Comptes rendus

Lamonde, Yvan. Se soumettre de bon coeur à son mari. Le combat d’une femme face à l’autoritarisme marital. Québec, Presses de l’Université Laval, 2022, 110 p.[Record]

  • Bettina Bradbury

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  • Bettina Bradbury
    Université York et Université Victoria de Wellington

  • Traduit de l’anglais par
    André LaRose

En 1880, Marie-Zoé-Aimée Renaud intente une action en justice contre François-Xavier-Anselme Trudel, son mari depuis seize ans, afin d’obtenir une séparation de corps et de biens. Elle échoue. Le titre de ce livre d’Yvan Lamonde porte à croire que le sujet principal en est le combat judiciaire de cette femme ou l’histoire de son mariage. Ce n’est pas le cas. Ou si peu. Lamonde a apporté des contributions majeures à l’histoire des idées et des institutions culturelles au Québec. Il a écrit sur bon nombre des hommes qui ont façonné la pensée libérale des patriotes, sur l’éducation, les bibliothèques et l’échange des idées dans la sphère publique. Pendant des années, cette affaire judiciaire est restée en latence dans ses cartons de recherche. Lorsqu’il a décidé d’écrire sur le sujet, il a choisi les cadres qu’il connaissait le mieux, ceux de l’histoire intellectuelle et culturelle, d’où un livre qui porte moins sur Marie-Zoé-Aimée Renaud que sur les deux hommes clés du procès et les conflits idéologiques de leur époque. Les deux avocats – son mari, le conservateur ultramontain François-Xavier-Anselme Trudel, et le rival politique de celui-ci, le libéral, rouge et républicain Joseph Doutre – avaient croisé le fer au tribunal en 1870. À l’époque, Doutre faisait partie des avocats qui représentaient la veuve de Joseph Guibord, Henriette Brown, tandis que Trudel travaillait pour les défendeurs. Dix ans plus tard, Marie-Zoé-Aimée Renaud choisit Doutre, l’ennemi politique juré de son mari, pour plaider sa cause en séparation. Pendant la plus grande partie du livre, Renaud reste à l’arrière-plan. L’ouvrage s’ouvre sur un chapitre consacré à l’histoire de l’Institut canadien et à la lutte pour « les choses de l’esprit » entre ses membres et le clergé catholique, de plus en plus ultramontain, et ses partisans (p. 1). Le deuxième chapitre porte sur la bataille judiciaire au sujet de l’enterrement de Guibord en 1870 et le troisième expose les grands conflits culturels qui ont précédé et suivi 1870, ce qui comprend la participation de Trudel à l’élaboration du « Programme catholique » politique. Dans le quatrième chapitre, Lamonde parle enfin de Marie-Zoé-Aimée Renaud, de son mariage et du procès qu’elle intente à son mari. Même le titre du chapitre, « Doutre et Trudel : retour en Cour, cette fois avec Zoé-Aimée Renaud », la met au second plan par rapport à ces deux hommes. Les riches documents produits au cours de l’affaire permettent de connaître les plaintes des époux l’un contre l’autre et les témoignages des témoins appelés par leurs avocats respectifs. Lamonde présente ensuite un chapitre intitulé « Zoé-Aimée dans l’histoire des femmes au Québec avant 1880 ». L’histoire de Renaud s’insère mal dans cette esquisse décousue de l’évolution des modèles d’éducation, de sociabilité, de participation aux salons et aux engagements caritatifs des bourgeoises québécoises depuis les années 1830, car, comme Lamonde le dit lui-même, la femme « n’est pas de cette mouvance intellectuelle, artistique, littéraire » (p. 89). Le sixième et dernier chapitre développe davantage l’argument de l’auteur selon lequel « son affirmation, sa résistance sont d’un autre ordre » (p. 89). Lamonde soutient que Renaud n’est pas folle, comme bon nombre de contemporains l’ont laissé entendre, mais qu’elle résiste à l’ultramontanisme conjugal particulièrement répressif que son mari cherche à imposer. Ce n’est pas une victime, mais un agent luttant contre le patriarcat ultramontain. Cette proposition a beaucoup de sens. La pièce maîtresse du quatrième chapitre, et en fait de l’argumentation de Lamonde, est une remarquable liste de 43 griefs et prescriptions que Trudel a dressée à la hâte lorsque des amis ont cherché à aider le couple à se réconcilier. Cette …