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Fille du roi de Castille, petite-fille d’Aliénor d’Aquitaine et arrière-petite-fille de Mathilde l’Emperesse, reine de France durant le court règne de Louis viii le Lion, régente du royaume à deux reprises, Blanche de Castille est une figure centrale de l’âge d’or capétien. Cette reine pieuse et énergique ne fit toutefois l’objet que de bien peu d’études sérieuses depuis la grande thèse d’Élie Berger, publiée il y a plus d’un siècle, en 1895[1]. Les ouvrages publiés depuis, dont celui de Régine Pernoud et, plus récemment, de Gérard Sivéry[2], s’avèrent surtout des exercices de vulgarisation destiné à un public plus large et, surtout, francophone. C’est un manque auquel Lindy Grant, professeure à l’Université de Reading et spécialiste de la France capétienne, entendait bien pallier en publiant ce formidable survol de la vie privée, du règne politique et, aussi, de l’époque de Blanche de Castille.

Cette biographie de l’une des figures de proue de l’âge d’or des Capétiens repose sur un corpus de sources administratives, juridiques, fiscales et littéraires. L’ouvrage est divisé en deux parties distinctes : une première, organisée chronologiquement et portant sur la vie de la reine ; une seconde, au courant de laquelle l’auteure aborde les grands thèmes du règne : la famille et l’entourage (la familia), la religion et la piété, la culture ainsi que le pouvoir politique. La première partie, rédigée d’une plume aussi experte qu’intéressante, évoque avec clarté les grands épisodes de la vie de Blanche : les tractations politiques autour de son mariage avec Louis, héritier du roi de France, afin de cimenter la paix entre Capétiens et Plantagenêts (Daughter of the King of Castile, Niece of the King of England) ; les deux dernières décennies du règne de Philippe Auguste, marquées par les soupçons du roi, par une succession d’entreprises militaires ainsi que par la création autour du couple royal d’une familia dévouée ; leur bref règne, qui vit de nouvelles annexions au domaine royal, des projets de croisade et la stabilisation du royaume (Louis viii and Blanche : King and Queen Consort) ; le décès subit du roi et la première régence de Blanche qui, durant ces années critiques, dût défendre le pouvoir royal contre les ambitions des grands feudataires (Queen Regent) ; la majorité de Louis ix, durant laquelle la reine douairière conserva son influence sur le gouvernement royal, aux détriments de celle de la jeune reine Marguerite, et fonda les abbayes du Lys et de Maubuisson (Queen Dowager) ; enfin, la seconde régence, dominée par la septième croisade, la santé déclinante de la reine et son décès subit en 1252 (The Crusade Regency).

Ces épisodes servent comme toile de fond pour illustrer le caractère de Blanche, qui apparaît à la fois comme reine énergique, épouse aimante, mère protectrice, fine politicienne, femme pieuse et patronne généreuse. Si la seconde partie du livre revient abondamment sur ces épisodes, c’est avant tout pour mettre en exergue ces thèmes centraux de la vie de la reine. Grant parvient sans conteste à mettre en lumière la vie, la personne et le règne de Blanche de Castille qui, comme tant d’autres souverains médiévaux, vécut dans l’ombre de ses contemporains : Philippe Auguste, le conquérant et le « fondateur » du gouvernement royal des Capétiens d’une part, et saint Louis, le roi croisé, le justicier et le réformateur, son fils aimé, de l’autre. C’est toutefois avant tout le portrait d’une reine que livre Grant. Blanche de Castille est reine, et toute sa vie elle déploie son énergie et son influence, souvent fort astucieusement, au renforcement du pouvoir royal et du prestige des Capétiens.

L’étude ne s’inscrit cependant pas dans la mouvance de l’histoire féministe, quoique l’auteure ne cache pas l’apport de cette approche au présent exercice[3]. Elle s’en détache rapidement, entendant avant tout présenter Blanche comme dirigeante politique : « There is the danger that the queen, her powers and her activities are seen in isolation from the society in which she operated »[4] écrit Grant. Les obstacles et les défis auxquels elle fait successivement face comme reine, régente et reine douairière ne sont pas inhérents aux femmes de pouvoir au Moyen Âge. Les artifices déployés pour maintenir et renforcer sa position—piété, humilité, patronage religieux et culturel, diplomatie, charme, manipulation—ne le sont pas plus, ceux-ci s’inscrivant plutôt dans un ensemble de pouvoirs employés par les souverains médiévaux en général. Il s’agit finalement d’un bel ouvrage fort bien renseigné, qui signale non seulement l’érudition de Grant mais, aussi, le grand amour de l’auteure envers son sujet d’étude.