Dans un contexte où les institutions d’enseignement cherchent à mettre en avant les valeurs d’équité, de diversité et d’inclusion, il semble peu à propos de prôner un retour à l’enseignement d’une histoire nationale dans le cursus scolaire du Québec. Cela pour plusieurs raisons, mais citons principalement l’importance de reconnaître et d’intégrer au discours collectif les différentes minorités (par exemple racisées, genrées ou ayant un handicap) longtemps stigmatisées par un discours identitaire fondé sur la reconnaissance d’une majorité représentative d’une certaine « normalité » collective. Autrement dit, la promotion de l’histoire nationale semble aller à contre-courant et soulève la crainte d’une dérive idéologique identitaire au nom d’une représentation fixe de l’unité nationale, donc d’un retour à des clivages malsains entre la majorité et les minorités issues de la diversité. Pourtant, et c’est la question que se pose Gérard Bouchard, est-ce que les effets négatifs du discours valorisé par les histoires nationales ne sont pas attribuables à un contexte d’affirmation identitaire qui s’est modifié avec le temps et qui n’a plus la même emprise aujourd’hui ? Est-ce qu’il n’est pas normal, aussi, qu’une société cherche à se définir dans la longue durée, dans un récit national servant à comprendre les valeurs de la collectivité, et cela, même dans le contexte où l’on met en avant la diversité ? Ce qui serait caduc, ce n’est pas l’enseignement de l’histoire nationale, mais plutôt les intentions idéologiques qu’on donne à cet enseignement. Pour Bouchard, plutôt que de rejeter l’histoire nationale, il semble important aujourd’hui d’en repenser les contours à partir des valeurs qui régissent nos sociétés et de donner aux élèves une vision historique nuancée de ces sociétés permettant de les expliquer à travers l’histoire des lieux. L’ouvrage de Gérard Bouchard se veut ainsi un plaidoyer en faveur de l’enseignement de l’histoire nationale dans les écoles québécoises pour contrer la crise des fondements symboliques de la collectivité. Ce plaidoyer est présenté à travers quatre grandes parties qui totalisent 10 chapitres. Cette division permet à l’auteur de répondre à la critique faite par de nombreux historiens et historiennes à l’idée de promouvoir une histoire nationale, d’explorer la manière dont l’histoire nationale a été présentée par les différents manuels scolaires du 19e siècle à nos jours et, finalement, d’établir les valeurs qui pourraient être intégrées à l’enseignement de l’histoire repensée de la nation. L’objectif étant toujours de souligner l’importance de l’enseignement de l’histoire nationale autour de valeurs présentées comme déterminantes et rassembleuses pour la société québécoise. Dans un premier temps, Bouchard prend acte des critiques adressés à l’histoire nationale et concède d’emblée que « la majorité [des] griefs ne sont pas sans fondement si on s’en remet à l’histoire nationale telle qu’elle était pratiquée traditionnellement au Québec, au service inconditionnel de la religion et de la “nationalité” » (p. 33). Mais ces griefs reposent principalement sur l’utilisation qu’on a faite de l’histoire nationale, au sens où le récit a été formulé de manière à répondre à un objectif idéologique précis. En un sens, l’histoire nationale aurait été détournée pour répondre à des impératifs identitaires. Or, la pratique historienne est désormais soumise à « des mécanismes d’évaluation et de critique qui réduisent substantiellement le potentiel de dérogations » (p. 33). C’est en s’appuyant sur une vision scientifique du domaine qu’il est possible, selon Bouchard, de contourner les écueils idéologiques et de proposer une histoire nationale qui vient appuyer les valeurs qu’on reconnaît au coeur de la société québécoise et dont il faut retrouver les traces dans l’histoire nationale pour en comprendre l’importance. C’est en quelque sorte l’héritage de ces valeurs puisées dans les mythes fondateurs qu’explore Bouchard …
Bouchard, Gérard. Pour l’histoire nationale. Valeurs, nation, mythes fondateurs (Montréal, Boréal, 2023), 396 p.
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Jimmy Thibeault
Université Sainte-Anne
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