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Théâtre et intermédialitéUne rencontre tardive ["Mettre en scène / Directing", no 12 automne 2008][Record]

  • Jean-Marc Larrue

Si les études intermédiales, qui sont nées dans le sillon de la révolution numérique, n’ont pas vingt ans, les processus qu’elles contribuent à mettre au jour remontent bien au-delà de cette dernière vague technologique majeure, comme l’a clairement illustré Remediation : Understanding New Media, l’ouvrage-clé que Jay Davis Bolter et Richard Grusin publiaient en 2000. Selon certains chercheurs, tel Peter Boenisch, les processus intermédiaux sont présents dès l’invention de l’alphabet et les théoriciens de l’interartialité (Walter Moser, Claus Clüver) voient dans les relations complexes et constantes entre les pratiques artistiques depuis la Renaissance des modèles probants de dynamique intermédiale. Quant aux travaux menés depuis une trentaine d’années sur cette autre révolution qu’a provoquée l’avènement de l’électricité, ils montrent bien, par les similitudes frappantes qu’on observe dans le développement des technologies électriques et la formation des médias électriques, d’une part, et celui des technologies et médias numériques, d’autre part, que les mêmes phénomènes sont à l’oeuvre à cent ans d’écart. On s’étonne que le théâtre, qui a connu de remarquables mutations grâce à l’électricité et qui vit actuellement un important renouveau attribuable à l’effet conjugué de l’éclatement des barrières disciplinaires traditionnelles et de l’invasion des nouvelles technologies (numériques) — les deux ne sont pas sans lien —, n’ait pas plus tôt attiré l’attention des chercheurs intermédiaux. Pratique fertile où se croisent et se mêlent, de temps immémoriaux, les arts et les technologies, où la question du dispositif est cruciale, le théâtre se trouve lié, d’une façon ou d’une autre, à tous les grands bouleversements médiatiques qui ont marqué le monde des communications et du divertissement depuis un siècle, soit qu’il y ait contribué, soit qu’il les ait subis, soit les deux à la fois. Pourtant, Bolter et Grusin évoquent à peine le théâtre dans leur essai historique ; Jürgen Müller, figure de proue de l’école allemande de l’intermédialité, n’en traite qu’accessoirement ; et Walter Moser, qui a pourtant examiné les manifestations les plus diverses de l’interartialité, n’a pas inclus le théâtre dans ses observations ! Ce silence s’explique sans doute en partie par l’origine disciplinaire (et les intérêts) des premiers chercheurs intermédiaux. Mais il y a davantage. En affirmant la primauté des systèmes de relations sur les objets dans la dynamique et la genèse des médias et, surtout, en plaçant au centre de leurs préoccupations la question de la matérialité des processus médiatiques, les théoriciens de l’intermédialité n’ont rien fait pour s’attirer la sympathie d’un milieu qui, depuis près d’un siècle, élabore un discours identitaire fondé sur l’acteur (sa voix, son corps) et son rapport immédiat au spectateur. Jonathan Sterne rappelle que les slogans-concepts de « fidélité » puis « haute fidélité » — à quoi ? — qu’a forgés l’industrie des technologies de reproduction sonore de la fin du 19e siècle au milieu du 20e siècle n’avaient d’autre but que de contrecarrer les accusations de « trahison » portées contre ses « dispositifs » qui interféraient entre le corps de l’artiste et l’oreille de l’auditeur-spectateur. Ces dispositifs brisaient un lien que ses défenseurs prétendaient « direct », « pur », « naturel », « unique » avec, évidemment, tout ce que cela pouvait induire de nostalgie et d’appréhension. Les technologies de reproduction sonore portaient atteinte à l’aura de la scène qui avait été, jusque-là, le lieu unique de consécration des « belles voix ». En plus des questions de reproductivité et d’authenticité qu’elle soulevait, l’intrusion du son médiatisé sur la scène du théâtre était ainsi perçue — et présentée — sous l’angle d’une double agression par ses détracteurs qui étaient aussi les défenseurs de la scène dite …

Appendices