Le 2 décembre 2015, c’était avec fébrilité que je regardais du coin de l’oeil entrer les derniers auditeurs avant l’ouverture du colloque interdisciplinaire Paix, pacifisme et dissidence en temps de guerre, XX-XXIesiècles—j’ignorais encore que cet événement allait être l’élément déclencheur de ce numéro. Qu’allait-il se passer pendant cette journée ? En fait, quelle langue allions-nous parler entre nous ? D’abord, je redoutais certains écueils plutôt prévisibles. Il est bien établi que la spécialisation mène souvent à une compartimentation des savoirs et à l’édification d’un jargon bien évidemment nécessaire. Plus largement, au-delà des mots s’ajoute une « grammaire » disciplinaire, à savoir : la rigueur ou la flexibilité des cadres théoriques ; l’art de l’analyse et de l’argumentation d’un sujet ; le degré de liberté par rapport au devoir d’inscrire ses idées à l’intérieur d’écoles ou de courants de pensée ; les périodes et sujets de prédilection ; … la liste pourrait s’allonger indéfiniment. Ensuite, pour qu’une discussion interdisciplinaire fructueuse ait lieu, il faut que les participants arrivent à vulgariser leurs idées pour qu’elles soient simples à comprendre sans pour autant devenir simplistes, dépouillées de leur richesse et de leur finesse. Simplement placer côte à côte un historien et un sociologue n’a aucune plus-value ; ce qui est recherché, c’est l’élargissement, voire le bouleversement des perspectives au contact d’experts oeuvrant dans une autre discipline sur une problématique donnée. Un exercice beaucoup plus facile à prescrire dans une introduction qu’à mettre en oeuvre. Le 2 décembre 2015, la plupart des chercheurs ont trouvé le juste langage et ce faisant, certains—dont quelques-uns qui se sont ultimement retirés du projet, ou y ont participé uniquement pour la réflexion—ont voulu poursuivre. J’en fais partie. Un premier appel a donc été lancé aux participants du colloque à l’hiver 2016, puis, plusieurs mois plus tard, le numéro a été ouvert à des chercheurs n’ayant pas participé à l’événement. Ce deuxième appel est tout sauf anecdotique, car entretenir l’esprit de collégialité et l’expérience acquise au colloque était autrement plus difficile à faire à distance. J’y reviendrai. Les lignes qui suivent ne portent donc pas sur l’historiographie de la paix ou de la guerre, mais se veulent plutôt une réflexion sur la « mécanique » du dialogue interdisciplinaire. Comme directeur de ce numéro, j’ai joué le rôle d’intermédiaire entre les collaborateurs et leurs diverses interprétations de la thématique. Il me fallait aussi clairement établir la pertinence d’utiliser des méthodes d’autres disciplines que celle historienne, même s’il s’agissait de publier dans une revue d’histoire. Je vous propose ici mes réflexions, que j’ai tenté d’enrichir de témoignages et d’entrevues menées avec des participants du colloque de décembre 2015 ainsi qu’avec des collaborateurs n’y ayant pas participés mais qui ont permis à ce numéro d’exister. Pour leurs rétroactions et leurs commentaires sincères, parfois même quasiment intimes, je les remercie chaleureusement ; par ces échanges informels, nous avons pu ainsi poursuivre le dialogue sur les thèmes et sur la méthode. La conception du thème, de sa déclinaison et de sa plage temporelle se voulaient aussi ouverts et rassembleurs que possibles. La dissidence, la paix, la guerre sont des sujets à portée plutôt universelle ; quant au choix d’accorder des espaces spécifiques aux idées, aux mouvements sociaux et aux institutions, le but était d’offrir un espace tant aux études littéraires qu’à la philosophie ou à des courants spécifiques de l’histoire ou des sciences sociales. La plage temporelle des XX-XXIe siècle se voulait également un compromis pour que temporellement, les chercheurs issus diverses disciplines puissent se sentir en terrain familier. L’une de mes craintes, si j’ouvrais la discussion du …
Introduction[Record]
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Alexandre Dubé
MA en histoire, Université de Montréal, Canada