La publication du numéro « Cartographier (l’intermédialité) » marque les 15 ans de la revue Intermédialités. Pour introduire et accompagner ce numéro, ce texte se veut une flânerie méditative dans et sur la carte intermédiale. Il s’agit autant de saisir le potentiel intermédial de l’objet carte que de cartographier l’intermédialité dans toute son indiscipline. Pour guider ce périple méthodologique, géographique et médiatique, une série de mots-clés (des verbes à l’infinitif, évidemment, en accord avec l’esprit de la revue), inspirés de la définition de la carte mise en épigraphe, serviront de points d’ancrage : ouvrir, connecter, démonter/renverser/modifier, dessiner/concevoir/construire, méditer… Cartographier l’intermédialité, c’est évidemment réfléchir au territoire d’une méthode, aussi vaste et non délimité soit-il, mais c’est aussi poser la question de la carte sui generis ; question double portant à la fois sur la carte comme objet matériel et médiatique, et sur la carte comme opérateur de médiation. C’est dans les premières pages de Mille Plateaux (1980), là où Deleuze et Guattari cataloguent les éléments constitutifs du rhizome, que la carte — à la fois figure et structure, objet matériel et conceptuel — fait une apparition qui n’est pas passée inaperçue chez ceux qui s’intéressent aux territoires matériels aussi bien que conceptuels. Pour les deux philosophes, la carte fait partie intégrale du rhizome — cette arborescence sans hiérarchies ni limites — et, tout comme lui, elle est symbole d’ouverture, de connexion, de répétition féconde et non stérile, de transformation. Or, si on la considère de près, la définition qu’ils en donnent est profondément intermédiale : objet matériel avant tout (« connectable dans toutes ces dimensions, démontable »), la carte est toujours déjà en proie à sa propre destruction (« déchirée, renversée »), mais elle est aussi capable de rendre visible et de tisser des liens. À l’instar des nombreux objets intermédiaux traités dans les pages de cette revue, la carte de Mille Plateaux est donc à la fois affaire de matérialité (c’est un objet) et de socialité, voire de politique (elle est « mise en chantier par un individu, un groupe, une formation sociale »). Deleuze et Guattari font de l’intermédialité sans le savoir : non seulement leur carte tient pour acquis que différents médias peuvent être mobilisés pour lui donner corps (elle peut être « dessin[ée] sur un mur », conçue comme une « oeuvre d’art »), mais elle relève également du fait social (elle peut prendre la forme d’une « action politique » ou d’une « méditation »). L’intermédialité montréalaise, celle qui s’est développée depuis une vingtaine d’années au sein des pages de la revue et autour du Centre de Recherches Intermédiales sur les arts, les lettres et les techniques (CRIalt), intervient justement dans cette zone de contact entre le corps des médias et leur visage social. Avec ses titres qui, selon l’idée d’origine du fondateur de la revue, Éric Méchoulan, prennent la forme d’un verbe à l’infinitif (Naître, Raconter, Aimer, Transmettre, Jouer, Bâtir, Archiver, Refaire…), la revue ancre d’emblée le fait médiatique du côté de l’humain, dans un champ relationnel qui dépasse largement celui d’une simple technicité de la transmission. Certains des articles de la revue ont eu la volonté explicite de contribuer à une théorisation de la méthode intermédiale, tandis que beaucoup d’autres y ont participé implicitement, par la qualité, l’inventivité et la diversité de leurs études de cas. Ainsi, avec ses 29 numéros parus entre 2003 et 2017, c’est la revue tout entière qui peut être considérée comme une vaste entreprise de cartographie de la méthode intermédiale in progress. Mais l’intermédialité …
Introduction. L’intermédialité est la carte autant que le territoire[Record]
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Caroline Bem
Université de Montréal