Comptes rendus

Namaste, Viviane. Savoirs créoles. Leçons du sida pour l’histoire de Montréal (Montréal, Mémoire d’encrier, 2019), 353 p.[Record]

  • Camille Gambi-Arnold

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  • Camille Gambi-Arnold
    Université catholique de Louvain et Université d’Ottawa

Le livre examine en six chapitres l’histoire de l’association des Haïtiens et des Haïtiennes avec le sida. Le premier chapitre retrace le contexte historique et social de l’émergence de la communauté haïtienne à Montréal. Y sont notamment abordés le racisme auquel les Montréalais d’origine haïtienne étaient confrontés avant l’arrivée du sida mais aussi le climat de silence généralisé qu’a exporté la dictature duvaliériste au sein de leur quotidien. Le chapitre suivant explique comment est apparue l’association au sida des personnes d’origine haïtienne. À cet égard, un communiqué de la Croix-Rouge de 1983 les identifiant comme un « groupe à risque », diffusé par divers médias, est vécu par la communauté comme un véritable « tremblement de terre » (p. 85). La recherche dévoile le rôle qu’ont joué les médias communautaires haïtiens et une série d’actions militantes pour tenter de dissoudre cette association génératrice d’importantes souffrances en dénonçant notamment le manque de données sur lequel reposait le communiqué mais aussi son choix de reprendre aveuglement les savoirs provenant des États-Unis. Les formes d’exclusion qu’ont vécues les Haïtiens de Montréal, émanant tant de l’extérieur que de l’intérieur de la communauté, sont examinées dans le troisième chapitre. On apprend qu’ont été ainsi stigmatisés non seulement les personnes atteintes du sida mais aussi, plus généralement, les enfants et les femmes de la communauté, et cela, sous les aspects tant publics que privés de leurs vies. Namaste insiste sur le fait que ces discriminations ont généré d’autres maux, tels que l’isolement, la peur et le silence au sein de la communauté. Dans le quatrième chapitre, l’autrice se penche sur le rôle crucial qu’ont joué des travailleuses de l’ombre (infirmières et travailleuses sociales) de la communauté haïtienne face à la crise du sida à Montréal. Leur présence en première ligne a en effet largement dépassé la prise en charge des personnes atteintes du sida. Namaste explique qu’en plus de l’appui communautaire de proximité qu’elles ont apporté, ces travailleuses ont été de réelles créatrices de savoir en assumant un rôle d’éducation à la maladie. Le chapitre suivant examine la question du militantisme qui a émergé au sein de la communauté haïtienne en réponse à la crise du sida. L’activité militante a poursuivi une double visée : soutenir les personnes souffrant de la maladie et dénoncer le racisme. Si la réponse militante à cette crise a permis de renforcer les liens au sein de la communauté, elle a également aidé le Canada à s’affranchir de la logique états-unienne. Finalement, le dernier chapitre est consacré aux actions de prévention du sida qui se sont singularisées par rapport aux stratégies d’éducation de l’époque, notamment par le rôle central des femmes dans la mise en oeuvre de ce travail au quotidien. Humilité, complexité et cohérence traversent et caractérisent Savoirs créoles. Humilité d’abord, parce qu’en adoptant un grand principe créole : sa w pa konnen pi gran pase w (« ce que vous ne savez pas vous dépasse »), Namaste reconnaît tout au long de sa recherche qu’on ne peut tout saisir. Complexité ensuite, car l’ouvrage ne cède jamais à la tentation de la binarité : l’autrice privilégie le « et » plutôt que le « ou ». « L’histoire du sida à l’égard de la communauté haïtienne à Montréal doit à la fois dissocier un lien immédiat entre toute personne d’origine haïtienne et le sida et reconnaître qu’il y avait des personnes de la communauté affectées par cette maladie », écrit-elle (p. 173). C’est enfin par sa cohérence et son souci de conjuguer avec rigueur les choix épistémologiques, théoriques et méthodologiques entre eux que cet ouvrage se démarque.