Spécialiste de l’histoire environnementale, Tina Loo a examiné tout au long de sa carrière les relations complexes entre l’État, les populations et les différents modes d’aménagement du territoire. Moved by the State s’inscrit dans le prolongement de cette perspective en proposant une lecture stimulante de l’interventionnisme de l’État canadien dans l’économie de l’après-guerre. Conjuguer les impératifs de la croissance économique aux idéaux de redistribution de la richesse détermine l’approche retenue : « Poverty and lack of social security were entry points for the Canadian state to pursue its larger disciplinary project of ruleto pursue its larger disciplinary project of rule » (p. 55). À partir d’études de cas d’un bout à l’autre du pays, Tina Loo étudie l’une des facettes les plus spectaculaires et troublantes de cette époque de « dirigisme libéral » : les projets de réaménagement du territoire à grande échelle impliquant le déplacement de populations (« forced relocation »). La longue introduction (p. 3-27) qui coiffe l’ouvrage explique l’environnement idéologique plus large à l’intérieur duquel l’État met en avant ses initiatives de développement planifié. Celles-ci sont de deux ordres : les projets de « rénovation urbaine » (« urban renewal ») et les projets de développement régional et rural, qui trouvent tous leur justification dans la volonté de rehausser le niveau de vie des populations les moins favorisées du pays. « Making a good life » tient pour l’essentiel dans cet énoncé : « access to job and services, improved housing, and modern conveniences like sewers and safe water » (p. 6). Loo souhaite faire évoluer le récit de ces épisodes de grands réaménagements parrainés par l’État, rappelant que l’après-guerre est aussi une période d’espoir, « the time when people believed governments could and, more importantly, should intervene to improve the lives of citizens » (p. 7). L’historiographie ayant jusqu’à présent mis l’accent sur la voix des expropriés en soulignant leur traumatisme, leur ressentiment et leur résistance, l’auteure choisi plutôt souligner le rôle des agents de l’État qui ont planifié et géré les déplacements, soit les politiciens, les fonctionnaires, les « university-based experts » et les autres professionnels. L’auteure cherche plus spécifiquement à comprendre de quelle manière « [t]heir motives, rationales, and actions reveal a different aspect of the political culture of postwar Canada » (p. 7). Loo consacre ses trois premiers chapitres à des expériences de développement régional ou rural. L’intervention auprès des communautés inuites du Grand Nord, aux prises avec des problèmes de malnutrition et d’importantes lacunes dans les soins médicaux de base, offre une première étude de cas (chap. 1). L’État lance un « programme de modernisation » dans le district de Keewatin (aujourd’hui au Nunavut) en privilégiant le regroupement des communautés dispersées sur le territoire dans des établissements permanents pour faciliter l’accès aux services. Les coopératives de développement créées dans la foulée représentent plus que de « simples outils d’assimilation gouvernementaux » : « [t]hey were vehicules for capital accumulation and redistribution … [and] they were meant to discipline the Inuit to Western forms of democracy and to teach them how to subvert power » (p. 54). Cette histoire du Nord procède donc d’un double mouvement de colonisation et de décolonisation selon Loo : celui d’un État qui discipline et impose son pouvoir, et celui des populations qui limitent son pouvoir en instaurant des balises à l’intérieur desquelles il peut s’exercer. Le même élan interventionniste centralisateur incite les gouvernements fédéral et provincial à mettre en route le Fisheries Household Resettlement Program à Terre-Neuve (chap. 2). L’ambition repose sur un double objectif de modernisation de l’économie des pêches et d’accès aux services. Appuyé …
Loo, Tina. Moved by the State. Forced Relocation and Making of a Good Life in Postwar Canada (Vancouver, UBC Press, 2019), 296 p.[Record]
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Jean-René Thuot
Université du Québec à Rimouski