Comptes rendus

Vézina, Caroline. Jazz à la Créole. French Creole Music & the Birth of Jazz (Jackson, University Press of Mississippi, 2022), 248 p.

  • Jean-Pierre Bruneau

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  • Jean-Pierre Bruneau
    Chercheur indépendant

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Cover of Volume 77, Number 3, Winter 2024, pp. 1-213, Revue d’histoire de l’Amérique française

Né avec le 20e siècle, fruit d’un syncrétisme de traditions musicales africaines, afro-caribéennes et européennes, le jazz ne pouvait apparaître qu’à la Nouvelle-Orléans, ville multiculturelle complexe devenue « américaine » en 1803. Cet ouvrage présente l’intérêt de détailler, pour la première fois de manière approfondie, le rôle prépondérant de la communauté afro-créole (comme on disait alors) dans la gestation du jazz. L’étude débute par une copieuse et nécessaire clarification sur la créolité, notion protéiforme s’il en est, faisant l’objet d’interprétations controversées, variables dans le temps comme dans l’espace. Il est aujourd’hui couramment admis qu’un Créole louisianais descend d’ancêtres de langue romane, de religion catholique, nés sur le territoire de la Louisiane coloniale, sans distinction de race ou de couleur de peau. Il est des Créoles blancs, noirs et métissés. Leur identité est basée sur des critères culturels, religieux et linguistiques, et non sur la génétique. Dans le chapitre intitulé « Les précurseurs du jazz », l’autrice décrit l’omniprésence des divers types de musique qui imprégnaient la société et qui ont tous contribué à la naissance de ce nouvel idiome musical : blues, spirituals, chants de travail, cris « chantés » des vendeurs de rue, musiques de danse européennes, vaudeville et opéra, musiques classiques, militaires et même religieuses. On y découvre ainsi le rôle étonnant des Ursulines venues fonder un couvent en 1728 et chargées de l’éducation des jeunes filles, blanches comme noires (le Code noir faisait obligation d’évangéliser les esclaves). Il semble que certaines de ces nonnes, adeptes de la musique baroque, aient enseigné à leurs ouailles des techniques propres à ce genre musical, l’ostinato (basse obstinée ou continue) et les notes inégales, techniques que l’on retrouvera plus tard dans le swing. Autre singularité d’une importance considérable : la permission donnée aux esclaves et à leurs descendants de se réunir chaque dimanche, de 1730 à 1880 (hormis quelques périodes d’interdiction comme durant la guerre de Sécession), sur la place Congo (Congo Square) à l’orée du Vieux carré français. Dans ce lieu de socialisation on pouvait faire commerce, boire et manger, chanter et danser sur des polyrythmies africaines ou afro-caraïbes comme la bamboula ou la calinda. Le créole blanc Louis Moreau Gottschalk, compositeur classique et pianiste, s’inspira de ces sonorités et influença à son tour le ragtime, joué notamment par des Afro-Américains dans les cinémas muets à partir de 1896, une musique syncopée aux variations brusques (ragged) pour coller aux images. Cependant, cette effervescence musicale n’était pas forcément prisée des autorités qui contrôlaient la ville depuis 1803. Le premier gouverneur du territoire de la Louisiane, C.C. Claiborne, estimait que « ces gens (les Créoles) sont ingouvernables car ils ne pensent qu’à danser ». Avec l’arrivée progressive de populations venues du reste des États-Unis, ce sont deux communautés, deux religions, deux civilisations aux philosophies très différentes qui s’affrontent. La société industrielle, plus dynamique, devait peu à peu absorber la société créole. En 1871, à la fin de la période dite de Reconstruction après la guerre civile, l’application de la règle de l’unique goutte de sang (one-drop rule) signe l’abandon du statut spécial et des privilèges accordés aux Créoles de couleur. Une partie d’entre eux a pourtant essayé de résister en tentant de combiner les préceptes du siècle des Lumières et ceux du catholicisme, mais le combat était par trop inégal. Homer Plessy et son Comité des citoyens sont allés jusqu’à la Cour suprême à Washington. En pure perte. L’arrêt Plessy contre Ferguson de 1896 devait geler la ségrégation raciale jusqu’en 1964. À la lecture de Jazz à la Créole, on peut estimer que la gestation du …