La question de la reproduction des images, du son, des oeuvres d’art se trouve au coeur de l’actualité, mais elle n’est certes pas nouvelle. De la représentation par des moyens manuels jusqu’à l’encodage numérique, il y eut une longue série de passages par des médias de plus en plus mécanisés, des technologies de plus en plus complexes. Ces avancées constantes indiquent à quel point le désir de reproduire, qui est désir de faire circuler, a toujours été vif. Et si la problématique de la reproduction est si aiguë aujourd’hui, c’est que tout est voué à être dupliqué, copié, à proliférer pour mieux se propager à travers un large régime, celui du numérique, qui aurait absorbé bien des techniques, rendant tout similaire par le code – depuis le mode d’enregistrement jusqu’à celui de transmission et de diffusion – et infiniment multipliable. Le souhait de reproduire fut en premier lieu, on le sait, celui d’imitation de la nature. C’est d’abord par des modes plastiques et manuels – dessin, peinture et moulage – que l’on est arrivé à copier les choses du monde. Et lorsqu’il devient possible de reproduire la nature en des oeuvres dignes d’admiration, on cherchera à dupliquer celles-ci, d’abord à la main puis par des méthodes autorisant des tirages multiples. Par ailleurs, ce désir d’imitation de la nature fait largement appel à l’idée de paysage qui suscitera des réflexions sur l’espace et le temps. Tout à la fois la chose et son image, perception in situ et représentation, le paysage se conçoit comme un médium qui, s’agrégeant à d’autres médias, peut ainsi devenir transmissible. De même, par le biais de leur reproduction, les oeuvres d’art seront rendues mobiles et voyageuses. Les copies et fac-similés d’oeuvres d’art, leur mobilité – temporelle tout aussi bien que spatiale –, le paysage, constituent les principales lignes de force suivant lesquelles – sans que cela soit restrictif – ce numéro d’Intermédialités a été conçu. Reproduire, c’est faire passer un objet, une portion de territoire, une image, une voix, une oeuvre, d’une matière à une autre, d’un média à un autre, tout aussi bien que d’un lieu à un autre. C’est également, à bien des égards, vouloir les faire passer d’un temps à un autre. L’acte de reproduction nous fait donc entrer dans de curieuses sphères spatiotemporelles où les lieux et les sites, les oeuvres, visuelles ou sonores, les images, fixes ou mouvantes, deviennent ubiquistes, visibles, audibles, perceptibles en différents endroits, en des temps mêmes ou des temps autres, s’hybridant et se croisant avec d’autres médias. Il est incontestable que la photographie assumera, très vite, un rôle majeur dans les techniques de reproduction, évinçant maints procédés précédemment usités. Elle aura notamment contribué à la tombée en désuétude de la pratique de l’estampage, une technique de moulage au papier d’origine chinoise appréciée des explorateurs-archéologues et qui « connut son apogée durant la seconde moitié du 19e siècle avant de disparaître devant les progrès de la photographie et de ses procédés de reproduction ». Une méthode de prise d’empreinte, mécanisée, en aura chassé une autre, essentiellement manuelle, sans que la perte du relief ne semble gêner quiconque. C’est dire la croyance profonde envers la qualité d’enregistrement mécanique de l’image photographique qui, très tôt, s’installe. Les vues d’optiques – qu’évoque également Stéphane Roy –, ces gravures montrant des panoramas de grandes capitales à travers un ensemble de lentilles et de miroirs produisant des perspectives saisissantes, seront elles aussi éliminées par les « vues enregistrées » obtenues par la photographie, celles au stéréoscope tout particulièrement. Au même titre que la peinture et les oeuvres d’art, les …
Introduction. Le multiple et le transmissible[Record]
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Suzanne Paquet
Université de Montréal