Dans son Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne, Andrée Rivard s’intéresse à l’expérience de l’accouchement dans le Québec de la seconde moitié du XXe siècle. Adoptant une perspective féminine et féministe, l’auteure fait reposer son étude sur l’analyse minutieuse d’un large éventail de sources : archives gouvernementales et paragouvernementales, articles de journaux et de revues, écrits d’éducatrices prénatales, guides et manuels médicaux, publications d’associations du domaine périnatal, archives du Centre psychoprophylactique d’accouchement sans douleur de Québec, et même quelques récits de vie. L’ouvrage est divisé en sept chapitres, dont les deux premiers posent les bases théoriques de l’analyse et montrent comment la médecine s’est constituée depuis la Renaissance comme une icône de la modernité, ce qui ne manquera pas de faire en sorte que la génération lyrique, empruntée à François Ricard, soit si encline à accepter la vision médicale de l’accouchement afin de goûter enfin au progrès. Cependant, Rivard montre dans son troisième chapitre que les Québécoises ont montré dès les années 1960 de l’intérêt pour une participation plus active au cours de l’accouchement, et que plusieurs méthodes d’accouchement « conscient » ou « sans douleur » développées ailleurs dans le monde ont connu une diffusion au Québec. Constituant une sorte de parenthèse dans l’ouvrage, le chapitre quatre se penche plus particulièrement sur l’expérience du Centre psychoprophylactique d’accouchement sans douleur de Québec, dont l’auteure a dépouillé les archives jamais exploitées. Si le faible nombre de Québécoises ayant eu recours aux services de ce centre (537 en 11 ans) peut remettre en question la pertinence d’y consacrer un chapitre, tant cela représentait un phénomène marginal, force est de constater que les difficultés rencontrées par les intervenantes du centre et les parents souhaitant avoir recours à ses services mettent en lumière la volonté de contrôle des médecins et du personnel hospitalier, ainsi que leur manque d’ouverture pour une participation plus active de la mère dans l’accouchement. Le chapitre cinq montre que cela ne s’améliore guère dans les années 70 et 80 et qu’en dépit d’un progrès certain en matière de mortalité maternelle et infantile, l’humanisation de la naissance réclamée par les femmes est reléguée au second plan par la volonté de l’autorité médicale de contrôler les risques. En dépit de la contestation, des pratiques subversives d’accouchement à la maison et de la réintroduction de la pratique des sages-femmes, le chapitre six termine sur l’idée que les militantes ont surtout réussi à humaniser la médicalisation de la naissance, sans toutefois réussir à la freiner. Alors que cela aurait pu conclure l’analyse, Rivard a choisi de consacrer un chapitre supplémentaire à l’analyse des dix récits de vie récoltés par l’auteure auprès de femmes ayant donné naissance au cours de la période étudiée. Les récits ne manquent certainement pas d’intérêt, mais puisqu’ils couvrent toute la période, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi l’auteure ne les a pas intégrés à l’analyse au fil de l’ouvrage, dont la structure est chronologique. Malgré ce traitement séparé, ces récits apportent un complément fort bienvenu aux archives traditionnelles. L’ouvrage est agréablement écrit et complète bien les différentes études sur la médicalisation de la maternité, qui n’avaient pas abordé spécifiquement l’accouchement au Québec, et encore moins la seconde moitié du vingtième siècle. On découvre avec intérêt le rôle qu’a joué une revue comme Châtelaine dans la prise de conscience collective et la diffusion d’idées novatrices en matière d’accouchement. L’auteure réussit à livrer une analyse sociohistorique de la lutte des femmes pour l’humanisation de la naissance qui sera utile aux chercheurs, tout en étant accessible à un public plus large, car elle parvient à faire appel …
Andrée Rivard, Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2014, 448 pages[Record]
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Christine Labrie
Candidate au doctorat en études des femmes, Université d’Ottawa