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Chercher l’issue, ou l’art de fabuler en boucle dans Le Roman de Remort. Un entretien avec Marion Lessard

  • Ji-Yoon Han

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  • Ji-Yoon Han
    chercheuse indépendante

Note biographique de l’artiste

Marion Lessard est un collectif de cinq personnes, composé de Claude Romain, Élisabeth M. Larouine, Jean-Nicolas Léonard, Alice Roussel et Marie Cherbat-Schiller, dont la pratique en vidéo, dessin, littérature, performance et communications publiques se confond en équivoques en tournant autour du principe d’identité. Cette structure inhabituelle, à la fois individuelle et collective, agit à la façon d’un miroir trouble qui renvoie aux paradoxes philosophiques de l’Un et du Multiple. En se jouant des notions d’individualité, d’originalité et d’identité qui le traversent et l’informent, le Collectif s’étonne des structures linguistiques, sociopolitiques, psychiques et logiques qui régissent nos sociétés occidentales. Certains membres ont étudié la philosophie à l’Université de Montréal, tandis que Marion Lessard dans son ensemble détient une maîtrise en Studio Arts de l’Université Concordia. Le Collectif a participé à des manifestations artistiques notables telles que MOMENTA Biennale de l’image (2023), OFFTA Festival d’arts vivants (2021) et Triennale Banlieue (2018). Depuis 2017, il a exposé dans diverses galeries et centres d’artistes, dont la Fonderie Darling, où il a bénéficié d’une résidence long terme aux Ateliers Montréalais (2019–2023), la Galerie B-312, Dazibao, Verticale, ainsi que la Galerie d’art Leonard & Bina Ellen de l’Université Concordia.

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Cover of fabuler, Number 43, Spring 2024, Intermédialités / Intermediality

Marion Lessard, votre Collectif emploie une panoplie de stratégies mimétiques — copie, sosie, pastiche et autres jeux de doublure et de langage — afin de mettre en évidence, de manière critique bien sûr, mais je dirais aussi profondément jubilatoire, les structures philosophiques, sociopolitiques et culturelles sur lesquelles repose et que présuppose la conception occidentale de l’identité. Il n’est donc pas tout à fait étonnant que vous vous soyez intéressée à ce texte littéraire qui, par le détour de personnages animaux, nous tend un miroir carnavalesque des relations humaines. Mais il me semble que c’est la première fois que vous vous emparez explicitement de la fable en tant que forme dans votre démarche artistique. Comment un tel choix s’est-il présenté ou imposé à vous, et pourquoi maintenant ? Par exemple, dans le Roman de Remort, plusieurs récits sont joints ensemble par différents points d’articulation qui créent un tout dans lequel et au-delà duquel se superposent jusqu’à l’absurde, dans une sorte de mise en abyme, des intérieurs et des extérieurs. Le film présente des récits rappelant la fable, sur lesquels sont posés d’autres récits d’interprétation, des narrations, des mises en scène sculpturales englobantes, qui orientent ou désorientent la réception, à la façon dont en ce moment vous et moi sommes en train d’interpréter et de mettre « en ordre », d’orienter ou de « contenir » pour le lecteur et la lectrice notre travail. Nous opérons donc en ce moment très exactement ce que nous dénonçons comme une drôle d’impasse dans notre oeuvre : nous multiplions les discours, les fabulations, les petites dictatures. La seconde Bouche-Seuil, humanoïde elle aussi, n’a pas de dents, mais est dotée d’yeux. C’est donc une tête, et non seulement une bouche, dans laquelle il faut entrer pour visionner le film. Ensuite, dans le film lui-même, des bouches font office de seuils, qui s’ouvrent ou se referment sur chacun des récits, signifiant leur début et leur fin. Le motif des bouches se retrouve aussi dans la scène finale où l’on découvre successivement deux théâtres de marionnettes eux-mêmes enchâssés l’un dans l’autre. En fait, l’espace scénique de chacun de ces petits théâtres en papier mâché correspond à l’intérieur d’une bouche ouverte et dentée. Ce motif plus que récurrent, voire omniprésent, nous a été inspiré par la Gueule d’enfer, cette porte d’entrée vers les enfers, représentée dans l’histoire de l’art par une gueule bestiale béante, une gueule non humaine. Nous en avons plutôt fait une gueule humaine, une bouche. Car l’humain bricole son propre enfer, il en est l’exécutant et l’exécuté. En franchissant tant de seuils humains, nous espérons aussi secrètement que les gens prennent conscience de leur propre intériorité. Qu’elles et ils voient ou sentent que ce qui se produit dans les récits est aussi à leur sujet, qu’elles et ils y sont implicites et en sont complices, dehors comme dedans. Dans les récits du Roman de Remort, les éléments « naturels » sont représentés comme parlant et s’exprimant à la façon des humains, mais ces éléments « naturels » sont en fait mis en scène par l’humain — nous Marion Lessard, nos collaboratrices et collaborateurs — dans l’exposition. Il y est d’ailleurs explicitement question du fait que l’humain prend la parole à la place de la nature, et ce, même lorsque c’est pour la défendre. Une prise de parole pour l’autre, et contre soi, qui maintient paradoxalement dans une posture de surplomb ou, disons, de déterminant. La question de savoir si la nature parle ou non est vraiment très complexe, car quel point de vue autre que le nôtre pourrait-on adopter pour savoir si la nature …

Appendices