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Jean-François Roussel brosse dans cet ouvrage un nouveau portrait théologique de la figure historique qu’est Kateri Tekahkwitha. L’étude s’attarde sur la dualité incarnée par le parcours de la jeune femme, à la fois figure autochtone et figure spirituelle, mais aussi sur la manière dont elle est réappropriée de nos jours. En effet, le contexte particulier de sa canonisation en 2012, au lendemain de la Commission de vérité et réconciliation, témoigne d’une survivance de la question religieuse dans les relations entre Autochtones et allochtones au Canada. En ressort une anaylse qui ne s’adresse pas uniquement au monde universitaire, mais à tout individu possédant un lien avec Kateri, intellectuel ou spirituel. C’est dans le souci de s’adresser au plus grand nombre et d’aborder tous les aspects de sa vie que Roussel rédige à la fois une biographie, une présentation de l’entreprise de conversion de la mission du Sault Saint-Louis (Kahnawake), le suivi d’un parcours d’une sainte dans un milieu incroyant et une étude du genre sur la vie d’une femme dans un univers d’hommes.
Après la vaste enquête d’Allan Greer publiée en 2005 sur le même sujet, il est surprenant de voir paraître un nouvel ouvrage sur Kateri, mais l’intention de Roussel est bien différente de celle de Greer. Partant de la positio formée par l’Église catholique (p. 22), l’auteur propose de décoloniser le champ des études religieuses en revisitant cette mémoire. C’est dans ce souci d’explication qu’il analyse le système de compréhension d’une femme autochtone privée de la parole par ses hagiographes allochtones (p. 27-28). Avec un tel préambule et une pleine transparence dans son cadre conceptuel et méthodologique (ces deux éléments représentent à eux seuls 58 pages de l’ouvrage), la promesse de décolonisation d’un champ d’études ancien est intéressante, car elle passe par une analyse historique complète.
En plus de fournir une nouvelle enquête théologique sur une figure historique, Roussel s’attarde autant à l’environnement de Tekahkwitha qu’à sa propre personne. Bien loin de tenir pour acquis les propos des hagiographes, le chercheur confronte les points de vue afin de dégager la vision la plus exacte possible de ce que devait être la vie de cette jeune kanien’kehá :ka convertie pendant la seconde moitié du 17e siècle. En ajoutant à cela les recherches d’historiens ou d’anthropologues (en plus de Greer, l’auteur cite fréquemment Denys Delâge, Jon Parmenter et Roland Viau), Roussel présente une figure complexe de l’histoire, certains y voyant une sainte tandis que d’autres perçoivent une jeune femme victime de la colonisation et de l’emprise des missionnaires. Cependant, c’est sous l’angle théologique que cet ouvrage apporte pleinement sa pierre à l’édifice. Sa spécificité réside en effet dans son étude des écrits hagiographiques, de la compréhension de la figure de Kateri par les religieux de l’époque, et dans ses réflexions sur des thèmes chrétiens essentiels comme la virginité, la mortification ou le rapport à Dieu.
Néanmoins, si l’objectif de recherche est louable, l’enquête pourrait être poussée bien plus loin. À plusieurs reprises, l’auteur rappelle qu’il est théologien et non historien ou anthropologue. Il en ressort des présentations de théories qui, si elles peuvent être utiles pour un public découvrant ces questions, donnent parfois l’impression d’un état de l’art sur la question de la conversion. Si on comprend la volonté de l’auteur de ne pas commettre d’impair, il aurait été intéressant de formuler quelques hypothèses, notamment lorsqu’est abordée la question de l’appropriation du christianisme par les Autochtones convertis. Nous pensons notamment au passage où les Autochtones organisent des moments de mortification malgré les interdictions des jésuites, un comportement qui aurait mérité de plus amples explications (p. 82-83). Sans être rédhibitoires, plusieurs aspects de l’étude mériteraient une recherche construite à partir d’une bibliographie plus fournie sur les questions autochtones à l’époque coloniale.
Malgré ces critiques, on doit tout de même reconnaître que les théories historiques sur les actions et les dires de Kateri Tekahkwitha sont moins au coeur de l’ouvrage que sa mémoire, tant écrite que spirituelle. Comme il le dit lui-même (p. 57), l’auteur se détache de la froideur académique objective pour permettre à son lectorat de se réapproprier cette figure sainte, de déconstruire son parcours et de remettre en perspective un univers : celui de la conversion, de sa culture écrite, de la mémoire et de l’élévation d’une figure féminine dans une structure dominée par les hommes. C’est en cela que le travail de Roussel s’inscrit dans un processus de décolonisation puisqu’il permet à tous, Autochtones et allochtones, de se réapproprier une figure du passé qui incarne, à bien des égards, les différentes fractures encore présentes dans les rapports entre le Canada et les communautés autochtones.