Selon Bruno Latour, l’expression science of the social présenterait deux défauts : les mots « science » et « social ». Ce problème de la « sociologie en tant que science » occupe une place importante dans l’ouvrage de Martin et ce n’est pas un hasard, l’auteur fonde son travail depuis sa thèse doctorale sur l’oeuvre entière de Latour. Cet ouvrage peut être perçu comme un (long) argument contre les « présomptions » du courant intellectuel postmoderniste telles qu’elles sont reprises dans le domaine de l’archéologie interprétative. Les quatre premiers chapitres, sur un total de sept, sont consacrés à l’étude des notions de la philosophie latourienne qui pourraient être appliquées aux interprétations des données empiriques. Citant à profusion Latour, Martin argumente que les conclusions auxquelles ce premier arrive, notamment celles portant sur la pratique des sciences naturelles, doivent être considérées dans le domaine de l’archéologie afin de libérer celui-ci des explications recourant aux faits comme étant composés d’un « matériau sociologique ». D’après Martin (et d’après Latour), il est insensé de chercher à expliquer les faits en se servant de « forces sociales », puisque de telles « forces » n’ont pas d’existence indépendante et que les faits « sociaux » doivent être perçus comme des effets plutôt que des causes. Le chapitre 4 comprend aussi une critique de la typologie archéologique qui contribuerait à imposer un caractère figé aux données. Dans le chapitre 5 , Martin propose une méthodologie fondée sur la théorie latourienne et adaptée au domaine archéologique qui permettrait de contourner le recours à la « théorie sociologique » dans les explications de la culture matérielle, ainsi que de détecter dans les vestiges archéologiques les traces de conflits – ceux-ci étant perçus comme un type de processus important dans la formation et dans la (re)définition des groupes. À ce sujet, un exemple intéressant, celui de l’émergence de la crémation en Europe moderne, y est analysé. Enfin, cette méthodologie est appliquée dans deux études de cas qui composent les deux derniers chapitres de l’ouvrage. Dans le chapitre 6, l’auteur réexamine le contexte des monticules de la culture préhistorique du Wessex du centre et du sud de l’Angleterre, en argumentant qu’on peut y observer des « pratiques culturelles » qui indiqueraient un conflit axé sur des points de vue divergents de la cosmologie des groupes habitant la région. L’exercice est répété dans le dernier chapitre, cette fois à l’endroit des tumuli de la culture Hopewell situés dans l’état de l’Illinois, dans la vallée de la rivière éponyme. L’ouvrage de Martin réussit à atteindre le but que l’auteur s’est fixé, à savoir présenter la « philosophie » de Latour et une méthodologie qui permettrait de l’appliquer dans les interprétations archéologiques. Un des éléments les plus importants de cette « philosophie » est la fluidité qu’elle accorde non seulement aux évènements, mais aussi aux objets et aux contextes qui les alimentent. Il est donc étonnant de constater que, suite à une critique convaincante et tout à fait juste de l’impuissance de l’approche « typologique » de ne tenir compte de cette fluidité. Car Martin décide de remplacer celle-ci par… une approche également « typologique ». De ce fait, la méthode de Martin, ou du moins son élément technique, est prédestinée à fournir des résultats bien fixes (problème dû à une confusion entre « processus » et « résultat », voire même entre « motif », « raison » et « cause », perceptible dans l’oeuvre latourienne). Ainsi, les vestiges qui signaleraient au chercheur la présence de l’expression matérielle d’un conflit ne remplissent pas leur rôle puisque les conflits sont des processus …
Martin M. Andrew, Archaeology beyond Postmodernity : A Science of the Social, Lanham – Londres – New York, AltaMira Press, 2013, p. 258[Record]
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Ivan Marinov
PhD Histoire, Université de Montréal