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Bien des choses ont été dites sur la grève étudiante et le mouvement de contestation sociale de 2012 au Québec. Parfois célébré, parfois nié, souvent questionné sur sa pertinence et sa légitimité, cet élan de remise en cause d’une certaine conception de la société a laissé peu de gens indifférents. Divers ouvrages sont parus depuis afin de dresser des bilans de cette période. [1] On s’en câlisse : histoire profane de la grève… se distingue parce qu’il cherche plutôt à en faire une histoire non définitive et ouverte, dont l’un des objectifs est de poursuivre la réflexion et la contestation amorcée par la grève. S’éloignant de l’image romantique souvent accolée à ces évènements, ces propos collectifs, anonymes et assumés solidairement, offrent des témoignages ainsi que des analyses visant à les raconter de l’intérieur. Le but des auteurs est clair : rendre compte d’un mouvement atypique qui s’inscrit dans les luttes sociales actuelles et en faire comprendre la puissance de rupture. D’entrée de jeu, la chose est dite et assumée : « Cette fois, pour une fois, ça a pogné, sans aucun doute. Le Québec n’est plus en reste. Ici aussi le sol peut trembler, des brèches s’ouvrir, les mots fuser. » [2]
Principalement construit pour refléter chronologiquement les différentes phases de la grève, de sa période préparatoire à l’élection du 4 septembre 2012, le livre débute toutefois par trois chapitres thématiques. Ces chapitres servent à éclaircir des aspects fondamentaux de la lutte sociale ici décrite. Dans le premier, les auteurs présentent les particularités sociales et historiques québécoises, qui expliquent à la fois la frilosité de cette société envers la rupture marquante que fut la grève et les conditions l’ayant permise. Une attention particulière est portée au contexte symbolique, institutionnel, psychologique, physique et urbanistique. Le deuxième chapitre décortique la préparation de la grève par l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), le mode de fonctionnement d’une certaine démocratie étudiante, la stratégie médiatique de la Coalition large de l’ASSÉ (CLASSE) et la mécanique de fonctionnement de type syndical de ces associations. Le troisième chapitre tente ensuite de démontrer que la hausse des frais de scolarité décrétée par le gouvernement libéral de Jean Charest sert à instaurer une culture de la dette chez les étudiants : « Le régime de la dette assure l’objectif politique de la mise au travail. » [3]. Pour les auteurs, cette décision a pour but ultime de transformer à plus long terme le rapport des citoyens québécois à la politique et à l’économie, pour transformer le citoyen en utilisateur—payeur.
Les sections suivantes décrivent les diverses étapes de la grève, en insistant sur les éléments qui ne font pas consensus, plutôt que d’évoquer ce qui rassemble telle la défense de l’éducation. Des débuts de la grève aux élections en passant par les casseroles, de l’aspect fondamental puis spectaculaire des manifestations et des émeutes, de la répression puis de la violence, sans oublier le traitement médiatique des évènements, tout y est analysé et raconté pour créer un récit sans complaisance envers le pouvoir.
Tant dans le ton que dans le propos, cet ouvrage se veut irrévérencieux et il assume son parti pris. Écrit militant revendiqué, critique des médias, de la « majorité silencieuse », de la classe politique et de la pensée économique néolibérale, sa partialité peut déranger, mais est utile afin de confronter les lecteurs et lectrices. Le style clair et direct rend la lecture accessible et compréhensible. L’alternance entre l’analyse et les témoignages permet d’illustrer de manière simple l’expérience que furent ces mois de grève et de contestation. Cependant, le point de vue endossé donne parfois l’impression d’un manque d’ouverture envers d’autres manières de concevoir les luttes sociales. Bien qu’ils appuient les mouvements sociaux, les auteurs critiquent ceux qui utilisent des approches différentes pour exprimer leur dissidence, comme les pacifistes ou les partisans de la politique traditionnelle. Finalement, certaines affirmations peuvent sembler exagérées et manquer de nuances, par exemple la comparaison entre la démocratie et les rapports sociaux versus l’argent et les biens matériels.
Malgré ce point de vue tranché, la lecture de ce document est recommandée, ne serait-ce que pour avoir un témoignage et une analyse qui détonnent des publications existantes sur la grève étudiante. Pour ceux et celles qui ont vécu les évènements de 2012 et qui sont au fait de la chronologie, les chapitres thématiques sont les plus enrichissants, particulièrement celui qui disserte sur la culture de la dette et la marchandisation de l’éducation. Dense et érudit, faisant entre autres appel aux philosophes Lytoard, Deleuze et Benjamin, l’ouvrage collectif On s’en câlisse… souhaite initier la poursuite éventuelle d’un mouvement de contestation sociale : « Nous n’écrivons que pour fournir les armes susceptibles de prolonger la fêlure ouverte par la grève. » [4]
Appendices
Notes
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[1]
Voir notamment : Maude Bonenfant, Anthony Glinoer, Martine-Emmanuelle Lapointe, dir., Le printemps québécois : une anthologie, Montréal, Écosociété, 2013, 332 p.
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[2]
On s’en câlisse : histoire profane de la grève, printemps 2012, Québec, collectif de débrayage, Montréal, Sabotât, Genève, Entremonde, 2013, p. 9.
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[3]
Ibid., p. 59.
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[4]
Ibid., p. 16