Malgré leur proximité, ces quartiers connaissent un passé et un présent qui divergent — divergences qui s’expliquent, selon Steven High, par l’imbrication complexe des rapports entre résidence, race et classe. En effet, si la population industrielle de la Pointe est majoritairement blanche, qu’elle soit francophone ou anglophone, d’origine canadienne-française, irlandaise ou anglaise, catholique ou protestante, celle de la Black city below the hill se voit exclure du travail industriel par le racisme ambiant et par la logique raciale du capitalisme, et cantonnée dans des emplois subalternes, hors de l’usine, comme porteurs pour les wagons-lits. Les relations entre les deux quartiers et la culture ouvrière qui prend racine dans chacun seront façonnées par cette articulation du rapport entre classe et race. La déstructuration de ces espaces de vie et la délocalisation de leurs populations respectives emprunteront aussi des chemins spécifiques conditionnés par leurs caractéristiques raciales et sociales. L’auteur examine aussi la capacité de résistance et de mobilisation différenciée de leurs résidents face aux nouvelles réalités postindustrielles et à la gentrification. L’étude se termine par un portrait des deux quartiers aujourd’hui. L’auteur y dénonce les représentations incomplètes, voire fautives du passé, qu’il soit récent ou plus éloigné, qui sont véhiculées dans les memorial landscapes des deux quartiers, représentations qui évacuent l’expérience ouvrière et les luttes collectives au profit d’une vision esthétisante du patrimoine industriel et d’une évocation romantique de l’âge d’or du jazz dans la Petite-Bourgogne. Steven High insiste au contraire sur la complexité du passé et sur l’urgence de reconnaître l’histoire récente, difficile et violente de la transition postindustrielle. Il est impossible de rendre justice, en quelques mots, au contenu de cet ouvrage exceptionnel. Il constitue un apport remarquable à l’histoire ouvrière, urbaine et politique de Montréal et de sa communauté noire. En même temps, il s’inscrit dans un dialogue nord-américain et international sur les dynamiques et les conséquences de la désindustrialisation à l’échelle de la ville et du quartier. L’ouvrage se démarque également par la richesse et la diversité du matériel documentaire qui nourrit l’analyse et par son intégration efficace et respectueuse d’extraits des récits de vie de nombreux résidents de ces quartiers. Il témoigne ainsi de l’expertise et de l’engagement de Steven High dans la pratique de l’histoire orale et de l’histoire publique. Par leur valeur documentaire et mémorielle, les paroles de ces hommes et de ces femmes ajoutent à la force de l’étude et suscitent l’émotion du lecteur, tout comme les photographies tirées d’albums de famille et les oeuvres artistiques qui les accompagnent. Enfin, soulignons les qualités esthétiques de ce livre dont la facture soignée reconnaît et rend hommage aux acteurs de cette histoire. Dans La guerre d’indépendance des Canadas. Démocratie, républicanismes et libéralismes en Amérique du Nord, Julien Mauduit présente une analyse ambitieuse et novatrice de l’histoire des patriotes en la décloisonnant de son contexte national. En proposant une histoire transnationale des Rébellions, liant les destinées des révolutionnaires du Bas-Canada, du Haut-Canada et des États-Unis, Julien Mauduit parvient à montrer de manière convaincante que cette « guerre d’indépendance » des Canadas constitue « un phénomène continental d’une grande ampleur ». Appuyant son argumentaire sur un nombre impressionnant de sources, notamment états-uniennes, et sur une connaissance profonde de l’historiographie nord-américaine des Rébellions, l’auteur analyse de manière complexe et nuancée cet épisode révolutionnaire en insistant sur les idéaux portés par ceux qui se sont battus pour démocratiser le pouvoir politique. L’ouvrage témoigne d’une maîtrise de plusieurs champs de l’histoire : histoire sociale des idées, en mettant en lumière la complexité des idéaux républicains et des paradoxes qui les traversent, histoire militaire, en évoquant les stratégies des révolutionnaires, histoire économique, …