FR:
Réalisé en 2002, le film de Rithy Panh, en confrontant les anciens gardiens du centre de détention « S-21 » à deux de leurs victimes survivantes, déplace radicalement la question de la « représentation » du génocide : d’une part, le film ne vise pas à en faire l’histoire, mais à comprendre le processus de déshumanisation qui l’a rendu possible ; d’autre part, ce sont les tortionnaires qui témoignent, ici, de leur déshumanisation, symétrique de celle des victimes. Toutefois, « témoigner » suppose un écart qui constitue le sujet du témoignage comme « sujet », écart qui faisait et fait encore défaut aux gardiens. L’événement « irracontable » de la déshumanisation accède ainsi à la présence, après-coup, comme une « réminiscence » quasi involontaire, venue du corps même du témoin. C’est pourquoi l’on peut dire que c’est le film lui-même qui se fait « témoin » et non le bourreau. S-21, la machine de mort Khmère rouge définit ainsi les contours d’un possible « être-ensemble » en faisant du spectateur le contemporain et, par là même, le témoin-légataire de « l'événement sans témoin ».
EN:
Rithy Panh’s 2002 film, S21: The Khmer Rouge Death Machine, which confronts former S-21 detention center guards with two of their surviving victims, radically shifts the issue of the “representation” of genocide. On the one hand, the film does not intend to establish a history of the genocide, but to understand the process of dehumanization that enabled it. On the other hand, it is the torturers here who bear witness to their own dehumanization, symmetrical to that of the victims. However, “witnessing” presupposes a distance that constitutes the witness as “subject,” a distance that the torturers did not observe and which is still lacking. The “untellable” event of dehumanization thus gains presence, afterwards, as an almost unintentional “reminiscence” from the witness’ body. One could say that the film itself, and not the executionner, becomes a witness. In this way, S21 draws the outlines of a possible “being-together” (un être-ensemble) while making the spectator a contemporary and, by the same token, the legatee-witness of the event “without witnesses.”