Number 42, Fall 2023 tromper deceiving Guest-edited by Renée Bourassa and Jean-Marc Larrue
Table of contents (13 articles)
Articles
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Puissances du faux, faiblesses du vrai : tromperie, stratégies d’illusion et intelligence artificielle
Renée Bourassa
pp. 1–25
AbstractFR:
L’article de Renée Bourassa traite des dispositifs de l’intelligence artificielle issus de l’apprentissage profond (deep learning) et des algorithmes génératifs, qui activent les puissances du faux dans les arts trompeurs et dans l’écosystème socionumérique contemporain. Les médias synthétiques à l’étude, soit les agents conversationnels tels GPT et les hypertrucages (deepfakes), désignent la production, la manipulation et la modification de données à l’aide de méthodes statistiques par l’intelligence artificielle. Ces technologies génératives mobilisent les algorithmes afin de générer, de manipuler et d’altérer des ensembles de données de façon automatisée. Dans le champ esthétique de la création culturelle et de la médiation culturelle, les technologies génératives suscitent des imaginaires inédits et des dispositifs originaux qui créent des dispositifs d’illusion remarquables. Dans un premier temps seront examinés une uchronie de la Rome antique produite par GP3, puis un dispositif de médiation muséale qui met en scène un simulacre de Dalí sous forme d’un hypertrucage doublé d’un agent conversationnel. Ce dernier exemple ouvre la réflexion sur la résurrection numérique et en explore la filière intermédiale. Celle-ci remonte aux fondements anthropologiques de l’image dans la création de doubles et de ses liens avec la mortalité, en passant par les effets de médiation suscités par l’arrivée des médias techniques issus de l’électricité, à partir du 19e siècle, jusqu’aux procédés algorithmiques et aux méthodes génératives qui rajeunissent ou ressuscitent les acteurs au cinéma. Dans un second temps s’ensuit une discussion sur les enjeux des formes de la tromperie qui mettent en cause les régimes de vérité dans l’écosystème informationnel actuel.
EN:
This article discusses artificial intelligence devices derived from deep learning and generative algorithms, which activate the powers of the false in the deceptive arts and in today’s sociodigital ecosystem. The synthetic media under study—conversational agents such as GPT and deepfakes—refer to how artificial intelligence deploys statistical methods for the production, manipulation, and modification of data. These generative technologies mobilize algorithms to generate and alter data sets automatically. In the aesthetic field of cultural creation and mediation, generative technologies give rise to unprecedented imaginaries and original approaches that create remarkable devices of illusion. After briefly discussing a uchronia of ancient Rome produced by GP3, we analyze how the Salvador Dalí museum produces a simulation of the artist through deep fakes and a conversational agent. This last example of digital resurrection leads us to the anthropological foundations of the image, which has grappled with mortality through the creation of doubles via the mediation effects generated, since the nineteenth century, by technical media based on electricity and, today, by algorithmic processes and generative methods that rejuvenate or resurrect film actors. We conclude with a discussion of the forms of deception that call into question the regimes of truth in today's informational ecosystem.
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Anatomy as Art of Dis-deception: The Moral Anatomies of Alessandro Tommaso Arcudi and Ottavio Scarlattini
Imma Iaccarino
pp. 1–24
AbstractEN:
This article aims to investigate a relevant but still little-explored function of cadaveric dissection, a medical procedure that in the early modern age offers itself as the most effective tool for unmasking deception and restoring a regime of authenticity and transparency. In this period, anatomy, perceived as capable of revealing layer by layer the physical and spiritual impostures of human nature, proves particularly useful against behavioural practices of simulation and dissimulation, and especially in countering the social phenomenon of religious dis/simulation (also referred to as “hypocrisy” by early moderns). This moralized conception of anatomy underlies two Italian works published at the end of the seventeenth century: the encyclopaedic and anatomical illustrated atlas L’huomo, e sue parti figurato (1684) by Ottavio Scarlattini (1623–1699) and the moral treatise Anatomia degl’Ipocriti (1699) by Dominican Alessandro Tommaso Arcudi (1655–1718). Both symbolically use dissection as a pharmakon to detect and cure hypocrisy in others and in oneself. In Scarlattini’s case, the metaphorical exposition of human interiority through dissection is also visually represented in a substantial iconographic apparatus in which the debate between masquerade and transparency appears polarized in organic sites, such as the heart and the mouth, symbols of truth and fraud, respectively.
FR:
Cet article vise à étudier une fonction pertinente et encore peu explorée de la dissection cadavérique : une procédure médicale qui au début de l’époque moderne, se présente comme un outil des plus efficaces pour démasquer la tromperie et restaurer ainsi un régime de transparence et d’authenticité. À cette époque, l’anatomie — perçue comme capable de révéler couche par couche les impostures physiques et spirituelles de la nature humaine — s’avère particulièrement utile contre les pratiques comportementales de simulation et de dissimulation, et notamment pour contrer le phénomène social de la dis/simulation religieuse (également appelée "hypocrisie" par les premiers modernes). Cette conception moralisée de l’anatomie est à la base de deux ouvrages italiens publiés à la fin du 17ème siècle : l’atlas encyclopédique et anatomique illustré L'huomo, e sue parti figurato (1684) d’Ottavio Scarlattini (1623-1699) et le traité moral Anatomia degl'Ipocriti (1699) du dominicain Alessandro Tommaso Arcudi (1655-1718). Tous deux utilisent symboliquement la dissection comme un pharmakon qui détecte et guérit l’hypocrisie chez les autres et en soi-même. Chez Scarlattini, l’exposition métaphorique de l’intériorité humaine à travers la dissection est également représentée visuellement à travers une iconographique substantielle, dans laquelle le débat entre la mascarade et la transparence apparaît polarisé sur des endroits du corps, tels que le coeur et la bouche, respectivement symboles de vérité et de fraude.
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La mécanique du faux à l’oeuvre dans le spectacle d’illusionnisme
Frédéric Tabet
pp. 1–13
AbstractFR:
Interroger les puissances du faux dans l’art magique se révèle paradoxal. La spécificité du spectacle magique, considéré comme une forme de spectacle populaire, tient à la construction d’une tromperie avouée. Seule condition de son existence, le faux y est omniprésent et pourtant impossible à cerner. Notre contribution vise à explorer le fonctionnement du principe d’indiscernabilité à l’oeuvre dans l’écriture magique de ces spectacles et de mettre au jour l’influence de différentes catégories de ces spectacles (virtuose, scientifique ou théâtral).
EN:
Questioning the powers of the false in stage magic is paradoxical. The specificity of magic shows lies in building an accepted deception. The false, which is the condition of its existence, is impossible to discern. Our contribution aims to explore the workings of the indiscernibility principle in these spectacles by shedding light on the influence of various categories of magic performance (virtuoso, scientific, or theatrical).
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Et si la magie existait ? L’illusionnisme fantastique comme dispositif intermédial (objet chargé — récit fantastique — effet magique)
Thibaut Rioult
pp. 1–37
AbstractFR:
L’illusionnisme fantastique est une forme singulière de spectacle vivant. Basé sur des conjonctures médiatrices d’objets, de récits et d’effets, il vise à créer l’illusion de la possibilité de l’existence de la magie, au sein même du réel. C’est aussi un laboratoire intermédial qui aide à comprendre, par contraste, les mécanismes et les enjeux de l’illusionnisme classique, de la littérature fantastique et de la création fictionnelle; tout en confrontant les concepts d’inopacité et d’excommunication à une situation spectaculaire concrète. Il s’agit de la première étude académique consacrée à cette forme d’art.
EN:
Fantastic illusionism is a singular form of performing art. Based on mediating conjunctures of objects, stories, and effects, it aims to create the illusion of the possibility of the existence of magi, within the very heart of reality. It is also an intermedial laboratory that helps us to understand, by contrast, the mechanisms and stakes of classical illusionism, fantastic literature, and fictional creation while confronting the concepts of inopacity and excommunication through a concrete performative situation. This is the first academic study devoted to this art form.
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An Inquiry into Self-Deception: Memento, Truth-Display, and the Detective Genre
Juliette Leblanc
pp. 1–20
AbstractEN:
This article proposes to analyze the concept of self-deception in Christopher Nolan’s psycho-thriller film Memento (2000). Approached through the study of the senses and through a philosophical-semiological lense, the willing self-deception of the protagonist and misleading appearances central to the film’s narrative structure provoke an inquiry into the mechanics of truth and visual displacement. The protagonist’s memory-system sustains deceptiveness, which in turn allows one to conceptualize the structure of the story as a metanarrative of the detective genre.
FR:
Cet article propose une analyse du concept de trahison dans le film Memento (2000) de Christopher Nolan. En étudiant les sens dans une approche sémantico-philosophique, l’aveuglement volontaire du protagoniste conceptualise une tromperie au tenant d’un paradigme sociojudiciaire qui comprend la perception du réel comme vérité acquise par le sens de la vue. Les apparences trompeuses interrogent le mécanisme d’un déplacement visuel et conceptualisent la structure de l’histoire comme métarécit du genre policier.
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Le trompe-l’oeil trop parfait ? Les beauty works numériques ou la perfection de l’imperfection
Réjane Hamus-Vallée
pp. 1–25
AbstractFR:
Avec l’essor des effets visuels numériques, se déploient depuis une dizaine d’années de nombreuses retouches dorénavant totalement imperceptibles, dont le beauty work. Pour une part, ces améliorations esthétiques du visage des acteur·rice·s prolongent les techniques précédentes, à commencer par la retouche photographique de portraits du 19e siècle. Mais le beauty work pose aussi de nouvelles questions, tant sa présence dans des productions hollywoodiennes à gros budget et même dans des oeuvres françaises à budgets plus réduits se renforce, au fur et à mesure que les discours entourant la pratique se réduisent. Entre beauty narratifs valorisés pour l’exploit technico-esthétique qu’ils représentent et beauty officieux, perçus comme une forme facilitée de chirurgie esthétique illégitime, le beauty work devient un trompe-l’oeil tellement parfait qu’il n’existe plus en tant que tel, transformant la moindre imperfection en perfection absolue.
EN:
Over the past ten years, the rise of digital visual effects has led to the development of a wide range of now totally imperceptible retouching techniques, including beauty work. In part, these aesthetic enhancements to actors’ faces are an extension of earlier techniques, starting with the photographic retouching of portraits in the nineteenth century. But beauty work also poses new questions: its presence in big-budget Hollywood productions and even in lower-budget French films grows stronger as the discourse surrounding the practice shrinks. Between narratives of beauty valued for the technico-aesthetic feats they represent, and unofficial beauty, perceived as an easy form of illegitimate cosmetic surgery, beauty work is becoming a trompe-l’oeil so perfect that it no longer exists as such, transforming the slightest imperfection into absolute perfection.
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Tromper au nom de Dieu. Les stratégies de tromperie religieuse d’Alger à Damas
Rima Rouibi
pp. 1–29
AbstractFR:
Les stratégies de tromperie islamiste ou djihadiste reposent principalement sur l’exploitation de la religion comme une évidence sacrée et immunisée de toute critique. L’exemple du FIS qui a manipulé la foule en utilisant le laser en Algérie en juillet 1990, et celui de Daech et le djihadisme reloaded en Syrie, en 2015, démontrent comment la tromperie au nom de Dieu concrétise une sorte d’élévation de l’infox à la post-vérité en créant des communautés émotionnelles et d’action.
EN:
Islamist or jihadist deception strategies are based mainly on the exploitation of religion as a holy evidence and free from criticism, the example of FIS and the 1990 laser tag in the sky in Algeria, DAESH in Syria in 2015 as a part of reloaded jihadism, demonstrated how the rise in power in the name of God embodied a kind of elevation from fake news to post truth by creating emotional and action communities.
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Physics and Metaphysics of Post-Truth (Or, Do Realia Deliver us from Artefacts of False Witness?)
Martin Scherzinger
pp. 1–23
AbstractEN:
This article outlines one of three systemic conditions underwriting misleading, deceptive, and false content in the socio-digital ecosystem today. Against philosophical realism, which attempts to offer a useful diagnostic bulwark against misinformation, the argument takes up both deliberate and nondeliberate misinformation—from intentional disinformation of all stripes (driven by State, corporate, and other actors), deep fakes, pseudo-science, lies and distorted information to fictions and deceptions unwittingly produced by computational features and functions of machine learning and artificial intelligence (AI), such as with automated prompt-and-response systems. The discussion of misinformation today must additionally reckon with the legal framework guiding online content (and its moderation) as it intersects with the economic incentive structures of contemporary platforms. The structure of the legal economy, in turn, shapes the algorithmic systems and interface designs that curate and generate content on digital platforms. It is the computational feature of the information ecosystem today that is the primary object of consideration in this article.
With the increase in computing power in the early 2000s and the archiving of petabytes of digital data, computational approaches shifted from rule-governed, symbolic, and human readable systems to data mining, clustering, and statistical analysis. This statistical turn in the era of the early internet created the conditions for a correlational paradigm for the flow of information within networked communication. The information ecosystem today is ordered by technical tools for prediction and risk reduction—clustering algorithms, Markov chains, n-grams, neural network methods, large language models, and the like. The intersection of the correlational paradigm for computing with the telephonic legal construal of platforms, as well as the concomitant economic incentives, created the conditions for the undermining of documentality imagined by philosophical realism. Following a brief critique of the realist turn in philosophy, the article will explore the correlational paradigm as a technical diagnostic punctum central to the reign of “powers of the false” within the digitally-networked ecosystem today.
FR:
Cet article s’intéresse à l’une des trois conditions systémiques sous-jacentes à la diffusion de contenus trompeurs, fallacieux et mensongers dans l’écosystème socio-numérique contemporain. À l’encontre du réalisme philosophique — qui tenterait de fournir un diagnostic utile contre la désinformation — notre axe de réflexion aborde d’une part la désinformation intentionnelle (orchestrée par des acteurs étatiques ou corporatifs) telles que les deepfakes, les pseudosciences, les informations mensongères ou déformées, mais également la désinformation involontaire telles que les systèmes de demande et de réponse automatisés de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle (IA)
Aujourd’hui, la discussion sur la désinformation doit donc prendre en compte le cadre juridique qui guidant le contenu en ligne (et sa modération) puisqu’il entre directement en intersection avec les structures d’incitation économique des plateformes contemporaines. De plus, nous constaterons que la configuration de l’économie légale a également un impact sur la conception des systèmes algorithmiques et des interfaces qui régissent et produisent du contenu sur les plateformes numériques. Par conséquent, notre réflexion se centrera principalement sur l’aspect computationnel de l’écosystème de l’information contemporain.
Avec l’augmentation de la puissance de calcul au début des années 2000 et le stockage de pétaoctets de données numériques, les approches informatiques ont évolué de systèmes régis par des règles symboliques compréhensibles par les humains vers des méthodes axées sur l’exploration de données, le regroupement et l’analyse statistique. Ainsi, cette évolution à l’ère de l’Internet créa les conditions propices à l’émergence d’un paradigme corrélationnel concernant la circulation de l’information au sein des réseaux de communication. Aujourd’hui, ce sont des outils techniques de prédiction et de réduction des risques (algorithmes de regroupement, chaînes de Markov, n-grammes, méthodes de réseaux neuronaux, grands modèles de langage, etc.) qui ordonnent l’écosystème de l’information. Finalement, l’intersection du paradigme corrélationnel de l’informatique avec la construction juridique téléphonique des plateformes, ainsi que les incitations économiques concomitantes, contrarient bel et bien la documentalité imaginée par le réalisme philosophique. C’est donc après une brève critique du tournant réaliste en philosophie que cet article vise à explorer ce paradigme corrélationnel en tant que « punctum » diagnostique technique, au coeur du règne des « puissances du faux » dans l’écosystème numérique en réseau d’aujourd'hui.
Artiste invité / Guest Artist
Hors dossier
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Immersed in Desire: Visual Translations of Nicole Brossard’s Le désert mauve
Ania Wroblewski
pp. 1–29
AbstractEN:
Since its publication in 1987, Nicole Brossard’s Le désert mauve has come to be considered a radical feminist novel about translation. While most scholarship has focused on translation as a theme and process within the novel, this article reads Brossard’s text as an invitation for intermedial collaboration that is fueled by desire. In this light, I examine American media artist Adriene Jenik’s 1997 computer art project MAUVE DESERT: A CD-ROM Translation as well as Québécois poet Simon Dumas’ multiple engagements with the work in the 2010s (including the website mauvemotel.net and a theatre adaptation featuring Brossard herself).
FR:
Le désert mauve (1987) de Nicole Brossard est un roman féministe et radical qui porte, entre autres, sur la traduction. La plupart des études critiques qui se penchent sur l’idée de la traduction dans le roman de Brossard, la considèrent comme un thème ou un processus animant l’oeuvre. Dans cet article, j’envisage la traduction autrement : le roman lui-même est une invitation à la collaboration intermédiale inspirée par le désir. C’est sous cette optique que j’étudie MAUVE DESERT: A CD-ROM Translation (1997) de l’artiste américaine Adriene Jenik et les multiples oeuvres s’inspirant du roman de Brossard de Simon Dumas (dont le site web mauvemotel.net et le spectacle Le désert mauve auquel a participé l’auteure elle-même).