Cette introduction porte sur la valeur heuristique des études intermédiales pour comprendre l’action de témoigner. Dans un premier temps, nous présenterons ce qui est communément entendu par témoigner, témoignage, média et intermédialité. Dans un second temps, nous reprendrons chacun de ces termes afin d’en donner une acception plus complexe. Nous soulignerons alors l’importance de notions telles que valeur testimoniale, transmission et agentivité. Pour débuter, nous proposons donc une définition qui sera révisée par la suite. Témoigner est régulièrement considéré comme étant un quasi-synonyme de récit oral ou écrit formulé par un individu qui rend compte d’un événement qu’il a vécu (souvent un événement traumatique). Le sociologue Renaud Dulong a formulé une telle acception dans Le témoin oculaire (1998). Il précise que le témoignage est « un récit autobiographiquement certifié d’un événement passé, que ce récit soit effectué dans des circonstances informelles ou formelles ». Le témoignage renvoie ici à l’attestation, soit au fait de « donner des preuves tangibles de la réalité, de la vérité ou de la véracité d’une chose ». Le terme s’inscrit ainsi principalement à l’articulation entre les domaines historique et juridique. Dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricoeur reprend le point de vue développé par Dulong en ajoutant notamment que la spécificité du témoignage repose sur l’autodésignation du témoin qui se traduit par « un déictique triple […] : la première personne du singulier, le temps passé du verbe et la mention du là-bas par rapport à l’ici ». Le philosophe insiste également sur le fait que la fiabilité du témoignage repose sur sa stabilité et son caractère réitérable. Vingt ans plus tard, cette perspective fait toujours autorité. Il est alors relativement simple d’articuler témoignage et médias. Pris dans ce cadre interprétatif, ces derniers sont tout à la fois des supports immatériels et matériels d’inscription et des modes de diffusion. Le témoin s’exprime oralement, couche sur une feuille de papier, enregistre sur une bande sonore, filme sur un fichier numérique un récit lié à ce qu’il a vécu. Le témoignage — cette inscription de l’acte de témoigner sur un support — est ensuite partagé avec d’autres. Les mots qu’il a prononcés sont entendus, les notes inscrites sur la feuille sont lues par les proches ou par un éditeur, la bande-son est diffusée à la radio ou en ligne via un podcast, les images filmées se retrouvent sur les réseaux sociaux ou intégrées à un film. Il est alors entendu que le média — support et mode diffusion — utilisé participe à donner sa forme au témoignage. Ainsi, le théoricien des médias Amit Pinchevski explique, à propos d’entretiens menés par l’équipe de la Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies de l’Université Yale, que « videography does not document testimonies as already formed and self-contained narratives but rather conditions the very structure of their signification ». Il est aussi possible de réfléchir à la manière dont un témoin formule différemment son récit en fonction du média qu’il utilise. Nous proposons alors, en plus de la stabilité du récit testimonial présente chez Ricoeur, de parler de plasticité du témoignage. L’approche intermédiale, qui consiste à étudier les relations entre médias, permet de penser des liens entre témoigner/témoignage et médias (support et mode de diffusion). Plus justement, les relations entre témoigner/témoignage et médias sont considérées comme étant un objet d’étude à part entière. Ainsi, des phénomènes tels que la coprésence et le transfert sont identifiables. Cela signifie qu’un témoignage peut être composé de différents médias ou de références à différents médias. Par exemple, lors d’une captation filmée, un témoin peut se saisir d’un livre et le montrer à la caméra ou …
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Rémy Besson
Université de MontréalClaudia Polledri
Université de Montréal