Number 35, Spring 2020 jardiner gardening Guest-edited by Denis Ribouillault
Table of contents (17 articles)
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Liminaire
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Introduction. De la « réunion des arts » dans le jardin au jardin partagé
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Le topos du jardin comme « tapis de Turquie » au temps des humanistes, une figure d’art et de mémoire
Laurent Paya
AbstractFR:
L’architecture des premiers jardins modernes s’inscrit dans le cadre d’une anthropologie culturelle en interaction avec l’environnement matériel, artistique, cognitif et social. Une « concordance des arts » s’exprime alors explicitement entre l’architecture des jardins ornés de parterres et la confection des tapis orientaux d’apparat. La production d’images et d’espaces s’appuie en effet sur des modèles rhétoriques situés au-delà des réalités sensibles spécifiques à chaque discipline artistique.
EN:
The architecture of early modern gardens fit into a conception of cultural anthropology that involved material, artistic, cognitive, and social environments. A “concordance between the arts” then explicitly connected gardens adorned with flower beds and the making of luxurious oriental carpets. The production of new images and spaces relied on rhetorical models, situated beyond the sensory realities specific to each artistic discipline.
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D’or et d’argent : les jardins incas dans les descriptions de Garcilaso de la Vega (1609)
Sebastián Ferrero
AbstractFR:
Dans le Coricancha, complexe sacré des Incas dédié au Soleil, et dans les palais royaux se trouvait un jardin composé de plantes et d’animaux fabriqués entièrement en or et en argent. La mémoire de ces oeuvres a uniquement survécu grâce à la littérature coloniale, qui s’est occupée de les décrire jusqu’aux marges du fantastique dans les Comentarios Reales de l’Inca Garcilaso de la Vega. C’est dans la construction textuelle que fait celui-ci des jardins incas que le lecteur est confronté à un véritable jeu intermédial où, de manière télescopique, s’imbriquent les différents niveaux de représentation du jardin. Dans cet article, nous décortiquerons les multiples dimensions par lesquelles Garcilaso de la Vega parvient à créer une image complexe et universaliste du jardin inca, à la fois jardin artistique, cosmique et impérial.
EN:
In Coricancha, the sacred complex of the Incas dedicated to the sun, and in the royal palaces, the Incas built an artificial garden containing local plants and animals made of gold and silver. The memory of these artifacts of the Incas’ metalwork has survived only in colonial chronicles, among which Garcilaso de la Vega’s Comentarios Reales is the most detailed and fantastic account of the Inca gardens. In his record, Garcilaso constructs a complex intermedial game by intertwining, in a telescopic manner, different representations of the garden. This article outlines the multiple dimensions through which de la Vega creates a complex universalist image of the Inca garden, at once artistic, cosmic, and imperial.
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Jardiner pour l’oeil et pour l’oreille : le destin musical de la Théorie de l’art des jardins (1779–1785) de C. C. L. Hirschfeld
Étienne Morasse-Choquette
AbstractFR:
Vers la fin du 18e siècle, la question du rôle des sens dans l’expérience esthétique que procure l’art des jardins fit débat. Alors que certains auteurs se montrèrent réticents à l’idée d’accorder une valeur esthétique à tout autre sens que la vue dans un jardin, C. C. L. Hirschfeld fut l’un des premiers théoriciens à s’intéresser à la nature intersensorielle de cet art. Cet article examine plus spécifiquement la place de l’ouïe dans sa célèbre Théorie de l’art des jardins (1779–1785).
EN:
Towards the end of the eighteenth century, the role of the senses in the aesthetic experience of garden art emerged as a topic of discussion. While some authors expressed doubt at the idea of attributing aesthetic value to any other senses than sight in the space of a garden, C. C. L. Hirschfeld was one of the first theoreticians to underline the intersensory nature of this art. This article analyzes specifically the place of hearing in Hirschfeld’s influential Theory of Garden Art (1779–1785).
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Green Bonds: Ownership, Friendship, and Kinship in Eighteenth-Century British Gardens
Laurent Châtel
AbstractEN:
This article sets out to recapture a sense of the collective and collaborative approach to gardening, arguing that the study of intermediality in the context of eighteenth-century British gardens is not just about the melting pot of sister arts, but also the meeting place of sisters-and-brothers-in-arts, painters, poets, amateurs, patrons, and professionals alike finding themselves connected in and through gardens—a shift of emphasis onto the human relations and brotherliness forged through the arts, which contributes to the social history of gardens.
FR:
Cet article, par son approche, vise à restituer le caractère collectif et collaboratif du jardinage en soutenant que l’étude de l’intermédialité dans le contexte des jardins britanniques du 18e siècle ne concerne pas seulement le creuset des arts « soeurs ». Elle concerne aussi le lieu de rencontre des soeurs et frères en art, peintres, poètes, amateurs, mécènes et professionnels se trouvant connectés dans et par les jardins. L’accent ainsi déplacé sur les relations humaines et la fraternité forgées par les arts entend offrir par là une contribution à l’histoire sociale des jardins.
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Du jardin à La Jungla : La Havane, 42 calle Panorama. Représentations du jardin et de la nature dans l’oeuvre de Wifredo Lam
David Castañer
AbstractFR:
Le retour de Wifredo Lam à La Havane en 1942 coïncide avec son installation dans un atelier pourvu d’un double jardin : un jardin urbain, où il accueille les membres de l’intelligentsia havanaise ou européenne en exil, et la brousse, qui connecte l’arrière de la maison avec la nature périurbaine. L’intérêt de Wifredo Lam pour les potentialités plastiques des espèces végétales et animales du jardin devient un jeu de mélanges et d’hybridations qui fait émerger la puissance de la nature caribéenne et inaugure une nouvelle manière de représenter l’environnement dans l’art contemporain latino-américain.
EN:
When Wifredo Lam returned to Havana in 1942, he settled down in a house with two gardens: an urban one, where he hosted Cuban and European members of the intelligentsia, and a wild one, which connected the alley behind his house with suburban nature. Lam’s interest in the aesthetic potentialities of the plant and animal species growing in his garden becomes a way of exploring hybridization as a manifesto of the power of Caribbean nature. It also inaugurates a new way of representing the natural world in Latin American contemporary art.
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Autochromes et jardins des Établissements Georges Truffaut (1911–1939) : deux loisirs créatifs pour un double dispositif de communication visuelle
Hadrien Viraben
AbstractFR:
À travers l’exemple de la revue Jardinage (1911–1939) et des jardins des établissements Georges Truffaut, cet article se propose de montrer comment la stratégie communicationnelle de l’entreprise sollicitait une dynamique intermédiale. L’interaction entre photographie, en particulier autochrome, et jardin a en effet permis d’assurer l’efficacité d’une publicité qui déguisait son objectif commercial sous l’apparence du vraisemblable et de l’intérêt pratique.
EN:
Through the example of Georges Truffaut’s magazine Jardinage (1911–1939) and the gardens of his company, this article aims to show how his communication strategy solicited an intermedial dynamic. The interaction between photography, especially autochrome, and garden ensured the effectiveness of an advertisement disguising its commercial objective under the guise of a plausible representation of reality and practical interest.
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On What a Garden Can Remember. The Jardin du Québec and the Floralies internationales 1980 (Montreal)
Erin Despard
AbstractEN:
Drawing from work in progress at a series of somewhat neglected public gardens in Montreal, this article explores what a transhistorical, materialist approach to the intermedial study of public gardens might look like. It focuses on the relationship between a documentary film about the gardens made in 1980 (Bonjours Floralies, Bernard Beaupré), and one of the gardens in the present, as a means to develop a novel point of view on the historical and phenomenological functioning of both.
FR:
Se basant sur un travail en cours à propos d’une série de jardins publics un peu négligés à Montréal, cet article explore ce à quoi pourrait ressembler une approche transhistorique et matérialiste de l’étude intermédiale des jardins publics. Il se concentre sur les relations entre un film de Bernard Beaupré, Bonjour Floralies, réalisé en 1980 au sujet des jardins, et l’un de ces jardins dans le présent, comme moyen de développer un point de vue nouveau sur le fonctionnement historique et phénoménologique des deux.
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Stemple Pass (2012) et le projet Two Cabins : l’architecture de la solitude selon James Benning
Edo Volbeda
AbstractFR:
Le projet Two Cabins de James Benning gravite autour de la reproduction de deux cabanes dans l’espace de son jardin. La première est celle d’Henry David Thoreau, auteur transcendantaliste de Walden ou La vie dans les bois (1854). La seconde est celle de Theodore Kaczynski, aussi surnommé « Unabomber », écoterroriste états-unien et auteur d’un manifeste antitechnologique. Cet article se penche en particulier sur le film Stemple Pass (Benning, 2012), qui confronte les écrits de Kaczynski à la reproduction de son habitat.
EN:
James Benning’s project Two Cabins revolves around the reconstruction of two cabins in his own yard (or garden). The first belongs to Henry David Thoreau, the transcendentalist author of Walden; or, Life in the Woods (1854). The second is that of Theodore Kaczynski, an ecoterrorist also known as “the Unabomber” who wrote an anti-technological manifesto. This article focuses on Stemple Pass, Benning’s 2012 film that juxtaposes Kaczynski’s writings and the reconstruction of his cabin.
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Beyond Anti-Conquest: Unearthing the Botanical Archive with Locative Media
Jill Didur
AbstractEN:
This article introduces the Alpine Garden MisGuide / Le Jardin alpin autrement, a locative media project that endeavours to bring the complex cultural and historical insights of the paper archive on botanical exploration into dialogue with the embodied experience of visiting the living archive of contemporary botanic gardens. Recently created mobile guides to botanic gardens tend to fall back on the discourse of “anti-conquest”—where the colonial subject claims innocence even as s/he subordinates the other to their gaze—to frame their collections for the public. Taking a decolonial approach, this essay explores how the affordances of the MisGuide’s locative platform presents opportunities to challenge innocent or nostalgic presentations of botanic gardens’ collections and engage garden visitors in a more complex account of the influence of colonialism in the history of gardens and the environment.
FR:
Cet article présente le Alpine Garden MisGuide / Le Jardin alpin autrement, un projet médiatique locatif qui s’efforce de faire dialoguer les connaissances culturelles et historiques complexes des archives papier sur l’exploration botanique avec l’expérience incarnée de la visite des archives vivantes des jardins botaniques contemporains. Les guides mobiles récemment créés sur les jardins botaniques tendent à se rabattre sur le discours de « l’anti-conquête » — où le sujet colonial revendique l’innocence alors même qu’il subordonne l’autre à son regard — afin d’encadrer leurs collections pour le public. Adoptant une approche décoloniale, cet essai explore comment les possibilités de la plate-forme locative du MisGuide offrent des occasions de contester des présentations innocentes ou nostalgiques des collections de jardins botaniques et d’engager les visiteurs des jardins dans un compte rendu plus complexe de l’influence du colonialisme dans l’histoire des jardins et de l’environnement.
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Tawâyihk et autres espaces au Jardin des Premières-Nations (Tio’tia:ke/Montréal)
Gabrielle Lauzon Chiasson
AbstractFR:
Cet article s’intéresse aux espaces intermédiaires présents au Jardin des Premières-Nations du Jardin botanique de Montréal ainsi que dans l’oeuvre Le regard perçant (2003) de Richard Robertson. Il s’agit de mettre en lumière les nombreuses dynamiques relationnelles en circulation dans les territoires afin d’explorer les mémoires et les marques culturelles qu’y ont laissées les nations autochtones depuis plus de 10 000 ans.
EN:
This article examines the intermediary spaces present in the First Nations Garden at the Montreal Botanical Garden as well as in Richard Robertson’s mural Le regard perçant (2003). The aim is to highlight the relational dynamics specific to those territories in order to explore the memories and cultural marks that Indigenous nations have been creating there for more than 10,000 years.
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L’Éden dans le discours postcolonial : rencontres interculturelles et imaginaires du lieu idéal dans Le dernier gardien de l’arbre de Jean-Roger Essomba
Étienne-Marie Lassi
AbstractFR:
Cet article a pour objectif de montrer comment les mythes du jardin se réactualisent dans une perspective postcoloniale, en s’appuyant sur Le dernier gardien de l’arbre du Camerounais Jean-Roger Essomba. Partant de l’hypothèse que la thématique du jardin mène aux questions de l’identité collective ainsi qu’à celles de l’altérité, qui renvoie à la relation avec d’autres peuples et cultures, il analyse ces problématiques en se référant à la rencontre des civilisations européenne et africaine dans le roman.
EN:
Based on Le dernier gardien de l’arbre, a novel by Cameroonian author Jean-Roger Essomba, this article aims to show how the myths of the garden are reinterpreted from a postcolonial perspective. Assuming that the theme of the garden brings up questions of collective identity as well as otherness (meaning, one’s relationship with other peoples and other cultures), the article analyzes the relevance of this hypothesis in the context of the encounter of European and African civilizations.
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Ce que l’on jardine : les « permis de végétaliser » de vingt municipalités françaises et le projet de la rue-jardin Kléber à Bordeaux
Aurélien Ramos
AbstractFR:
Cet article porte sur la transformation de la relation entre le jardin et le jardinage dans les politiques publiques urbaines visant à susciter le désir de jardiner chez les citadins. À partir du constat de l’instrumentalisation des pratiques de jardinage en ville et de la recrudescence de l’emploi du verbe « jardiner » dans des contextes n’ayant plus guère à voir avec le jardin, il s’agit de revenir à ce qui lie le geste à l’objet, la pratique au lieu. À partir de l’analyse de deux dispositifs publics utilisés pour mettre les citadins au jardinage — les « permis de végétaliser » de vingt municipalités françaises et le projet de la rue-jardin Kléber à Bordeaux — l’article cherche à voir si la convocation du verbe « jardiner » comme synonyme de faire agir les citadins dans le processus de production de l’espace urbain signifie que le jardin comme objet médiateur entre l’individu et le monde reste un horizon alternatif et souhaitable pour la ville.
EN:
This article addresses the transformation of the relationship between gardens and gardening in urban public policies aimed at fostering city dwellers’ interest for gardening. Based on observations of how urban gardening practices have become instrumentalized, and of how the verb “to garden” is increasingly used in contexts unrelated to gardening, the aim of the article is to refocus attention on what binds action and object, practice and place. The article analyzes two public programs implemented by French municipalities—the “re-vegetating permits” of twenty French municipalities and the rue-jardin Kléber project in Bordeaux—in an effort to encourage city dwellers to cultivate gardens. It seeks to understand if the use of the verb “to garden,” understood as a way of inciting citizens to become active agents in the production of urban space, means that the garden, as a mediating object between the individual and the world, still represents an alternative and desirable future for the city.
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Jardiner à l’épreuve de la dualité sciences humaines / sciences naturelles
Lise-Margot Dumargne
AbstractFR:
Jardiner est une action qui peine à être définie, au regard des nombreuses disciplines qu’elle embrasse. Afin de théoriser au mieux cette dernière, l’étude des espaces jardinés et paysagers tend aujourd’hui à dépasser le cadre des sciences humaines et s’enrichit de l’expertise des sciences naturelles. Le présent article propose de synthétiser une expérience personnelle transdisciplinaire à travers une réflexion portée sur trois cas de figure : la préservation du végétal, la restauration de jardins historiques et l’expérimentation sensible du paysage. Ces exemples tentent de mettre en lumière l’utilité de recourir à l’interdisciplinarité pour reconsidérer des certitudes préalablement acquises avec un regard élargi.
EN:
Because it encompasses many fields of study, the act of gardening is difficult to define. In search of a theory, studies of gardens and landscaped spaces currently try to go beyond the scope of human sciences and take advantage of the comprehensive expertise of the natural sciences. This article provides an overview of a transdisciplinary personal experience based on three scenarios: plant conservation, restoration of historical gardens, and sensitive landscape experimentations. These individual examples seek to shed light on the real need for cross-disciplinary research in order to revise established tenets from a broader perspective.
Artiste invité / Guest Artist
Hors-dossier
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À travers forêts et bétons du texte : les dystopies scopiques de Marie Darrieussecq et de Karoline Georges
Laurence Perron
AbstractFR:
Dans cet article, je m’intéresse aux romans dystopiques de Marie Darrieussecq (Notre vie dans les forêts, 2017) et de Karoline Georges (Sous béton, 2011), deux productions récentes qui témoignent d’un rapport à l’écran qui dépasse la simple thématisation. Je soutiens notamment que la question de la médiation écranique va jusqu’à régir l’écriture dans son élaboration stylistique et poétique. Je convoque à cet effet les distinctions entre immediacy et hypermediacy (Bolter et Grusin, 2000) afin de nommer efficacement les phénomènes médiatiques que génère la culture de l’écran, pour montrer que ces derniers trouvent réponse au sein d’une narration aussi brisée et altérée que les écrans (ainsi que l’oeil qui les regarde) mise en scène par les deux autrices.
EN:
In this article, I decided to focus on the dystopian novels of Karoline Georges (Sous béton, 2011) and Marie Darrieussecq (Notre vie dans les forêts, 2017), two recent productions that testify of a relation to the screen that goes beyond mere thematization. I argue that the question of screen mediation goes as far as to govern writing in its stylistic and poetic elaboration. I therefore draw the distinctions between immediacy and hypermediacy (Bolter and Grusin, 2000) in order to effectively name the phenomena generated by screen culture, to show that they find an answer within a narrative as broken and altered that the screens (as well as the eye that looks at them) staged by the two authors.