Number 12, Fall 2008 Mettre en scène Directing Guest-edited by George Brown, Gerd Hauck and Jean-Marc Larrue
Table of contents (12 articles)
Mettre en scène / Directing
Mettre en scène / Directing
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Théâtre et intermédialité : une rencontre tardive
Jean-Marc Larrue
pp. 13–29
AbstractFR:
Tandis que le théâtre profite de temps immémoriaux des avancées de la technologie et des ressources d’autres pratiques artistiques pour « représenter » plus efficacement l’intermédialité qui, justement, traite de ces mouvements complexes et omnidirectionnels entre médias, arts et technologies, s’est jusqu’à présent peu préoccupée du théâtre. Et, de leur côté, les études théâtrales commencent à peine à s’ouvrir à l’approche intermédiale. Qualifié d’« hypermédia » (Kattenbelt) ou de média « combinatoire et intégrateur » (Elleström), le théâtre pourrait pourtant bien être, historiquement parlant, la pratique intermédiale par excellence. Comment alors expliquer cette rencontre si lente et si tardive entre le théâtre et l’approche intermédiale ? La réponse réside en partie dans l’élaboration et la prégnance d’un discours de résistance médiatique qui fait de la présence — de l’acteur et du spectateur — un trait distinctif et originel de la pratique. Suivant cette logique essentialiste, les technologies de reproduction sont présentées comme des dangers et le recours à certaines d’entre elles comme une « trahison de la promesse ontologique du théâtre » (Phelan). En raison de la primauté qu’elle accorde aux relations, l’approche intermédiale est évidemment peu préoccupée par les questions d’identité et de territoire — et donc de frontières. Elle est, elle-même, une menace au discours essentialiste qui a marqué le champ du théâtre pendant près de trois quarts de siècle.
EN:
Theatre has always benefited from technological developments and from the inputs of different artistic practices in the staging of effective “representation.” However, intermedial research—precisely based on such complex exchanges between media, arts and technologies—has yet to fully consider theatrical activity. As for theater studies, they are just beginning to really open up to intermedial approaches. And yet, whether by being hypermedia (Kattenbelt) or “combinatory and integrating” media (Elleström), theater could turn out to be, historically speaking, the intermedial practice par excellence. How then to explain such a slow and late encounter between theatre and intermedial approaches? The answer lies in part in the elaboration and in the importance of a media resistance attitude which regards presence—that of the actor and of the spectator—as a distinctive and fundamental aspect of theatre activity. According to such an essentialist logic, reproduction technologies are seen as dangers, and the use of some of them as a “betrayal of theater’s ontological promises” (Phelan). Because intermedial approaches give a lot of importance to relationships, they do not tend to consider identity and territorial issues—limits and borders. Intermedial approaches are in turn a threat against the essentialist views that have influenced theatre for almost three quarters of a century.
Mettre en scène / Directing
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After Brecht: the Impact (Effects, Affects) of Intermedial Theatre
Robin Nelson
pp. 31–48
AbstractEN:
This article addresses claims made about the impact of intermedial theatre with reference to examples of contemporary practice. In particular it makes references to Brecht in this context and differentiates between Brechtian politics and aesthetics. The professed aim of intermedial practitioners to dislocate the bearings of experiencers of their work and to afford new perceptions by means of a radical play between mediums appears to resonate, at the level of principles of composition, with Brecht’s “radical separation of the elements.” However, at the level of politics, Brecht’s drama sought a broader understanding of isolated individuals by inviting audiences to see their experience in connection with a total historical process. But, regarding the Marxist trajectory in which Brecht’s practice was located, the context changed markedly post-1968, and beyond recognition post-1989. The article thus proposes that a new formulation is required of the impacts of new perceptions elicited by contemporary intermedial practices and ends with a brief consideration of Rancière’s account of the clash of heterogeneous elements in intermedial practice.
FR:
En s’appuyant sur des exemples tirés de la pratique contemporaine, cet article examine certaines affirmations formulées quant à l’impact du théâtre intermédial. Plus précisément, nous considérons les références faites à Brecht dans un tel contexte et nous distinguons le politique de l’esthétique chez Brecht. L’objectif visé par les praticiens intermédiaux — soit de bouleverser la contenance de ceux qui font l’expérience de leurs oeuvres en plus de susciter de nouvelles perceptions par l’intervention d’un jeu radical entre les médiums — semble faire écho, au moins en ce qui a trait aux principes de composition, à la « séparation brechtienne des éléments ». Cependant, sur le plan politique, le drame brechtien visait la compréhension élargie d’individus isolés, en incitant le spectateur à envisager son expérience en rapport à un processus historique ; mais cette position marxiste tenait à un contexte qui a grandement changé après 1968, avant d’être entièrement métamorphosé après 1989. Nous soutenons ainsi dans cet article qu’une nouvelle formulation est exigée, une formulation des impacts des nouvelles perceptions suscitées par les pratiques intermédiales contemporaines. Finalement, nous considérons brièvement la position de Rancière quant au choc des éléments hétérogènes au sein de la pratique intermédiale.
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Le « projet multithéâtral » : transformations intermédiales des scènes italiennes contemporaines
Erica Magris
pp. 49–65
AbstractFR:
Cet article s’intéresse à un mode de création théâtrale systématisé par les compagnies expérimentales italiennes de la « Génération 90 » au début du 21e siècle, que nous proposons d’appeler « projet multithéâtral » : l’artiste de théâtre conçoit la création comme un processus de longue ou moyenne durée, dans lequel il avance par étapes, en réalisant non seulement des spectacles, mais en se consacrant aussi à d’autres formats artistiques. Dans l’histoire des compagnies, la mise en oeuvre de cette méthode de travail correspond à l’affirmation de l’usage des technologies numériques du son et de la vision. À travers l’observation de deux exemples, le projet L’ospite (Le visiteur, 2003-2004), réalisé par la compagnie Motus de Daniela Nicolò et Enrico Casagrande, d’après Petrolio (Pétrole, 1972-1975) et Teorema (Théorème, 1968) de Pier Paolo Pasolini, et le projet Ada, cronaca familiare (Ada, chronique familiale, 2002-2006) réalisé par la compagnie Fanny & Alexander de Chiara Lagani et Luigi De Angelis d’après le roman de Vladimir Nabokov Ada or Ardor: a Family Chronicle (Ada ou l’ardeur, 1969), nous allons nous interroger sur les enjeux du « projet multithéâtral » par rapport à l’intermédialité numérique au théâtre.
EN:
This article discusses a theatre creation process which has been systematized by the experimental Italian companies of the “Generation 90,” at the beginning of the 21st century, and whose name would be, as we propose, “Multitheater Project”: the theatre artist conceives creation as creative process, whether of long or of medium duration, in which he moves forward step by step, not only by producing shows, but also by working with other artistic media. In regard to the history of companies, the application of such a working method happens with the affirmation of the use of digital technologies of sound and vision. In this article, we will raise issues about the relationships between the “Multitheater Project” and digital intermediality in theatres, by considering two examples: the L’ospite project (Le visiteur, 2003-2004), produced by Daniela Nicolò and Enrico Casagrande’s Motus company and inspired by Pier Paolo Pasolini’s Petrolio (Pétrole, 1972-1975) and Teorema (Théorème, 1968), and the Ada, cronaca familiare project (Ada, chronique familiale, 2002-2006), produced by Chiara Lagani and Luigi De Angelis’ Fanny & Alexander company, based on Vladimir Nabokov’s novel Ada or Ardor: a Family Chronicle (Ada ou l’ardeur, 1969).
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Interartialité et remédiation scénique de la peinture
Tatiana Burtin
pp. 67–93
AbstractFR:
Le propos de cet article est d’approfondir la notion d’interartialité, dont l’archéologie a été élaborée par Walter Moser, et d’étendre son application à des cas peu fréquents afin de la mettre à l’épreuve. La théâtralisation de la peinture sur la scène, examinée dans deux spectacles contemporains, « Art » de Yasmina Reza et Seuls de Wajdi Mouawad, offre un bon exemple de résistance d’un art à un autre. La mise en scène d’un tableau interroge le statut et le sens de l’oeuvre d’art hors du musée, mais aussi la spécificité de l’esthétique théâtrale, et sa capacité à jouer avec la transparence et l’opacité des arts et des médias qu’elle accueille dans son espace. Par la présence du tableau (« réelle » ou reproduite par image vidéo) sur la scène, et par la place des autres corps, notamment celui de l’acteur, face à elle, l’art de la peinture permet au spectateur d’appréhender une nouvelle profondeur de la scène, quelque peu oubliée de nos jours par la perception bidimensionnelle des arts de l’image, appréhension qui remet en cause l’esthétique théâtrale de la distance et de l’illusion.
EN:
This article aims to go deeper into the notion of “interartiality”—the archeology elaborated by Walter Moser—and to extend its applications to rare examples, in order to put it to the test. The theatricalization of painting on stage, as seen in two contemporary shows, Yasmina Reza’s “Art” and Wajdi Mouawad’s Seuls, is a good example of resistance from an art to another. The mise en scène of a picture questions the status and the signification of works of art outside the museum, but it also questions the very specificity of theatrical aesthetic, with its capacity to play with the opacity and transparency of the arts and media that are engaged in its space. Facing the presence of a painting on stage, whether real or video reproduced, and that of the actor, the spectator experiences a new depth of the stage, one that has been slightly forgotten nowadays, with the bidimensional perception of the arts of the image. This experience questions in turn a theatrical aesthetic based on distance and illusion.
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Digital Multivocality and Embodied Language in Theatrical Space
Michael Darroch
pp. 95–114
AbstractEN:
This paper investigates the changing relation of the human voice to theatrical space. Innovations in digital sound technologies are reconfiguring the materiality of the voice and, consequently, the mediality of contemporary theatre. Western theatre, which developed alongside the shift from an oral to a visually-oriented, literate society, has largely remained a visual medium that continually subsumes orality. New media of the 19th and 20th centuries prompted various proposals for a “total theatre,” which generally worked towards removing voice and language from the theatrical environment. Drawing upon the recent multivocal works of Quebec artist Marie Brassard, the author proposes that today’s digital sound technologies are redrawing the possibilities for voice in a theatre that enables, in McLuhan’s terms, the constant “interplay of the senses” within a new acoustic space.
FR:
Cet article examine la variation du rapport entre la voix humaine et l’espace théâtral. Les progrès quant aux technologies du son numérique modifient la matérialité de la voix, et donc la médialité du théâtre contemporain. Le théâtre occidental — qui s’est développé en parallèle avec le passage d’une société orale à une société de l’écrit influencée par l’image — est demeuré un médium principalement visuel qui ravale sans cesse l’oralité. Les nouveaux médias des 19e et 20e siècles ont suscité plusieurs essais de « théâtre total », dans lequel on cherchait généralement à retirer la voix et le langage de l’environnement théâtral. En considérant les récentes oeuvres multivocales de l’artiste québécoise Marie Brassard, l’auteur montre comment les technologies sonores contemporaines redéfinissent les possibilités de la voix au théâtre, laquelle permet, comme l’affirme McLuhan, « de faire interagir les sens » au sein d’un nouvel espace acoustique.
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Quand le son écoute la scène : une exploration inédite de la matière théâtrale
Marie-Madeleine Mervant-Roux
pp. 115–128
AbstractFR:
Dans un certain nombre de performances théâtrales récentes, l’intensification de l’expérience du spectateur est de nature perceptive. L’article développe l’hypothèse selon laquelle l’articulation encore brute et tâtonnante de deux médias : le médium archaïque qu’est le théâtre et le médium à l’état naissant qu’est l’« écriture » [ou la « composition »] « sonore », peut provoquer, par ruptures, fractures, « disruptions », un renouvellement profond de la relation à la performance scénique. Après avoir présenté quelques exemples, l’auteur suggère de situer la source de cette inventivité intermédiale dans les années 1980, moment où le théâtre se redéfinit comme lieu d’élaboration de véritables images, par le biais de l’écoute active d’une aire de jeu à la fois bruitée et vocalisée. Ce sont désormais les ingénieurs, concepteurs, manipulateurs du son qui ont l’idée — et les moyens — d’organiser l’écoute du théâtre, devenant ainsi de nouveaux médiateurs entre la scène et le public.
EN:
The intensification of the spectator’s experience is perceptual in several recent theatrical performances. This article proposes that the articulation of two media still raw and groping—the archaic medium of theatre and the emerging media that is “audio” “writing” or “composing”—could create, through fractures, ruptures and “disruptions,” a deep renewal of our relationship with stage performances. I will consider some examples before suggesting that such an intermedial inventivity originates from the 1980s, a moment when theatre was redefined as a place for the elaboration of real images through the active listening of an area of play both vocalized and augmented with sound effects. Thus, it is now the engineers, the designers and technicians of sound that have the idea—and the means—to organize the theatrical listening experience, thereby becoming the new mediators between the stage and the audience.
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Sense & Sensation: the Act of Mediation and its Effects
Julie Wilson-Bokowiec and Mark Bokowiec
pp. 129–142
AbstractEN:
What happens when we mediate? What are the effects of mediation on the body? Are we being altered by technology? This article examines the unique occurrence of cross-model perception found to be associated with moments of acute kinaesonic expression in real-time interactive digital performance. The function and significance of cross-model perception is discussed in the light of the author’s practice with the Bodycoder System and new research into bodily self-consciousness and the sensory effects of new technology within the area of the neurosciences. Empirical findings are framed by a broader theoretical discussion that draws on John Cage’s notion of organicity and Gilles Deleuze’s sensual description of seizure, in opposition to telecommunication’s threat to the morphological stability of reality proposed by Paul Virilio. The article argues that cross-model perceptions, sensory mislocations, compensatory and synaesthesic effects of increasingly intimate and significant couplings of humans and technologies may not, as feared, represent a loss or disruption of perceptual reality, but rather indicate the register of a hitherto unconscious human facility.
FR:
Qu’arrive-t-il lorsque nous faisons l’intermédiaire, que nous faisons médiation ? Quels sont les effets de la médiation sur le corps ? Sommes-nous modifiés par la technologie ? Cet article examine le cas unique d’une perception au modèle croisé qui s’est révélée être associée à des épisodes d’expression kinésonique aiguë lors de performances numériques interactives en temps réel. La fonction et la signification d’une perception au modèle croisé sont considérées à la lumière de la pratique des deux auteurs (laquelle implique le Bodycoder System) tout comme à celle de recherches récentes sur la perception corporelle de soi et sur les effets sensoriels des nouvelles technologies en neuroscience. Nos découvertes empiriques apparaissent sur le fond d’un débat théorique qui implique autant la notion d’organicité de John Cage que la description sensuelle que fait Gilles Deleuze de la capture, en opposition à la menace posée par les télécommunications envers la stabilité morphologique de la réalité, comme le propose Paul Virilio. Les auteurs soutiennent dans cet article que la perception au modèle croisé, les délocalisations sensorielles, les effets compensatoires et synesthésiques d’une association de plus en plus étroite et signifiante entre l’humain et le technologique ne représentent peut-être pas, tel qu’on le craint souvent, une perte ou un dérangement de la réalité perceptive; ils soulignent plutôt la détection d’une aptitude humaine demeurée jusqu’ici inconsciente.
Artiste invité / Guest Artist
Artiste invité / Guest Artist
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Michel Goulet, Denis Marleau
pp. 150–161
Hors dossier / Miscellaneous
Hors dossier / Miscellaneous
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Oralité
Paul Zumthor
pp. 169–202
AbstractFR:
Conçu comme une entrée d’encyclopédie historique, cet essai met particulièrement l’accent sur la valeur qualitative de la vocalité, sur le corps comme médium de la voix, sur l’indissociabilité de la parole poétique et du chant, tout autant que du geste. Définie par la performance même, l’oralité y apparaît comme une forme élémentaire de théâtralité. Loin de renvoyer à une oralisation de type archaïque, on prête attention aux techniques de reproduction modernes — disque, bande magnétique, radio, télévision, film… — et à leurs effets de « remédiation » des phénomènes d’oralité. La revendication d’une forte autonomie du fait oral va ici de pair avec l’analyse de ses rapports complexes au monde de l’écrit, tout comme de celle des nouvelles formes d’oralité médiatisée.
EN:
Conceived as an article for a historical encyclopedia, this essay puts a singular emphasis on the qualitative value of vocality, on the body as a medium for the voice, on the inseparability of gesture, poetical voice and singing. Defined by performance in itself, orality appears here as an elementary form of theatricality. Instead of going back to archaic oralization, the author considers modern technical means of reproduction—audio record, magnetic tape, radio, television, film…—along with their “remediation” of orality phenomena. The demand for a strong oral autonomy leads to an analysis of the complex relationships of orality with the world of the written, as well as with an analysis of new forms of media orality.