Christophe Loizillon est réalisateur depuis 1979, et également producteur, ayant créé la société « Les films du rat » en 1995 avec l’écrivain et scénariste Santiago Amigorena. Il vit de son art. Il s’insère de facto dans le marché du film français de diffusion internationale, tout en interrogeant, à chaque projet, les hiérarchies structurantes ou amputantes qu’il rencontre entre documentaire, fiction, longs et courts métrages : « je ne connais aucune frontière entre ces catégories “administratives” », dit-il. Et tout en questionnant également l’objet visé, pensé, fabriqué, aimé : être cinéaste, c’est avoir la capacité de « ne pas filmer des images standardisées que la société du spectacle (télévision, cinéma, publicité, industrie) demande », a-t-il lui-même appris de son parcours. Apprivoiser son corps et sa psyché comme « une machine » à faire, autant qu’à vivre, le cinéma. Avoir foi dans les images, au point de les réinventer dans leur potentialité séminale. À ses débuts, Christophe Loizillon (né en 1953) réalise cinq films d’art en 35 mm de format court (de 9 à 29 min), qui sont soutenus (p. ex. : CNRS) et diffusés par la télévision française ou européenne (Canal, France 2, France 3, La Sept-Arte). Ils ont pour titre le nom même des plasticiens filmés — Georges Rousse, François Morellet, Eugène Leroy, Felice Varini et Roman Opałka —, et ont en commun d’approcher les hommes et les oeuvres en se tenant spécifiquement sur les lieux de leur création. Ici et maintenant. De cette manière, est mis en scène un (micro)évènement; l’évènement du surgissement, de la patiente réalisation ou de l’achèvement d’une pièce nouvelle. Cette série — ces cinq titres qui forment rétrospectivement dans sa filmographie une série — procède ainsi d’une intimité du cinéaste avec les productions antérieures de chaque artiste, mais aussi d’un geste de retrait pour, paradoxalement, s’approcher d’auteurs de grande réputation internationale. Elle repose fondamentalement — dans ses fondements mêmes — sur une relation de confiance établie par Christophe Loizillon avec chacun des sujets, des personnes filmées, à l’amorce d’un projet. Sa présence, celle de son équipe et des artefacts techniques de l’enregistrement de l’image et du son, de même que son regard cinématographique, tous et tout sont acceptés (et sans ce préalable, pas de filmage, et sans ce filmage, pas de film) par ces plasticiens qui vont lui confier ce qu’ils ont de plus précieux : des journées aimantées par le travail pictural. Confier, c’est se risquer à s’exposer et à déposer pour autrui. Et fort de ce pacte de départ — qu’il faut malgré tout préserver constamment comme une chose fragile, un oiseau léger, pendant tout leur compagnonnage, confier est une ouverture qui tend à l’infini mais qui présente d’insoupçonnées bornes qui peuvent s’ériger en durs et infranchissables points de butée —, il va coconstruire, et partant, leur offrir, un présent inédit. « Réaliser un film “avec” un artiste, c’est faire se rencontrer l’artiste et le cinéma. C’est-à-dire, mettre en place un dispositif où l’artiste pense son oeuvre avec le cinéma, où le cinéaste pense le film avec l’artiste. » Pour Georges Rousse (1985) et Felice Varini (1997), Christophe Loizillon accompagne donc la solitude de plasticiens qui transfigurent de leurs perspectives géométriques et de leurs palettes de couleurs des lieux désaffectés à Paris et à New York. Les prouesses optiques et physiques font apparaître des oeuvres éphémères, apposées à même les supports architecturaux du passé et vouées à la destruction dans un futur proche. Dans François Morellet (1990), le réalisateur accentue le jeu fictionnel avec son sujet filmé, en mettant en scène le rythme d’une journée de travail ou en demandant …
Filmer les yeux fermés. Introduction au dossier d’artiste « Moi (autoportrait), film imaginé par Christophe Loizillon »[Record]
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Frédérique Berthet
Université Paris Cité