Comptes rendus

Lacasse, Simon-Pierre. Les Juifs de la Révolution tranquille. Regards d’une minorité religieuse sur le Québec de 1945 à 1976 (Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2022), 323 p.[Record]

  • Yolande Cohen

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  • Yolande Cohen
    Université du Québec à Montréal

Voici un ouvrage très attendu qui fait le point sur les débats houleux concernant les rapports entre minorité juive et majorité québécoise durant la période d’effervescence de la Révolution tranquille tout en approfondissant la question cruciale de l’antisémitisme au Québec. Cette étude s’inscrit dans le prolongement des travaux de Pierre Anctil sur ces relations et jette un éclairage nouveau sur les perceptions de quelques-uns des porte-paroles juifs à l’égard des événements majeurs qu’a connu le Québec de l’immédiat après-guerre à 1975. À partir d’une analyse fine des discours et positions des journalistes et écrivains et des responsables communautaires qu’il rassemble dans une catégorie large d’activistes, Simon-Pierre Lacasse montre comment ces hommes perçoivent ces rapports et élaborent le positionnement qu’on imagine être celui d’une communauté juive, laquelle est tout sauf unifiée. Se penchant sur la période de l’après-Shoah, cette étude permet de mieux comprendre les façons dont s’est construit un dialogue plus apaisé entre le parti souverainiste et les Juifs depuis de la Révolution tranquille, lequel est en contraste avec la période d’hostilité des années 1920 et 1930. Plus globalement, ce livre nous incite à repenser les rapports entre minorités religieuses et majorité dans un Québec qui négocie sa sortie d’un catholicisme omnipotent pour s’engager dans une laïcité encore balbutiante. Enfin, ce livre est une contribution très originale aux études juives et aux études québécoises et renouvelle nos perspectives sur la présence et l’histoire des judaïcités au Québec, à partir d’une analyse fine de la presse juive pendant la période des Trente Glorieuses. Dix chapitres scandent cet ouvrage dense et très bien documenté, dont trois traitent de l’antisémitisme, objet d’intenses controverses entre les historiographies québécoise francophone et canadienne anglophone. Les trois premiers chapitres établissent les paramètres d’une relation asymétrique entre une minorité juive principalement anglophone (les sépharades francophones arrivent à la fin de la période étudiée) et une majorité francophone d’origine canadienne française, à partir de l’étude de la presse ethnique juive (essentiellement de langue anglaise). À travers les positions de porte-paroles de la communauté tels que Saul Hayes et Joseph Kage qui s’expriment dans l’organe du Congrès juif canadien, CongressBulletin, ou au Canadian Jewish Chronicle, un organe plus indépendant où se retrouvent d’influents écrivains (A.M. Klein, Solomon Frank, David Novek, Max Melamet), on apprend comment se tissent les timides rapprochements de l’immédiat après-guerre. Avec le comité Saint-Paul fondé en 1946, Mgr Charbonneau amorce un premier contact avec les Juifs, sans pour autant abandonner l’idée de les convertir ; il faut attendre le concile oecuménique de Vatican II en 1962 pour que soit abandonnée la doctrine de l’Église qui faisait des Juifs les « tueurs du Christ ». C’est aussi autour d’une commune admiration de la Terre Sainte par les catholiques et les juifs que se tissera une sorte de complicité qui conduira à la reconnaissance du jeune État d’Israël et à la fondation en 1963 des Amitiés culturelles Canada-Français-Israël qui regroupent des personnalités influentes des deux milieux. Lacasse considère que c’est plutôt du côté de la rencontre interculturelle que se situe le rapprochement entre Juifs et Canadiens français durant ces mêmes années. Il s’appuie notamment sur la littérature en prenant le cas, déjà bien étudié par Pierre Anctil, d’A.M. Klein, écrivain juif montréalais d’importance, également éditeur en chef du Jewish Chronicle de 1938 à 1954, qui établit une sorte de symétrie de position entre la minorité juive au Québec et la minorité canadienne-française au Canada. Le Cercle juif de langue française, une autre initiative du Congrès juif lancée en 1950, témoigne de la volonté de ce dernier de s’ouvrir à une meilleure compréhension de la culture et …