirés de la mise en œuvre initiale » (Union africaine, 2019a : 16).

À partir de ces indicateurs, le rapport examine les progrès réalisés dans cinq domaines d'intervention de l’Agenda FPS, à savoir la prévention, la protection, la participation, le secours et le relèvement, et l'intégration de FPS dans les nouvelles menaces pour la sécurité. Il rend compte des meilleures pratiques émergentes, des défis rencontrés par les États membres africains dans leurs efforts pour mettre en œuvre l’agenda FPS et fournis des recommandations pour renforcer et accélérer la mise en œuvre en Afrique (Union africaine, 2019b : 5).

3.3 Le plan d’action de l’Union africaine sur la participation politique des femmes et l’initiative changements climatiques femmes, paix et sécurité 2020-2023

Les acteurs institutionnels impliqués dans les politiques de genre estiment :

« qu’il est de plus en plus admis que la prise en compte des besoins distincts des femmes, et des filles en matière de sécurité et la participation à pied d’égalité des femmes et des hommes aux prises de décisions sont indispensables » (DCAF, 2010 : 2).

Au début de l’année 2020, l’Union africaine a reconnu au cours de la préparation du plan d’action sur la participation politique des femmes, en marge du CPS que « les jeunes femmes et les jeunes filles sont particulièrement vulnérables, notamment celles qui vivent dans des situations de crise et dans des régions touchées par des conflits » (ONU, 2020a : 24). La persistance de ces défis appelle une approche renouvelée, unissant les efforts pour accélérer le respect de nos engagements. La CUA intensifie les actions visant à promouvoir la participation des femmes à la prévention, la médiation et la résolution des conflits (Diop, 2020 : 3). Le PNUD s’est associé au plan d’action de l’UA et les deux organisations ont donc proposé pour 2020 de « s’attaquer aux causes profondes des obstacles à l’autonomisation des femmes dans le leadership et en partenariat avec les acteurs nationaux, régionaux et mondiaux afin de promouvoir le programme 50/50 des femmes dans la gouvernance » (ONU, 2020a : 23) afin que les femmes participent au mieux à la gouvernance pour femmes paix et sécurité. Pour en donner la preuve :

« les femmes dirigeantes africaines et de l’UA ont mené des missions de solidarité conjointes pour faire entendre la voix des femmes dans les pays touchés par un conflit ou en transition pour mettre en avant leurs actions. Les résultats de leurs missions conjointes de solidarité ont été soumis au CPS et au Conseil de sécurité des Nations unies et ont clairement montré que la violence contre les femmes se poursuit sans relâche » (Diop, 2020).

Les femmes leaders africaines ont exprimé leur volonté à accompagner [l’UA, l’ONU, le PNUD et les CER], comme elles l’ont déjà fait dans d’autres circonstances, à travers des missions de solidarité, de plaidoyer et de soutien, notamment dans la région des Grands Lacs, le Basin du lac Tchad, le Sahel. La corne de l’Afrique et la région du Fleuve Mano (Union africaine, 2020c : 2). En octobre 2020, le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine a tenu sa session annuelle sur les femmes, la paix et la sécurité, réaffirmant son désir de faire progresser l'agenda FPS. La session sert de plateforme pour analyser le rapport annuel du Président de la Commission sur la mise en œuvre de l'Agenda FPS, basé sur le cadre continental de résultats pour le suivi et les rapports (Diop, 2020 : 2). Ce fut une occasion pour le Conseil de rappeler l'importance d'intégrer le programme femmes, paix et sécurité dans tous les programmes pertinents de la Commission de l'Union africaine relatifs à la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le Continent africain de même que la nécessité d'assurer l'intégration du programme Femmes, paix et sécurité dans les activités entreprises dans le cadre de la politique de reconstruction et de développement post-conflit de l'UA, notamment par le biais du Centre de RDPC de l'UA (Union africaine, 2020b : 2). Et le Conseil de rappeler également la nécessité de mettre en œuvre pleinement et efficacement une approche globale qui assure un équilibre entre les quatre piliers que sont la prévention, la protection, la participation, le redressement et les secours, tout en respectant le principe de l'intérêt national et en tenant compte des spécificités culturelles et sociétales de chacun des pays en conflit armé ou sortant d'un conflit (Union africaine, 2020b : 2). L’année 2021 va ainsi enregistrer de nouveaux développements dans l’enracinement du programme.

Il revient à l’UA de promouvoir la lutte collective « contre les normes sociales génératrices des inégalités de genre et ce, de manière directe et sans équivoque en particulier contre les pratiques préjudiciables à l’encontre des adolescentes et des jeunes femmes » (Rabier, 2020 : 10). La prévalence des normes de comportement établies sur le fondement d’un mode de vie, dont la configuration et l’organisation sont fortement influencées par la primauté du patriarcat, a eu pour effet de banaliser les violences basées sur le genre et même de les inscrire dans une sorte de normalité sociale à tout le moins coupable (Faki, 2021 : 2). Dans une posture avant-gardiste dans la lutte contre les inégalités, l’Union africaine va décider en 2021 de l’opérationnalisation du concept de « leaders masculins africains [qui] explorent les approches de la masculinité positive pour mettre fin au fléau de la violence contre les femmes et les filles en Afrique » (Faki, 2021 : 1). Dans la logique de ces efforts et dès maintenant, chaque homme, chaque garçon, devrait s’envisager comme vecteur privilégié de cette lutte contre la violence faite aux femmes et aux filles en adoptant un comportement éthique centré sur la conviction que la relation homme-femme est complémentaire (Faki, 2021, p. 3). Les responsables politiques du continent doivent tenir compte d’éléments qui peuvent renforcer leurs engagements et les appuyer dans la mise en œuvre des politiques publiques (Rabier, 2020 : 11). La déclaration de l’UA dite de Kinshasa se dit préoccupée « par la persistance des violences faites aux femmes et aux filles en Afrique, liées aux normes et pratiques socioculturelles néfastes, malgré l'engagement des États à éradiquer toutes formes de discrimination à l'égard des femmes et des filles, en particulier la violence sexuelle en période de conflit et de catastrophes humanitaires et naturelles » (Union africaine, 2021b : 2). L’égalité des genres est une question de pouvoir, mais dans un monde dominé par les hommes, le pouvoir n’est pas redistribué de manière égale. On continue d’observer des disparités et des stagnations évidentes dans la contribution des femmes aux fonctions de direction politique, à la paix et à la sécurité, ainsi que dans leur accès aux ressources économiques et à la prise de décisions (ONU, 2021b : 8). De ce fait, la déclaration de l’UA sur la masculinité positive condamne fermement :

« toutes les formes de discrimination et de violences faites aux femmes et aux filles et encourage à veiller à ce que les politiques et les mesures nécessaires soient mises en place par les États membres pour s’attaquer fermement à toute forme d’impunité » (Union africaine, 2021b : 1).

Il apparait essentiel de plaider pour la mise en place de mesures positives visant à accroître la participation des femmes aux processus de paix et aux transitions politiques afin de garantir l’égalité de fait (ONU, 2021b).

En 2022, en revanche, le débat portera « sur le rôle des organisations régionales dans l’application du programme pour les femmes et la paix et la sécurité face aux troubles politiques et aux prises de pouvoir par la force » (ONU, 2022 : 1). Dans ce contexte il est observable que, les femmes demeurent les plus frappées par les conséquences de la défaillance de la paix et de la sécurité et sont souvent les victimes des violences des conflits armés. Les femmes se trouvent le plus souvent tenues à l'écart des négociations de paix, exclues des processus de reconstruction et ont moins de chances à obtenir justice pour les violations de leurs droits fondamentaux durant les conflits [7] .  L’exclusion des femmes est un indicateur de mauvaise gouvernance.  De plus, les coups d’État aggravent cette situation (ONU, 2022 : 5). Les rapports sur la violence sexuelle et sexiste indiquent que la violence comprend des abus et une exploitation généralisée, la traite, les mariages forcés et les mariages d'enfants, les grossesses non désirées et une augmentation des viols et autres formes de violence sexuelle en raison de la persistance des conflits, de la violence et de l'insécurité (Union africaine, 2022a : 2). C’est pour toutes ces raisons que l’UA a adopté un cadre continental pour mettre fin à la violence à l’encontre des femmes et des filles et le Groupe des Amis des femmes et de la paix et de la sécurité et le Groupe des Amis du Réseau des femmes d’influence en Afrique ont appelé à des mesures rapides et concertées pour appliquer pleinement la résolution 1325 et les résolutions ultérieures pour que les femmes et les filles ne soient plus tenues à l’écart des processus politiques et de paix (ONU, 2022 : 2). C’est aussi pour ces raisons que l’UA a proposé la création :

« de centres d'accueil et de soins pour les femmes et les filles victimes de violences, pour une approche holistique et multidisciplinaire dans la prise en charge des besoins médicaux, juridiques/enquêtes, psychosociaux, sécuritaires, et autres pour assister les victimes de violences sexuelles et basées sur le genre ; le lancement du rapport de cartographie et la validation du plan d'action régional pour la protection des femmes et des filles contre la violence » (Union africaine, 2022a : 1).

L’institution martèle à nouveau que « l’absence continue des femmes dans les tables de paix exige une réévaluation des stratégies actuelles utilisées pour promouvoir la participation des femmes en vue de formuler de nouvelles approches pour améliorer davantage l’accès des femmes, l’ascension et la direction des processus politiques et de consolidation de la paix (Union africaine, 2022b : 2). Par conséquent, l’ensemble des actions, initiatives et mesures politiques, juridiques et institutionnelles prises par l’Union africaine apparaissent comme un socle, certes solide, mais qu’il convient de consolider progressivement en raison de la prédominance de la masculinité dans les sociétés africaines.

L’UA dispose d’un programme femmes paix et sécurité et d’un groupe de travail sur le genre pour faciliter sa mise en œuvre, et le Président de l’UA est soutenu par l’Envoyée spéciale sur les femmes, la paix et la sécurité (Hendricks, 2020). Avec l’appui de la Commission, il a été institué un Groupe des amis sur les défis croisés des changements climatiques et de l’agenda femmes, paix, et sécurité, initiative du Royaume du Maroc. Annonce, en a été faite en février 2023. S’inscrivant en droite ligne des actions de l’UA, cette initiative « permettra à des hauts responsables de différents bords d’accompagner cet exercice pour que le nexus femme, paix et changement climatique puisse être un élément présent dans toutes les interactions et à tous les niveaux », a souligné le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita. Cette initiative « est une plateforme d’action sur la diplomatie préventive, la médiation et le maintien de la paix, la promotion d’une culture de la paix et de l’égalité, et la participation économique des femmes » [8] . En plus des instruments et politiques en place, l’organisation panafricaine se propose de considérer les particularités des effets des changements climatiques sur les femmes, une problématique pertinente pour le programme femmes paix et sécurité.

04. Conclusion

Malgré les efforts des États membres, des Nations Unies, de l’Union africaine, des Communautés économiques régionales, des rapporteurs spéciaux et d’autres acteurs nationaux et locaux et l’introduction de cadres juridiques et politiques pour faire face aux problèmes de genre découlant des conflits en Afrique, il reste encore un travail considérable à faire en la matière (ONU, UA, 2020 : 8). Pour certains acteurs :

« les organismes régionaux et sous-régionaux doivent continuer de mettre en œuvre des politiques en faveur des femmes et des filles touchées par les violences sexuelles liées aux conflits.  Les organisations régionales peuvent faire progresser la mise en œuvre du programme pour les femmes et la paix et la sécurité de deux façons : en soutenant les États dans l’élaboration de plans d’action nationaux et en travaillant pour que les femmes soient à la table des négociations » (ONU, 2022 : 14).

Pour d’autres l’agenda pour la paix est confronté à de nombreux défis pour s’adapter à l’évolution du contexte des conflits. Il a été conçu pour traiter les conflits étatiques et moins les nouveaux types de conflits violents, comme l’extrémisme violent et les conflits au niveau local où les gouvernements peuvent ne pas faire partie du conflit et/ou en être absents (Hendricks, 2020 : 4). Même si des progrès significatifs ont été accomplis, la mauvaise gouvernance démocratique limite l’intégration et le développement durable de l’Afrique dans l’ensemble des États membres de l’Union africaine. Malgré l’adoption de normes et de politiques progressistes par l’UA et les communautés économiques régionales, les processus d’adoption, de mise en œuvre et de suivi des normes et des politiques par les États membres de l’UA se heurtent encore à de nombreux obstacles (ONU, UA, 2020 : 52). Ces limites pressent les organes de l’UA de :

« veiller à ce que les efforts de stabilisation et les programmes de reconstruction et de développement post-conflit répondent aux besoins humanitaires des réfugiés et des personnes déplacées à l'intérieur du pays, y compris ceux qui ont fui vers les zones urbaines, en accordant une attention particulière aux besoins des femmes et des filles » (Union africaine, 2022c : 4).

Une grande partie de l’énergie de FPS a été, et continue d’être, consacrée à l’élaboration de cadres et de politiques et beaucoup trop peu à la modification des comportements et à l’inculcation de normes et de valeurs qui modifieront les relations sociales et la manière dont les hommes et les femmes se comportent les uns envers les autres (Hendricks, 2020 : 4). Il est impératif de renforcer les capacités du Bureau de l'Envoyée spéciale de l'UA pour le programme Femmes, Paix et Sécurité afin de lui permettre de s'acquitter pleinement de son mandat et de suivre la mise en œuvre de toutes les décisions relatives aux femmes, à la paix et à la sécurité (Union africaine, 2022c : 5). On doit également continuer d’impliquer la société civile dans une campagne de plaidoyer coordonnée sur la ratification, l’assimilation et la mise en œuvre du Protocole et de la déclaration solennelle sur l’égalité des genres en Afrique, signer et ratifier dans les plus brefs délais le Protocole et tous les outils internationaux qui protègent les droits des femmes (Wandia, 2009 : 4). In fine, on ne pourrait que sensibiliser les acteurs afin d’adopter et d’utiliser une approche multisectorielle de l’internalisation, de la mise en œuvre et de la surveillance des engagements internationaux en matière de droits des femmes en alignant les dispositions relatives à ces droits à chaque secteur du gouvernement, et, parallèlement, de développer des partenariats avec les parties prenantes clés de la mise en œuvre, notamment la société civile, le secteur privé et les partenaires au développement (Wandia, 2009 : 16). L’approche qui interpelle les hommes à travers la masculinité positive devrait également être plus inclusive et peut être pédagogique en introduisant par exemple la problématique de l’égalité dans les programmes scolaires.