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Dans Histoires secrètes, France-Israël, 1948–2018, le journaliste d’investigation Vincent Nouzille propose une vaste enquête de la tourmentée relation franco-israélienne, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de l’État d’Israël. Il s’agit d’un ouvrage de synthèse destiné à un public qui veut en savoir davantage sur les relations « largement mystérieuses » des présidents français avec les dirigeants israéliens[1]. Cette étude sur le long terme permet à l’auteur de déceler les éléments de continuité et de discontinuité dans la relation franco-israélienne, en prenant en considération le contexte évolutif de la politique intérieure de la France en relation avec la progression du conflit israélo-arabe et de ses enjeux qui influenceront considérablement tous deux la relation bilatérale.
L’ouvrage se divise en quinze chapitres abordant chronologiquement différentes périodes des IVe et Ve Républiques françaises. Contrairement à la proposition du titre, le livre débute en 1955, où le jeune Shimon Peres, âgé de 32 ans, visite la France afin d’acheter secrètement de l’armement. Le rapprochement de dirigeants israéliens avec la gauche française de la IVe République est le sujet des deux premiers chapitres. Ensuite, Nouzille s’attaque aux années gaulliennes mouvementées en décrivant l’éloignement progressif de la France sous De Gaulle de la collaboration bilatérale étroite instaurée durant la IVe République, mais également de l’abandon d’une certaine bienveillance réciproque, symbolisée par sa fameuse déclaration sur le peuple juif « sûr de lui-même et dominateur » en réponse à la guerre des Six Jours de juin 1967. C’est néanmoins durant les présidences de Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing que la relation franco-israélienne est au plus bas. L’auteur raconte de manière très romancée l’épisode des vedettes de Cherbourg où Israël a habilement manigancé pour récupérer ses lance-missiles déjà payés, mais non livrés, suite à l’embargo total imposé par De Gaulle en janvier 1969.
Ensuite, Nouzille consacre trois chapitres aux années mitterrandiennes. Le nouveau président socialiste se dit l’ami d’Israël, mais très rapidement adopte une politique plus nuancée en poursuivant le dialogue déjà amorcé avec l’OLP de Yasser Arafat. Par ailleurs, parallèlement à la trame principale du livre, l’auteur aborde l’évolution de la prise de conscience de la problématique palestinienne chez les dirigeants français. Le neuvième chapitre sur la cohabitation Mitterrand/Chirac est particulièrement intéressant, car il souligne un certain arrivisme de Jacques Chirac, qui tente de se démarquer de son adversaire politique par un rapprochement avec Israël. L’aspect opportuniste de cette démarche se dégage quelques pages plus loin lorsqu’est décrit le « virage pro-arabe[2] » du nouveau président qui développera entre autres une relation chaleureuse avec Arafat, ce qui était impensable, selon ses dires, la précédente décennie. Finalement, deux chapitres très liés à l’actualité terminent le livre, dédiés respectivement aux présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande et s’intéressant principalement à l’ambivalence de leurs relations avec Benjamin Nethanyahou, redevenu Premier ministre israélien en 2009, ainsi qu’à la conjoncture internationale quant aux problématiques du nucléaire iranien ou de la guerre en Syrie.
Ce livre interroge indirectement la pertinence d’une production historique écrite par un journaliste d’investigation. Vincent Nouzille ne se prétend pas historien professionnel et l’ouvrage recensé ne se prétend pas scientifique. Par contre, l’auteur eut l’intention de se conformer à une certaine rigueur méthodologique propre à la discipline historique par l’utilisation de nombreuses sources primaires provenant de différents fonds d’archives, principalement du ministère français des Affaires étrangères, des archives nationales, mais également des archives américaines. Les références à ces archives manquent néanmoins de détails pour celui qui voudra les vérifier et les années post-mitterrandiennes reposent parfois sur des sources moins fiables compte tenu de l’indisponibilité des archives très récentes. Plusieurs entretiens effectués par l’auteur proposent des témoignages intéressants et inédits (d’où peut-être le terme accrocheur « Histoires secrètes » du titre) sur les coulisses de la diplomatie, comme celui de François Bujon de l’Estang, mais sont encore une fois référencés avec très peu de détails et leur provenance est parfois imprécise. L’ouvrage comporte 70 pages en annexe, offrant plusieurs retranscriptions de documents d’archives. L’historien qui voudra les utiliser devra faire preuve de précaution, puisque les plus récentes proviennent du site Wikileaks et ont été traduites, tout comme une retranscription d’une archive de la CIA.
Ce qui distingue entre autres ce livre d’un ouvrage purement scientifique est l’étude exclusive (et assumée) des hauts dirigeants, des acteurs, des décideurs, là où l’historien s’intéresserait également (et parfois principalement) aux forces profondes qui régissent les relations interétatiques et influent sur les processus décisionnels des dirigeants. Ce livre n’est pas nécessairement un ajout majeur à l’historiographie, mais l’historien pourra tout de même le consulter comme un ouvrage de référence fiable et éloquent. En effet, sa lecture est agréable compte tenu du style d’écriture captivant et des nombreuses péripéties qui s’y retrouvent décrites à la manière d’un roman policier. Bref, je recommande la lecture de l’ouvrage de Vincent Nouzille, qui a présenté habilement la mouvementée, passionnelle et parfois incohérente relation franco-israélienne depuis la IVe République.